PDF - 1,8 MiB - Institut de recherche et débat sur la gouvernance

Penser l’économie
sous l’angle de la gouvernance
FAUT-IL CRAINDRE
LE RETOUR DU
PROTECTIONNISME ?
189
PIntroduction 190
DU « PETIT PROTECTIONNISME »
À LA REMISE EN CAUSE DU LIBÉRALISME 191
PNationalisme économique : la paille et la poutre 192
PTableau : Part des changements de réglementations nationales
allant dans le sens d’un plus grand protectionnisme 195
PLes fonds souverains et le nouvel ordre mondial des finances 199
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190
2008
de régulation
Une demande croissante
Àen croire nombre d’observateurs, le pic de la dernière vague de li-
béralisation, celle qui a débuté dans les années 1980 avec la sup-
pression des obstacles à la circulation du capital, est désormais
derrière nous ; si ses acquis n’ont pas été fondamentalement remis
en cause, la tendance est désormais à la régulation, et les criti-
ques des « dérives » du système financier international haussent
la voix. Christian Chavagneux rappelle ici qu’il ne s’agit pas, dans cette re-
mise en cause, de vouloir « arrêter » la mondialisation, au contraire : les
échanges commerciaux ne décélèrent pas, et la part des échanges inter-
nationaux dans le PIB mondial n’a jamais été aussi élevée. Plutôt, le pay-
sage financier se complexifie, avec l’entrée en lice des fonds souverains,
présentés par Aurore Lalucq, ces fonds d’État qui ont tant fait parler d’eux
ces dernières années. Les doutes actuels concernent donc moins l’échange
des biens et des services que la libéralisation financière et les risques
qu’elle introduit dans le système économique. Certes, vingt-cinq ans de
libéralisation n’ont pas réussi à supprimer toutes les régulations nationa
les : Nicolas Véron observe que d’importantes différences demeurent au
sein même des pays développés, certains marchés étant plus fermés que
d’autres. Toujours est-il que, pour les pays en développement qui ont suivi
à la lettre les consignes de la Banque mondiale dans les années 1980 et
1990, la leçon s’avère bien amère. À cet égard, les années 2007 et 2008
apportent des signes avant-coureurs d’une nouvelle période de régula
tion, dont les contours restent encore flous.
DU «PETIT PROTECTIONNISME»
À LA REMISE EN CAUSE
DU LIBÉRALISME
Loin d’évoquer le spectre d’une guerre économique, les mesures
protectionnistes annoncent une volonté de réguler la mondialisation
économique, explique Christian Chavagneux. Car la libéralisation
a fait de la finance internationale une zone de non régulation
où personne ne peut assurer la maîtrise des risques qui s’y
développent.
Christian Chavagneux est rédacteur en chef de la revue L’Économie
politique. Auteur de plusieurs ouvrages, notamment Économie politique
internationale, La Découverte, 2004, et Les Paradis fiscaux (avec Ronen
Palan), La Découverte, 2007.
CHRISTIAN CHAVAGNEUX
Le protectionnisme financier pose dorénavant « une menace évidente
de remise en cause de la mondialisation des vingt dernières années ».
Richard Portes, le directeur du Centre for Economic Policy Research
(CEPR) britannique, n’y va pas par quatre chemins. Cet expert de la
finance internationale pense déceler une tendance mondialisée à la re-
mise en cause de la libre circulation internationale des capitaux, à même
de remettre en cause l’ensemble du processus contemporain d’internatio-
nalisation des économies, entamé non pas il y a vingt ans mais dès la fin
des années 1950. Cette menace est-elle une réalité ?
Il existe assurément un frémissement en matière de protectionnisme
financier que la montée en puissance et la visibilité nouvelle des fonds
souverains1, les fonds d’investissement d’État, ont accentué ces derniers
mois. Aux États-Unis, la candidate démocrate à la présidentielle Hillary
Clinton les a qualifiés d’atteinte possible à la souveraineté économique
de son pays. Les Allemands, par la voie d’Angela Merkel et de son minis-
tre des Finances, ont été les plus virulents chez les Européens, suivis sur
ce terrain par le président français. Mais, pour l’instant, l’internationali-
sation de la finance continue à battre son plein. Plus qu’une attaque en
1 I Voir l’article
d’Aurore Lalucq
p. 199.
191
chroniques de la gouvernance 2008
règle contre la mondialisation, cette tendance au protectionnisme finan-
cier s’inscrit dans un mouvement plus vaste de remise en cause du libéra-
lisme en tant que boîte à outils intellectuelle de référence pour la
définition des politiques publiques. Dans le même temps, l’intervention
de l’État dans l’économie fait un retour remarqué dans de nombreux
domaines. La mondialisation économique ne semble pas près de s’arrêter.
C’est plutôt la foi selon laquelle les bénéfices que l’on peut en tirer passent
par toujours plus de libéralisme qui est en train de perdre ses croyants.
