Séquence 7 Histoir

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Séquence 7
Les échelles de gouvernement
dans le monde de la fin de la
Seconde Guerre mondiale
à nos jours
Sommaire
1. L
’échelle de l’État nation : Gouverner la France depuis 1946 : État,
gouvernement et administration, héritages et évolutions
Glossaire
2. L’échelle continentale
Glossaire
Biographies
Webographie
3. La gouvernance économique mondiale depuis 1944
Glossaire
Séquence 7 – HG00
1
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1
N.B. les mots
suivis d’un
astérisque sont
définis dans le
glossaire
ci-dessous.
L’échelle de l’État nation
Gouverner la France depuis 1946 :
État, gouvernement et administration,
héritages et évolutions
L’État est l’ensemble des personnes et des institutions qui exercent le
pouvoir suprême de gouverner et de décider sur une population et un
territoire donnés. Ce n’est ni le gouvernement seulement, ni le corps de
ses serviteurs, que l’on peut nommer communément la bureaucratie ou
l’administration.
L’historien Pierre Rosanvallon affirme que l’analyse de l’État ne peut être
découpée en tranches. Son étude doit donc être envisagée dans son rapport au régime politique, aux institutions, à l’économie, la société, et à
la nation.
Au cours de l’Histoire, il a revêtu quatre figures qui se sont juxtaposées :
E l’« État gendarme » qui assure les fonctions régaliennes afin de maintenir l’ordre politique et social : justice, police, défense.
E L’État comme institution du social : il doit renforcer la cohésion d’une
société d’individus en développant des règles juridiques, économiques, contractuelles, mais aussi favoriser des représentations, un
imaginaire collectif, bref en fabriquant du Français.
E L’État comme « réducteur d’incertitudes », par exemple en établissant
un protectionnisme* favorable aux agriculteurs dans les années 1880,
ou en créant une sécurité sociale en 1945.
E L’État régulateur, avec la planification* et les nationalisations*.
Solution à tous les problèmes, recours ultime, l’État n’en demeure pas
moins stigmatisé en permanence par ceux qui refusent son intervention
ou veulent la transformer. À la critique traditionnelle révolutionnaire ou
antifiscale, s’est ajoutée celle, néo-libérale, des années 1980, qui pointait
les disfonctionnements des économies dirigées, ou encore celle du déficit
démocratique dans les choix politiques. Ces critiques ont d’autant plus
pesé que l’État doit s’adapter depuis le milieu du XX° siècle aux mutations
engendrées au niveau infranational par la multiplication des lois de décentralisation*, et sur le plan supranational*, par la construction européenne.
Le tournant du XXI° siècle est donc marqué par un questionnement sur la
place de l’État en France, d’autant plus problématique qu’il se pose à des
organisations politiques hésitant entre plusieurs modèles.
Problématique
Entre amour et désamour comment ont évolué la place et le rôle de
l’État en France et dans la vie des Français ?
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Plan du chapitre : traitement
de la problématique
A- L’État et la Nation en France : un
mariage plus que de raison
1- La longue durée de l’État : de la
monarchie capétienne à la République démocratique
2- L ’État moteur des « Trente Glorieuses »
B- L’État problème
1- Une crise de la représentativité.
2- Une tradition anti-étatique parfois
ancienne renouvelée à l’aune de la
modernité.
3- L’État en question
4- La révolution libérale
C- L’État dépassé
1- É
tat de droite, État de gauche : un
clivage toujours pertinent ?
L’État : une échelle de décision
2- dépassée ?
3- L’État contre-attaque
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Notions clés
État/Nation
Culture républicaine
« État de Droit »
Dirigisme
Keynésianisme
Plan ; économie mixte ;
nationalisation
Démocratie sociale
État Providence
Système redistributif
Fonction publique
Repères
Commenter une
caricature ; Identifier des
symboles et des attributs
Pantouflage
Haute fonction publique
Tradition anti-étatique
Poujadisme
Responsabilité de l’État
Contre-pouvoir
Révolution libérale
privatisation
Étatisme/libéralisme
Fonctionnaire
Décentralisation/
déconcentration
Mondialisation
Supranational
Subsidiarité
Renationalisation
FTN ; ONG
Reconnaître les
compétences État/UE
et les classer dans un
tableau
A
L’État et la nation en France :
un mariage plus que de raison
1. L
a longue durée de l’État : de la monarchie
capétienne à la République démocratique
La question de l’État en France est indissociable de celle de la construction de la Nation*. La dynastie capétienne a su construire à son profit un
État avec qui elle finit par se confondre et qu’elle pare de la notion de
bien commun. À partir du XIII° siècle, elle a unifié les mondes français
par la conquête à son profit, elle a marginalisé les féodaux, éliminé les
dynasties concurrentes notamment lors de la Guerre de Cent ans, monopolisé la violence, la justice et la guerre, centralisé les pouvoirs par la
création d’une structure administrative moderne, véritable corset d’un
monde conçu comme toujours prêt à se diviser. Elle a aussi gagné la
légitimité par la fabrication d’un « roman des rois » étayant une véritable
idéologie monarchique. Ainsi, à partir du XV° siècle, dans une évolution
multiséculaire mais non linéaire, se dessine une communauté politique,
liée à un État et à un territoire donné, qui fait naître l’idée d’une « nation
France » (C. Beaune).
Cependant, la nation fondée sur la conscience de caractéristiques communes et sur la volonté de vivre ensemble, prend son sens contemporain au XVIII° siècle et lors de la Révolution française, avec l’affirmation
d’une opinion publique, la politisation* du peuple. Elle se concrétise
dans l’exercice de la souveraineté nationale. La Révolution, malgré la
méfiance de tous ses acteurs (y compris les Jacobins*) pour un État identifié à la royauté et à la tyrannie, finalise ce lien quasi consubstantiel
entre la nation et l’État, en particulier parce que celui-ci doit assurer la
guerre contre les agents de la contre-révolution et contre les monarchies
européennes. Ce lien est enfin scellé par l’épisode napoléonien qui
donne aux institutions leur caractère définitivement centralisé et opère
la synthèse entre les héritages révolutionnaire et monarchique. C’est,
enfin la III° République qui fonde à la fin du XIX° siècle les cinq caractéristiques de l’État contemporain, celles qui ont participé à forger une
culture républicaine partagée par la masse des citoyens :
E
L a dimension sacrée du suffrage universel qui légitime le rôle de l’État
comme gardien de l’intérêt général au-delà des luttes de partis.
E La
laïcité et le respect des consciences
État de droit* garantissant les libertés fondamentales et l’égalité
en droit.
E Un
E Le parlementarisme* qui contrôle l’État au point qu’il assimile tout ren-
forcement de l’exécutif à une volonté d’établir un régime autoritaire
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État bien plus centralisé que durant l’Ancien Régime, et qui a toujours dû composer avec des intermédiaires et des pouvoirs locaux
faute d’outils modernes pour contrôler le plus vaste royaume d’Europe
occidentale.
E Un
La crise des années 1930, la défaite de juin 1940, l’écroulement de la
République sous les coups de ses adversaires de toujours et de « notables fâchés avec la démocratie » (J. P. Azéma), l’établissement par ces
derniers d’un État « fort » débarrassé de son idéologie républicaine et de
sa pratique démocratique ont dopé le questionnement sur la réforme de
l’État et de sa place dans la société.
Si la IV° République a hérité du parlementarisme absolu de la III° République par idéal républicain et réaction à la dictature pétainiste, elle
n’en initie pas moins un dirigisme économique et social qui aboutit à la
démocratie sociale la plus avancée de l’histoire, qualifiée — avec exagération — d’« Union soviétique réussie » (J.M. Domenach) qui fait de
la France une originalité dans le monde des démocraties occidentales.
La république gaullienne couronne cette tendance au renforcement de
l’État en 1958, et la transforme au plan institutionnel cette fois-ci. Sans
remettre en cause l’État de droit, elle réalise la synthèse entre monarchie
ancienne et république, en initiant un exécutif fort, processus finalisé
avec l’élection du président de la République au suffrage universel direct
(1962) et un parlementarisme encadré et limité. Cependant cette création a connu un destin en partie contraire à l’esprit de son créateur. La
prépondérance du Premier ministre en période de cohabitation a donné
à la V° République des accents de parlementarisme à l’Anglaise. Le régime, sous l’effet conjugué d’une élection présidentielle orpheline de
la figure tutélaire de de Gaulle et de la bipolarisation de la vie politique
droite/gauche, a remis en cause la neutralité de l’Administration et politisé la haute fonction publique, qui fournit d’ailleurs l’essentiel du personnel politique.
Une lente construction historique a engendré un rapport complexe
entre l’État et les Français. Alors que les Anglo-saxons ont conquis en
Angleterre puis aux États-Unis, leurs droits et leurs libertés, aux XVII°
et XVIII° siècles, contre une monarchie jugée inique, d’où une défiance
face à un appareil d’État toujours soupçonné de vouloir empiéter sur
les libertés individuelles. On peut constater les actuelles résistances
au projet de sécurité sociale voulu par B. Obama. L’État a généralement été célébré comme « ayant fait la France » puis comme garant
de l’équité, le défenseur des droits et libertés. Les serviteurs de l’État
ont, par exemple, toujours bénéficié d’un prestige supérieur à celui des
classes marchandes.
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Document 1
« Charles de Gaulle regnante (régnant) (1958 – 1965) ». Caricature de
Roland Moisan le Canard Enchaîné 1965.
© Collection Kharbine-Tapabor © Adagp, Paris 2012.
Questions
1 Après avoir identifié le personnage principal, relevez dans cette ca-
ricature les éléments que l’illustrateur Moisan utilise pour montrer
les tendances monarchiques de la Ve République. À l’aide de vos
connaissances, établissez ensuite une liste des pouvoirs régaliens
du président de la république qui irait dans le sens d’une monarchie
démocratique.
2 De gaulle est, à travers cette caricature, affublé de prétentions monar-
chiques, lesquelles ?
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Réponses
Identification du personnage :
– Les traits du visage même caricaturés représentent Charles de Gaulle,
alors Président de la V° République (élu en 1958, réélu en 1965).
– Il est représenté dans un portrait d’apparat, et la parenté avec le tableau
de Hyacinthe Rigaud de Louis XIV en costume de sacre est évidente.
– costume de sacre et insignes royaux : manteau d’hermine, épée,
couronne, sceptre.
À noter que le collier de l’ordre du Saint Esprit (créé par Saint Louis) a été
remplacé par celui de la Légion d’Honneur (créé par Bonaparte en 1802).
De même, la fleur de lys a disparu.
– port altier, pose de trois quart
– à l’arrière-plan, un château de facture classique qui pourrait faire
penser à Versailles et ses jardins ou au palais de l’Elysée ?
Le postulat de cette caricature serait que De Gaulle se comporte alors
comme un monarque.
Quels sont les pouvoirs régaliens du président sous la V° ? (« régalien »,
de rex (latin) : le roi.
Les pouvoirs du président de la République ont été considérablement
élargis par la constitution de la V° République :
– pouvoirs spéciaux en cas de mise en danger de la République et de
l’intégrité de son territoire, pour une période de 6 mois (article 16)
– droit de dissolution de l’Assemblée Nationale
– droit de grâce
– droit de soumettre un projet de loi au referendum populaire ; signature des décrets et ordonnances pris en Conseil des Ministres
– il nomme le premier ministre ; nomme aux emplois civils et militaires
– il est élu à l’époque pour 7 ans, et rééligible. L’élection au suffrage
universel direct à partir de 1962 accroît sa légitimité.
