possible de répondre à une intention
que nous pourrions avoir, ou même à
une demande du pôle “tu” puisque ce
“il” encadre les deux autres pôles.
Sartre poserait le problème de l’eu-
thanasie en disant que si nous répon-
dons à une demande du patient, si
nous sommes poussés par une com-
passion, une empathie, nous aurons à
répondre de cet acte dès lors qu’il
nous sera demandé des comptes par
la société et la loi.
Pour Kant, nous ne pouvons définiti-
vement pas répondre à une demande
d’euthanasie car l’empathie et la
compassion relèvent de notre éthique
propre. La loi, tant morale et hu-
maine que divine, ne l’autorise pas
dans la sphère publique de notre
exercice professionnel ; elle l’interdit
bien plutôt.
Le champ professionnel
Une étude de 1994 mettait en
lumière que
« les infirmières exerçant
dans des secteurs très spécifiques,
avaient besoin de faire reconnaître
leur spécificité plutôt que la profession
dans son entité première ».
Nous pou-
vons donc nous autoriser à dire que
cette construction d’identité n’est pas
de l’ordre de la transmission et qu’elle
se fait presque malgré la rencontre
des professionnels et
des pratiques.
« L’étendue des champs d’application
professionnels peut donc nuire à la
construction infirmière et notamment
aux représentations du métier que
peut percevoir l’étudiant en stage ».
Il semble intéressant pour tenter une
approche de modélisation de mettre
cette étude en parallèle avec les
théories de l’apprentissage.
Il ne s’agit pas de prouver que l’iden-
tité professionnelle s’enseigne ou
s’apprenne. Mais, pour reprendre
l’expression de Brunner,
« il existe
une constante qui veut que l’esprit ne
puisse exister en l’absence d’une cul-
ture ».
C’est donc ce quelque chose
qui s’inscrit dans cette culture qui
permettrait à l’individu de s’identifier
par une lecture propre à cette iden-
tité professionnelle. Pour Brunner,
« l’évolution de l’esprit (…) est liée au
développement d’un mode de vie où
la “réalité” est représentée par un
symbolisme commun à tous les
membres d’une communauté cultu-
relle... ».
Ce sont les guillemets autour
de la réalité qui sont intéressants. Il
sont là pour signifier que la réalité de
la représentation est justement aléa-
toire en fonction de l’individu. C’est la
façon qu’il aura de recevoir cette cul-
ture infirmière.
Pour compléter cette approche,
M.L Martinez dans les critiques qu’il
fait à Piaget pose que dans tout
apprentissage, l’interaction est un fac-
teur essentiel.
« Les interactions inter-
personnelles sont structurantes dès
l’origine et l’intrapersonnel vient de
l’interpersonnel ».
Reprenant les tra-
vaux de G.H Mead, l’auteur ajoute :
« le sujet émerge progressivement
de sa construction au sein des inter-
actions communicatives ».
Quelle conclusion tirer de ces travaux
a priori peu convergents ? Il semble
possible de dire que le champ profes-
sionnel est un facteur incontournable
de la construction de l’identité profes-
sionnelle, mais pas par l’inges
tion d’un
modèle. C’est dans l’échange
et le tra-
vail avec d’autres professionnels, que
ce soit dans le cadre des études, mais
aussi celui du travail quotidien, que se
construit l’identité propre du soignant.
Si les champs d’application sont plu-
riels, le sujet se construit malgré tout
par les interactions qui en découlent,
sans doute pas de façon linéaire, mais
selon son rythme propre.
Le champ des compétences
spécifiques
Pour un étudiant infirmier, chaque pra-
tique différente dans chacun des ser-
vices où il est en stage peut être
déroutante. La parcellisation des
tâches et une forte technicisation de
l’offre de soins viennent brouiller
la réflexion plus fondamentale : qui
sommes-nous et que faisons-nous,
mais surtout qu’avons-nous envie de
faire de notre exercice professionnel ?
Pour déroutante qu’elle soit, cette mul-
tiplicité d’expériences n’en participe
pas moins, au final, à sa représentation
propre de l’identité professionnelle. La
question se pose différemment pour
le professionnel qui intègre un service.
Après plusieurs années de travail dans
ce secteur d’activité, que devient cette
notion d’identité professionnelle ?
Professions Santé Infirmier Infirmière N° 60 • décembre 2004
Si la formation est censée “tricoter”
cette identité professionnelle, la répé-
tition au fil des années des mêmes
gestes, la pratique recentrée sur une
pathologie, un certain type de prises
en charge ne sont ils pas sclérosants ?
Ne provoquent-ils pas une vision
monofocale voire un point aveugle ?
Une anthropologue disait que
« les
figures de l’infirmière, tantôt piqueuse,
tantôt maternante se décomposent
ou se recomposent, instables, fragiles,
comme si les soignantes n’arrivaient
jamais totalement à s’habituer aux
effets de miroirs aux alouettes qui les
réunit malgré elles à leurs malades ».
Que reste-t-il de commun, quelles
passerelles, entre infirmière libérale,
IBODE, infirmière en longs séjours,
en néo-natalité ou infirmière sco-
laire ? Partagent-elles encore une cul-
ture commune ?
Il convient d’affirmer que cette culture, si
elle est commune au départ, ne relève
pas de cet inconscient collectif qui assi-
mile l’infirmière à un cliché de dévoue-
ment et de soumission au médecin. Elle
procède d’une conception qui s’est pro-
fessionnalisée, d’une éthique qui s’est
construite, de l’émergence d’une pen-
sée, et la littérature infirmière en est la
preuve. Cette identité professionnelle
est d’ailleurs reconnue par les textes.
Pascal Schindelholz,
cadre de santé,
Centre hospitalier de Montfavet (84)
Bibliographie
• J.J. Bonniol, « La passe et l’impasse : Le formateur
est un passeur » En question. Cahier n°1. Aix-en-
Provence 1996.
• Lire partout « Infirmière diplômée d’État ». Institut de
formation en soins infirmiers.
• Guy le Boterf, « Compétence et navigation profes-
sionnelle », p. 56. Éditions d’organisation, Paris 1999.
• Infirmière de bloc opératoire diplômée d’État, infir-
mière anesthésiste diplômée d’État.
• La revue de l’ARSI, n° 45 - juin 1996, p. 147-50.
• Kant, Idée d’une histoire universelle au point de vue
cosmopolite, Ak VIII, p. 23.
• Kant, La religion, p. 119, Ak VI, p. 98.
• Jean Ernest Joos, Kant et les limites de l’autonomie
moderne.
• Paul Ricœur, Avant la loi morale, l’éthique,
Encyclopedia Universalis, symposium 1985.
• Chauchon, Salomon et Becouze : Des représenta-
tions du métier à la construction professionnelle de
l’étudiant en soins infirmiers : le rôle du cadre infir-
mier. Mémoire école des cadres Croix Rouge
Française, Paris 1994.
• Brunner J : L’éducation entrée dans la culture.
• M.L Martinez : Le socio-constructivisme et l’innova-
tion en français.
• Eric Zaoui : L’analyse de la pratique infirmière, une
opportunité pour accompagner le mouvement de pro-
fessionnalisation. Perspectives soignantes ; n° 18, p. 25.
• Anne Véga : Comment devient-on infirmière ?
Soins n° 65, mai 2000, pp 47-49.
• Guy le Boterf, « Compétence et navigation profes-
sionnelle » p26. Editions d’organisation, Paris 1999.
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