UNE PETITE TENDANCE AU PROTECTIONNISME FINANCIER
La mondialisation financière est un phénomène qui s’appuie sur l’in-
ternationalisation d’essentiellement quatre types d’activités : l’inter-
médiation (la collecte de dépôts et la distribution de crédits par les
établissements financiers), les placements (la recherche des meilleu-
res opportunités de rendement pour l’épargne), la gestion des risques
financiers (la capacité à se protéger ou à spéculer sur le risque en le
faisant circuler) et les mouvements de fusions-acquisitions, c’est-à-
dire l’investissement à l’étranger pour entrer au capital ou pour s’em-
parer d’un établissement financier. Loin de toucher à l’ensemble de
ces activités, la légère tendance à une forme de protectionnisme finan-
cier enregistrée ces dernières années ne concerne pour l’instant que les
investissements directs étrangers.
192
Nationalisme économique :
la paille et la poutre
Chacun des pays développés se considère moins protectionniste que les autres. Qu’en
est-il en réalité ? L’Europe continentale reste plus ouverte que les pays émergents et le
Japon, mais sensiblement plus fermée que les États-Unis et le Royaume-Uni.
NICOLAS VÉRON est économiste au sein Les années récentes ont vu une recrudescence des
de Bruegel, centre européen de réflexion sur débats sur la protection du capital des entreprises
les politiques économiques. Il a publié L’Information
financière en crise (Odile Jacob, 2004) et, pour considérées comme « nationales » contre la prise
Bruegel, des études sur la nationalité des de contrôle par des intérêts « étrangers », géné-
entreprises, la normalisation comptable
internationale, la supervision bancaire en Europe, ralement désignée sous l’expression de nationa-
et l’effet du système financier sur la croissance lisme économique (ou de patriotisme économique,
(disponibles sur www.bruegel.org). pour reprendre le slogan popularisé en France à
partir de juillet 2005 par Dominique de Villepin,
faut-il craindre le retour du protectionnisme ?
Le premier signe repose sur la montée des discours et des actes de
« patriotisme économique ». La France y participe pleinement. Entre la fin
2005 et mars 2006, le gouvernement français a annoncé une série de mesu-
res visant à protéger les entreprises françaises des OPA hostiles et défini
onze secteurs stratégiques pour lesquels il souhaite être informé des chan-
gements de propriétaires, tout en donnant la liste d’une dizaine de grosses
entreprises (de Carrefour à la Société Générale, en passant par Saint-Go-
bain, Suez, Alcatel ou Danone…) dont il veut voir maintenir les centres de
décision en France. Fin janvier, fidèle à cette logique, Henri Guaino, conseiller
de Nicolas Sarkozy, a ainsi indiqué que l’État français pourrait intervenir si
« un prédateur tentait de profiter des pertes
historiques subies par la Société Générale La répartition mondiale
pour prendre le contrôle de la banque ». des capitaux est complètement
La France n’a rien d’une exception en ce
domaine. Le patriotisme économique est déséquilibrée.
déjà un fait acquis chez toutes les grandes
puissances mondiales et sa promotion par les hommes politiques français
revient simplement à mettre la France aux normes de ce qui se fait ail-
leurs. Neuf autres pays européens contrôlent les investissements étran-
gers, la Chine a mis en œuvre en septembre 2006 une nouvelle loi destinée
à renforcer ses contrôles et on peut se rappeler comment les États-Unis ont
empêché les incursions de Dubaï Ports et de la China National Offshore
Oil Corporation dans leur secteur des infrastructures et du pétrole.
alors Premier ministre). Dans ce domaine, il est
difficile d’éviter les distorsions de perspective. Les
Américains considèrent les Français comme d’in-
corrigibles protectionnistes ; mais la perception
générale à Paris est qu’outre-Atlantique la défense
contre les intrusions étrangères est aussi forte
qu’en France, et même plus efficace parce que plus
discrète. De même, entre la France et l’Allemagne.
Chacun a tendance à voir la paille dans l’œil du voi-
sin, en omettant la poutre dans le sien.
En comparaison mondiale, les deux zones sont
très ouvertes. L’indice d’ouverture à l’investisse-
ment étranger calculé par l’OCDE dépeint à la fois
presque tous les pays européens et les États-Unis
comme nettement plus accueillants aux investis-
sements étrangers que la plupart des autres éco-
nomies développées ou en développement,
notamment la Russie, l’Inde et la Chine, ainsi que
le Japon, la Corée du Sud ou les États du Golfe. Les
usines Toyota à Valenciennes ou dans le Kentucky
sont les symboles du bon accueil réservé aux im-
plantations nouvelles d’où qu’elles viennent, qui
n’est pas toujours allé de soi dans le passé, mais
peut désormais être considéré comme acquis.
Pour autant, lorsqu’il s’agit non plus de création
d’activités nouvelles mais de prise de contrôle
d’entreprises existantes, les restrictions de droit
ou de fait sont plus significatives.
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