Le caricaturiste fait aussi probablement référence à la pratique des institutions par de Gaulle ; il a en effet faire preuve d’un autoritarisme allant
jusqu’à la personnalisation du pouvoir :
l’utilisation du referendum marginalise le pouvoir législatif de
–
l’Assemblée Nationale et en fait une « chambre d’enregistrement »
des décisions du président de la République. Ces référendums
s’apparentent d’ailleurs à de véritables plébiscites en faveur de
l’homme, qui a d’ailleurs, un véritable mépris du parlementarisme
(face à un parlement hostile à la révision constitutionnelle, de Gaulle
n’hésite pas à dissoudre l’Assemblée Nationale en octobre 1962).
– De Gaulle se veut au-dessus des partis. « L’homme du mouvement
comme la gauche, et l’homme de l’ordre comme la droite ». D’ailleurs,
ses députés ne siègent ni à droite ni à gauche mais en haut.
– Durant la guerre d’Algérie, à l’occasion du putsch des généraux, de
Gaulle obtient les pleins pouvoirs durant 6 mois.
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– Il s’appuie sur des ministres issus de la haute fonction publique,
sans passé politique généralement, ce ne sont pas des élus mais
des techniciens, parfois avec peu de personnalité.
– Le petit personnage couronné dans le cadre est Michel Debré, l’un des
auteurs de la Constitution de 1958, premier ministre jusqu’en 1962,
« Monsieur le Prince qui nous gouverne ». les autres personnages
que de gaulle écrase de sa grandeur sont ses ministres et hommes
de pouvoirs, ici considérés comme une masse de courtisans.
Plus largement, la dérive monarchique de la V° toujours a été moquée
après de Gaulle : voir Valéry Giscard d’Estaing caricaturé en Louis XV à
la Une du Nouvel Observateur en 1978 ; François Mitterrand, en « Dieu »
chez les chansonniers…
2. L’État moteur des « Trente Glorieuses »
a) L
e dirigisme pour l’expansion : un unanimisme issu
de la Résistance
Comme on l’a vu dans le programme de classe de Première, l’État de la III°
République opérait un mélange de libéralisme-libre entreprise, limitation
du rôle de l’État à quelques services publics, et de protectionnisme. La
crise des années 30 offre un contexte favorable à l’interrogation des élites
sur la réforme de l’État et sur son rôle dans l’économie. On voit ainsi émerger des associations technocratiques, animées par des ingénieurs et des
universitaires issus des grands corps de l’État, tels les groupes Xcrise ou
Révolution constructive plus ou moins inspirés par les théories planistes*
d’Henri de Man. Sans qu’ils soient articulés ensemble, ces mouvements se
construisent alors même que le corpus économique keynésien* se structure et que le président américain Roosevelt s’entoure du « Brain Trust ».
Certains, l’ingénieur du corps des Mines Bichelonne, le normalien Pucheu, voient dans le Régime de Vichy une occasion de promouvoir une
réforme autoritaire et dirigiste de l’État. Beaucoup d’autres, ayant rejoint
Londres et les rangs d’une Résistance presque unanime à donner un rôle
accru à l’État, proposent un dirigisme de reconstruction et d’expansion.
D’un point de vue idéologique, sans le remettre en cause, il s’agit aussi
d’encadrer un capitalisme mis au banc des accusés, non sans raisons,
comme fauteur de crise, voire comme collaborateur des nazis. Au plan
économique, ce plan de modernisation de l’économie s’inscrit pleinement dans la réalisation du keynésianisme* : l’État doit être l’indicateur et le promoteur de l’économie en investissant et en maîtrisant les
secteurs moteurs de l’économie et les organismes de financement pour
créer de la croissance. Il cherche ainsi à entraîner les autres secteurs de
l’économie, à favoriser l’activité en reconstruisant et modernisant les infrastructures, à relancer directement l’emploi et donc la consommation.
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Les nationalisations (Renault…), la direction du crédit par l’État (Banque
de France et quatre grandes banques de dépôts : Crédit lyonnais, Société
générale, Comptoir national d’escompte, Banque nationale pour le commerce et l’industrie), la prise en charge des services publics de transport
et d’énergie (SNCF, Air France, EDF, GDF), la politique d’aménagement
du territoire (création de la Direction à l’aménagement du territoire et à
l’action régionale en 1963) puis la promotion de champions nationaux
industriels (Elf-Aquitaine, Péchiney…) capables de rivaliser au plan international et surtout la planification sont le fait d’un nombre réduit de
hauts fonctionnaires sous la IV° et la V° Républiques tous réunis autour
de Jean Monnet, père de la planification française.
– François Bloch-Lainé, directeur du Trésor puis de la Caisse des dépôts.
– Louis Armand, ingénieur du Corps des Mines, président de la SNCF
puis d’Euratom (Communauté européenne à l’énergie atomique).
– Simon Nora, inspecteur des finances, proche de Pierre Mendès-France
– Paul Delouvrier, créateur de la TVA et dirigeant d’EDF.
Le premier Plan, assez bâclé n’est d’ailleurs pas solvable. Mais pour François Bloch-Lainé, il s’agit de profiter du moment exceptionnel de la Libération « pour changer de pied, même sans bien savoir où l’on [marche] »
Il affirme : «J’avais, en arrivant à la direction du Trésor en 1947, une
sorte d’idée fixe. Je souhaitais que le Ministère des Finances sortit de
son attitude traditionnelle à l’égard de l’économie, attitude consistant
à agir contre ce qui paraît inopportun ou nocif, plutôt qu’à agir pour ce
qui peut être bénéfique. Je souhaitais qu’il jouât un rôle délibérément
positif dans la Modernisation et l’équipement du pays. […] Ma conviction personnelle était que le Trésor public devait devenir le facteur actif
de la reconstruction puis de l’expansion. […] Un peu de fuite en avant
ne pouvait pas lui faire de mal. » Il s’agit donc clairement, au nom de la
modernité, de rompre avec le malthusianisme* de l’économie française
et l’orthodoxie de l’équilibre budgétaire. L’État doit aiguillonner le reste
de l’économie et accélérer la mutation de l’appareil de production.
Cette politique économique n’est en rien conçue dans une optique socialiste. Le seul lien entre le plan et le socialisme tient au soutien par
des fonds publics – d’origine américaine – du programme d’investissements publics. Le plan se veut d’abord l’« anti-hasard » (M. Nouchi), un
plan d’action face à des priorités dégagées à l’unanimité de ceux qui l
‘élaborent. Il est une troisième voie entre le modèle anglo-saxon et l’économie étatisée : l’économie mixte*.
Il est d’autant mieux accepté dans la France de l’Après-guerre qu’elle
s’inscrit dans une tradition française d’intervention de l’État dans l’économie au moins depuis Colbert, confirmée durant le Second empire. Elle
trouve son apogée dans la France gaullienne qui n’est pas sans rappeler
la pratique bonapartiste, par son mélange d’autoritarisme politique, de
dirigisme économique, au service de la grandeur et de l’indépendance
nationale, mais aussi de progrès social
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b) La fondation d’une démocratie sociale
Document 2
Le programme du Conseil National de la Résistance (15 mars 1944), les
propositions économiques et sociales
a) Sur le plan économique
– l’instauration d’une véritable démocratie économique et sociale, impliquant l’éviction des grandes féodalités économiques et financières de la
direction de l’économie ;
– une organisation rationnelle de l’économie assurant la subordination des
intérêts particuliers à l’intérêt général et affranchie de la dictature professionnelle instaurée à l’image des États fascistes ;
– l’intensification de la production nationale selon les lignes d’un plan arrêté par l’État après consultation des représentants de tous les éléments
de cette production ;
– le retour à la nation des grands moyens de production monopolisés, fruit
du travail commun, des sources d’énergie, des richesses du sous-sol, des
compagnies d’assurances et des grandes banques
– le développement et le soutien des coopératives de production, d’achat
et de vente, agricoles et artisanales ;
– le droit d’accès dans le cadre de l’entreprise, aux fonctions de direction
et d’administration, pour les ouvriers possédant les qualifications nécessaires, et la participation des travailleurs à la direction de l’économie.
b) Sur le plan social
– le droit au travail et le droit au repos, notamment par le rétablissement et
l’amélioration du régime contractuel du travail ;
– un rajustement important des salaires et la garantie d’un niveau de salaire
et de traitement qui assure à chaque travailleur et à sa famille la sécurité,
la dignité et la possibilité d’une vie pleinement humaine ; […]
– la reconstitution, dans ses libertés traditionnelles, d’un syndicalisme
indépendant, doté de larges pouvoirs dans l’organisation de la vie économique et sociale ;
– un plan complet de sécurité sociale, visant à assurer à tous les citoyens
des moyens d’existence, dans tous les cas où ils sont incapables de se les
procurer par le travail, avec gestion appartenant aux représentants des
intéressés et de l’État ;
– la sécurité de l’emploi, la réglementation des conditions d’embauchage
et de licenciement, le rétablissement des délégués d’atelier ; […]
– une retraite permettant aux vieux travailleurs de finir dignement leurs
jours ; […]
d) La possibilité effective pour tous les enfants français de bénéficier de
l’instruction et d’accéder à la culture la plus développée, quelle que soit
la situation de fortune de leurs parents, afin que les fonctions les plus
hautes soient réellement accessibles à tous ceux qui auront les capacités
requises pour les exercer et que soit ainsi promue une élite véritable, non
de naissance mais de mérite, et constamment renouvelée par les apports
populaires.»
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Le pendant social du dirigisme économique est la création d’une démocratie sociale* inédite voulue par les hommes de la Résistance. Le programme du CNR repris dans le préambule de la constitution de la IV°
République (octobre 1946), lui-même repris dans celui la constitution
de 1958. L’État doit promouvoir les institutions nécessaires à la justice
sociale. L’extension des pouvoirs économiques de l’État est aussi à penser en ces termes : les entreprises publiques doivent être des « vitrines
sociales » en appliquant les nouvelles lois sur les délégués ouvriers et
sur les comités d’entreprise.
Les objectifs de l’« État-Providence* » sont multiples : garantir un niveau
de vie minimal à tous et en toute circonstance sans que ce revenu soit
obligatoirement le produit d’un travail, protéger les citoyens contre
les aléas de la vie (chômage, maladie, retraite), offrir aux familles les
moyens de leur épanouissement, offrir un accès à la santé et à l’éducation pensés comme des services publics, développer des équipements
collectifs améliorant les conditions de vie dans le travail comme pour
les loisirs. Cette philosophie est concrétisée par l’ordonnance d’octobre
1945 qui crée la Sécurité sociale. Cependant, celle-ci est beaucoup plus
qu’un système gratuit, égalitaire, protégeant les individus des accidents
tout au long de la vie. Elle est fondée sur un contrat social et non sur la
charité individuelle, l’assistanat contraignant, ou la protection patriarcale du monarque.
La démocratie sociale considère « l’assuré social » comme un citoyen
social pendant du citoyen au sens politique : un être responsable et autonome qui par ses cotisations et par un impôt sur le revenu progressif
et proportionnel participe de l’effort collectif. C’est aussi ce qui justifie le
caractère universel de la Sécurité sociale.
La croissance suscitée par l’intervention directe de l’État et le contexte
de reconstruction puis de modernisation de l’économie est aussi soutenue par la consommation d’une population modeste dopée par le système redistributif*. L’application de ces principes keynésiens permet
un plein emploi qui offre aux ouvriers la dignité sociale, notamment
par l’intermédiaire de syndicats associés qui, au-delà de leur tradition
conflictuelle, joue un rôle actif dans la gestion des caisses d’assurance
maladie ou d’assurance retraite.
