Dix-Neuvième Année. - N» 47 I— r -M zU*° ' 5 cejc* c - Dimanche 22 Novembre 1891 Sommaire A nos Lecteurs Causerie Pauvres fonctionnaires LA RÉDACTION LUCIEN/ FRANC- SILLON NOS théâtres L'Hiver (sonnet) X. J. LENTILLON. CAUSERIE Montpellier GUILO. Un Vaudevilliste lyonnais (Clairville). M. GRILLET. Un Brave Bibliographie Bulletin financier Samedi dernier a eu lieu au Grand-Opéra, à Paris, une représentation de gala, à l'occasion du centenaire de Meyerbeer. Un journal a fait, à ce propos, observer qu'on eût pu plus intelligemment choisir pour cette fête, l'anniversaire de la première représentation de Robert le Diable, qui fut chanté pour la première fois, le 24 novembre 1831 — il y a, par conséquent, soixante ans — date qui est en réalité celle de la véritable naissance de Meyerbeer, en France. On a eu la curiosité de rechercher le nombre des représentations, à l'Opéra naturellement, des quatre opéras de Meyerbeer, le voici : E. DREVETON. LA RÉDACTION X. A NOS LECTEURS Nous commencerons, dès le numéro du 29 Novembre, la publication de la Galerie des Célébrités contemporaines. Robert le- Diable Les 'Huguenots Le Prophète L' Africaine En tête du journal, avant la Causerie, nous publierons, chaque semaine, la Biographie et le Portrait de I'HOMME DU JOUR. Soit au total 2,531 Ce qui fait une moyenne de plus de 42 représentations par an. Quant à la somme réalisée à l'Opéra, par ces 2,531 représentations, elle varie entre 29 et 30 millions. Mais je le répète, il ne s'agit que du Grand Opéra. Malheureusement les éléments manquent pour faire le même calcul en ce qui concerne la province ou ces opéras de Meyerbeer ont été représentés, très certainement, vingt ou trente fois plus qu'à Paris, car ils l'ont été sur tous les théâtres grands et petits. Dans les théâtres de province, en effet — comme celui de Lyon, par exemple --- on joue surtout le vieux: répertoire, dans lequel figurent en première ligne les opéras de Meyerbeer. Quelle est la somme réalisée par ces représentations en province ? En l'estimant à une dizaine de millions, je suis certainement audessous de la vérité. C'est donc — avec Paris une quarantaine de millions qu'ont produit les opéras de Meyerbeer. Maintenant quelle a été la part du compositeur sur ce chiffre? Il est absolument impossible de la calculer, mais avec la vente des partitions, c'est bien certainement quatre à cinq millions qu'a touchés Meyerbeer. Sans faire de politique, sans nous attacher aux idées de tel ou tel parti, nous donnerons les portraits de tous ceux qu'il nous paraîtra, pour une cause quelconque, intéressant de faire figurer dans cette galerie : Hommes politiques, littérateurs, artistes, etc., auront leur place dans cette collection. Nos lecteurs nous sauront gré, certainement, de cette innovation. Le prochain numéro du PasseTemps contiendra le portrait et la biographie de Jules CLARETIE DE L'ACADÉMIE FRANÇAISE 738 875 468 449 1 Vous le voyez, le métier de compositeur n'est pas à dédaigner, à la condition d'avoir du génie — ce qui n'est pas à la portée de tout le monde — et ensuite de réussir, car la réussite n'est pas toujours la conséquence du génie. La représentation organisée à l'Opéra à l'occasion du centenaire- de Meyerbeer, se composait de morceaux détachés, « comme l'affiche d'une représentation au bénéfice d'une vieille actrice » ainsi que le dit M. Albert "Wolf dans le Figaro, lequel signale ce fait véritablement incroyable que les critiques musicaux n'avaient pas été invités. « Avec trente fauteuils, ajoute M. Wolf, la politesse était faite. Ils représentaient une vingtaine de louis; pour cette maigre somme de deux cents francs par tête de directeur, les deux exploiteurs du monument national, au moment de quitter l'immeuble, n'ont pas cru devoir saluer les hommes chez qui ils faisaient antichambre. Mes confrères se consoleront facilement. Ritt est parvenu à l'élat de vénérable auquel il faut tout pardonner et, de la part de Leporello, cela fait sourire. La dignité de la presse musicale n'est atteinte ni collectivement ni individuellement ». On n'est pas en réalité plus maladroit, que MM. Ritt et Gaillard qui quittent l'Opéra sur cette dernière ladrerie, laquelle aura pour inévitable conséquence de leur valoir, de la part des critiques musicaux, un enterrement de première classe. Dans ce spectacle coupé figurait un acte du Prophète] dans lequel M 1Ie Deschamps — aujourd'hui — M me Jehin. — a obtenu un énorme succès, qui lui ouvre à deux battants les portes du Grand-Opéra où elle va entrer, en sortant de l'Opéra-Comique, où elle a conquis sa notoriété. J'ai eu déjà l'occasion de parler de cette jeune artiste qui est notre compatriote et la plus brillante élève sortie, jusqu'à ce jour, de notre Conservatoire . J'ai raconté qu'aux examens de fin d'année du Conservatoire, M. d'Herblay, avec son flair de directeur, avait prévu l'avenir réservé à M Uo Deschamp, quoique alors d'une maigreur étique, d'un aspect misérable, avec un œil regardant Vaise et l'autre Perrache, la jeune fille payait bien peu de mine. Réalisant le pronostic de M. 'd'Herblay, M Ue Deschamps est devenue depuis, non seulement une chanteuse de grand talent, mais encore, avec le secours d'un oculiste qui a ramené ses yeux dans le droit chemin, une des •2 LE jolies femmes de Paris. Il ne faut désespérer? de rien. On a également chanté, dans la représentation dont je parle, un acte des Hugue-. nots, dont la première représentation a eu lieu! à Paris, le 29 janvier 18S6, à Lyon, le 3 avril1 1837. Un de nos confrères a eu l'idée de rechercher dans les journaux de l'époque quelle futt l'impression produite à Lyon par les Huguenots. Cette impressionfutexcellente et la représentation — malgré une interprétation des plus médiocres — fut un succès, du commencement' à la fin A Paris les trois premiers actes; avaient été accueillis très froidement, ce fut; L seulement le duo du quatrième acte qui fit sortir les spectateurs de leur torpeur. Les provinciaux ; en l'espèce les Lyonnais, ont donc été meilleurs juges que les Parisiens. Cela est arrivé depuis plusieurs fois. On se, rappelle que l'opéra de Carmen de Bizet, échoua piteusement à l'Opéra-Comique, où plusieurs années