Thèse présentée pour obtenir le grade de
Docteur de l'Université Louis Pasteur
Strasbourg I
Discipline : Sciences de la Vie
Par Claude STOLL
HISTOIRE DES IDEES SUR
L'EVOLUTION DE L'HOMME
Tome II
Soutenue publiquement le 24.10.2008
Membres du Jury
Directeur de Thèse : M. Jean-Marie VETTER, Professeur, ULP
Co-Directeur de Thèse : M. Jean-Claude GALL, Professeur, ULP
Rapporteur Interne : M. Jean-Jacques ROEDER, DR, CNRS
Rapporteur Externe : Mme Brigitte SENUT, Professeur, MNHN
Rapporteur Externe : M. Josué FEINGOLD, DR INSERM, U.155
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ANNEXE 1 : LINNÉ
A cette époque, un changement radical s'était manifesté dans l'interprétation de
l'harmonie de la nature. Les théologiens naturels avaient repris un thème déjà en vogue chez
certains philosophes grecs, selon lequel il y aurait une merveilleuse harmonie entre les
animaux, les plantes et leur environnement. Tout était ordonné, de telle sorte que tout était en
équilibre avec tout. Si une espèce se répandait par trop, quelque chose se passait pour la
ramener à son effectif antérieur. La notion d'interdépendance des diverses formes de vie était
la preuve de la sagesse et de la bonté du Créateur (Derham, 1713). Bien entendu, les
prédateurs détruisent les espèces qui leur servent de proies. Mais ces prédateurs, une fois
créés, doivent vivre. Les proies ont été providentiellement façonnées afin de produire un
surplus reproductif, et ainsi de la subsistance pour les prédateurs. L'apparente lutte pour
l'existence n'est qu'un phénomène superficiel; nulle part, elle ne perturbe l'harmonie de la
nature, si grande que les espèces ne peuvent ni changer ni s'éteindre. Elles n'ont pas besoin
non plus de s'améliorer, parce qu'il n'y a pas de degré plus élevé de perfection.
Le concept, et le terme même de "lutte pour l'existence", est tout à fait ancien. Les XVIIe
et XVIIIe siècles y font fréquemment allusion, selon Zirckle (1941). Cependant, cette lutte
était considérée par Linné (Hofsten, 1958), Kant, Herder, Cuvier et beaucoup d'autres, comme
une affaire relativement bénigne, permettant les corrections nécessaires à l'équilibre de la
nature. A mesure que les connaissances progressèrent, une interprétation opposée gagna du
terrain : on parla de la férocité de la lutte pour l'existence. Cette nouvelle vision est esquissée
dans quelques écrits de Buffon, et dans des déclarations de Linné; elle est exprimée chez
l'historien allemand Herder, et elle fut soulignée par de Candolle, à qui Lyell la reprit. Dans
les écrits de Lyell — et non pas chez Malthus —, Darwin rencontra pour la première fois le
concept de lutte pour l'existence.
Comme nous l’avons vu, du Moyen Age au XIXe siècle, la pensée occidentale fut
dominée par l'essentialisme. L'accent était mis sur l'espèce, et il n'est pas étonnant que le
problème de l'espèce suscite les premières réflexions au sujet de l'hérédité — celles de Linné,
de Kölreuter, de Unger et de Mendel.
Linné ne se demanda jamais quelle importance biologique avait la variation. « Les
variétés sont des plantes changées par quelque cause accidentelle. » (Phil. Bot., 1751: para.
158)
Dans sa Philosophia Botanica (para. 158), Linné caractérisa la variété de cette façon : «
Il y a autant de variétés qu'il y a de plantes différentes produites par les graines d'une espèce.
Une variété est une plante changée par une cause accidentelle : le climat, le sol, la
température, les vents, etc. Une variété revient donc à sa condition originelle lorsque l'on
change le sol. » Par cette définition, il donne à la variété le statut de ce que nous appellerions
aujourd'hui une modification non-génétique du phénotype. Dans sa discussion des variétés
dans le règne animal (para. 259), Linné indique qu'il inclut sous le terme de "variété" non
seulement les variations climatiques non génétiques, mais aussi les races d'animaux
domestiques et les variants génétiques intra-populationnels. Lorsqu'on parcourt attentivement
ses écrits, on découvre que sous le nom "variété", Linné inclut au moins quatre sortes de
phénomènes : 1) les modifications non-génétiques dues aux différences d'alimentation, de
climats, de contextes agricoles, et à d'autres effets de l'environnement sur le phénotype; 2) les
races d'animaux domestiques ou de plantes cultivées; 3) les variations génétiques à l'intérieur
des populations; 4) les races géographiques, telles que les races humaines.
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Le temps passant, on s'aperçut de l'hétérogénéité des phénomènes que l'on avait
regroupés sous le terme de "variété" et de nouveaux termes furent proposés pour les
différentes sortes de variétés. Cependant, la terminologie complexe qui en résulta (voir Plate,
1914 :124-143) n'élimina pas le problème, puisqu'elle n'avait pas éliminé la confusion
conceptuelle. La plupart des auteurs furent incapables de distinguer 1) variation génétique et
non-génétique; 2) variation continue et discontinue; 3) variation géographique et individuelle.