Le gouvernement de Pierre Mauroy en 1981, Premier ministre socialiste
de François Mitterrand, s’inscrit dans cette philosophie : nationalisations, augmentation du SMIC des allocations sociales et du minimum
retraite, retraite à 60 ans, lois Auroux institutionnalisant le syndicalisme
dans les entreprises
Au plan éducatif, si le Plan Langevin-Wallon de 1947, fondé sur le principe de la démocratisation du savoir et de l’exigence scientifique, est
rapidement abandonné, il sert de référence jusqu’aux années 2000 à de
nombreuses réformes : scolarisation obligatoire jusqu’à 16 ans (1963),
collège unique (1975), Institut universitaire de formation des maîtres
(1989).
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c) L’apogée de la haute fonction publique
Toutes les tentatives de réforme de la formation des hauts fonctionnaires
ont échoué avant 1945, devant la coalition des forces conservatrices de
l’Université, notamment les facultés de droit, et de l’Administration. Celleci malgré le discours sur le mérite républicain est le lieu de l’héritage voire
du népotisme. Ainsi, le jeune Jean Moulin entama une carrière dans l’administration préfectorale, à peine bachelier, grâce à l’appui de son père,
petit notable radical-socialiste de l’Hérault. Reprenant un projet de 1848,
l’École nationale d’administration est créée par une ordonnance du 9 octobre 1945 suite au rapport remis par Michel Debré, spécialiste de droit
constitutionnel, au Général de Gaulle. Cette école qui doit procéder au recrutement et à la formation des hauts fonctionnaires répond à une double
volonté : « améliorer la qualité de la fonction publique » et accueillir « tous
ceux sans distinction de rang et de fortune, sans cooptation ni favoritisme,
s’y montrent aptes » (statut ENA 1952). Elle démocratise et renouvelle
l’élite administrative par le système des concours externes ouverts aux
étudiants et internes ouvert aux fonctionnaires. Elle accentue la dimension pratique de la formation par la pratique des stages. Le rang de sortie,
comme dans, tous les corps de l’État, détermine le choix de leur carrière,
les premiers optant systématiquement pour l’Inspection des finances, la
préfectorale et l’Éducation nationale accueillant les derniers.
Dans le contexte de modernisation économique et technologique, les
grands corps de l’État prennent une place essentielle dans les cabinets ministériels et à la direction des administrations ou des grandes
entreprises nationales. Leur rôle est d’autant plus renforcé sous la IV°
République que l’instabilité ministérielle, le contrôle parlementaire sur
l’exécutif qui oblige les ministres à une présence régulière devant les
assemblées, leur permettent d’avoir une grande autonomie par rapport
au pouvoir politique. Ils assurent en quelque sorte la continuité de l’État.
La République gaullienne et la République pompidolienne, apogée de
l’expansion française, marquent, par exemple, le rôle des « corpsards » issus non de l’ENA mais de l’élite de l’Ecole polytechnique (Corps des Mines,
Corps des Ponts et Chaussées…). Ces techniciens voient paradoxalement
dans les entreprises nationalisées un « refuge » pour des valeurs traditionnellement « capitalistes » (audace, dynamisme, goût de l’innovation, liberté…) délaissées par des groupes familiaux figés dans le conservatisme.
Certains hauts fonctionnaires acceptent alors d’investir l’action politique dans des régimes qui reprennent les thématiques des modernisateurs : place privilégiée pour l’action de l’État, promotion du savoir technique et économique, rôle accru des experts, « ardente obligation1 »,
abaissement du rôle des parlementaires, lutte contre les intérêts particuliers, modernisation de l’agriculture, voire autoritarisme nécessaire pour
imposer ces mesures modernisatrices.
La figure de Pierre Guillaumat illustre le parcours de cette génération de
serviteur de l’État. Ingénieur du Corps des Mines, ancien dirigeant des
1. L’obligation de reconstruire la France, de la moderniser et de refonder la démocratie.
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services de renseignement de la France Libre (BCRA), Guillaumat est l’un
des dirigeants du Commissariat à l’énergie atomique tout en dirigeant
EDF. Cette double casquette en fait l’un des pères de la Bombe atomique
française comme du choix de l’électricité d’origine nucléaire. Ministre de
la défense de 1958 à 1962, il est alors le serviteur zélé de la politique
gaullienne lors de la Guerre d’Algérie. Il devient ensuite le dirigeant emblématique du pétrolier Elf dont on connaît les liens ambigus avec l’État
français et les leaders africains.
Avec la Cinquième République, cette haute fonction publique, si l’on ajoute les
agrégés issus de l’Ecole normale supérieure, fournit aussi une part non négligeable du personnel politique au plus haut niveau de l’État (30 % des ministres
de 1958 à 1975). Si durant la Quatrième République, la carrière ministérielle
débute toujours au Parlement, il n’en est plus de même après 1958 dans laquelle on commence par être ministre ou secrétaire d’État avant d’être élu. Tel
est le cas pour Georges Pompidou, Jacques Chirac, Valery Giscard d’Estaing et
plus récemment Dominique de Villepin. C’est aussi dans les cabinets ministériels ou auprès des Présidents de la République que se forgent les carrières
politiques de ces commis de l’État : Édouard Balladur auprès de Georges Pompidou, Jean-Louis Bianco et Hubert Védrine auprès de François Mitterrand, ou
encore le même Dominique de Villepin auprès de Jacques Chirac. Cependant
cette proximité entre le pouvoir politique et la haute fonction publique n’efface
pas les tensions potentielles entre pouvoir politique et administration. En 1983,
le Premier ministre socialiste Pierre Mauroy s’oppose au tournant de la rigueur
et aux options davantage libérales que les dirigeants de son cabinet, du Trésor
et du ministère de l’économie, parmi lesquels Jean Peyrelevade ou Michel Camdessus, veulent imposer. Ces derniers l’emportent en finissant par convaincre
Jacques Delors, ministre de l’économie et surtout le Président Mitterrand.
Les Trente Glorieuses marquent donc non seulement l’apogée de la
haute fonction publique mais aussi la fusion entre le pouvoir administratif et le pouvoir politique par l’intérêt de plus en plus marqué des commis
de l’État pour les fonctions parlementaires et ministérielles. On peut dire
que l’État s’institutionnalise au nom de la compétence, de la rationalité,
de la modernité au détriment de parlementaires accusés d’être les représentants de pouvoirs locaux ou d’intérêts particuliers. Or c’est justement
cette tendance à la domination de cette technostructure qui participe
d’une critique majeure de l’État par la société française.
B
L’État problème
1. Une crise de la représentativité ?
Cette mainmise de la haute fonction publique sur la République est l’un
des grands griefs retenus contre l’État. Il est souvent reproché à la haute
administration, et donc aux ministres et élus qui en sont issus, de se comporter en une caste d’hommes et de femmes d’un niveau exceptionnel,
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d’une élite sûre d’elle-même, plongée dans l’abstraction, dominatrice,
qui n’écoute guère, mais qui connaît mal les problèmes. Cette critique
s’accompagne de celle du faible renouvellement des élites. En effet, depuis sa création, l’ENA n’a cessé de voir chuter les effectifs d’élèves issus
du monde des ouvriers ou des agriculteurs. Il en est de même pour les
polytechniciens, dont les élèves issus du monde du travail représentent
50 % des effectifs contre moins de 20 % au tournant du XXI° siècle.
Le maintien du monopole de Sciences Po, établissement de droit privé,
comme point de passage obligé vers l’ENA, ancre la dimension élitaire2de
la haute fonction publique. Dès 1968, Jean-Pierre Chevènement sous le
pseudonyme de Mandrin rédige un pamphlet dénonçant une école tout
juste bonne à former les « intendants du néocapitalisme ». Le Club Jean
Moulin fondé par S. Hessel, F. Bloch-Lainé, Cl. Alphandéry et J. Delors,
véritable boîte à idées de la gauche non communiste se demande « s’il
est raisonnable que quelques grands concours organisés pour de très
jeunes gens […] déterminent de façon exclusive et définitive ceux qui
présideront aux destins de l’État leur vie durant ».
Issue des élites, la haute fonction publique est aussi en lien constant
avec le monde des affaires notamment par le système du pantouflage*
dans le secteur privé. Outre cette tendance à la fusion des pouvoirs politiques, administratifs et économiques, la faible représentation des minorités visibles, la surreprésentation masculine, le cumul des fonctions
– notamment des mandats électoraux et des fonctions ministérielles –
sont aujourd’hui de plus en plus mal ressenties par les citoyens.
L’analyse doit cependant être nuancée. La haute fonction publique est le
plus souvent compétente, consciente de sa mission, ouverte à la modernité. Jusque dans les années 1970, l’enseignement diffusé à l’ENA faisait la
part belle à la pensée keynésienne voire à la critique marxiste de l’économie de marché. La proximité avec le monde des affaires n’est pas son apanage. Certains politiques – comme le Président Sarkozy ou le Président
Mitterrand – qui n’en sont pas issus, ne cachent pas leurs liens avec de
grands capitaines d’industrie. Il a toujours existé des industriels parmi les
élus comme les Dassault père, fils et petit-fils, qui n’avaient pas de lien
direct avec le service de l’État (même s’ils en sont les fournisseurs). Enfin,
sous la V°, on compte presque autant de Premiers ministres issus de la
haute administration que de Premiers ministres étant passés par d’autres
cursus parfois bien plus modestes, comme Pierre Mauroy, Professeur
d’enseignement technique, ou l’ancien cheminot Pierre Bérégovoy.
2. U
ne tradition anti-étatique parfois ancienne
renouvelée à l’aune de la modernité
Même si la relative emprise de l’État sur la vie sociale a été acceptée
et est encore défendue par la majorité des Français, celui-ci a toujours
été la cible d’une tendance à la « rébellion française » contre les agents
2. Propre à une élite.
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de l’État et la pression fiscale, remontant souvent à l’Ancien régime :
révolte locale contre les fermiers généraux levant l’impôt au nom du
roi, les faux-sauniers (Mandrin) en guerre contre les gabelous. Au XIX°
siècle, les villages chassent les « rats de cave » chargés de percevoir les
droits sur les vins. Des traditions ou des idéologies antiétatiques très
structurées précèdent la Révolution française. Ainsi lors des Guerres de
religion s’est développée dans les milieux ultra-catholiques de la Ligue
une théorie justifiant le tyrannicide contre un roi impie ou protestant.
Au XVII° et XVIII° siècle, les révoltés de la Fronde, puis des penseurs du
politique comme Fénelon ou Boulainvilliers stigmatisent la monarchie
administrative et les théories absolutistes au nom d’un État idéal fondé
sur des corporations*, les juges des Parlements ou encore les grands
féodaux au détriment de l’État central.
On retrouve en partie cet héritage dans certains aspects du Régime de
Vichy mais aussi après la Deuxième Guerre mondiale dans la critique
qu’apportent certains tenants de la décentralisation qui ont pu être
proches de l’idéologie pétainiste. C’est le cas du géographe Jean-François Gravier qui, dans son ouvrage Paris et le désert français, s’attaque,
outre à la macrocéphalie parisienne, à la centralisation multiséculaire du
pouvoir à Paris. Au travers de celle-ci, c’est l’État – souvent qualifié à tort
de « jacobin » — qu’on accuse indirectement, d’uniformiser la France, de
refuser la différenciation-notamment les identités locales, de mépriser
les corps intermédiaires, de se complaire dans l’égalitarisme, de verserpar la laïcité – dans l’athéisme – , bref de diluer l’essence d’une France
éternelle et immuable.