après, il rentrait triomphalement après avoir été accueilli en province et à l'étranger par des bravos unanimes, cassant le jugement rendu par les Parisiens. En ce qui concerne le Prophète, qu'on me permette de citer un fait personnel. Mon âge m'a donné le triste privilège d'assister à la première représentation de cet opéra, qui eut lieu en 1849. L'impression que produisit la première audition du Prophète fut littéralement celle de la stupeur. Les spectateurs se regardaient étonnés, n'y comprenant goutte, n'osant 'ni siffler ni applaudir, et se demandant ce que signifiait cette musique absolument incompréhensible pour eux, et, c'est triste à dire, sans le ballet — entre autre celui des patineurs, qui constituait une nouveauté — cette première représentation eût été un fiasco complet. Ne vous semble-t-il pas un comble que cette musique du Prophète, qui nous parait aujourd'hui claire comme de l'eau de roche, ait tout d'abord fait l'effet d'un logogriphe indéchiffrable ? C'est qu'à l'époque où l'opéra de Meyerbéer fut représenté pour la première fois, on se délectait des romances de Loïsa Puget, et les mélodies légères et faciles d'Adam, d'Auber, etc., paraissaient le dernier mot de l'art. La musique savante, fouillée, et l'orchestration puissante de Meyerbeer, n'étaient point en rapport avec l'éducation musicale de l'époque, éducation qui s'est développée considérablement depuis, trop développée dirai-je volontiers, car déjà les Wagnériens enragés traitent de vieille perruque, le compositeur des Huguenots. Vieille perruque ! C'est trop tôt, en vérité, et on pourrait attendre. Je ne sais, et nul ne sait encore l'avenir réservé à l'œuvre de Meyerbéer, mais de cette œuvre colossale, il est impossible que quelques pages, qui sont des chefsd'œuvre — comme l'acte du sacre du Prophète — ne survivent pas. « Le temps, dit très justement un critique, peut, avec le renouvellement des formules, ronger des fragments de cette œuvre, comme il efface en quelques parties les fresques des grands maîtres, mais ce qui en restera suffira toujours pour étonner les générations à venir ». On ne saurait mieux dire. PASSE-TEMPS à la nouvelle qui a circulé de non réengagementL à l'Opéra de notre compatriote Lassalle. Lat nouvelle est aujourd'hui démentie, et il faut en1 féliciter Lassalle, dont la véritable place est à1 l'Opéra, et les futurs directeurs, MM. Bertrand1 et Campocasso, qui n'auraient pas facilementt trouvé un remplaçant à pareil artiste. LUCIEN. Pauvres Fonctionnaires f... Un décret du ministre du commerce et des; colonies vient d'interdire le port du bâton dans les marchés, foires, fêtes civiles et religieuses des établissements français de l'Inde. Cette mesure en dit long sur les us et coutumes de nos colons, qui ne s'abordaient plus — parait-il — qu'a coups de trique... et fourraient des « bâtons dans les roues » du char de l'Etat. Désormais, il sera même défendu aux enfants de servir de « bâton de vieillesse » â leurs parents ; les pêcheurs linéaires — autrement dit « à la ligne » — devront remiser leurs cannes ; et on n'aura plus à se préoccuper de savoir par quel bout il faut prendre les « bâtons m...ielleux. » Le « bâtonnier » de l'ordre des avocats devra modifier son titre, pour en éliminer la partie proscrite ; — on évitera même de causer « à bâtons rompus » — et on inspectera les gibernes des soldats du corps d'occupation, pour s'assurer qu'ils n'y dissimulent pas « le bâton de maréchal ». Mais ce qui sera le plus difficile à obtenir, c'est que les fonctionnaires eux-mêmes renoncent à la pratique des « tours du bâton ». * * * 11 est juste de reconnaître que cette pratique ne fleurit pas que dans nos colonies. La plupart des gardiens de l'Acropole d'Athènes viennent d'être congédiés. Ces modestes mais peu honorables employés avaient pris ; l'habitude, pour augmenter leurs appointements, de vendre aux étrangers de marque qui ! visitaient l'antique citadelle des objets provenant des diverses collections dont ils avaient ,la surveillance. Diable ! mais nous avons peut-être tort d'eni tretenir des élèves à l'Ecole d'Athènes. Si <c'est là ce qu'ils doivent y apprendre, nous pourrions économiser au moins leurs frais de } voyages ; car — sans quitter la France — il < suffirait de les confier aux soins éclairés des , grecs de certains Cercles... vicieux. Maintenant, il sepeut que les modernesfils du Péloponèse — trafiquant des antiquités de leur ' pays — soient imbus d'idées assez « fin de . \ siècle » pour considérer ces collections archéo]logiques comme des vieilleries bonnes — tout s plus — à être échangées contre de nouvelles au pièces de monnaie aux effigies des monarques I régnant actuellement. ; Ce qui semblerait le prouver, c'est que ces s singuliers gardiens ont, de plus, commis de ^véritables actes de vandalisme et détruit plus sieurs antiquités d'un haut intérêt. Bref, l'idéal de ces « gardiens » était, éviJ demment, de n'avoir plus rien à « garder ». Voilà pourtant où peut conduire l'amour des ssinécures. * ** On ne saurait donc blâmer Her gracious 1 Majesly — la reine Victoria d'Angleterre — d'avoir récemment supprimé bon nombre de ^ ces^ ? emplois parasitaires, parmi lesquels il en était d'absolument cocasses, tels que la charge ,] du Master of the Hawks ou grand maître des ffaucons de la cour, Le duc de Saint-Albans reccevait comme fauconnier 25,000 fr. par an. Inutile d'ajouter que depuis deux cents ans on nn'a jamais chassé au faucon dans la forêt de "\Windsor. P. S. — J'ai consacré ma dernière causerie t On a aussi supprimé le poste de gardien du fort de Hillsborough, confié au marquis de Downshire, qui recevait 0,000 fr. par an pour cela. Or, le fort de Hillsborough est démoli depuis cent dix ans. Mais la fonction la plus singulière — parmi une vingtaine d'autres — est encore celle-ci : The queen's rat catcher, l'attrapeur de rats ou ratier de la reine. (!) Chez nous on l'eût tout bêtement confiée à un chat ; et j'ai peine à croire que — fut-ce à la cour d'Angleterre — le titulaire opérait luimême. Cependant, s'il en était ainsi, le coupd'œil de ce noble lord — fonctionnant à quatre pattes — devait assurément valoir ses émoluments. J'aime à supposer qu'on les lui