La problématique de gestion des aires protégées en Afrique centrale

La problématique de gestion des aires protégées en Afrique centrale :
le cas du parc national de Lope-Okanda au Gabon
Richard NDÉMANOU
Chef de Division Environnement, Société Africaine d'Expertise
Cameroun
1. LE CONTEXTE DE LA CONSERVATION EN AFRIQUE CENTRALE
1.1 Richesse de la biodiversité en Afrique centrale
Avec 6 % des forêts qui existent encore dans le monde, et 35 % des forêts restantes en Afrique, le Bassin du Congo
est d’une importance vitale pour la conservation de la diversité biologique (FRA 2000). Abritant la plus importante
richesse en espèces du continent, les forêts de la région « guinéo-congolaise » en font une région exceptionnelle au
niveau mondial, qui exige l’attention particulière de la conservation. La région regorge d’espèces végétales et
animales, comprenant des grands mammifères très spectaculaires tels les gorilles, les chimpanzés, les mandrills, les
éléphants, les buffles, les bongos, les okapis, et des oiseaux de forêt tels que les aigles, les perroquets gris ou les
calaos. Aujourd’hui, les larges portions intactes de forêt tropicale qui subsistent en Afrique centrale sont celles qui
offrent les meilleures possibilités de protéger des communautés entières de grande faune tropicale. La
conservation de ces forêts n’est pas seulement critique pour la sauvegarde de la faune sauvage, mais aussi pour les
65 millions de personnes qui trouvent dans la forêt leur source première de protéines animales, des plantes
sauvages, du bois et d’autres produits (Aubé 1996). Elle est aussi cruciale pour la communauté mondiale dont le
bien-être dépend directement ou indirectement du bon état de la forêt, de ses diverses fonctions écologiques et
économiques, et des mécanismes climatologiques globaux qui en dépendent.
Les forêts tropicales qui recouvrent la plus grande partie de la région sont très hétérogènes et comprennent de
nombreux types forestiers différents comme des mangroves, des forêts côtières, des forêts marécageuses, des
forêts denses de basse altitude et des forêts de montagne. Chacun de ces types, y compris diverses caractéristiques
locales comme les inselbergs ou les clairières naturelles, présente des communautés d’espèces et des phénomènes
écologiques uniques. En raison de sa vaste étendue et des accès difficiles, de grandes portions du Bassin du Congo
sont restées inexplorées par les scientifiques; il est dès lors impossible de fournir une description quantitative de
toute la biodiversité de la région. Cependant, même si la connaissance de la région, basée sur les données
disponibles, reste incomplète, on sait que la richesse et le degré d’endémisme des groupes de plantes et d’animaux
sont extrêmement élevés. Étant donné les multiples menaces qui sent sur les régions forestières de la région, la
communauté internationale peut, à juste titre, s’inquiéter du fait que de nombreuses espèces ou communautés
pourraient disparaître avant même d’avoir été décrites.
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1.2. Réseau et statut des aires protégées
On se rend généralement compte du fait que, même s’il est protégé efficacement, le réseau actuel des aires
protégées ne pourra pas garantir le maintien de toutes les espèces et les communautés de la région parce que la
représentation écologique n’y est pas complète. Un récent exercice stratégique destiné à évaluer les priorités en
matière de conservation biologique de la région (atelier de Libreville, 30 mars 2 avril 2000 ; WWF, 2001) a révélé
des failles dans l’actuel réseau d’aires protégées et dans le support des projets internationaux de conservation qui
ne concordent pas parfaitement avec les plus importantes priorités en matière de conservation identifiées selon
des critères biologiques. Le rapport du WWF recommande de réaliser une évaluation, au niveau de la région, de
l’efficacité de la gestion des sites actuellement conservés, une évaluation du réseau d’aires protégées (AP) de la
région, de la valeur de certaines AP existantes et des ajustements des systèmes nationaux des AP. En effet, on a
constaté que de nombreuses zones dont la conservation exige un niveau élevé de priorité n’étaient pas assez
connues, ne jouissaient d’aucun statut de conservation et n’étaient soutenues par aucun projet de conservation.
