A
vant toute chose, citons les
deux textes piliers de notre
profession :
le décret du 16 février 1993 relatif
aux règles professionnelles infir-
mières ;
le décret de 2002 relatif aux actes
infirmiers dit “décret de compétences”.
Ces textes viennent baliser le terrain
de notre activité professionnelle. Ils
définissent ce que nous appellerons
la déontologie de la profession.
Quelle formation ?
La formation des IDE est encadrée
par des textes bien précis, dont celui
du 23 mars 1992, et comme une
alternance de cours théoriques et de
stages pratiques.
Elle est conçue pour être un chemine-
ment de l’étudiant et non une trajec-
toire. Cela sous-entend que le chemin
se fait à son rythme, pas toujours en
ligne droite, avec des accélérations ou
des pauses possibles, voire des retours
en arrière, si nécessaire. Il y a en fili-
grane aussi l’idée de quelque chose
de non fini. Par opposition, une trajec-
toire, comme celle d’une balle, renver-
rait plutôt à l’idée d’un objet inerte pro-
pulsé passivement, dont la destination,
le but, la cible sont prédéterminés.
Ce qu’il y a à acquérir, ce n’est pas
seulement un ensemble de gestes, de
savoir-faire robotisés, sans élaboration
autour. La formation peut être compa-
rable à celle transmise par un maître
comme c’est le cas pour les compa-
gnons du tour de France. L’étudiant va
interpréter lui-même le théorique reçu
en IFSI et confronté à l’épreuve des
stages, des diverses pratiques soi-
gnantes et en faire sa pratique person-
nelle. Si l’acte est codifié par un
ensemble de règles (asepsie, enchaî-
nement logique…), c’est dans sa
façon de le mettre en place, de le
décliner que le futur professionnel a
toute latitude à la créativité. C’est aussi
à lui de développer l’aspect relationnel
avec le patient, comment il va présen-
ter son intervention, l’expliquer, rassu-
rer, mettre de l’humour, de la distance,
de l’empathie…
Quel chemin ?
Personne ne songe à mettre en
doute la compétence d’une infir-
mière nouvellement diplômée.
D’ailleurs, il n’est pas rare que cette
dernière se retrouve rapidement en
situation de travailler seule en établis-
sement de soins. Toutefois, cette
infirmière a-t-elle fini son chemine-
ment ? C’est-à-dire, a-t-elle fini de se
construire en tant que profession-
nelle ? Elle est reconnue compétente
pour l’ensemble des gestes qui vont
lui être demandés. Son diplôme lui
donne autorisation d’exercer. Guy Le
Boterf définit la compétence comme
un “savoir agir en situation”. Mais
savoir agir, est-ce suffisant ?
Comment être un bon soignant hors
les actes qui nous sont dévolus ? Y a-
t-il un standard ? A quelle zone de
notre activité le “savoir-être” fait-il
référence ?
Si l’image de “l’infirmière à cornette”
des siècles précédents perdure
quelque peu comme représentation
sociale de la profession dans un
inconscient collectif, elle n’est plus
celle des nouvelles générations d’in-
firmières sortant des IFSI, ni non plus
de celles y entrant. Il se trouve main-
tenant de plus en plus de postulants
à cette formation qui l’envisagent
comme une base pour une évolution
future : puéricultrice, IBODE, IADE et
même cadre de santé. On n’aspire
plus à être infirmier(ère) à vie.
Il y a bien là l’idée de quelque chose
qui est en projet, qui se construit, et
dans lequel le professionnel est investi,
engagé. Il semble normal de dire, pour
l’étudiant qui débute, que l’image plus
ou moins consciente du professionnel
qu’il sera n’est que peu précise, peu
élaborée, floue, voire erronée.
Nous pouvons alors penser que c’est
la rencontre de la formation, des
expériences de stage dans un temps,
puis professionnelles plus tard qui
vont contribuer à faire évoluer, mûrir
le positionnement professionnel,
l’identité professionnelle.
Processus de construction
Il existe quelques études concernant le
comment se construit cette identité.
Un travail théorique paru en 1996, réa-
lisé auprès d’étudiants infirmiers met
en lumière trois facteurs d’influence
dans l’acquisition de cette identité :
– le champ de l’étudiant,
– le champ des professionnels,
le champ des compétences spéci-
fiques.
C’est dans l’intersection de ces trois
champs que réside cette zone d’éla-
boration de l’identité professionnelle.