La crise poujadiste (1953-1957) est en partie héritière de cette tradition. En juillet 1953, Pierre Poujade, un libraire papetier de SaintCéré (Lot), conseiller municipal RPF, proche de l’extrême-droite durant sa jeunesse mais vétéran de la France Libre, fonde un comité de
résistance des commerçants contre les contrôles fiscaux des agents
du Trésor. Le succès local de son initiative l’amène à créer l’Union de
défense des commerçants et artisans. Le mouvement marqué par des
actions contre les agences du Trésor public, par les meetings dans
lesquels Poujade use de ses talents d’orateur pour servir un discours
antifiscal, « anti-gros », antiparlementaire, hostile à l’État, séduit
jusqu’à 200000 adhérents. L’UDCA rassemble les couches moyennes
traditionnelles fâchées avec la modernité : artisans, commerçants,
boutiquiers, agriculteurs, viticulteurs du midi, bouilleurs de cru dont
Mendès-France menace les privilèges. Le poujadisme est donc surtout celle d’une résistance sociale à la modernisation, d’une « mobilisation des exclus et rejetés de la croissance » (J.P. Rioux) qui veulent
défendre la structure traditionnelle de l’économie française. Il cristallise les frustrations de ceux qui sont pris entre l’État providence, la
grande entreprise industrielle et un mouvement ouvrier à son apogée.
La rhétorique « anti », l’exaltation de la vraie France, celle du « ballon
de rouge » contre l’invasion du Coca-Cola, la défense de l’Algérie française et les relents antisémites des discours de Poujade vont notamment séduire des éléments d’extrême-droite. Malgré l’écroulement
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du mouvement en 1958, son fonds de commerce va être entretenu
par des mouvements syndicaux de commerçants anti-fiscaux des
années 1970 comme le CID-UNATI ou dans les programmes du Front
National, parti d’extrême-droite fondé par l’ancien député poujadiste
Jean-Marie Le Pen.
À l’autre bord de l’échiquier politique, la tradition révolutionnaire, d’inspiration anarchiste ou bolchevique, marque aussi leur défiance face à
l’État, y compris dans sa dimension sociale. Au nom du refus intégral du
capitalisme, de l’internationalisme, les mouvements d’extrême-gauche
comme l’UCI (généralement nommé Lutte ouvrière) ou les anarchistes
du CNT rejettent tout compromis avec l’« État bourgeois », aussi social
soit-il. Le plus souvent exprimée de manière pacifique, cette idéologie
a pu rencontrer la violence dans les années 1970-1980, au travers du
mouvement terroriste « Action directe » à l’origine de 80 attentats ou
assassinats sur le territoire.
3. L’État en question
La Guerre d’Algérie (voir ce chapitre), les violences couvertes ou initiées
par la République à l’encontre des partisans de l’indépendance européens ou algériens ont dès les années 1950 amené un certain nombre
d’observateurs, journalistes, intellectuels à s’interroger sur la place de
la violence dans l’exercice de l’État, aussi démocratique soit-il. L’écroulement du mythe résistancialiste dans les années 1970, suite aux travaux de Robert Paxton sur l’État français entre 1940 et 1944, aux enquêtes menées par les journalistes de l’Express et du Canard Enchaîné
sur les fonctionnaires de Vichy (Papon, Bousquet, Darquier de Pellepoix)
ont renforcé ses interrogations sur la genèse de ces crimes contre l’humanité.
Maurice Papon ancien fonctionnaire de la préfecture de Bordeaux,
complice de la déportation de plusieurs dizaines de Juifs girondins, a
ainsi poursuivi sa carrière comme Préfet de Police de la Seine sous le
Général de Gaulle puis comme ministre du Budget de Valery Giscard
d’Estaing. Complice de la violence génocidaire nazie, acteur de l’antisémitisme d’État du Régime de Vichy, Papon poursuit sa carrière au
service de l’État dans le cadre de la République et de la démocratie. Ni
antisémite, ni particulièrement raciste, Maurice Papon sert l’État, sans
aucun questionnement, ni éthique, ni sur la nature de cet État, et se
rend alors complice de crimes commis en son nom. C’est en 1995, lors
des commémorations de la Rafle du Vel d’Hiv (juillet 1942) que Jacques
Chirac reconnaît la responsabilité et la complicité de l’État dans le génocide des Juifs de France durant l’Occupation : « La France, patrie des
Lumières et des Droits de l’Homme, terre d’accueil et d’asile, la France,
ce jour-là, accomplissait l’irréparable. Manquant à sa parole, elle livrait
ses protégés à leurs bourreaux. »
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Cette parole a d’autant plus de poids qu’elle est tenue par celui que les
institutions placent comme garant de l’unité de la nation, le Président de
la République. C’est en partie à cause de cette position institutionnelle
que les hommes qui s’étaient succédés à la tête de l’État ont longtemps
refusé de reconnaître la responsabilité de l’État dans les actes du Régime
de Vichy. Or la V° République et l’élection du Président de la République
au suffrage universel direct ont placé le Président de la République en
véritable monarque républicain. Aucun chef d’État démocratique au
monde ne possède les pouvoirs du Président français (pouvoir de dissolution de l’Assemblée nationale (art 12), pouvoirs spéciaux pour 6 mois
(art 16), « domaine réservé » de la diplomatie, des forces armées, nomination aux emplois publics). Si la pratique de la cohabitation initiée en
1986 par François Mitterrand a montré la plasticité des institutions, elle
n’a pas remis en cause la prééminence du pouvoir exécutif sur le pouvoir
législatif : le gouvernement préserve l’essentiel de l’initiative des lois, le
système majoritaire des élections législatives assure une majorité stable
et soumise au gouvernement. La réforme du quinquennat en 2000, renforce encore cette tendance en faisant coïncider les échéances présidentielle et législative.
De même la séparation et l’équilibre des pouvoirs ne sont en rien garantis par un équivalent au système de check and balance américain (élections législatives à mi-mandat, cour suprême nommée à vie…).
Enfin la relative faiblesse des contre-pouvoirs (presse écrite et audiovisuelle, tissus associatifs…), la complexité des procédures de saisine
des cours de justice compétentes, ne permettent pas toujours d’exercer un contrôle efficace face aux égarements des politiques. Chaque
mandat a ainsi montré des atteintes aux principes républicains au plus
haut niveau de l’État : affaire Ben Barka, affaire Chalandon, affaire des
« Avions renifleurs », affaire « des écoutes téléphoniques » de l’Elysée,
affaire Elf, affaire du financement occulte du RPR, affaire Clearstream et
des attentats de Karachi. Malgré quelques réformes sous le mandat de
Nicolas Sarkozy (nomination d’un membre de l’opposition à la tête de
la Cour des Comptes, quinquennat non renouvelable…), le questionnement légitime des citoyens face à la probité des serviteurs de l’État —
voire à leur compétence face aux destructions sociales des crises économiques — tend à se transformer en une défiance face au fonctionnement
démocratique et à la classe politique dans son ensemble. Cette défiance
se concrétise dans une hausse sensible de l’abstention lors des élections, voire de l’ancrage d’un vote d’extrême droite depuis plus de vingt
ans dans un contexte intellectuel qui fait de l’État un frein à la réforme et
à la prospérité.
4. La révolution libérale
Les vingt-cinq dernières années ont vu les commentateurs et les tenants
de la modernité passer de la célébration à la réprobation de l’État.
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Dès les années 1970, les questions sur l’État-Providence se multiplient.
La question se pose de son financement et de son efficacité dans une
société qui vieillit et qui voit le chômage se développer. La question
d’une philosophie de la solidarité qui y préside dans une société de plus
en plus individualiste (que l’État-Providence a permis par l’accès d’une
majorité à la société de consommation). L’autre question récurrente est
celle de l’adaptation des entreprises publiques face à l’abaissement du
protectionnisme industriel et commercial.
Les échecs des politiques de relance économique et sociale face à la
crise des gouvernements Chirac (1974-1976) puis Mauroy (19811983) favorisent la diffusion des idées néolibérales. Les États-Unis et
le Royaume-Uni du milieu des années 1970 voient émerger avec les figures de l’économiste Milton Friedman, du théoricien George Gilder ou
encore du philosophe et économiste autrichien Friedrich Hayek, des programmes politiques balayant l’État-Providence. La conservatrice Margaret Thatcher au Royaume-Uni et le républicain Ronald Reagan aux ÉtatsUnis remettent ainsi en cause les programmes d’assistance aux plus
démunis, dérégulent l’économie et privatisent une grande partie des
secteurs publics. Fondée sur l’idée que l’« État est le problème », que
la pauvreté est d’abord un « état d’esprit », que l’assistance détruit le
potentiel de ceux qui en bénéficient, qu’elle doit s’appliquer – comme la
charité paternaliste du XIX° siècle — selon des critères de moralité, cette
idéologie gagne une partie du monde politique français. L’État est désormais perçu comme un frein, une rigidité, un anachronisme. Ses serviteurs apparaissent comme des privilégiés protégés de la concurrence et
donc de l’émulation et de l’efficacité. Il doit se désengager pour laisser
s’appliquer la « loi naturelle de l’économie » fondée sur le libre-échange,
la libre concurrence, la loi de l’offre et de la demande. Il doit cesser de
faire peser le poids de l’impôt sur les entrepreneurs, faire preuve de rigueur budgétaire et limiter son rôle à celui de garant de l’ordre social et
politique.
Cette révolution libérale a bien sûr séduit une partie de la droite française. Le gouvernement Chirac (1986) se lance dans une vaste campagne de privatisation des entreprises publiques, tandis que celui
d’Edouard Balladur (1993) applique une politique d’austérité. La
gauche française s’est en grande partie adaptée à cette révolution
idéologique. C’est la loi Bérégovoy (PS) de 1986 qui entame le processus de déréglementation financière en France. La libéralisation des
marchés financiers est finalisée entre 1988 et 1990 sous le gouvernement Rocard (PS). C’est le gouvernement socialiste de cohabitation
(1997 – 2002) qui poursuit la privatisation de nombreuses entreprises
dont l’État restait actionnaire, tandis que son chef Lionel Jospin, prononce devant des militants syndicaux de l’entreprise Michelin inquiets
face à une vague de licenciements que « l’État ne peut pas tout. » Doiton désormais conclure que les politiques ont renoncé à tout clivage
face à l’exercice de l’État ?
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C
L’État dépassé ?
1. É
tat de droite, État de gauche :
un clivage encore pertinent ?
L’attachement à un État interventionniste et régulateur n’est pas strictement inscrit dans le patrimoine génétique des gauches.
Longtemps attaché au marxisme, héritières des échecs des tentatives
de République sociale de 1848, de la Commune (1871) et du bolchevisme, les gauches socialiste et communiste françaises perpétuent, au
moins dans le discours. Jusqu’au Front Populaire (1936), l’idée est que
rien n’est à attendre de l’État bourgeois, en envisageant sa destruction.
Dans les faits, s’appuyant sur les positions de Jean Jaurès qui inspirent
le réformisme de la SFIO et l’évolution tactique du Parti communiste à
partir des années 1930 (abandon de la doctrine « classe contre classe »
bolchevique face à la poussée fascistes en Europe), ces mouvements finissent par percevoir l’État comme modérateur des inégalités de classe
par la redistribution et le service public et un moyen pour parvenir progressivement à la « société idéale » sans classe.
Un certain nombre d’héritages contribuent à enraciner dans la mémoire
des gauches l’idée que le changement de la société passe par le contrôle
de l’État : le souvenir de l’An II et du jacobinisme, les mesures sociales
de la Deuxième République, les libertés obtenues sous la III° République (lois scolaires, droit syndical, liberté d’association, laïcité) puis
l’expérience du Front Populaire (accords de Matignon, congés payés, 40
heures de travail hebdomadaires), l’idée de la supériorité absolue de
la souveraineté du peuple dans le cadre des constitutions de 1870 et
1946, le programme du CNR plus récemment les 39 puis 35 heures de
travail hebdomadaires en 1981 et 1998.