payaitsous forme de mou... et qu'il s'abstenait de griffer sa royale maîtresse, ou de courir les gouttières. Mais je me demande, avec inquiétude, ce que vont devenir maintenant ces malheureux seigneurs privés de leur gagne-pain, puisque le plus deshérité d'entre eux n'a reçu, comme indemnité de suppression de charge, que la bagatelle de 500,000 francs ? Les voilà positivement réduits à la misère ; car les carrières ingrates qu'ils avaient embrassées offrent peu de débouchés et — même en se faisant inscrire dans plusieurs bureaux de placement — ils risquent de chômer encore longtemps avant de retrouver pareils emplois. Pauvres gens ! à l'entrée de l'hiver ! Ayez pitié d'eux ! et lorsque vous rencontrerez dans la rue quelque mendiant bien sordide et bien calamiteux, n'hésitez pas — généreuse lectrice et lecteur charitable — à le secourir de votre obole, en songeant que vous avez peutêtre i-ous les yeux « le grand-maître des faucons » de la cour anglaise, ou « l'attrapeur de rats » de S, M. Britannique — en disponibilitéFRANC-SILLON. A NOS THÉÂTRES GRAND-THÉATRE Cette semaine on devait chanter Guillaume Tell, et au dernier moment M me Candelon, qui devait remplir le rôle de Mathilde, étant indisposée, a été remplacée par M mo Lureau-Escalaïs. Entendre ensemble les deux artistes parisiens était pour le public lyonnais une bonne fortune qui, je crois bien, ne se renouvellera pas; aussi en a-t-il profité. Je n'ai pas le souvenir d'avoir jamais vu plus de monde au Grand-Théâtre. Plusieurs centaines de spectateurs ont dû, faute de places, se retirer. Lors de sa première apparition dans Faust, M me Lureau-Escalaïs était sous l'empire de la peur bleue que lui inspirait ce public Lyonnais, auquel, bien à tort, on fait la réputation d'être d'une sévérité allant jusqu'à l'injustice, voire la cruauté vis-à-vis des artistes. Remise par l'accueil qu'elle avait reçu la première fois, M me Lureau-Escalaïs était, dans le rôle de Mathilde, en pleine possession de ses moyens, elle l'a chanté avec un art exquis, en grande artiste. Le public lui a fait un vrai succès. Je n'ai pas besoin d'ajouter que la soirée a été excellente, que M. Escalaïs a eu sa part de bravos, et que M. Noté s'est fait applaudir dans le rôle de Guillaume Tell, qui convient ' tout particulièrement à sa voix puissante. Nous avons eu aussi une très belle et très LE PASSE-TEMPS bonne représentation de Rigoletto dans laquelle M" ,c Escalaïs a chanté pour la première fois sur notre scène le rôle de Gilda. Le succès de notre artiste a été énorme : après le duo du troisième acte, M me Escalaïs a été rappelé cinq fois de suite, Ce chiffre dit tout et me dispense de tout éloge. Grand succès aussi pour M. Noté, à qui le rôle de Rigoletto convient tout particulièrement, M. Bourgeois et M rae Bossy ont contribué pour une bonne part à faire valoir le célèbre quatuor du quatrième acte qui reste une merveille musicale q'on ne se lasse pas d'admirer. Malgré les représentations très suivies de M. et M me Escalaïs, celles de Lohengrin continuent à attirer la foule. THEATRE DES CÉLESTINS On a repris cette semaine aux Célestins la jolie comédie l'Abbé Constantin, tirée du roman de Ludovic Halévy, lequel après avoir fait sa fortune au théâtre en écrivant, en collaboration avec Meilhac, les opérettes et les comédies que l'on sait, est devenu académicien et s'est révélé comme littérateur par des œuvres exquises. On se rappelle l'énorme succès qu'obtint autrefois aux Célestins l'Abbé Constantin. Pour jouer cette pièce M. Dalbert eut à payer une prime de dix mille francs à M. Koning, qui avait acheté à l'auteur le droit de l'exploiter en province, et le directeur des Célestins qui eut à payer en sus les droits d'auteur afférents à chaque représentation, ne fit point une mauvaise affaire. Quel succès aura la reprise ? Je l'ignore, car au théâtre c'est l'inconnu qui vous mène, mais cette reprise mériterait de réussir. On aime à Lyon avec excès les nouveautés. Pour ma part j'aime mieux revoir une bonne pièce que je connais, qu'une médiocre nouveauté ; j'ai eu plus de plaisir à la représentation de l'Abbé Constantin; que je n'en aurais eu à la reprétation d'une nouveauté médiocre. C'est M. Durand qui a repris le rôle de l'Abbé Constantin, créé avec tant de succès par M. Béjuy. M. Durand s'en tire à son honneur et joue avec beaucoup de bonhomie et de simplicité le personnage de cet excellent prêtre mêlé, à son insu, à des aventures amoureuses. L'Abbé Constantin est monté aux Célestins avec ce luxe de décors et de mise en scène dont est coutumier M. Dalbert. Rien n'est négligé, même dans les accessoires. Parmi ces accessoires figurent, comme autrefois, un potage, un gigot, une salade et une charlotte, mais tout cela pour de bon — comme disent les écoliers — et les artistes mangent sinon le le tout — il leur faudrait un furieux appétit — au moins de tout, à la grande satisfaction du public, qui se complait dans la réalité au théâtre. Un bon conseil pour terminer. Si vous ne connaissez pas l'Abbé Constantin, allez bien vite le voir. Si vous le connaissez, allez le revoir. C'est, dans l'un et l'autre cas, une bonne soirée à passer. 3 « THÉÂTRE BELLECOUR On devait donner cette semaine les dernières représentations de la Fille de Jf» Anffot, mais la direction avait compté sans le Public, quia réclamé quelques nouvelles représentations à celles annoncées ; comme d'habitude au Théâtre-Bellecour ces dernières représentations sont données à prix réduit, le plaisir est ainsi mis à la portée de toutes les bourses. La Fille de M- Angot est une bonne fille et veut que tout le monde la voie et l'applaudisse. Ce n'est donc que la semaine prochaine que sera donnée la première d'Orphée aux Enfers, à qui je ne puis souhaiter qu'un succès égal à celui qu'a obtenu l'opérette de M. Lecoq. Ce succès n'a pas faibli un seul jour, et les dimanches on a toujours fait le maximum de la recette. x. * HIVER Si d'un bon sentiment j'ai jeté la semence, Ces_vers, ces faibles vers ont eu leur récompense ANDRIEUX. 11 fait froid; oh! songeons, nous qui sommes à t*ble Bien repus et joyeux, près de 1 âtre flambant, Songeons aux malheureux que la misère accable, Enviant les débris de nos festins tombant. 