Par conséquent, lorsque différents auteurs discutaient des "variétés", ils se référaient souvent à
des phénomènes différents. Cette situation fut aggravée par le fait qu'à partir de Linné, deux
traditions se développèrent, qui divisèrent les botanistes et les zoologistes. Lorsque ces
derniers parlaient de variétés, ils désignaient généralement les races géographiques, tandis que
les botanistes visaient des variétés cultivées ou des variants intra-populationnels. Cependant,
l'institution de ces deux traditions représenta le premier signe d'une tentative pour distinguer
les différentes variations.
On décrit souvent Linné comme un professeur pédant, qui ne s'intéressait à rien d'autre
qu'à la classification artificielle. Il est vrai qu'il fit preuve d'une application obsessionnelle à
classer tout ce qui, sous le soleil, arborait quelque variation. D'un autre côté, il surprend
souvent qui s'aventure à lire ses essais, par des réflexions hétérodoxes sur toutes sortes de
sujets d'histoire naturelle. Comme c'est le cas pour les auteurs riches d'idées, il avança souvent
simultanément, ou au moins consécutivement, des points de vue contradictoires. Son
changement de conception, en ce qui concerne la nature des espèces, illustre bien ce fait. Dans
ses premiers travaux, la notion fondamentale était l'invariance de l'espèce. Sa devise, Tot sunt
species (1735), est le plus connu de ses dogmes. Cependant, durant la dernière partie de sa
vie, il émit l'idée que les espèces naturelles s'hybrident librement entre elles. Dans l'une de ses
thèses (Haartman, 1764; Amoen. Acad., 3 : 28-62), pas moins d'une centaine d'espèces,
supposées hybrides, sont énumérées, dont 59 décrites en détail. Dans un essai (1760) traitant
de la nature du sexe chez les plantes, composé pour l'Académie des Sciences de Saint-
Pétersbourg, Linné décrit deux hybrides qu'il dit avoir produit artificiellement par
pollinisation croisée réalisée manuellement. L'un était un salsifis hybride (Tragopogon
pratensis x T. porrifolius), l'autre une véronique hybride (Veronica maritima x Verbena
officinalis).
Il n'est pas très important de savoir si oui ou non les plantes que Linné avait produites
étaient issues du croisement entre les espèces parentales mentionnées ci-dessus (ce qui est
assez douteux). Mais ce que Linné affirmait à ce moment-là était remarquable : une nouvelle
espèce invariante — c'est-à-dire une essence entièrement nouvelle — pouvait être obtenue par
hybridation de deux espèces. Cette position était en contradiction avec ses idées antérieures et
celles d'autres essentialistes. L'hybride, à moins qu'il n'ait eu les deux essences à la fois, devait
avoir une essence intermédiaire, et s'il s'hybridait de nouveau avec l'un des parents, ou avec
une autre espèce, il devait conduire à une gradation continue d'essences, ce qui était
incompatible avec les discontinuités nettes entre espèces rencontrées dans la nature.
Néanmoins, Linné était tellement convaincu d'avoir produit de nouvelles essences, qu'il donna
de nouveaux noms d'espèce à ses deux hybrides dans son fameux traité Species Plantarum
(1753).
Linné envoya quelques graines de son salsifis hybride à Saint-Pétersbourg, où elles
furent mises en culture par le botaniste allemand Kölreuter qui s'occupait aussi de croisements
entre espèces de plantes. Les salsifis cultivés par Kölreuter en 1761, probablement des
générations F2, manifestèrent une variation considérable, ce qui réfutait totalement
l'affirmation de Linné selon laquelle il avait produit de nouvelles espèces invariantes.
On a régulièrement trouvé, chez les plantes cultivées, des variants aberrants; en fait, la
plupart d'entre eux ont été à l'origine de beaucoup des variétés d'horticulture les plus connues
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(en particulier lorsque les variations affectaient la forme ou la couleur des fleurs). De même,
on a toujours observé des variants aberrants chez les animaux domestiques, comme des
vaches sans cornes ou des moutons aux pattes très courtes (cette souche, dite "Ancon", a joui
à une époque d'une grande popularité, parce que ces moutons ne pouvaient sauter par-dessus
les clôtures). Dans tous ces cas, les éleveurs avaient pu obtenir des souches pures grâce au
croisement en retour avec les parents, et à des croisements consanguins ultérieurs. Ils avaient
alors observé ce que nous appellerions aujourd'hui une hérédité mendélienne stricte. Il n'y
avait pas de "mélange", pas de retour graduel au type parental, contrairement à ce qu'avait
trouvé Kölreuter avec les hybrides entre espèces. Curieusement, ce fait resta ignoré de Jenkin
et de Darwin, dans leur fameuse controverse sur l'hérédité par mélange.
