Cette envie est née aussi autour du personnage du Prince!?
Cette envie est née autour du personnage du Prince, oui, en me disant qu’on pouvait penser ou imaginer que ce Prince pouvait être revenu de tout. Peut-être parce que c’est Didier
Menin qui jouait ce rôle – peut-être aussi parce que les personnages masculins des films indiens - que ce soit chez Satyajit Ray ou chez Guru Dutt - sont des amants tragiques. Et
que je voyais plus ça, pour mon Prince, pour le Prince, qu’un jeune premier idéal. Je voyais un destin construit, qui avait déjà tout rencontré, et qui puisse être séduit par quelque
chose d’un peu inattendu, par une jeune paysanne, un peu sauvage. Cette figure du prince un peu désolé, mélancolique comme un Maharadja me plaisait beaucoup.
Ces associations de sens, d’images m'attiraient aussi. La typologie des personnages dans le cinéma indien est encore très respectée. Je pouvais faire un va-et-vient entre ces deux
mondes et en même temps sortir du XVIII ième siècle et retravailler le texte à la lumière de certaines séquences du film.
Et c’est aussi toujours la manière, comprise ou non – et je ne sais pas si elle est comprise par moi-même d’ailleurs - de désorienter un texte, c’est-à-dire de perdre les points
cardinaux, de perdre la boussole.
Tu parles de mélancolie au sujet du film indien … Tu en parles souvent, cependant c’est une comédie!….
Le personnage de Flaminia dit «#je sortirai victorieuse et vaincue#». C’est une phrase qui m’intéresse, car tous les personnages sont victorieux et vaincus en même temps. La vie
témoigne aussi de cela, les victoires ne sont jamais totales, les désillusions peuvent nous faire sourire, après coup. Ce jeu, chez Marivaux, est très poignant. Si on était dans une
comédie, le théâtre qu’on ferait ne me plairait pas tout à fait, j’ai besoin que la comédie soit à l’épreuve de forces plus déroutantes, plus sombres…
Si tu devais résumer la Double Inconstance en très peu de mots!?
Si la pièce s’appelait l’Inconstance, ce serait un conte moral ou une tragédie. Mais puisque c’est «#une double inconstance#», ça se transforme en comédie. C’est-à-dire que les
défaites de l’orgueil se retournent à l’avantage de chacun des protagonistes parce qu'ils trouvent une issue à la perte de promesse ou à la perte de la fidélité, mais la fidélité comme
un idéal. Est-ce que la pièce signifie que l’idéal ou l’absence d’idéal est ce qui constitue notre espèce#? Ce qui la signifie au final ? L’homme qui a un idéal et qui se maintient dans
cet idéal, c’est un solitaire peut-être. Dès lors que nous sommes deux, quatre ou plus, nous sommes dans des jeux interchangeables. L’inconstance de nos sentiments – mais
l’inconstance en soi - est le mot qui fonde finalement toute vie humaine. Quoi qu’on en pense. La pièce est passionnante, chacun est inconstant et donc chacun trouve une issue à
sa propre existence. C’est pour ça que c’est une comédie.
Il y a une symétrie chez les protagonistes. C’est cette symétrie qui fait que la pièce est jouissive, haletante et qu’elle se termine bien. Est-ce que les vies de chacun ne sont pas de
cet ordre-là#? Je perds à un endroit mais je vais peut-être triompher à un autre. Peut-être que ce qui constitue une part d’échec est aussi en creux une part d’horizon nouveau pour
mon existence. La pièce de Marivaux travaille l’avenir, l’optimisme et au fond, elle est un apprentissage de la légèreté ou de la lucidité.
Autre chose aussi, la pièce est moderne - mais c’est un lieu commun - elle est bouleversante parce que Marivaux travaille au sens presque psychanalytique l’inconscient des
personnages. Il fait dire aux personnages ce qu’eux-mêmes n’arrivent pas à avouer. Il y a des partenaires, des interprètes qui font avouer à chacun la vérité de ce qu’il est ou la
vérité de ce qu’il pense. Ce jeu d’aveux, de témoignages de soi ouvre l’espace de nos sentiments modernes. Et nous y sommes#!
Et pourquoi certaines coupes dans le texte!?
On a fait les coupes avec Laëtitia Pitz. Pour des raisons d’économie de personnages d’abord. Et aussi, parce que nous avons souhaité un redoublement du personnage du Prince
qui rebondit comme si c’était lui qui était finalement l’ordonnateur, le grand manipulateur, l’architecte de l’histoire. A un moment donné, Didier Menin, qui joue le Prince, m’a dit
voyager avec cette idée-là et de construire un sens. Je me suis dit que si Didier en construisait un, cela pouvait avoir toute sa place. Et visiblement, ça a l’air de bien marcher#!
Et dans les coupes du texte, il y a aussi un aspect «!coups de bâtons!» que tu as décidé d’éliminer …
Chez Marivaux, il y a très peu de phrases archaïques qui témoignent du rapport «#maître-valet#» au sens le plus «#historicisé#», avec le rapport du maître qui frappe son valet.
Aujourd’hui, la blessure est d’une autre nature et les mots, chez Marivaux, ont traversé le temps mais pas les gestes#: ce sont les mots qu’on garde.
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