Inversement l’État de droite ne se définit pas uniquement dans une perspective libérale.
Les droites françaises hésitent en permanence entre deux points de vue
opposés : d’une part la défense de l’étatisme et d’autre part la revendication du libéralisme.
Les dernières années montrent à quel point l’État est l’« endroit symbolique où se rencontre la contradiction des droites au pouvoir ». Les mandats de J. Chirac et de N.Sarkozy montrent que l’État est à la fois ce qu’il
faut (ô combien pour ces deux hommes) conquérir, contrôler, protéger,
réaffirmer mais aussi réformer, réduire, privatiser…
Si l’on classe le gaullisme historique – romantique ? – et ses partisans
(Nicolas Dupont-Aignan, Dominique de Villepin) parmi les droites (ce qui
est un enjeu de débat entre historiens et ce que refusait de Gaulle au
nom du rassemblement), celui-ci apparaît clairement comme étatiste*.
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L’État fort, creuset de la souveraineté nationale, est à la fois la condition
indispensable à la grandeur, l’indépendance de la France et le moyen
d’assurer prospérité et progrès social et de préserver autorité et unité.
L’État doit être stable, représentant le rassemblement des Français autour du chef de l’État.
Pour les libéraux, l’État doit être minoré afin de préserver les libertés et
notamment les libertés d’entreprendre, de travailler, de posséder. L’État
est source de pesanteur et de contraintes par sa fiscalité, sa bureaucratie, le statut de ses serviteurs qui nuit à ses performances. L’État doit être
plus efficace, plus économique, se limiter à ses fonctions régaliennes
(justice, police, armée). Cette famille idéologique, pourtant présente dès
la Révolution française et la monarchie de Juillet, a toujours été minoritaire au sein des droites françaises. Longtemps représentées par des
hommes issus des rangs de l’extrême-droite ralliés aux majorités conservatrices (G. Longuet, A. Madelin), la droite libérale est toujours apparue
– à tort – comme une greffe exogène issue du modèle anglo-saxon.
Les droites françaises lorsqu’elles sont au pouvoir, sont en fait à la
recherche d’une voie entre le tout État et le sans-État. Les expériences
libérales de J. Chirac en 1986 et la rhétorique de rupture avec l’État de
Nicolas Sarkozy se sont concrétisées par la privatisation de nombreuses
entreprises pour le premier et par la politique de RGPP (révision générale
des politiques publiques) visant notamment à baisser les effectifs de la
fonction publique pour le second. Cependant ces volontés libérales n’ont
pas résisté à l’épreuve des faits lors du Krach boursier de 1987 et lors
de la crise financière de 2008. L’un comme l’autre n’ont alors pas hésité
à faire intervenir l’État et les investisseurs institutionnels (entreprises à
participation publique, Caisse des Dépôts…) dans le champ économique
pour soutenir les marchés ou le secteur bancaire.
« Au cours de notre histoire, droite et gauche ne se définissent pas par
des contenus de programme mais par des constantes de positionnement
dans des affrontements variables de programmes ». René Rémond, rénovateur de l’histoire politique en France, montre ainsi qu’un même thème
a pu être défendu par des courants politiques opposés pour des objectifs
différents. Autrement dit que ce sont les cultures politiques qui priment
plus que les moyens de les exprimer. Cela s’applique à la place de l’État
dans les discours de droite comme de gauche. Certains historiens vont
encore plus loin faisant de l’opposition droite/gauche sur la question de
l’État une simple question de rhétorique face à la longue durée de l’État
depuis le Moyen-Âge. Jaurès estime que Bonaparte a subi une double
défaite : défaite militaire et politique avec la chute de son régime autoritaire et bourgeois incarné par ses institutions. Pourtant, deux siècles
plus tard, on doit constater la santé des institutions napoléoniennes :
administration préfectorale, banque de France, Cour des comptes,
conseil d’État. À aucun moment, la gauche au pouvoir (1936, Libération, 1981, 1997) n’a pas modifié en profondeur l’appareil d’État. À la
Libération, le rétablissement de l’État dans un pays désintégré, prime
au point de permettre un accord entre communistes et de Gaulle en
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vue du rétablissement de l’État avec la dissolution des milices patriotiques
communistes, l’installation de commissaire de la République dans les
régions, l’encadrement de l’épuration, l’établissement des Compagnies
Républicaines de Sécurité (CRS). L’arrivée de la gauche au pouvoir en 1981
ne s’accompagne pas d’une « révolution administrative ». Même si l’on
voit apparaître quelques militants politiques ou syndicaux émerger. Si on
assiste aussi à une série de nominations dans les entreprises publiques
d’hommes proches du nouveau pouvoir, les organes de direction de la fonction publique restent aux mains d’hommes issus des mêmes viviers.
La droite au pouvoir, au moins jusqu’à 2007, n’a pas de remis en cause
les règles implicites qui régissent la marche de l’appareil d’État qui font
de plusieurs administrations centrales l’affaire de certains grands corps
de l’État, de l’ENA en particulier. Elle n’a pas remis en cause directement le statut des fonctionnaires* fondé sur la distinction du grade et
sur le paritarisme. Le premier principe garantit la sécurité de l’emploi du
fonctionnaire, le protégeant, en principe, de toute pression politique et
préservant le service de l’État du népotisme. Le second principe permet
une cogestion des carrières (mutation, avancement) dans la fonction
publique entre les syndicats et l’État soulageant de fait le premier d’un
coût énorme dans la gestion du personnel.
Aujourd’hui, le clivage à propos de la fonction publique se cristallise
sur le droit de grève des fonctionnaires, leur mode de rémunération et
d’avancement, le poids des effectifs… Alors que le cadre de l’Union Européenne devient la référence pour la majorité du cadre législatif, que
la mondialisation remet en cause la pouvoir des États, et tandis que
gauche et droite ont accepté les processus de déconcentration et de
décentralisation de l’administration, la référence reste le modèle bonapartiste d’un État pyramidal. C’est cette rigidité qui amène certains à se
demander si l’échelle de l’État n’est pas une échelle dépassée.
2. L’État : une échelle de décision dépassée ?
➠ Décentralisation et déconcentration : une concurrence infranationale à l’État
Depuis 1982, la France connaît deux processus parfois distincts, souvent simultanés : la décentralisation et la déconcentration. Selon le
législateur, « la décentralisation vise à donner aux collectivités locales
des compétences propres, distinctes de celles de l’État, à faire élire leurs
autorités par la population et à assurer ainsi un meilleur équilibre des
pouvoirs sur l’ensemble du territoire. La décentralisation rapproche le
processus de décision des citoyens, favorisant l’émergence d’une démocratie de proximité. La déconcentration est une notion bien distincte ;
elle vise à améliorer l’efficacité de l’action de l’État en transférant certaines attributions de l’échelon administratif central aux fonctionnaires
locaux, c’est-à-dire aux préfets, aux directeurs départementaux des services de l’État ou à leurs subordonnés. »
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La décentralisation est sans doute la réforme la plus profonde que la
France ait connu depuis l’après-guerre, dans le sens où ses effets ont
été irréversibles et que, si elle a été initiée par la gauche en 1982, elle
a été poursuivie et approfondie depuis 30 ans malgré les alternances
politiques gauche/droite. Il faut dire que la décentralisation, répondant
à la promesse de gauche de promouvoir l’égalité entre les territoires,
d’élargir la démocratie à tous les échelons de la nation au détriment des
représentants de l’État (les préfets), a d’abord profité, dans un premier
temps, à des notables, majoritairement de droite, héritier d’une tradition
politique hostile à une centralisation par trop jacobine et révolutionnaire.
Cette réforme rompt en effet avec la tradition française de centralisation
entamée sous l’Ancien Régime et consolidée par la Révolution et surtout par l’épisode napoléonien. L’acte I de la décentralisation promulgué par la loi de mars de 1982, est l’œuvre de Gaston Deferre, ministre
de l’intérieur, et de Pierre Mauroy, Premier ministre. Maires à l’échelle
des communes, présidents des conseils généraux à l’échelle des départements, présidents des conseils régionaux, reçoivent l’intégralité du
pouvoir exécutif détenu jusque-là par les préfets. Le pouvoir de contrôle
de ces derniers ne peut s’exercer qu’a posteriori, même si les préfets
conservent la mainmise sur la police et l’ordre public. Les collectivités
locales se voient désormais confier des tâches jusque-là réservées à
l’État : action sociale et gestion des collèges pour les départements,
formation professionnelle, construction des lycées, aménagement du
territoire pour les régions. Des Chambres régionales des comptes, composées de magistrats, veillent à la régularité des dépenses des collectivités territoriales. La loi constitutionnelle du 28 mars 2003 relative à
l’organisation décentralisée de la République consacre le principe de
décentralisation. Dans les faits les régions et les départements se voient
dotés de nouvelles prérogatives, notamment la gestion des personnels
non enseignants dans les établissements scolaires, celle de nouvelles
prestations comme celle sur la dépendance.
Parallèlement, l’État adopte le principe de déconcentration (lois de 1992)
des organes de décision de l’État central vers leurs relais aux échelles
régionales et départementales. Cette déconcentration s’accompagne de
mesures souvent symboliques visant à déménager des administrations
ou des institutions prestigieuses de Paris vers les capitales régionales :
déménagement de l’ENA à Strasbourg (1991), de l’Ecole Normale supérieure de Fontenay St Cloud à Lyon, plus récemment de l’INSEE à Metz.
➠U
ne concurrence supranationale à l’État : la construction européenne
Si le rôle de l’État central tend à s’effacer au profit de collectivités
d’échelle plus grande, celui-ci est aussi remis en cause, en même temps
que l’État-nation par la réussite et l’approfondissement de la construction européenne. Débutée dès les années 1950, sous la tutelle bienveillante des États-Unis, la construction européenne aboutit avec le Traité
de Rome à un « marché institutionnel » (J. Rueff), le « Marché Commun »,
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organisant le libre-échange de marchandises mais sans concurrence
sauvage, accélérant la coopération entre ses membres, posant implicitement les bases de l’intégration politique. La volonté gaullienne d’en
finir avec l’empire colonial peut s’expliquer aussi par sa volonté de
promouvoir la construction européenne. Il s’agit pour lui de construire
« une cathédrale » fondée sur la réconciliation franco-allemande, sur des
« piliers », la Communauté européenne, afin d’y « placer des arceaux et
le toit, c’est-à-dire la coopération politique » (de Gaulle au chancelier
Erhard, 1965). Le traité de l’Elysée signé avec la RFA en 1963, s’inscrit
dans cette philosophie. Extrêmement ambitieux, il prévoit une multiplicité d’accords de coopération dans l’enseignement et la diplomatie.
Cependant pour de Gaulle, l’Europe unie ne peut être que confédérale.