11 fait froid : eu rentrant au logis confortable, Songeons que sans abri, peut-être succombant, A quelque coin de rue, un frère misérable, Las de lutter, se meurt accroupi sur un banc. Il fait froid; oh! donnons à toute main tendue!... Que toute voix plaintive, oh! oui, soit entendue Et trouve un tendre écho de pitié dans nos cœurs. Donnons; et de nos biens nul n'osera médire; Donnons, pour recueillir du coeur triste un sourire; Donnons, pour voir briller de joie un œil en pleurs. Novembre 1891. J.-M. LENTILLON. MONTPELLIER La semaine qui vient de s'écouler nous a fourni la reprise du Pré aux Clerc qui a obtenu un grand succès. L'ouvrage était bien su et l'interprétation excellente a valu à tous les artistes de nombreux applaudissements. Nous adressons nos félicitations à ces Messieurs et à ces Dames. Le Pré aux Clercs monté comme il l'est, fournira l'occasion d'en reparler. Nous passerons sous silence une représentation des Dragons qui n'a pas été des plus brillantes. Certes quelques répétitions de plus n'auraient pas été de trop pour assurer une bonne interprétation de cet ouvrage. La Traviata, chantée par des artistes de la valeur de MM. Monteux, Audra et M me Gabriel ne pouvait être que délicieusement rendue, c'est ce qui a eu lieu et ces" artistes ont été applaudis à diverses reprises. La représentation de Robert n'a pas été favorable à M. Berger et nous craignons fort que l'indisposition de cet artiste ne paralyse ses moyens pendant quelque temps. M. Berger a fait son possible, a eu de bons moments, mais la fatigue a dépassé sa bonne volonté. Nous espérons que M. Berger prendra brillamment sa revanche. M. Talazac s'est acquitté du rôle si lourd de Bertram, le premier et le quatrième acte ont été pour lui un triomphe. M. Roger (Raimbault) lui a fort bien donné la réplique. M mc Vilette-Peyraud a été très applaudie dans le rôle d'Alice. N'oublions pas M mo Berty, fort bien sous les traits de la princesse Isabelle. M 116 Carrère s'est faite remarquer dans le pas de la nonne et brille au premier rang parmi les ballerines qui sont toujours accueillies par... des manifestations peu sympathiques. Hier, reprise de Carmen dont je rendrais compte dans ma prochaine chronique. GUJLO. ON VAUDEVILLISTE LYONÎSAIS CLAIRVILLE 1811-1879 Nous ne nous contentons pas seulement de négliger nos gloires lyonnaises, souvent même nous les ignorons. Ajoutons vite que Tartarin se hâte de réparer nos torts et de nous apporter des bustes. L'aimable Clairville aura-t-il le sien? Si on veut se souvenir qu'il est Lyonnais, qu'il garda toujours bon souvenir de sa ville natale, qu'il fut l'ami de nos artistes dramatiques, ce sera au foyer des Célestins que devra figurer son image. Rappeler que le principal auteur de la Fille de Madame Angot et des Cloches de Corneville est notre compatriote, ce sera assez, je crois, pour piquer la curiosité de nos lecteurs et les intéresser à cette courte esquisse (1) . Vers la fin du premier Empire, de 1811 à 1812, une troupe de comédiens couraient la province, dirigés par M. Alexandre Nicolaïe, solennel père noble, qui, avant de se faire comédien, avait pris le nom de Clairville pour ménager les susceptibilités paternelles. Son fils devait illustrer ce nom de bataille. Louis-François Nicolaïe, dit Clairville, est né à Lyon, le 28 janvier 1811, rue Confort. Son extrait de naissance est signé par François Ribré, directeur des Célestins, et Louis-Jacques Solomé, artiste, ami de la famille Clairvile, et qui devint metteur en scène à l'Opéra. Nous trouvons quelques détails assez' piquants sur notre vaudevilliste dans la Biographie comique de Commerson. Il parait que « dès l'âge de puberté, Clairville se mit à faire du couplet au mètre etàllieure.» Voicicequ'en dit en pot-pourri son humoriste biographe : Lyon le vit naitr.é, Et bien heureux d" le connaître, La Saône Et le Rhône En ont dansé la cato.i'i'cha, , Et même — on raconie cela — Ils ont débordé ce jou.-là. A l'âge heureux de qiiii.ze mois Il quitta sa ville natale, Déjà l'enfant voulait, je crois, Frapper de sa puissante voix Les échos de la capitale. Et quand il eût cessé d'apprendre, Orgueilleux de ne rien savoir, A Bobino, sans plus attendre, A dix ans, il débute un soir. Pendant dix-huit ans, aux contrôles, Dirigeant, jouant, régissant, Chantant, dansant Et composant, Il joua cinq à six cents rôles Et fit cent pièces en jouant. Clairville avouait lui-même qu'il avait le diable au corps, parce que sa mère, une actrice de la troupe, avait dû, en guise de lait, remplir son biberon du vin de la comète. Clairville, né malin, fut pendant cinquante, ans un des maîtres du vaudeville. D'une fécondité extraordinaire, le plus fécond peut-être de ce siècle, « ce Lope de Véga de la farce et du rondeau » comme l'a nommé Claretie, n'a pas donné au théâtre, de 1829 à 1879, moins de 600 pièces. C'est donc une moyenne de douze pièces par année, une pièce par mois ! Faiseur de couplets intarissables, il a laissé de plus un volume de Chansons et Poésies. Ingénieux écrivain, d'une verve si comique, si habile dans l'art difficile de bien écrire un couplet, il a inondé de ses productions joyeuses les scè(1) Voir pour plus de détails la Revue du Siècle, juillet 1889. On y trouvera en môme temps un portrait de Clairville. 