La pression croissante exercée par divers facteurs (chasse, pêche, coupes de bois, routes, exploitations minières,
extensions agricoles, exploitation de pétrole et de gaz) isole peu à peu les AP les unes des autres. Ce processus
d’« insularisation » constitue une menace majeure pour les processus écologiques et la survie à long terme de
certaines espèces. La nécessité de protéger de vastes blocs forestiers, suffisamment grands pour abriter les espèces
sensibles et les processus écologiques fragiles, est reconnue de tous, et on a à plusieurs reprises exprimé des
recommandations pour la création de grands complexes consacrés à la conservation. Plusieurs propositions sont
actuellement mises au point pour le développement de telles zones, tant au niveau national qu’international, et
elles incluent des complexes d’aires protégées et non protégées qui sont soumis à différents gimes de gestion.
Cette approche inclut des propositions pour la création d’aires de conservation transfrontières et des plans de
régimes de gestion homogènes pour les complexes transfrontières d’AP contiguës (COMIFAC 2001).
Les différentes demandes qui pèsent sur les écosystèmes forestiers exercent une pression croissante sur les aires
protégées. Les routes tracées dans les concessions forestières avoisinantes ont créé un nouveau réseau de
communication qui facilite les déplacements et les transports et donne accès à des forêts qui n’étaient auparavant
pas affectées par la chasse. Les capacités de gestion actuellement disponibles en termes de personnel, de
formation et de support logistique sont insuffisantes pour assurer le maintien de l’intégrité des aires protégées. De
plus, la gestion de la faune dans les zones tampons des aires protégées est essentielle pour empêcher la disparition
locale des espèces de gibier dont dépendent les populations rurales.
1.3. Menaces actuelles sur les habitats et sur les espèces
Nous l’avons mentionné plus haut, le nombre et la variété des menaces qui pèsent sur la conservation des forêts
d’Afrique centrale augmentent sans cesse. Alors qu’on considérait que l’envahissement par les plantations de café,
de cacao, de caoutchouc et de palmiers à huile était la menace principale jusqu’à il y a 15-20 années, les principales
causes de la disparition de la biodiversité des forêts sont aujourd’hui les coupes de bois et la construction des
routes qui y est associée, l’exploitation de pétrole et de gaz, l’exploitation minière et la chasse. Ce changement est
à de nombreuses causes, y compris l’évolution des marchés internationaux, la dévaluation consécutive du franc
CFA en janvier 1994 et les mesures d’ajustement structurel imposées par la Banque mondiale et par le Fonds
monétaire international, ainsi que les politiques nationales et internationales en matière de subsides et autres
incitants économiques. De nouvelles difficultés économiques liées à la diminution des revenus pétroliers ont réduit
les possibilités d’emplois, créant une niche économique attractive pour le commerce de viande de brousse qui a
pris de l’ampleur en réponse à la demande insatiable pour la viande sur les marchés urbains (Wilkie et Carpenter,
1998). Il n’est pas toujours possible de quantifier la contribution respective de chacune des causes de déforestation
et de « défaunation » dans la région. Plusieurs facteurs causaux sont liés, ils apparaissent à la suite l’un de l’autre
et/ou ils évoluent en fonction des facteurs socio-économiques locaux ou des circonstances nationales. Il en résulte
que l’on considère maintenant le niveau de menaces existant et futur comme étant élevé dans toute la région.
Presque toutes les parties du Bassin de Congo connaissent l’une ou l’autre forme de chasse, et le commerce de
viande de brousse semble être partout devenu la menace numéro un (BCTF, 2002).
Davantage que les modifications induites par l’exploitation forestière et les changements qualitatifs et quantitatifs
générés par l’extraction de grumes, ce sont plutôt les pièges et la chasse d’animaux destinés à la consommation
humaine, pratiques très répandues, qui posent la plus importante menace pour la conservation de la faune dans les
forêts du Bassin du Congo (Wilkie et al., 1998). Dans les zones forestières qui, pour des raisons naturelles ou
culturelles, sont impropres à l’élevage, la chasse a toujours fourni aux populations rurales les protéines animales
nécessaires.