Il rejette toute forme de construction supranationale. Les institutions
communautaires sont des instruments techniques qui ne peuvent avoir
d’« autorité et d’efficacité politique ». Elle est un moyen pour la France
de maintenir son rang de puissance, son indépendance et ce d’autant
plus que la RFA n’a ratifié le Traité de 1963 qu’en réaffirmant son attachement à l’Alliance atlantique dominée par les États-Unis. La fin des
années 1960 est marquée par une série de tensions dans l’Europe
communautaire due à la position gaullienne. Le conflit sur les droits
de douane censés financer la Politique agricole commune (PAC) s’explique par le refus de transférer une part de la souveraineté nationale
(la Nation ou ses représentants sont censés consentir l’impôt) aux institutions européennes. Le veto à la candidature britannique s’explique
en grande partie par la volonté de s’émanciper de la tutelle américaine
alors que la France quitte le commandement intégré de l’OTAN : le
Royaume-Uni étant perçu comme le « cheval de Troie américain » dans
la Communauté. Malgré un bilan considérable, la personne même du
Général de Gaulle, sa position inflexible sur la place de l’État et la souveraineté nationale finissent par être un obstacle à l’approfondissement de la construction européenne. L’arrivée au pouvoir de Valéry Giscard d’Estaing (1974-1981) puis de François Mitterrand (1981-1995),
européens convaincus, vont contribuer, au-delà de profondes difficultés (PAC, position britannique, élargissement…) à relancer le processus européen. Les accords de Schengen (1985-1990), l’acte unique de
1986, le Traité de Maastricht (1992) sont des étapes définitives dans
le transfert de pouvoirs à un niveau supranational. Libre circulation des
biens, des capitaux et des personnes, création d’une monnaie (effective au 1er janvier 2002), d’une banque centrale européenne, harmonisation technique et législative, création d’une citoyenneté européenne
qui donne le droit de vote en France à des non-nationaux privent la
France de sa juridiction dans des secteurs essentiels de sa souveraineté. Le renforcement des pouvoirs de la Commission européenne, du
Parlement de Strasbourg et du Conseil de l’Europe et l’élargissement
de l’Union à 27, la possibilité de sanction en cas de non-respect des
règlements de l’Union, ont encore davantage empiété sur le rôle dévolu
à la République une et indivisible.
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Séquence 7 – HG00
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Questions
Complétez le tableau suivant à l’aide de vos recherches et de vos
connaissances.
Compétence de
Compétences exclusives Compétences partagées
de l’Union Européenne
UE/Etats
coordination UE/Etats
Réponses
Compétences exclusives de
l’Union Européenne
Compétences partagées
UE/Etats
Compétence de coordination UE/
Etats
la protection et l’amélioration
de la santé humaine ;
l’union douanière ;
le marché intérieur ;
l’établissement des règles de
concurrence nécessaires au
fonctionnement du marché
intérieur ;
la politique sociale, pour les
aspects définis dans le présent
traité ;
l’industrie ;
la cohésion économique,
sociale et territoriale ;
le tourisme ;
la politique monétaire pour les
États membres dont la monnaie l’agriculture et la pêche, à
est l’euro ;
l’exclusion de la conservation
la conservation des ressources des ressources biologiques de
biologiques de la mer dans le
la mer ;
cadre de la politique commune l’environnement ;
de la pêche ;
la protection des consommala politique commerciale com- teurs ;
mune
les transports ;
la culture ;
l’éducation, la formation
professionnelle, la jeunesse et
le sport ;
la protection civile ;
la coopération administrative.
les réseaux transeuropéens ;
l’énergie ;
l’espace de liberté, de sécurité
et de justice ;
les enjeux communs de sécurité
en matière de santé publique,
pour les aspects définis dans le
présent traité.
Aujourd’hui, même si aucune étude statistique n’a été menée, 50 à 60 %
de la législation nationale apparaît d’origine communautaire (chiffre
commission du Sénat 2002). Quant aux aides aux régions en difficulté
comme le Nord ou les espaces enclavés (Massif central), ou aux grands
projets d’infrastructures (TGV), ils sont financés par l’Union Européenne
à hauteur d’au moins 30 %.
Séquence 7 – HG00
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➠ La mondialisation contre l’État ?
Dans le contexte du triomphe néolibéral et de la chute de l’Europe soviétisée, le discours sur la fin de l’État et du cadre national a eu un fort écho
dans le monde médiatique et intellectuel. Le processus de mondialisation
fondé sur l’explosion des échanges de marchandises, la révolution numérique, la division internationale du travail, la diffusion du libre-échange
et l’élargissement du modèle capitaliste et libéral à une échelle mondiale
semble pour certains penseurs avoir engendré un effacement de l’État.
La France doit en effet faire face à de nouveaux acteurs qui remettent en
cause l’interventionnisme en terme économique. L’affirmation des firmes
transnationales (FTN) qui peuvent jouer sur les législations qui leur sont
les plus favorables a limité la capacité de l’État à orienter la politique
industrielle. L’effacement des frontières favorise aussi les processus de
délocalisation et le dumping social qui atteignent les restes de l’État-Providence en amenuisant ses ressources fiscales et en levant les contraintes
des entreprises en terme de droits du travail. La libre circulation des flux
de capitaux et la déréglementation des marchés financiers ont changé les
règles du jeu économique en faisant de ces marchés les acteurs majeurs
du financement des entreprises et des États. Ainsi le transfert du marché
des bons du Trésor français du Trésor public aux banques (1983-1985)
et l’interdiction faite aux Etats de se financer auprès des Banques centrales (Traité de Maastricht) ont rendu la dette publique française captive
d’intérêts (banque, entreprises) privés voire étrangers (56 % de la dette
française sont ainsi détenus par des non-résidents).
Ainsi contesté « par le haut », l’État est aussi contesté par le bas, notamment par l’affirmation d’Organisations non gouvernementales. Dès 1984,
l’affaire du Rainbow Warrior, navire de l’organisation Greenpeace en partance vers les sites d’essais nucléaires français en Polynésie, coulé en
Nouvelle-Zélande par les services de renseignements français, entraîne
une réprobation internationale au point de faire démissionner le ministre
de la Défense (Ch. Hernu) et de déstabiliser le gouvernement. Plus récemment, la reprise des mêmes essais nucléaires en 1995 entraîne un tel
tollé, qu’elle contraint le président Chirac à y renoncer et démanteler le
site d’expérimentation de Mururoa. Comme les autres États, la France doit
aussi faire face à l’émergence d’une « société civile » virtuelle via internet.
Les attaques récentes contre le site d’Hadopi (organe de régulation d’Internet mis en place par le Ministère de la Culture) et surtout le mépris affiché
par certains sites face aux menaces du Conseil constitutionnel en cas de
révélation, avant 20 heures, d’estimations des résultats à l’élection présidentielle de 2012 montrent que la mondialisation a engendré « a leak of
power » (une perte de pouvoir) pour l’État français.
Les effets de la mondialisation sur l’État sont d’autant plus mal ressentis en France que cet État est souvent perçu comme recours, protection,
qu’il participe pleinement de l’identité nationale (voir A, 1). La peur d’une
dilution de l’État dans la mondialisation s’accompagne de la montée d’angoisses qui recouvrent parfois la réalité : peur d’une prolétarisation face
à l’effacement d’un modèle social exceptionnel, recul de la démocratie-et
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Séquence 7 – HG00
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des choix politiques qui en sont issus – face aux pressions du marché,
appauvrissement de la langue par l’invasion d’un anglais « globish ». Ces
angoisses peuvent néanmoins déboucher sur des fantasmes caractéristiques d’une culture politique conservatrice voire réactionnaire, celle du
décadentisme (peur de la décadence) : perte d’une identité française supposée immuable au profit du multiculturalisme, fantasme de voir la France
envahie par des flots non contrôlés de populations étrangères inassimilables, perte des repères culturels au profit du mainstream (culture globale
ou culture de marché : séries, musique pop…)… Ces angoisses « début de
siècle » n’en expriment pas moins un « réel désir d’État » en France. C’est
peut-être là que réside l’exception française qui voit dans l’État-nation, la
principale solution à presque tous les problèmes.
3. L’État contre-attaque
En France, comme dans les autres États-nations structurés, l’État reste
un acteur majeur, y compris dans le contexte de mondialisation ou d’affirmation d’entités supranationales comme l’Union Européenne. L’État
reste un acteur clé au plan économique comme au plan politique. Le modèle national de capitalisme français même déstabilisé reste une réalité.
La relative cohésion sociale liée à des inégalités sociales modérées, la
qualité des services publics, notamment de transport, le niveau de formation de la main-d’œuvre, le faible coût de l’énergie assuré par des entreprises à forte participation étatique (EDF, AREVA), l’obtention d’avantages fiscaux sont des avantages comparatifs que les FTN prennent en
compte dans leur localisation. En 1997, la décision de Toyota de s’installer à Valenciennes au détriment de son implantation au Royaume-Uni est
notamment motivée par ces aménités3, sans compter le choix français
de s’inscrire dans la zone Euro et l’espace Schengen. La France demeure
encore aujourd’hui, et malgré la crise, entre le deuxième et le troisième
rang pour les investissements directs à l’étranger. L’État reste en France
un régulateur de conjoncture. Le poids des effectifs de la fonction publique dans l’emploi (20 % des emplois en 2008) permet le maintien
d’un tapis de consommateurs à même de maintenir la croissance. Les
commandes d’un secteur public, au poids souvent décrié, offrent aux entreprises françaises mais aussi européennes des débouchés non négligeables. De même chaque voyage officiel s’accompagne d’une série de
négociations et de contrats favorables aux entreprises françaises. Dans
le contexte de ralentissement économique, l’État est souvent appelé à
utiliser les leviers qu’il possède : investisseurs institutionnels, capacités
d’emprunts, fiscalité… La lutte contre le chômage, la gestion des plans
de licenciements ont de fait été menés de manière bien plus vigoureuse
par l’État que par un secteur privé qui en est généralement à l’origine.
Face à la crise financière de 2008, les banques françaises ont pu se refinancer grâce au crédit de 25 MM € accordé par le gouvernement.
3. Avantages apportés sur un espace déterminant la localisation d’une activité ou d’une institution.
Séquence 7 – HG00
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L’État reste, en France, le garant de l’indépendance nationale. Au plan
stratégique, la dissuasion nucléaire ne semble pas remise en cause. Lors
de la crise irakienne de 2003, l’opposition française à la volonté américaine de déclencher un conflit a été affirmée par Dominique de Villepin,
alors ministre des affaires étrangères, devant l’ONU, par un discours aux
accents gaulliens qui a rencontré le quasi unanimisme de la classe politique comme de l’opinion publique. Preuve de cet attachement à un État
« indépendant », le choix de Nicolas Sarkozy de rentrer, à nouveau, dans
le commandement unifié de l’OTAN, son alignement sur la stratégie américaine en Afghanistan, les coupes budgétaires subies par le Quai d’Orsay, ont inquiété les milieux diplomatiques mais aussi des politiques
de bords opposés. Le groupe Marly a ainsi exprimé publiquement, mais
anonymement, son regret de voir disparaître « la voix originale de la
France dans le monde. »
Qu’il s’agisse de la décentralisation, de l’intégration européenne voire
de la mondialisation, aucun de ces trois mouvements n’auraient existé
sans les choix de l’État. L’accélération définitive de la construction européenne au cours des années 1980, est d’abord le fait du rapprochement
franco-allemand scellé par F. Mitterrand et H. Kohl et de la nomination,
sous pression des deux chefs d’État, et celle de J. Delors à la Commission européenne. Le principe de subsidiarité permet toujours à la France
de limiter l’influence des décisions des instances européennes sur sa
législation La libéralisation des échanges à l’échelle mondiale reste le
produit de négociations, souvent tendues, entre États au sein de l’Organisation mondiale du commerce : la France a ainsi pu maintenir, dans les
années 1990, son exception culturelle en prenant la tête de 31 pays qui
en défendait le principe.