4 T\ LE PASSE-TEMPS , CHOCOLAT FRANÇON AU LACT0P1I0SPHATE DE CHAUX ET A LA KOLA Par son rôle essentiel dans la formation des os et son action stimulante de la nutrition, le lactophosphate de chaux est le meilleur recons- tituant. Directement assimilable par les voies digestives, il n'occasionne, à l'encontre des autres préparations de phosphates, ni constipation, ni maux d'estomac. Ces avantages, associés à ceux de la Kola, le tonique par excellence du système nerveux et du cœur, font du Chocolat Françon l'arme préférée des médecins pour combattre maladies des os, tuberculose, chloro-anémie, palpitations, esoufflement, épuisement nerveux. Dépôt général, Pharmacie Françon, L^^on, place Bellecour, 21, et bonnes pharmacies. Prix: 3'50 la boîte ; poste, 30 c. en sus (franco par 2 boîtes). — nés de tout genre et les théâtres de tout étage. Mais disons quelques mots de ses débuts. Fier des bénéfices qu'il avait réalisés dans ses tournées en province. Clairville père vint à Paris prendre la direction de théâtres de second ordre, deM me Saqui entre autres, puis au Luxembourg du fameux et regretté Bobino. Une vieille gloire, dévorée par la démolition vers 1868. Ce petit théâtre fut d'abord consacré à des exercices de bateleurs. Jusqu'en 1837 ou 38, une corde traversait la salle, comme le stigmate ineffaçable destiné à rappeler à la direction qu'elle ne jouait drames et vaudevilles qu'en vertu d'une tolérance. Bobino était le théâtre favori des étudiants tapageurs, badouillards et dévorants. Ce fut là que le jeune Clairville fit ses premiers essais et reçut une éducation très fantaisiste, mais précieuse pour sa destinée. On remarqua bien vite ce malin petit bonhomme, et les pourvoyeurs du théâtre du Luxembourg se mirent à écrire des rôles tout exprès pour lui. Un beau soir, l'affiche annonça solennellement les débuts de Louis-François Clairville, qui entrait dans sa dixième année. L'aimable parterre de Bobino l'étourdit d'applaudissements. Heureux début 1 Les coulisses continuèrent donc d'être son école obligatoire, et il fit ses humanités et sa réthorique avec le répertoire de l'établissement. Le monde bohème et bigarré, dans l'intimité duquel il vivait, plaisait à son esprit primesautier et railleur. Plein d'activité, il se faisait le factotum de la baraque avec la meilleure grâce du monde. Quand il ne jouait pas, il allait s'asseoir au contrôle ouse glissait dans le trou du souffleur. Il fit mieux, il avait dix huit ans quand il apporta à son père sa première pièce : l'Enragé par ruse. La pièce fut jouée et applaudie. Le soir de la représentation, Solomé, le vieil ami, dit à notre vaudevilliste précoce : — Es-tu bête d'avoir donné cela ici? j'aurais fait jouer ta pièce aux Variétés. — Oui, c'est possible, répondit le jeune homme; mais je n'aurais pas causé le même plaisir à mon père. On ne voulut plus d'autre compositeur, et le jeune Clairville, affranchissant la petite scène des droits à payer, devint l'auteur attitré du théâtre paternel. Il lit sur commande tout ce qu'on voulut : drames, comédies, vaudevilles ou féeries. Son talent se dessinait dans ces oeuvres faciles, malgré tous leurs défauts. Cependant, sept ans après sa première pièce, en 1836, son père mort, Clairville, se croyant appelé à une scène plus grande, s'engagea comme acteur à l'Ambigu-Comique. Voulant s'y produire dans une de ses propres œuvres, il y fit jouer une revue de sa composition: 1836 dans la Lune. Il s'y montra acteur assez médiocre; mais le succès prodigieux de sa pièce, qui ouvrit la série de ces revues dans lesquelles il excella, le détermina à cultiver exclusivement la littérature dramatique. Il avait enfin trouvé sa véritable voie, il avait le don de plaire au public et surtout il avait l'intuition de la scène. A partir de ce premier vrai siccès, c'est une suite continue de revues comiques, de féeries, de vaudevilles, de parodies, d'opérettes — tant que l'opérette fut à la mode — dans lesquels il déploie une verve facile, une imagination drôle et une gaité bouffonne. Toutes ses pièces sont semées de couplets ingénieux, vivement troussés et dans une verve bien française. Je ne citerai que quelques titres, pris au hasard des souvenirs : Margot, Les Sept Châteaux du Diable, Gentil Bernard, Un Troupier qui suit les Bonnes. Eh! Lambert !, Les Bourgeois de Paris, Les Trois Gamins, Cendrillon, Rothomago, Peau d'Ane, La Queue du Diable, Ma Nièce et mon Ours, et tant d'autres qui eurent, comme les Petites Misères de la vie humaine, leurs 300 représentations avec le célèbre Bouffé, qui était devenu l'ami et le protecteur de Clairville. Mais aucune de ces pièces n'approcha du succès inouï d'une de ses dernières œuvres : La Fille de madame Ango <(18/3), opérette ' dont le triomphe décida de la fortune du compositeur Charles Lecoq. Clairville s'était adjoint Siraudin et Koning. Cette opérette compréhensible porta bonheur à la musique, qui avait une franchise d'allure, une rondeur et une nouveauté qui frappèrent le public, et en trois jours, tous ses rondeaux devinrent populaires, depuis l'air des conspirateurs jusqu'au couplet de la mère Angot : Très jolie, Peu polie, Possédant un gros magot .. Paris entier les répéta ; il semblait que ce fussent de vieux amis retrouvés. Certains refrains devinrent proverbiaux : C'est bien la peine assurément De changer de gouvernement. Grand fut le succès ; la pièce fut jouée plus de six cents fois consécutives à Paris ; elle a même dépassé depuis sa millième représentation. Elle avait été créée d'abord en 1872, à Bruxelles. Le succôsde cette opérette s'est continué en province. La Fille de madame Angot a fait le tour du monde. Clairville a écrit presque toutes ses pièces en collaboration, comme l'a fait aussi Labiche, mais son théâtre n'en reste pas moins marqué d'un cachet très original. Clairville cependant fut plus modeste et ne songea jamais à l'Académie ; il avait conscience de l'insuffisance de ses études premières. Son but était d'amuser et tout lui était bon. Quant au bon goût et quant au style. Ils y seront.., une autre fois. Ses qualités à lui, c'est la facilité, la verve l'entrain, le mouvement et une joyeuseté intarissable. Son amusant répertoire a défrayé la gaieté de plusieurs générations. Sans s'inquiéter de sa qualité, il était passé maître dans l'art de provoquer le gros rire, le fou rire qui dilate et déride les misanthropes et les atrabilaires les plus forcenés. Comme Labiche, qui fut un peu son élève, il a été un de nos grands a producteurs- de gaz exhilarant ». Le critique qui a écrit sa biographie dans le Larousse, a dit de lui très justement : « Il faut rendre cette justice à Clairville que, s'il a beaucoup trop donné à la pacotille, il a réussi souvent à ramener le vaudeville à son vrai caractère, qui consiste dans la franchise, l'abandon, le rire, la gaieté et la vivacité des couplets... Il a contribué largement au maintien des traditions laissées par les maîtres d'un genre éminemment français... » Notrecompatrioteavaitlecoupletfacile; il fut au Caveau de Paris, très aimé et très applaudi. En 1853, il a publié un volume de chansons et