Linné n’était pas évolutionniste. Cependant Zimmermann (1953 :195-210) souligne à juste
titre que Linné connaissait très bien de nombreux faits utilisés ensuite par Darwin comme
preuves de l'évolution. Comme l'apparition d'une mutation frappante (celle de Peloria), qui
restait constante dans les générations suivantes et cependant pouvait être croisée avec l'espèce
parentale (Linaria). Il connaissait la riche faune fossile trouvée dans certaines régions de son
pays, mais il était incapable de lui trouver une interprétation évolutionniste. Sachant
pertinemment à quel point les flores et les faunes différaient d'un continent à l'autre, Linné ne
put pourtant atteindre les conclusions de Darwin, parce qu'il restait attaché à l'interprétation
littérale de la Bible, selon laquelle Adam et Ève avaient nommé toutes les créatures et l'arche
de Noé avait déposé tous ses passagers en un seul lieu. Cependant, il admit que les flores
locales d'Amérique du Nord, d'Afrique, et d'autres parties du monde, contenaient tant
d'espèces similaires «que leur apparition originelle à partir d'une seule espèce paraît possible»
(in ses Fundamentum Fructifications, 1762; in Amœnitates Academicae, 6: 279-304). La
manière dont Linné avait traité la systématique de l'homme et des grands singes se prêtait
facilement à une interprétation évolutionniste. Finalement, on trouve, disséminés dans ses
écrits, des signes qu'il en était venu à accepter l'idée que le monde pouvait être très âgé
(Nathorst, 1908).
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ANNEXE 2.1 : DARWIN SELON LE MUSEUM OF NATURAL HISTORY OF NEW-
YORK. (http://www.amnh.org/exhibitions/darwin/
Ce brillant observateur de la nature garde ses idées les plus originales et les plus
révolutionnistes sous le manteau pendant des décennies. Aujourd’hui, 200 ans après sa
naissance, tout le monde connaît son nom. Pourquoi ? Car Darwin perçut que des fossiles de
paresseux aux oiseaux moqueurs, des primevères aux enfants, nous sommes tous apparentés.
Toutes les choses vivantes ont un ancêtre commun et la grande diversité de la vie sur Terre
résulte de processus actifs au cours de millions d’années et encore en action aujourd’hui. Pour
expliquer cela, Darwin propose la théorie de l’évolution par sélection naturelle. Cette
proposition transforme notre compréhension du monde vivant tout autant que les idées de
Galilée et de Newton révolutionnèrent notre compréhension de l’univers physique.
La théorie de l’évolution par sélection naturelle nous permet de comprendre les
collections de fossiles terrestres et la riche biodiversité. Simple aujourd’hui, controversée, mal
comprise et mal utilisée pour des buts sociaux après sa formulation, cette théorie demeure le
concept central de la biologie.
LE MONDE AVANT DARWIN
Le monde, avant Darwin, était figé. Les espèces n’étaient pas reliées en un seul
arbre familial. Elles n’étaient pas apparentées, elles ne changeaient pas depuis le moment de
leur création. On pensait que la Terre elle-même était si jeune – peut-être à peine 6000 ans –
que les espèces n’auraient pas eu le temps de changer. Le monde était perçu comme stable et
sans changement. Il y avait un ordre naturel pour les choses.
La nature des espèces :
Vers 1800, les naturalistes européens avaient un grand nombre de connaissances
sur les plantes et les animaux. Ils récoltaient des spécimens, les étudiaient soigneusement et
même classaient les espèces similaires en groupes. Mais seulement un nombre restreint de
penseurs, comprenant Jean-Baptiste Lamarck et Erasmus Darwin, le grand-père de Charles
Darwin, supposaient que les espèces ont évolué.
Pourquoi pas plus de personnes ne saisirent que les similitudes des structures
squelettiques – si clairement visibles – étaient un argument pour penser que les espèces sont
apparentées ? En partie car personne ne pouvait expliquer avec conviction comment
l’évolution fonctionne, comment des caractères distinctifs, comme le long nez des fourmiliers,
sont apparus au cours du temps. Comment de nouvelles espèces pouvaient-elles apparaître ?
Peu de naturalistes se posaient ces questions. La plupart d’entre eux se contentaient de la
pensée dominante que chaque espèce était le résultat d’une action créatrice spéciale d’un
Créateur.
L’évolution avant Darwin
Les premiers évolutionnistes comme Lamarck avaient des difficultés à expliquer
comment apparaissent de nouvelles espèces. Lamarck avait réalisé que de nombreux animaux
semblaient avoir acquis des adaptations utiles, le grand cou de la girafe, par exemple, était
parfait pour se nourrir de plantes situées en hauteur. Mais comment la girafe a-t-elle obtenu
son long cou ? Lamarck pensait que cela était dû aux efforts constants pour atteindre la
nourriture. L’usage constant d’une partie du corps le rend plus grand et plus fort, pensait
Lamarck. Mail, il y avait un problème crucial. Etait-il possible que des changements produits
pendant la durée de vie d’un animal soient transmis à ses descendants ? Lamarck pensait que
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