Le champ de l’étudiant renvoie à un
processus personnel. Il semble que
l’éthique soit un champ possible
d’exploration pour ce qui touche à
l’individu. Mais, pour un soignant, de
quelle éthique parlons-nous ? Nom-
breux sont les auteurs qui ont tra-
vaillé sur l’éthique dans le champ de
la philosophie. Il y a des passerelles
possibles avec le champ du soin.
Ainsi, on peut se référer à trois
approches philosophiques à travers
trois déclinaisons : Kant et la notion
d’autonomie (éthique individuelle
d’un usage privé et éthique pu-
blique) ; Sartre ou l’éthique de l’en-
gagement (chaque homme ne peut
agir qu’en son nom propre) ; Ricoeur
qui fait passer l’éthique avant la loi
morale (il existe trois niveaux : le pôle
“je” , le pôle “tu”, le pôle “il”).
Revenons, par exemple, sur le pro-
blème de l’euthanasie. Ricœur, à tra-
vers le pôle “il” de la loi et la déontolo-
gie nous signifie qu’il ne nous est pas
Professions Santé Infirmier Infirmière N° 60 • décembre 2004
Actualité Profession
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Identité professionnelle
Un concept à l’épreuve de la pratique
Dans l’absolu, un diplôme d’IDE suffit à définir son déten-
teur comme un professionnel. Selon les établissements,
il y a même la possibilité d’obtenir une carte d’identité
professionnelle. Mais au quotidien, de quoi parle-t-on ?
>>
possible de répondre à une intention
que nous pourrions avoir, ou même à
une demande du pôle “tu” puisque ce
“il” encadre les deux autres pôles.
Sartre poserait le problème de l’eu-
thanasie en disant que si nous répon-
dons à une demande du patient, si
nous sommes poussés par une com-
passion, une empathie, nous aurons à
répondre de cet acte dès lors qu’il
nous sera demandé des comptes par
la société et la loi.
Pour Kant, nous ne pouvons définiti-
vement pas répondre à une demande
d’euthanasie car l’empathie et la
compassion relèvent de notre éthique
propre. La loi, tant morale et hu-
maine que divine, ne l’autorise pas
dans la sphère publique de notre
exercice professionnel ; elle l’interdit
bien plutôt.
Le champ professionnel
Une étude de 1994 mettait en
lumière que
« les infirmières exerçant
dans des secteurs très spécifiques,
avaient besoin de faire reconnaître
leur spécificité plutôt que la profession
dans son entité première ».
Nous pou-
vons donc nous autoriser à dire que
cette construction d’identité n’est pas
de l’ordre de la transmission et qu’elle
se fait presque malgré la rencontre
des professionnels et
des pratiques.
« L’étendue des champs d’application
professionnels peut donc nuire à la
construction infirmière et notamment
aux représentations du métier que
peut percevoir l’étudiant en stage ».
Il semble intéressant pour tenter une
approche de modélisation de mettre
cette étude en parallèle avec les
théories de l’apprentissage.
Il ne s’agit pas de prouver que l’iden-
tité professionnelle s’enseigne ou
s’apprenne. Mais, pour reprendre
l’expression de Brunner,
« il existe
une constante qui veut que l’esprit ne
puisse exister en l’absence d’une cul-
ture ».
C’est donc ce quelque chose
qui s’inscrit dans cette culture qui
permettrait à l’individu de s’identifier
par une lecture propre à cette iden-
tité professionnelle. Pour Brunner,
« l’évolution de l’esprit (…) est liée au
développement d’un mode de vie où
la “réalité” est représentée par un
symbolisme commun à tous les
membres d’une communauté cultu-
relle... ».
Ce sont les guillemets autour
de la réalité qui sont intéressants. Il
sont là pour signifier que la réalité de
la représentation est justement aléa-
toire en fonction de l’individu. C’est la
façon qu’il aura de recevoir cette cul-
ture infirmière.
Pour compléter cette approche,
M.L Martinez dans les critiques qu’il
fait à Piaget pose que dans tout
apprentissage, l’interaction est un fac-
teur essentiel.
« Les interactions inter-
personnelles sont structurantes dès
l’origine et l’intrapersonnel vient de
l’interpersonnel ».
Reprenant les tra-
vaux de G.H Mead, l’auteur ajoute :
« le sujet émerge progressivement
de sa construction au sein des inter-
actions communicatives ».
