
Concurrences N° 1-2014 I Droit & économie Les aides d’État dans lesecteur de l’énergie
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1. Des mesures de soutien à la production d’électricité
d’origine renouvelable et décarbonée sont aujourd’hui
nécessaires pour permettre aux technologies concernées
(c.-à-d. éolien, solaire photovoltaïque) de combler leur
défaut initial de compétitivité par rapport aux technologies
de production conventionnelle et de se développer. En
Europe, de nombreux mécanismes ont ainsi été mis en
œuvre pour atteindre les objectifs européens en matière
d’énergie renouvelable. L’exemple classique est celui du tarif
d’achat garanti (feed-in tariff). Mis en place notamment en
Allemagne et en Espagne, il a permis le développement de
plus de 150 GW d’éolien et de photovoltaïque en Europe
(n2012)1.
3. Jusqu’à présent, les mécanismes européens de soutien
aux énergies renouvelables (EnR) ont pu être implémentés
sans obstacles majeurs en termes de droit européen de la
concurrence2. En particulier, ces aides ont dans la plupart
des cas échappé à la qualication en tant qu’aides d’État,
leur permettant alors d’être mises en place en toute légitimité
du point de vue de la Commission. La question de leur
compatibilité avec les objectifs européens en matière de
concurrence a donc rarement été évoquée.
4. Cette situation est à présent susceptible d’évoluer et
pourrait conduire à la multiplication des évaluations de
la compatibilité de ces aides par la Commission. L’avocat
général de la CJUE a par exemple conclu en juillet 2013
que les tarifs français de rachat de l’électricité éolienne
constituaient une aide d’État au regard des critères de
qualication du TFEU, jetant ainsi l’incertitude sur les
perspectives de la lière française et ouvrant la porte à une
réévaluation générale des plans de soutien aux énergies
renouvelables3. Certains mécanismes d’aides (actuels ou
futurs) risquent désormais d’être qualiés d’aides d’État,
et devront dans ce cas démontrer leur compatibilité avec
le droit européen. En parallèle, la question même de la
compatibilité de telles mesures d’aides est étudiée en
profondeur par la Commission4. Les débats actuels sur les
nouvelles lignes directrices pour cadrer les aides accordées
aux EnR suscitent des interrogations quant aux modalités
de mise en œuvre de l’évaluation de la compatibilité. Les
1 Cf. http://www.eurobserv-er.org.
2 V., p. ex., Keay (2013).
3 V., p. ex., Thieffry (2013).
4 Cf. European Commission (2013).
possibilités d’implémentation des mesures d’aides pourraient
donc bientôt évoluer selon les modications des règles
d’encadrement.
5. Dans ce contexte, un besoin réel est exprimé pour une
dénition plus rigoureuse de la mécanique d’évaluation de la
compatibilité des aides d’État pour la production électrique
renouvelable et décarbonée. Parmi les pistes possibles,
l’analyse économique permet d’apporter une contribution
signicative. Nous proposons donc d’étudier en quoi l’analyse
économique permet de renforcer la rigueur de l’approche de
la Commission européenne.
I.L’approche actuelle de
laCommission pour évaluer
lacompatibilité des aides d’État:
Lebalancing test
6. Une mesure d’aide qualiée d’aide d’État par les critères
du TFUE n’est autorisée que si son évaluation au regard
des critères de compatibilité utilisés par la Commission est
concluante. L’approche de la Commission pour l’évaluation
de la compatibilité a fortement été inuencée par l’analyse
économique5. En effet, les critères généraux du traité ont été
précisés et le cœur de l’approche repose maintenant sur un
balancing test, qui consiste à analyser et à confronter les coûts
(distorsions de concurrence et des échanges) et les bénéces
(correction d’une défaillance de marché) de la mesure d’aide.
Selon ce cadre, une mesure d’aide est compatible avec le droit
européen si elle répond à un objectif bien déni d’intérêt
commun ou de correction des défaillances de marché, si elle
est bien conçue pour répondre à cet objectif, et si les distorsions
de concurrence et d’échanges qu’elle induit sont limitées et
contrebalancées par les effets positifs qu’elle entraîne.
7. En pratique, on observe que la Commission met
généralement en œuvre ce test de manière qualitative ou
simpliée. Elle utilise souvent des critères généraux qui ont
peu à voir avec les effets économiques des cas particuliers.
Elle quantie rarement les bénéces ou les coûts et apprécie
leur ampleur au jugé. Dans le cadre des mesures d’aides aux
énergies renouvelables, les lignes directrices pour les aides
environnementales (EAG) simplient encore davantage le
cadre d’analyse.
5 V., p. ex., Friederiszick et al. (2007) ou Haucap et Schwalbe (2011).
Les aides d’État dans lesecteur de l’énergie
Aides d’État et sources d’énergie décarbonée
l’analysE économiquE dEs aidEs à la pRoduction
d’élEctRicité: lE cas dEs énERgiEs REnouvElablEs
Et décaRbonéEs
Marcelo saguan, sébastiEn douguEt
Économistes, Microeconomix