La pratique qui consiste à prélever de la viande en forêt (« viande de brousse » ou « bushmeat ») est très répandue,
et culturellement et économiquement bien établie (Robinson & Bennett, 2000). On peut définir simplement la
viande de brousse comme « toutes les espèces sauvages, y compris celles qui sont menacées ou en danger, qui
peuvent servir de viande, telles que : gorilles, chimpanzés et autres primates, antilopes de forêt (céphalophes),
crocodiles, porcs-épics, potamochères, aulacodes, varans du Nil, pintades, etc. » (BCTF, 2002). Au cours de la
dernière décennie, on a assisté à une augmentation rapide de la chasse commerciale et du commerce de viande de
brousse dans tout le Bassin du Congo. Cette situation accroît la pression sur les aires protégées, spécialement
l’accès à ces zones s’est vu facilité par la vague montante des abattages sélectifs de bois.
L’exploitation forestière actuelle, contrôlée par les administrations nationales, est effectuée par des compagnies
forestières majoritairement étrangères sur base de concessions de surface et de durée variables selon les pays. Des
lois et règlements limitent le nombre d’espèces exploitables, les diamètres minimums d’abattage ainsi que les
volumes exploités. Il s’agit essentiellement d’une exploitation industrielle intensive, utilisant du matériel lourd
(pour l’abattage, le transport des bois et la construction des infrastructures routières et autres) et nécessitant de
gros investissements. L’exploitation est concentrée sur un petit nombre de pieds (2 à 5 tiges / ha) d’un nombre
réduit d’espèces et dès lors l’impact sur la composition et la structure forestières est théoriquement limité
contrairement à l’exploitation industrielle des forêts asiatiques à Dipterocarpaceae l’exploitation est beaucoup
plus intensive (20 à 50 pieds / ha) et concerne un grand nombre d’espèces. En pratique, l’impact de l’exploitation
forestière est sensiblement multiplié par ses effets indirects.
Du fait de l’utilisation sans précautions suffisantes de matériel lourd à tous les stades de l’exploitation (création de
routes forestières, abattage, débardage, transport des billes), on considère généralement que 10 à 50 % de la
superficie forestière est gravement affectée par l’exploitation. Ces chiffres peuvent être réduits à quelques % par
l’adoption de techniques améliorées d’exploitation à faible impact, comme cela est de règle dans les forêts
européennes, mais c’est encore très rarement le cas en forêt africaine.
Le non-respect des lois (non-respect des diamètres minimums, des limites de coupe, du volume maximum à
exploiter, passages multiples illégaux sur la même coupe multipliant sensiblement les dégâts d’exploitation) est
monnaie courante et la faiblesse institutionnelle des administrations forestières et leurs moyens réduits ne
permettent guère de circonscrire ce problème. Ce tableau s'est encore sensiblement assombri par l’apparition
récente de coupes sauvages alimentant des scieries locales.
L’ouverture du couvert forestier du fait de l’implantation des routes forestières facilite l’exploitation illégale de la
faune (grand braconnage commercial par des chasseurs professionnels, chasse aux pièges ou au fusil de
céphalophes et de petits singes par le personnel des exploitations forestières ou par les populations locales) ainsi
que l’extension des cultures sur brûlis.
D’autres menaces sont importantes à certains endroits de la région, telles que l’exploitation de pétrole et de gaz,
l’exploitation minière, l’élevage de bétail et les feux. On s’inquiète aussi beaucoup des conséquences possibles des
conflits armés dans certains pays, et l’histoire cente a montré clairement que leurs impacts sur la biodiversité
sont variés et destructeurs : défaillances dans l’application des lois et le maintien de l’ordre, accès facile aux armes
à feu, migrations massives de réfugiés, trafic d’ivoire et de diamant, et coupes de bois illégales pour alimenter les
efforts de guerre, réduction des financements pour la conservation, diminution drastique des revenus du tourisme.