Quelle conclusion tirer de ces travaux
a priori peu convergents ? Il semble
possible de dire que le champ profes-
sionnel est un facteur incontournable
de la construction de l’identité profes-
sionnelle, mais pas par l’inges
tion d’un
modèle. C’est dans l’échange
et le tra-
vail avec d’autres professionnels, que
ce soit dans le cadre des études, mais
aussi celui du travail quotidien, que se
construit l’identité propre du soignant.
Si les champs d’application sont plu-
riels, le sujet se construit malgré tout
par les interactions qui en découlent,
sans doute pas de façon linéaire, mais
selon son rythme propre.
Le champ des compétences
spécifiques
Pour un étudiant infirmier, chaque pra-
tique différente dans chacun des ser-
vices où il est en stage peut être
déroutante. La parcellisation des
tâches et une forte technicisation de
l’offre de soins viennent brouiller
la réflexion plus fondamentale : qui
sommes-nous et que faisons-nous,
mais surtout qu’avons-nous envie de
faire de notre exercice professionnel ?
Pour déroutante qu’elle soit, cette mul-
tiplicité d’expériences n’en participe
pas moins, au final, à sa représentation
propre de l’identité professionnelle. La
question se pose différemment pour
le professionnel qui intègre un service.
Après plusieurs années de travail dans
ce secteur d’activité, que devient cette
notion d’identité professionnelle ?
Professions Santé Infirmier Infirmière N° 60 • décembre 2004
Si la formation est censée “tricoter”
cette identité professionnelle, la répé-
tition au fil des années des mêmes
gestes, la pratique recentrée sur une
pathologie, un certain type de prises
en charge ne sont ils pas sclérosants ?
Ne provoquent-ils pas une vision
monofocale voire un point aveugle ?
Une anthropologue disait que
« les
figures de l’infirmière, tantôt piqueuse,
tantôt maternante se décomposent
ou se recomposent, instables, fragiles,
comme si les soignantes n’arrivaient
jamais totalement à s’habituer aux
effets de miroirs aux alouettes qui les
réunit malgré elles à leurs malades ».
Que reste-t-il de commun, quelles
passerelles, entre infirmière libérale,
IBODE, infirmière en longs séjours,
en néo-natalité ou infirmière sco-
laire ? Partagent-elles encore une cul-
ture commune ?
Il convient d’affirmer que cette culture, si
elle est commune au départ, ne relève
pas de cet inconscient collectif qui assi-
mile l’infirmière à un cliché de dévoue-
ment et de soumission au médecin. Elle
procède d’une conception qui s’est pro-
fessionnalisée, d’une éthique qui s’est
construite, de l’émergence d’une pen-
sée, et la littérature infirmière en est la
preuve. Cette identité professionnelle
est d’ailleurs reconnue par les textes.
Pascal Schindelholz,
cadre de santé,
Centre hospitalier de Montfavet (84)
Bibliographie
• J.J. Bonniol, « La passe et l’impasse : Le formateur
est un passeur » En question. Cahier n°1. Aix-en-
Provence 1996.
• Lire partout « Infirmière diplômée d’État ». Institut de
formation en soins infirmiers.
• Guy le Boterf, « Compétence et navigation profes-
sionnelle », p. 56. Éditions d’organisation, Paris 1999.
• Infirmière de bloc opératoire diplômée d’État, infir-
mière anesthésiste diplômée d’État.
• La revue de l’ARSI, n° 45 - juin 1996, p. 147-50.
• Kant, Idée d’une histoire universelle au point de vue
cosmopolite, Ak VIII, p. 23.
• Kant, La religion, p. 119, Ak VI, p. 98.
• Jean Ernest Joos, Kant et les limites de l’autonomie
moderne.
• Paul Ricœur, Avant la loi morale, l’éthique,
Encyclopedia Universalis, symposium 1985.
• Chauchon, Salomon et Becouze : Des représenta-
tions du métier à la construction professionnelle de
l’étudiant en soins infirmiers : le rôle du cadre infir-
mier. Mémoire école des cadres Croix Rouge
Française, Paris 1994.
• Brunner J : L’éducation entrée dans la culture.
• M.L Martinez : Le socio-constructivisme et l’innova-
tion en français.
• Eric Zaoui : L’analyse de la pratique infirmière, une
opportunité pour accompagner le mouvement de pro-
fessionnalisation. Perspectives soignantes ; n° 18, p. 25.
• Anne Véga : Comment devient-on infirmière ?
Soins n° 65, mai 2000, pp 47-49.
• Guy le Boterf, « Compétence et navigation profes-
sionnelle » p26. Editions d’organisation, Paris 1999.
Actualité Profession
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