La décentralisation, quant à elle, a été engagée suite à une alternance
politique et c’est l’État qui en détermine la philosophie. En 1963, l’aménagement du territoire est confié la Délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale (DATAR) sur le principe d’égalité entre les espaces constituant la France. Entre 2005 et 2009, la DATAR se change en
Délégation interministérielle à l’aménagement et à la compétitivité des
territoires (DIACT) : désormais au principe d’égalité, l’État substitue le
principe de mise en compétition de territoires, acceptant la concurrence
de régions inégalement dotées en richesses, populations et activités.
Enfin, l’émergence de véritable féodalité de notables locaux (Georges
Frêche dans la région Languedoc-Roussillon…) dans le cadre de la
décentralisation relativisent la réputation d’inefficacité d’incompétence
voire de corruption de l’État central. D’autant plus qu’il est inscrit dans
l’esprit des Français comme le garant multiséculaire de l’intérêt général.
La crise financière, économique et sociale, qui s’est déclenchée en 2008,
a engendré un certain retournement intellectuel et politique. À l’économiste Alain Minc, qui dans les medias, quelques jours avant la tempête
boursière de l’été, vantait les capacités naturelles d’autorégulation du
capitalisme, ont succédé les tenants d’une intervention de l’État. Des
penseurs du protectionnisme comme Emmanuel Todd, d’économistes
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Séquence 7 – HG00
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keynésiens ou néo-marxistes comme Jacques Généreux, sont devenus
à nouveau audibles. L’action interventionniste du Président Sarkozy, le
plus libéral depuis 1958, face à la crise financière puis face à la crise
de la dette, s’est appuyée sur un discours « protecteur ». La campagne
électorale de 2012 voit ainsi l’État redevenir fréquentable, avec des candidats qui évoquent la renationalisation de secteurs clés. Doit-on alors
penser que la France et les Français sont décidément d’incorrigibles originaux dans le monde démocratique, qu’ils ne peuvent se départir de
leur « tendance traditionnelle à faire de l’État la machine à gérer et, si
possible, guérir tous les mots de la société ? » (S. Hoffman) La « révolution française » du rapport à l’État s’exprime peut-être davantage dans
les projets des candidats en matière de monétisation et de refinancement de la dette et des budgets, de défense et de diplomatie, d’environnement… qui sont désormais majoritairement pensées à l’échelle d’un
« super État européen » essentiel pour l’avenir de l’Europe et donc de la
France.
En guise de conclusion, l’actualité politique de la France en 2012…
On ne peut certes pas encore mesurer l’impact de l’alternance politique
née de l’élection de François Hollande le 6 mai 2012 (premier président
socialiste depuis François Mitterrand entre 1981 et 1995), suivie de la victoire législative de la gauche, sur la modification du rapport de la France à
l’État. On peut néanmoins se risquer à ébaucher deux tendances.
a) La référence à l’État, a été un leitmotiv dans le discours de l’ensemble
des candidats à la magistrature suprême. Le Front National, à l’extrême
droite, voit dans un État-Nation fort au plan régalien et replié sur luimême, l’unique solution face aux inquiétudes nées de la mondialisation et de l’intégration européenne, face aux destructions sociales de
la crise économique, à l’affaiblissement des services publics, à l’augmentation de la petite ou de la moyenne délinquance : retour au franc,
fermeture des frontières, discours sécuritaire (rétablissement de la
peine de mort)… Le président sortant, Nicolas Sarkozy qualifié pour le
second tour, a choisi de se rapprocher, au moins dans le discours, de
ce programme en stigmatisant les choix de la Commission européenne,
faisant la promotion d’une politique répressive au plan de l’immigration
– souvent assimilée caricaturalement à l’insécurité – voire d’une vision
réactionnaire de la nation. À gauche, le candidat Hollande, veut mettre
fin à la RGPP (Révision générale des politiques publiques) et à la politique du non-remplacement systématique d’un fonctionnaire sur deux,
reprendre le recrutement dans la police, la justice et l’enseignement. Au
nom de la « justice », mais aussi face à l’endettement massif de l’État, le
programme du candidat socialiste envisage une réforme de la fiscalité
(retour de l’ISF, renforcement de la pression fiscale sur les très hauts
revenus). Face à la crise économique, la mise en place d’une banque
dirigée par l’État doit être réalisée pour suppléer à la contraction du
crédit et relancer l’investissement industriel, notamment des PME.
Le nouveau président semble vouloir redonner à l’État un rôle de médiateur en faisant la promotion du dialogue entre partenaires sociaux
Séquence 7 – HG00
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ou usagers des services publics et fonctionnaires, au travers de rencontres comme la Conférence sociale du mois de juillet 2012.
b) Le discours inaugural de François Hollande lors de cette dernière
semble donner la ligne suivie par le Président et le gouvernement au
plan institutionnel. Tout en rappelant les lignes directrices de sa politique, il a laissé à son premier ministre Jean-Marc Ayrault et certains
de ses ministres la primauté des annonces ou des interventions dans
leurs différents domaines d’action. Si l’on ajoute que le parti présidentiel (Parti socialiste) et ses alliés maîtrisent l’ensemble des échelles
des décisions (le Parlement, la quasi-totalité des régions, la majorité
des départements et des grandes villes), on peut se demander si l’on
n’est pas revenu en 2012 à une pratique plus proche de la logique
gaullienne des institutions de la Ve République. Bref « une présidence
normale », dans laquelle le Président préside et le gouvernement
gouverne. Le Premier ministre se pose en chef de la majorité mais
aussi en responsable — et fusible potentiel – de la politique menée
par le gouvernement. Reste cependant à savoir si ces institutions bien
plus plastiques qu’on ne l’a cru, ayant résisté à la démission de son
fondateur, aux alternances politiques régulières depuis trente ans, et
à trois cohabitations, pourront prendre le tournant de la modernité
politique : intégration européenne, régénération du corps politique
(parité, ouverture aux minorités visibles, fin du cumul des mandats) et
surtout, reconquête de citoyens de plus en plus fâchés envers l’action
des politiques.
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Séquence 7 – HG00
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Glossaire
Centralisation
caractère d’un régime ou d’une politique où toutes les décisions sont
prises par un gouvernement central.
Collectivité
territoriale
(ou locale)
division administrative au-dessous de l’État (infra-étatique), dotée par
cet État central de compétences. En France, les collectivités territoriales
sont les communes, les départements, les régions, les collectivités
d’outre-mer ; leur rôle a été défini principalement par les lois de 1982,
2003 et 2010. Elles ont une assemblée élue, un budget.
Corporation
association d’artisans ou de marchands selon leur spécialité, dont
l’union avait pour but d’organiser la profession, par la réglementation de
la fabrication, de la vente… Nées au XVI° siècle, les corporations sont
supprimées par la Révolution Française (Loi Le Chapelier 1791), et rétablies un temps sous le Régime de Vichy.
Décentralisation
transfert de pouvoirs de l’État vers les collectivités territoriales. En
France, elle commence avec les Lois Defferre (1982) et se poursuit avec
les lois de 2003 et 2010.
Démocratie
sociale
démocratie (régime politique fondé sur la souveraineté populaire et les
principales libertés) où les droits sociaux (droit au logement, au travail,
à la santé, à l’éducation…) sont garantis.
Économie
dirigée/
dirigisme
système où l’État organise et contrôle l’économie de manière systématique (monnaie, salaires, investissements…), de manière autoritaire
dans les dictatures, et concertée dans les démocraties. La planification
et la nationalisation sont deux des outils du dirigisme.
Économie
mixte
économie où coexistent entreprises publiques et privées c’est-à-dire qui
combine économie dirigée et économie de marché.
État de droit
État dans lequel les activités des individus et des collectivités sont bornés par la loi, et donc où l’arbitraire n’existe pas.
État-gendarme
forme d’État où l’intervention de celui-ci se limite à la défense du territoire et au maintien de l’ordre social et politique.
ÉtatProvidence
État qui intervient pour corriger les inégalités sociales, par exemple par
le système redistributif (voir cette notion). Notion née au XIX° siècle,
mais dont le principe s’incarne dans les années 1930 aux États-Unis
(Welfare State) et surtout après 1945 en Europe Occidentale. Les Keyné-
Séquence 7 – HG00
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siens (voir ce mot) considèrent l’État-Providence comme un système efficace, dans la mesure où l’augmentation des revenus des plus pauvres
est un facteur stimulant la consommation et donc la croissance et le désendettement de l’État.
32
Étatiste
théorie selon laquelle l’État doit intervenir systématiquement (voir ÉtatProvidence).
Fonctionnaire
personne travaillant pour les services publics d’un État qui la rémunère
et en définit les statuts. À noter qu’un fonctionnaire peut aussi être employé à un niveau infra-national par les collectivités territoriales, ou supra-national, par exemple par l’Union Européenne.
Jacobinisme
expression définissant l’attitude politique marquée par une volonté
centralisatrice, censée se référer aux Jacobins de la Révolution Française.
Elle ne recouvre cependant que de manière caricaturale la réalité
historique de ce mouvement (les Jacobins sont par essence méfiants visà-vis d’un État centralisateur assimilé à la monarchie absolue et à l’Ancien Régime).
Keynésien/
keynésianisme
du nom de l’économiste anglais John Meynard Keynes, cette théorie est
fondée sur l’idée que la demande des consommateurs explique le niveau
de la production et de l’emploi. Par conséquent, elle cherche à stimuler
la consommation pour stimuler l’économie et suppose une politique
d’intervention de l’État.
Nation
(au sens « français », issu des Lumières et de la Révolution Française) :
ensemble des citoyens qui vivent en commun, de par leur propre consentement et de par la conscience de leur unité de langue, de culture….
Nationalisation
processus par lequel la nation devient propriétaire d’une entreprise, sa
gestion étant assurée par l’État. L’entreprise a une autonomie financière et
est soumise aux lois de la concurrence. La nationalisation s’oppose à la
privatisation, où l’on remet au secteur privé une entreprise nationalisée.
Pantouflage
fait pour tout fonctionnaire formé dans les grandes écoles, comme
Polytechnique ou l’ENA, de travailler pour une entreprise privée. Certains
reviennent ensuite au service de l’État (néo-pantouflage).
Parlementarisme
volonté d’élargir les pouvoirs du Parlement face au pouvoir exécutif. Plus
généralement, le parlementarisme ou régime parlementaire, est un régime politique où le Parlement prime sur les autres institutions, par
exemple, en ayant la possibilité de renverser le gouvernement.
Planisme
théorie née dans les années 30 selon laquelle la planification peut
modifier la société.
Séquence 7 – HG00
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Politisation
processus par lequel la politique devient l’affaire du plus grand nombre.
Les tournants majeurs dans la politisation en France sont les révolutions
de 1789 et de 1848, le suffrage universel et l’affirmation de la république
à la fin du XIX°.
Planification
organisation de projets économiques en fonction de plans dotés d’une
durée et d’objectifs à atteindre, ayant pour but de rationaliser le
fonctionnement économique d’un pays.
Privatisation
voir nationalisation.
Protectionnisme
protection d’un marché intérieur d’un pays de la concurrence étrangère,
par des mesures tarifaires, des restrictions quantitatives, une quantité
maximum importée. Il s’oppose au Libre-Echange.
Subsidiarité
principe visant à assurer une prise de décision la plus proche possible
du citoyen en vérifiant que l’action à entreprendre au niveau européen
est justifiée par rapport aux possibilités qu’offre l’échelon national,
régional ou local. Ce principe a été conçu pour rapprocher les lieux
décisionnels des citoyens et éviter l’éloignement des lieux de pouvoir. Le
flou de la définition laisse aux États un large pouvoir de décisions par
rapport aux directives européennes.
Supranationalité
caractère d’une décision ou d’une autorité émanant d’une organisation
fédérale ou confédérale et s’exerçant sur les gouvernements nationaux.