La poursuite éventuelle de la guerre civile en RDC, en particulier, constitue un défi majeur pour la mise en pratique
de toute stratégie gionale de conservation. Étant donné la taille même de la RDC et son importance écologique
régionale, l’insécurité pose une grave menace sur l’ensemble de la biodiversité de la région.
Tableau 1 : Statistiques d’aires protégées en Afrique centrale
Pays
Nombre d’aires protégées
Superficie (ha)
Proportion du territoire national (%)
Cameroun
174
10 437 336
22
Congo
14
3 513 438
10
Gabon
17
2 431 367
9
Guinée Équatoriale
13
590 955
21
RCA
73
17 330 015
28
RDC
50
26 314 330
11
TOTAL
341
57 104 003
14
Figure 1 : Le réseau ECOFAC
2. FICHE SIGNALÉTIQUE DES DIFFÉRENTES ZONES DU SITE DE LOPE OKANDA
Localisation : Centre-Est du Gabon, provinces de l’Ogooué Ivindo (département de la Lopé), Ogooué Lolo
(département de l’Offoué Onoye), Moyen Ogoo (département de l’Abanga-Bigné) et Ngounié
(départements de Tsamba Magotsi et de l’Ogoulou)
- Latitude : 0°00’N et 01°20’S
- Longitude : 11°05’E et 11°55’E
Classement en Parc National : cret 000607/2002/PR/MEFEPCEPN signé par le Président de la
République Gabonaise en août 2002
Érection en Site du Patrimoine Mondial naturel et culturel : Décision 31 COM 8B.54 de juin 2007
Catégorie UICN : Catégorie II
Superficie du Parc National : 484 894 ha
Superficie de la zone tampon : 150 000 ha
Superficie des zones aménagées villageoises : 2688 ha
Superficie des ensembles historiques : 20700 ha
Caractéristiques géophysiques majeures : Socle archéen à 350 m d’altitude des collines convexes de la
cordillère de l’Okanda orientées selon un axe Nord-Sud
Principaux groupes ethniques : Okandé, Simba, Saké, Babongo
Principaux cours d’eau : Ogooué, Offoué, Mingoué, Lélédi et Lopé
Pluviométrie moyenne annuelle : 1502 mm
Température moyenne : 26°C
Altitude : 350-960 m
Espèces de faune : éléphant, buffle, gorille, potamochère, chevrotain aquatique, mandrill, chimpanzé,
pangolin géant, chat doré. Parmi ces espèces, le Gorille et le Chimpanzé sont menacés d’extinction.
Principaux types de végétation :
- Formations de savane
- Galeries et bosquets
- Forêts à Marantacées
- Forêts matures
- Jeunes forêts.
Richesse culturelle : ateliers lithiques, gravures rupestres, sites de l’âge du fer, rites initiatiques
traditionnels ayant survécu à l’influence du christianisme
Moyenne annuelle des visiteurs : 800
Principales problématiques :
- Fonctionnement inadéquat du parc
- Relations parfois conflictuelles avec les partenaires (WCS, ZSL, SEGC)
- Conflits Hommes-Faune
- Délimitation inexistante des terroirs villageois
- Absence de gestion participative
- Exploitation illicite des ressources naturelles.
3. CONTEXTE ET PROBLÉMATIQUE
Situé au centre du Gabon, à environ 300 km de Libreville et distribué sur quatre provinces, le site de la Lopé-
Okanda a été classé en aire protégée pour la première fois en 1946 comme réserve de faune. Cet espace a ensuite
connu différents statuts juridiques de protection qui ont abouti à la création du Parc National de la Lopé en 2002 au
même titre que douze autres Parcs représentatifs de la diversité écosystémique du Gabon (cf Décret Présidentiel
N° 000607/2002/PR/MEFEPCEPN).
Le Parc National de la Lopé est un moignage vibrant des processus écologiques et biologiques qui ont eu cours
depuis le Pléistocène dans cette région du bassin du Congo. Il comprend deux types d’écosystèmes :
- une mosaïque de forêts et de savanes
- et la forêt congolaise de plaine de basse altitude de type « refuge forestier du Pléistocène ».
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