18 Revue militaire canadienne • Vol. 17, No. 2, printemps 2017
Les soldats canadiens ont une responsabilité envers l’humanité,
leur pays et leur chaîne de commandement… et, s’ils perdent cette
perspective, différentes choses peuvent se produire8.
La population canadienne a été consternée. Neuf soldats ont,
à la suite de l’enquête, fait face à des accusations allant du meurtre
au deuxième degré à la négligence. Quatre d’entre eux ont été
acquittés (même si la poursuite a dans deux cas interjeté appel).
Trois généraux ont démissionné9.
Sur le plan institutionnel, le RAC a été accusé de compter dans
ses rangs des «soldats voyous, des officiers subalternes faibles et
des sous-officiers indifférents10[TCO]» et, à la consternation du
milieu militaire, cette unité d’élite a été dissoute. Sur le plan indivi-
duel, c’est le soldat Kyle Brown qui a été condamné, pour homicide
involontaire coupable et torture, à la peine la plus sévère. Il a purgé
le tiers d’une peine de cinq ans. Le caporal-chef Clayton Matchee
a fait une tentative de suicide pendant sa détention et a subi des
lésions cérébrales si graves qu’il a été jugé inapte à subir un procès
11
.
Quel était le rôle de la conscience dans cet incident? Quel effet
la conscience a-t-elle eu sur ceux qui auraient dû être plus avisés et
sur ceux qui ont été portés à agir? Nous lisons dans Tested Mettle
que, dans les heures qui ont suivi la mort d’Arone due à la torture,
Matchee est «paniqué». Sa tentative de suicide a eu lieu «27heures
après son arrestation pour meurtre». On décrit Brown comme étant
«fou d’inquiétude» avant l’arrivée de la police militaire. Il a déclaré
qu’il ne pouvait pas «supporter son rôle» (battre Arone, poser
pour des photos et en prendre) et qu’il «avait supplié» Matchee
d’y aller moins fort pour ne pas tuer Arone pendant qu’il le battait.
Brown a déclaré avoir cherché une personne en situation
d’autorité pour qu’elle intervienne, mais que ces personnes étaient
ivres et qu’il a en conséquence cherché des sergents à qui parler
parce que son rôle incriminant, capté sur pellicule, le troublait.
Les sergents en question sont intéressés à faire ce qu’il faut et, en
groupe, ils affrontent leur commandant et «protestent contre son
inaction» jusque-là, ce qui le contraint à mettre Matchee en état
d’arrestation et à signaler l’incident aux autorités supérieures12.
Vingt-trois ans plus tard, dans une entrevue, Brown parle de
sa vie depuis qu’il est sorti de prison; il révèle qu’il «se débat
avec l’alcool, la colère et des émotions en dents de scie» et qu’il
a longtemps été «terré dans la vallée fluviale d’Edmonton, vivant
sous une tente montée sous un arbre, avec une couverture et une
pipe à crack13[TCO]».
Les personnes en situation de leadership moral, soit le médecin
militaire et l’aumônier, se sont senties tenues par leur conscience de
parler, mais ont fait face à une bureaucratie qui leur a ordonné de
garder le silence. Le médecin-chef du régiment aurait «catégori-
quement refusé de détruire les preuves médicales incriminantes du
meurtre et… de modifier son évaluation médicale14[TCO]». Quand
il est devenu apparent que son rapport serait enfoui, son épouse a
pris l’information et a communiqué avec la presse.
Dans des photos servant de trophée relatives à un autre
incident, on voit un aumônier des FAC debout derrière un groupe
de jeunes Somaliens détenus, qui ont été capturés au moment où
ils essayaient de voler des ordures dans le camp canadien. La photo
fait de l’aumônier une partie à ces actes. L’aumônier a plus tard été
blanchi durant l’enquête qui a suivi quand le contexte de la photo
a été établi et qu’on a su que l’aumônier demandait à un aîné du
village de se montrer clément envers ces jeunes après leur libération
et leur retour dans la communauté15.
Au Canada, une enquête publique et de multiples autres
enquêtes ont été ouvertes. Les rapports publiés renfermaient plus
de 300recommandations que le Cabinet du Premier ministre et le
ministre de la Défense nationale ont acceptées. Ces transformations
des FAC ont commencé par un examen de leur éthos militaire, par
une révision du perfectionnement professionnel des chefs (le droit
des conflits armés étant dorénavant enseigné à tous les niveaux) et
par la création de l’Académie canadienne de la Défense, de l’Institut
du leadership des Forces canadiennes et d’un bureau d’ombudsman
militaire et l’élaboration de produits de formation à l’éthique16.
La professeure agrégée Joanne Benham Rennick, qui est la
directrice de l’innovation sociale et de la création d’entreprises à
l’Université Wilfrid Laurier, écrit que «… l’incident survenu en
Somalie a indiqué clairement que le personnel militaire a besoin
d’un leadership moral et d’encouragement pour penser et agir
de manières qui concordent avec les valeurs du Canada et de la
mission. Depuis, la formation en morale et en éthique occupe une
plus grande place17…[TCO]». Elle parle en fait de la création du
Programme d’éthique de la défense (PED).
Le Programme d’éthique de la défense (éclairer
la conscience)
Les forces armées du Canada suivent un modèle fondé sur
les valeurs selon lequel chacun est censé agir conformément
à un éthos militaire façonné par «les valeurs canadiennes, les
Scott Taylor/Brian Nolan