de poésies qui est devenu rare. Son talent a un caractère particulier qui le rattache, comme chansonnier, à l'école du dix-huitième siècle. Clairville reçut, en 1857, le ruban rouge. Cet aimable conservateur de la gaieté française l'avait bien mérité. Ce fut, en 1877, avec les Cloches de Corneville, le der- . nier grand succès de Clairville. Il était âgé de 68 ans quand il mourut à Paris, des suites d'une fluxion de poitrine, le 8 février 1879. Il avait conservé le souvenir de sa ville natale, car les artistes lyonnais, résidant dans la capitale, le regrettèrent très vivement. Clairville a laissé un fils, compositeur de musique, et un neveu, Claude Clairville, auteur dramatique de talent. Mourez, brillantes étincelles ! Jongleurs, éteignez vos quinquets ! Des pantins j'ai vu les ficelles, Le spectacle n'a plus d'attraits... chantait un jour Clairville. Que restera-t-il de tant d'esprit dépensé pendant cinquante ans ? H y a des gens qui ressemblent aux vaudevilles, qu'on ne chante qu'un certain temps, a dit La Rochefoucauld. Espérons qu'il restera quelque chose de cet aimable compatriote, puisqu'on joue encore ses pièces. Espérons aussi que les Lyonnais se souviendront qu'il est né _L«^ PASSE -TEMPS rue Confort et qu'ils n'attendront pas une avalanche de félibres des Batignolles, pour placer son buste au foyer des Célestins. Marius GRILLET. —* xjisr :B:R,^-V:E — SUITE — Mais Rigodin eut honte de son hésitation et. pour s'aguerrir, il s'avança et fit quelques pas dans le couloir. Ses amis le suivaient. Ils se trouvèrent au pied de l'escalier. .— C'est au premier, n'est-ce pas? demanda le courageux Rigodin. — Oui. Et il mettait le pied sur la première marche lorsqu'il fit un brusque mouvement d'effroi. — Qu'avez-vous ? qu'avez-vous? — Vous ne voyez donc pas là-haut?... Ça bouge. Us levèrent le nez, — C'est un rat, s'écria Tourillon, et soulevant son chapeau : Ne vous dérangez pas, camarade, c'est M. Rigodin qui vient pour une nuit vous tenir compagnie. Cette boutade ne les fit pas rire. Ils n'étaient pas rassurés. A chaque instant ils s'attendaient à ouïr des bruits mystérieux, à voir des choses épouvantables. Ils parlaient haut, criaient presque. Enfin au bout de quelques minutes, ne découvrant rien de suspect, ils montèrent. L'escalier vermoulu craquait sous eux. Plumachet portait gravement la bougie. Sur le palier, ils s'arrêtèrent très émus, la respiration courte. Une porte étant entr'ouverte, ils la poussèrent et se trouvèrent dans une chambre assez vaste. Elle "était presque vide. Quelques meubles seulement la garnissaient : une table ronde, un bahut et un fauteuil antique. Une humidité glaciale tombait des plafonds dont on voyait, à plusieurs endroits, les poutrelles crevant le plâtre. Des lambeaux de papier déteint pendaient aux murailles. — Pourvu que je n'attrape pas de rhumatismes là-dedans, dit Rigodin. — Ça sent rudement le moisi, remarqua Plumachet qui, sa bougie à la main inspectait la pièce. — Voilà un bahut qui doit valoir de l'argent, regardez moi ces sculptures... tiens, un tableau. Pris d'une curiosité, ils s'approchèrent et, au dessus du coffre, ils virent une peinture suspendue au mur. La poussière empêchait d'en distinguer les détails, Tourillon, toujours le plus hardi, monta sur le meuble et frotta la toile avec son mouchoir. Alors, peu à peu, un front, des yeux, un nez, toute une figure pâle de femme apparut. Dans son cadre d'or terni elle semblait sortir de l'ombre épaisse comme une évocation mélancolique d'autrefois... C'était uue vieille dame, de mine respectable, les chevaux blancs tirebouchonnant sur les tempes, le cou maigre émergeant d'une large collerette de dentelle qui lui retombait sur les épaules. Une croix pendait sur sa poitrine. Ses lèvres esquissaient un sourire très vague à l'adresse des nocturnes visiteurs et ses yeux, fixement, s'attachaient sur eux. Et tous les cinq, le nez en l'air, se tenaient devant la toile, prix d'une angoisse subite, d'une religieuse terreur, devant ce portrait antique, remuant dans leurs encéphales lourgeois des choses confuses, des choses de jadis, qu'ils ne pouvaient démêler... Ce fut Plumachet qui rompit le silence: — C'est la grand'mère maternelle de mademoiselle Vertussin. — Non, non, vous êtes dans l'erreur, dit vivement Ballot, qui connaissait la généalogie de toutes les vieilles familles de Villeroche, c'est sa gran l'tante, car la grand'mère maternelle de mademoiselle Vertussin est morte à trente-cinq ou trente-six ans. Ils s'inclinèrent devant les explications précises de l'agréé, mais Rigodin qui tenait à gar- dfintÇ 3 lo ? Stemps possible ses amis, essaya de continuer la discussion. -Moi, je crois que c'est plutôt le portrait de la sœur du père de mademoiselle Vertussin. — Mais non, vous n'y êtes pas. Le quincaillier s'interposa: — Allons allons, nous discuterons ça une autre lois. Vous voyez bien que vous ennuyez Kigodm... Dites donc, l'ami, vous ne pouvez pas dire le contraire, mais vous allez être là comme un saint dans sa niche... une jolie table, un fauteuil pur Louis XV, et puis — et il montra le portrait — la bonne femme qui vous tient compagnie... et surtout, ajouta-t-il, histoire de plaisanter, pas de bêtises, hein ! Plumachet colla la bougie sur la table. Rigodin, un peu pâle, avec un tremblement dans les doigts, déposa son livre : Les Aventures de Jean- Pierre Chopparf, et mit à côté son paquet de bougies. — Maintenant, dit Ballot, à qui il tardait de rejoindre son épouse, maintenant nous n'avons plus qu'à vous souhaiter bonne nuit. A demain, à six heures. — Soyez exacts au moins. — Soyez tranquille, répondit Plumachet. Tous les quatre serrèrent la main à Rigodin. Et ils descendirent et fermèrent la porte à double tour — afin qu'il ne s'échappât pas. Un instant encore le prisonnier entendit le bruit, de plus en plus distinct, de leurs voix, puis, plus rien... rien... rien ! II Il était seul, abandonné de l'humanité tout entière, seul dans cette grande maison inhabitée depuis tant d'années, dans cette maison de sinistre réputation, rendez-vous peut-être des puissances infernales et auprès de laquelle il n'était jamais passé, à la nuit tombante, sans un frisson dans le dos. Voilà pourtant où l'avait conduit sa forfanterie!... Ne serait-il pas mieux, à cette heure, dans son lit si mollet où il dormirait à l'aise, à la clarté douce de la veilleuse, l'esprit dégagé de toute inquiétude? Qui est-ce qui viendrait à son secours s'il était fatigué? Oui, qui est-ce qui remplacerait sa vieille Mélanie? Personne... Mais diable ! ce serait bien le plus grand des hasards s'il tombait malade juste la nuit où pour la première fois depuis longtemps, il dérogeait à ses habitudes. Il chassa ces idées sombres en évoquant par avance l'ovation enthousiaste que lui feraient, le lendemain matin, ses amis, lorsqu'ils viendraient le délivrer. Quelles fraternelles poignées de main on se donnerait. Comme il ferait bon s'en aller, rentrer en ville, bras dessus, bras dessous! Sa réputation serait à jamais consacrée, et il ne remarquerait plus sur les lèvres de ses auditeurs ces demi-sourires railleurs qui l'indignaient. On dirait, au contraire : ce que raconte Rigodin est l'exacte vérité, car c'est un brave, il a passé la nuit dans la maison hantée. Et tout Villeroche, longtemps, parlerait de cette action d'éclat. Alors Rigodin, réconforté par cette espérance, se leva de son fauteuil et fit le tour de la chambre. La bougie vacillait découpant sur les murs des ombres géantes. Son pas, sur le plafond, résonnait étrangement. Il revint s'asseoir. Puis il tira sa montre et la mit sur la table, bien devant lui, à côté du paquet de bougies. Il n'était que onze heures cinq. Comme le temps passait lentement... Il avait encore, par conséquent, sept heures de captivité. Sept heures!... Bah? c'est bien vite passé, sept heures. N'importe ! ces sept heures compteraient dans sa vie. Il y penserait souvent... oh ! oui, bien souvent... Il tendit l'oreille... Rien d'anormal. Pas de bruit. A peine un léger murmure du vent là, à côté, dans les arbres du.... Mais il tressaillit... Que je suis bête, pensa-t-il, c'est un morceau de plâtre qui vient de se détacher du plafond... Il ouvrit son livre, essaya de lire, mais les lignes dansaient devant ses yeux. Et il releva la tête avec la sensation bizarre qu'un regard était fixé sur lui, Parbleu! C'est la bonne femme... Oh! cette figure peinte, cette figure 5 6 ^ LE „_ _—_—. pâle comme celle des morts, ces yeux fixes, étincelants, ces yeux qui fouillaient jusqu'au plus profond de son être. Certainement elle devait lire dans sa conscience; Il n'osait soutenir le choc de ce regard inquisiteur. Il baissa la tête, mais il la releva aussitôt. C'était plus fort que lui, plus fort que sa volonté, toujours ses yeux revenaient au tableau. La vieille le scrutait toujours du même regard froid, sévère, de ce regard qui le pénétrait jusque dans les moelles. Il passa sa main tremblante sur son front .mouillé d'une sueur glacée. Il voulut, en se levant, échapper à l'obsession. Mais Rigodin était cloué sur son fauteuil. Hou ! hou ! hou ! clausait la bise, et la maison semblait vaciller sur ses fondations. Des fenêtres ouvertes, au grenier, battaient contre les murs. Hou! hou! hou!... Dieu! qu'a-t-il vu ? Le portrait a remué ; dans son cadre d'or terni la figure pâle s'est agitée. Mais non, rien ne bouge. C'est lui qui se trouble ; il n'est que le jouet d'une hallucination suscitée par la peur. Et il s'efforce de ne plus penser à la toile, d'oublier la bonne femme d'autrefois. Impossible, son esprit troublé s'attache toujours au même ordre d'idées. Il se demande depuis combien d'années elle est morte ; si elle a été heureuse ou malheureuse. Oh ! si elle venait à lui apprendre ce qu'elle 'sait sur l'au delà mystérieux, lui révéler le mot de la grande énigme. Non, jamais, les morts n'ont rien révélé aux vivants. Les morts!... combien des siens l'ont déjà appris le mot de l'énigme : ses frères et sœurs, sa femme, son fils, mort à vingt ans. Pauvre Paul! et il se sent pris soudain d'une tendresse folle pour son enfant dont les os, à quelques pas de lui, pourrissent sous la terre fraîche. C'était minuit quand son Paul mourût... minuit juste. Il pleuvait à torrents et un chien se prit à hurler d'une façon lugubre. Dix ans déjà décela!... Donc, Paul aurait trente ans maintenant... sans doute il serait marié, il aurait des enfants... Tiens, c'est minuit moins dix, presque la même heure que... Il écoute... Une plainte presque aussi douloureuse que le râle suprême de son fils. (à suivre) Eugène DREVETON. : 4, ACADÉMIE LITTÉRAIRE ET ARTISTIQUE DE PAE,IS-PBOYIIsrCE Siège de la Société : i, rue du Printemps, Paris, Programme du premier concours littéraire. SUJET IMPOSÉ : Paris Province. — Eloge de Rouget de Lisle (prose ou vers). SUJET IMPOSÉ INTERNA noNAL, (1) à traiter en français. — Eloge de Christophe Collomb à l'occasion du 4 e centenaire de la découverte de l'Amérique. (Prose ou vers). SUJET LIBRE : tous les genres (prose ou vers). Programme du premier concours artistique. SUJET IMPOSÉ : personnage ou groupe symbolisant la Marseillaise. SUJET LIBRE : tous les genres. SUJET INTERNATIONAL : Christophe Colomb. Célébration du 4 e centenaire anniversaire de l'Amérique. Programme du premier concours musical SUJET INTERNATIONAL : hymne à la gloire de Christophe Collomb. du 4 e centenaire anniversaire de la découverte de l'Amérique, avec (I) Notre Concours international, dans les trois branches a reçu l'agrément officiel du Comité institué à l'Ambassade d'Espagne, à Paris, pour le 4° Centenaire de la Découverte de l'Amérique. Nous espérons notamment que les littérateurs, artistes et compositeurs espagnols et génois qui se trouvent plus spécialement intéressés, entreront en lice en grand nombre. , . — PASSE-TEMPs ' accompagnement de piano et chœur ad libitum. Le compositeur pourra s'adjoindre le parolier qu'il jugera à propos. NOTA. — Mômes conditions que pour les manuscrits des Lettres. SUJETS IMPOSÉS : 1° un allégro de concert pour piano, dont la durée n'excédera pas 10 minutes : 2° Une pastorale pour haut-bois, avec accompagnement de piano. (Durée maximum, 8 minutes) ; 3° Une mélodie pour chant et piano ; les paroles seront laissées au choix du concurrent. OBSERVATION GÉNÉRALE Les demandes de programmes sont faites : A Paris, à M me Elisa Bloch, statuaire, 1, rue du Printemps ; En province, à M. Armand Bourgeois, à Pierry-Epernay (Marne). Les programmes seront expédiés de suite par les secrétaires respectifs. BIBLIOGRAPHIE Le dernier fascicule de V Anthologie populaire — publiée comme on le sait, à Gruissan (Aude), sous la direction de M. J. L. Alquier — vient d'être mis en vente au prix de 30 centimes, dans les biliothèques de toutes les gares de France. Ce fascicule nous réservait une surprise : il est entièrement consacré, de la première à la dernière ligne, à notre confrère parisien du Fin de siècle, Jules Baudot, lequel a jusqu'ici donné au Passe Temps, depuis 1888, de nombreuses nouvelles et poésies et Soirée d'Eté, comédie en un acte et en prose. En plus d'un portrait soigneusement gravé, cette brochure nous présente, en douze pages grand format, quelques notes biographiques et bibliographiques sur l'auteur, des vers de sa plume et quelques-unes de ces « Egratignures» en prose qui l'ont signalé jadis tout à coup à l'attention de la presse et des délicats. Tant pis pour les indifférents qui conserveront leurs trente centimes ! LA RÉDACTION. -t. REVUE FINANCIÈRE HEBDOMADAIRE Le marché très mauvais au début s'est sensiblement relevé en clôture. Les secondes cotes qui nous sont parvenues de Londres et de Berlin, plus satisfaisantes, ont provoqué des rachats et quelques gros ordres d'achats s'étant produit le niveau de la cote a vivement remonté sans toutefois atteindre celui de la clôture précédente. Le 3 0/o qui fermait hier à 93 85 a débuté à 93 37 a coté 93 20 au plus bas ; à ce cours la reprise a commencé et la clôture se fait à 9372 après 93 85 au plus haut. Le 3 0/o nouveau finit à 92 72, l'amortissable 94 40 et le 4 1 /2 à 104 05. Le Crédit foncier à 11 70, n'a pas varié; la Banque de Paris reste à 660, le Crédit lyonnais à 750, la Société générale à 470, la Banque d'Escompte à 401 25, et le Mobilier à 208 75. Le Suez passe de 2635 à 2622 50. Le groupe des valeurs étrangères a été des plus agités. L'Italien a débuté à 86 20 et reprend à 86 80 en clôture. Les fonds Russes ont surtout profité au mouvement de reprise et clôturent le 1 0/o consolidé à 84 1/4 et le 3 0/Q nouveau à 74 1/8. Les autres fonds sont sans changement notable sur la clôture précédente. Au comptant les actions de la Compagnie française des voies ferrées économiques se sont traitées à 518 et 520. L'action Imprimerie et Librairie Lecène et Oudin vaut 505 ex-coupon de 15 fr. Le Propriétaire-Gérant, V. FOURNIER. L'ÉCHO DE LA SEMAINE Sommaire du dernier numéro. Chronique : joueurs de bourse, par Ernest Daudet. — Semaine politique : la question du Cadi, par Henry Maret. — L'Autriche et la Russie, par Vérax (Laguerre). — Echos de partout : la société d'aviculture. — Un merle blanc. — Le parisien et le parapluie. — Prosper d'Epinay. — Lycéen classique, lycéen décadent. — Le krack de Berlin. — Histoiie de la semaine: tenue de fantaisie, par Alphonse Allais. — La patrie, par Ch. Lenient. — Souvenirs contemporains : le champ de bataille de Sedan, par le général Lebrun.' — Coins de Paris : un vélodrome au quartier latin, par Véli-Vélo. — Pièce à dire : le Noiraud, par Jean Rameau. — Romans : les rois en exil, par Alph. Daudet. — Chère adorée, par Adolphe Belot. — Petits poèmes en prose : la Fenêtre, par Catulle Mendès. — Pastiches de maîtres : épigramme funéraire ; l'armurier, par José-Maria de Hérédia. — Dixième concours de l'écho de la semaine : comment voudriez-vous passer votre vieillesse ? — Semaine littéraire, par Albert Rigaud. — Vie militaire, par le capitaine de Pardiellan. — Petit Bottin des Lettres et des Arts, par l'inconnu. — Livres de la semaine. — Correspondance. LE PA8SE-TKMPS aCMrSYÉVa- LE MONDE ILLUSTRÉ QUAI VOLTAIRE. 13, PARIS Sommaire du dernier numéro. GRAVURES : les effets de la tempête du 11 novembre donnent prétexte à trois intéressantes gravures : La barque 231 en péril à Honneur, l'artil'erie anglaise portant secours à un trois-mâts français à Soudgate, enfin l'effondrement du panorama de Jeanne d'Arc à Rouen. Le centenaire de Meyerbeer, à l'Opéra, le portrait de M u ° Invernizzi, dans le Collier de Saphirs, voilà pour le théâtre. Une place importante est réservée aux nouveaux cours du Collège de France que vient de voter la Chambre. Avec le portrait de M, Pierre Lafflte, le directeur des positivistes, une grande double page représente l'une de ses conférences au milieu de ses principaux adeptes tous ressemblants. Aux Beaux-Arts : La Charmeuse, tableau de M. Daux. 7 Enfin la science amusante : les bulles de savon inflammables, complète ce programme. li-XTE : le courrier de Paris, par Pierre Veron : le théâtre et la musique, par H. Lemaire et Boisard, la variété : les chats historiques, par le Nôtre ; Mondains et Mondaines, par Etincelle sont complétés par les explications des gravures, les échecs, les jeux, sport, bibliothèque, etc., et le commencement d une intéressante nouvelle : un homme fort, par Victor Fournel. En supplément, le vertige de l'inconnu, le curieux romande M. Gustave Toudouze : illustré en couleur, parles charmantes aquarelles de M. Marold. Tout abonné nouveau a droit au commencement de ce roman. Le numéro : 50 centimes Mswwmii^jjii—flpWm||1||f, a^m||rll1t ^^ ||M1>laBJ immmi-r-Tirm-i MESDAMES Convulsions et vers chassés par le "Vei*pa.ifia.ë;© Rose de PRIVÂT, ph n , à Lodève, marque Eléphant, 30 centimes les 3 paquets. Dépôt à Lyon, rue Lanterne, 32. LA FRANCE ILLUSTRÉE JOURNAL UNIVERSEL Sommaire du n° 884 du 7 novembre 1891. TEXTE : Chronique de Paris , par Aimé Giron. — Ango ou les Sculpteurs d'ivoire (fin), par Charles Desgranges. — L'Etranger, par A. d'Audeville. — Les Statues du pape Léon XIII, traduction par L. R. — La Fleur du Levant (suite), par de J... — Doua Sacramenta (suite), par Aimé Giron. — Echos des familles, par S. de Morthomier. — Bibliographie. — Nos gravures, par C. G. GRAVURES : La résurrection de la fille de Jaïres. — Les Fêtes franco-russes à Brest. — L'apparition de Jésus à saint Martin. •— Orages et inondations dans le midi de la France. — Un dernier écho des manœuvres. SUPPLÉMENT : Courrier de l'Œuvre, par L. Roussel. — Les délassements hebdomadaires, par L. Formont. — Bulletin financier. — Annonces. L.-«™