Système
redistributif
la répartition des revenus aboutissant à d’importantes inégalités, l’État
intervient pour redistribuer les richesses par le biais des impôts, dont
l’impôt sur le revenu qui est progressif (c’est-à-dire qu’il augmente avec
les revenus). L’État fournit de nombreux services et biens gratuits, verse
des subventions aux entreprises, fournit des aides aux ménages et verse
des prestations sociales. Le système redistributif s’incarne dans l’ÉtatProvidence (voir ce mot).
Séquence 7 – HG00
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2 L’échelle continentale
Le projet d’une Europe politique
depuis le Congrès de la Haye (1948)
Nota
les noms suivis d’un astérisque sont cités dans la biographie en fin de
chapitre.
Introduction
Dans le chapitre précédent, vous avez étudié un État-nation : la France.
Au XIX° siècle, beaucoup d’États naissent en Europe et nombreux sont
ceux qui pensent que l’État-nation est le cadre idéal de gouvernement.
Or, pendant la Première puis la Seconde Guerre mondiale, les États
européens s’affrontent. Après 1945, pour cesser les divisions, l’Europe
s’engage dans la construction d’une organisation politique, dépassant
le cadre de l’État-nation. Aujourd’hui, l’Union Européenne compte 27
États. Elle constitue l’association régionale la plus intégrée. Pourtant,
alors que sur le plan économique, elle a connu des avancées importantes, sur le plan politique, elle demeure encore un projet. La même
interrogation traverse toute l’histoire de la construction européenne : les
États peuvent-ils s’entendre pour, à l’échelle continentale, proposer une
forme de gouvernement qui dépasse le cadre de l’État-nation ?
Le chapitre qui suit sera consacré au projet de l’Europe politique, de ses
origines à ses enjeux actuels.
Problématique
Quelles sont, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les motivations des acteurs de la construction européenne ? Quelles sont les
différentes conceptions de l’Europe politique ? Comment concilier
intérêts nationaux et intérêt européen ?
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Séquence 7 – HG00
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Plan du chapitre : traitement
de la problématique
A- Origines et premiers pas de la construction européenne (1948-1957)
1- Pourquoi construire une Europe
unie ?
Notions clés
Intégration
Institutions
supranationales
Fédéralisme
Repères
Cerner le sens général
d’un document
Confronter des points de
vue différents
2- Le rôle des acteurs
3- Les premiers pas de l’intégration
– Le plan Schuman et la CECA
– Le rejet de la CED
B- Avancées et freins de la construction politique de l’Europe depuis
1957
Souverainisme
Europessimisme
Atlantisme
1- Le choix de l’intégration économique
et de l’élargissement
Différentes conceptions de l’Eu2- rope : Europe des États ou Europe
supranationale ?
3- Les institutions européennes
4- Quel bilan aujourd’hui ?
A
Origines et premiers pas de la
construction européenne (19481957)
1. Pourquoi construire une Europe unie ?
L’idée d’une Europe unie n’est pas nouvelle. La division de l’Europe, les
guerres dévastatrices ont alimenté de nombreux projets. L’idée européenne est affirmée à la fin des années 1920 et au début des années
1930 par quelques personnalités. La crise économique et la montée des
fascismes brisent cet élan.
À l’issue de la seconde guerre mondiale, le climat est favorable à la
renaissance de l’idée européenne. Les débats sur l’avenir de l’Europe
libérée du nazisme reprennent. Dès septembre 1946, Winston Churchill*, ex-premier ministre britannique, évoque la création des ÉtatsUnis d’Europe.
Le document suivant va vous permettre de comprendre dans quel
contexte particulier l’Europe voit le jour.
Séquence 7 – HG00
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Document 2
Robert Schuman justifie la création d’une Europe unie (avril 1951)
« Notre objectif est de réintégrer l’Allemagne dans le circuit productif et
économique des pays démocratiques. Les Français, dans leur grande
majorité, sont persuadés qu’il ne faut pas recommencer l’erreur commise au lendemain de la Première Guerre mondiale, c’est-à-dire nous
obstiner à chercher une garantie contre la revanche ou contre l’hégémonie allemande dans l’isolement de l’Allemagne, qu’on tiendrait enserrée
dans un système de restrictions et de prohibitions. […]
Dans un autre ordre d’idées, les nécessités de la défense des pays
libres d’Europe nous amènent à une conclusion identique. Ces pays se
trouvent placés devant un même danger : l’expansionnisme communiste. La présence russe au cœur de l’Europe et plus spécialement au
cœur de l’Allemagne, l’emprise brutale que le régime soviétique exerce
sur les populations et sur les économies des pays de l’Est ainsi que de la
zone orientale d’occupation, les menaces que font peser sur tout l’Occident l’agitation du Kominform4 et les prétentions russes, tout cela pose
les mêmes problèmes dans tous les pays situés à l’ouest de la Baltique
et de l’Elbe. Il faut à ces pays une politique harmonisée. […] »
Robert Schuman, Secrétaire d’État aux affaires étrangères
Questions
Quels sont les deux arguments avancés par Robert Schuman pour justifier la création d’une Europe unie ?
Réponses
Le premier argument avancé par Robert Schuman c’est qu’il est indispensable de réconcilier la France et l’Allemagne. L’Europe sort d’une guerre
dévastatrice. La condition première du maintien de la paix est la réconciliation franco-allemande.
Le deuxième argument est celui de la lutte contre l’expansionnisme communiste. Nous sommes en 1951, le monde est entré dans la guerre froide
et à l’est du rideau de fer, les démocraties populaires se sont alignées
sur le modèle soviétique (voir le chapitre du programme de première sur
la guerre froide). L’anti-communisme est bien présent à l’ouest. Robert
Schuman plaide pour le rapprochement des États de l’Ouest de l’Europe
pour contrer l’influence communiste et ancrer l’Europe de l’Ouest dans le
camp des démocraties libérales.
Après 1945, construire l’Europe apparaît comme une nécessité pour :
E
Empêcher le retour de la guerre et assurer la paix sur le continent. Pour
cela, la réconciliation franco-allemande est indispensable.
E
Lutter contre le communisme. En ce début de guerre froide, l’anti-communisme est bien présent à l’ouest de l’Europe. Les États-Unis sont
persuadés qu’une Europe occidentale unie est le meilleur rempart
4. le Kominform, créé en 1947 au début de la guerre froide, est l’organe de liaison et d’information des partis
communistes européens.
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Séquence 7 – HG00
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contre le communisme. D’ailleurs, les premières organisations rapprochant des États européens se font sous l’influence américaine : en
1948 est créée l’OECE, l’organisation européenne de coopération économique, dont le but est au départ de répartir l’aide du plan Marshall. En
1949, c’est la création de l’OTAN (organisation du Traité de l’Atlantique
Nord), qui soude militairement le bloc occidental.
Favoriser le développement et la prospérité économique. Le rapprochement des États européens apparaît comme un moyen d’assurer la
reconstruction d’un continent en ruine et de favoriser la croissance économique. Isolé, chaque État, dévasté et affaibli est incapable de retrouver son rang et de concurrencer la puissance économique des États-Unis.
2. Le rôle des acteurs
Quelques hommes (les « pères de l’Europe ») vont jouer un rôle clé dans
les débuts de la construction européenne : parmi eux, les français Jean
Monnet* et Robert Schuman*, l’italien Alcide de Gasperi, l’allemand
Konrad Adenauer*, le belge Paul Henry Spaak.
Un certain nombre de valeurs communes les rapprochent : l’attachement
à la démocratie libérale (libertés individuelles, souveraineté nationale,
multipartisme….) et à l’État Providence : s’ils défendent l’économie capitaliste fondée sur la propriété privée, ils veulent que l’État intervienne
dans l’économie, pour corriger les inégalités et accroître la production.
Ils se détachent donc du modèle soviétique en laissant une large place
à l’initiative privée mais aussi du modèle américain en donnant à l’État
un rôle important.
Le Congrès de la Haye en 1948
Le nouvel élan pour un projet européen aboutit à la réunion d’un Congrès
en mai 1948, à la Haye aux Pays-Bas. Il réunit près de 800 participants,
tous Européens convaincus : hommes d’États, philosophes, intellectuels…. , venus de 24 pays. De nombreuses idées y sont annoncées et
discutées. La difficulté de s’entendre sur un projet politique commun
émerge car différentes conceptions d’une Europe politique se font déjà
sentir (vous travaillerez dans la deuxième partie du cours sur ces différentes conceptions).
Le Congrès se termine sur un message aux Européens lu par Denis de Rougemont*. Il déclare notamment : « Tous ensemble, demain, nous pouvons
édifier […] la plus grande formation politique et le plus vaste ensemble
économique de notre temps. Jamais l’histoire du monde n’aura connu un
si puissant rassemblement d’hommes libres. Jamais la guerre, la peur et
la misère n’auront été mises en échec par un plus formidable adversaire ».
Suite à ce Congrès, un Conseil de l’Europe siégeant à Strasbourg voit
le jour en mai 1949. Limité au départ à 10 pays, ce Conseil sans réel
Séquence 7 – HG00
37
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pouvoir se donne pour mission de défendre les libertés et la démocratie. Il est à l’origine de la Convention européenne des droits de l’homme
adoptée en 1950.
Les années d’après-guerre voient donc un nouvel élan de l’idée
européenne, portée par quelques dirigeants convaincus. Dès le début,
les différences de conception s’affirment. Les premiers rapprochements
sont des organismes de coopération qui pour certains sont sous
l’influence des États-Unis.
Au début des années 1950, le projet européen prend une nouvelle
dimension avec le plan Schuman.
3. Les premiers pas de l’intégration européenne
a) Le plan Schuman et la création de la CECA (1951)
Document 3
La naissance de la CECA
Pour aller plus loin…
Dans votre moteur de recherches en mode vidéo, écrivez :
Ina traité CECA histoire d’un traité. Étudiez ce document. Il
est essentiel pour comprendre la base de la construction
européenne jusqu’à aujourd’hui. C’est un montage de documents
d’actualité qui présente les premières années de la CECA. Vous y entendrez
notamment un extrait du discours de Jean Monnet reproduit ci-dessous.
La création de la CECA (Communauté européenne du charbon et de
l’acier) en 1951 marque le véritable point de départ de la construction
européenne. Le projet conçu par Jean Monnet (commissaire au Plan) est
présenté le 9 mai 1950 par le ministre des Affaires Etrangères français,
Robert Schuman : voici quelques lignes de cette Déclaration :
« L’Europe ne se fera pas d’un coup, ni dans une construction
d’ensemble : elle se fera par des réalisations concrètes créant d’abord
une solidarité de fait. Le rassemblement des nations européennes exige
que l’opposition séculaire de la France et de l’Allemagne soit éliminée.
Dans ce but, le gouvernement français […] propose de placer l’ensemble
de la production franco-allemande de charbon et d’acier sous une Haute
Autorité commune, dans une organisation ouverte à la participation des
autres pays d’Europe. La mise en commun des productions de charbon
et d’acier assurera immédiatement l’établissement de bases communes
38
Séquence 7 – HG00
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de développement économique, première étape de la fédération
européenne, et changera le destin de ces régions longtemps vouées à
la fabrication des armes de guerre dont elles ont été les plus constantes
victimes ».
Il s’agit donc de mettre en commun les productions de deux matières
premières hautement symboliques : le charbon et l’acier. Six États
signent le traité instituant la CECA : la France, la RFA, le Luxembourg,
la Belgique, les Pays-Bas et l’Italie. Le plan Schuman est refusé par le
Royaume-Uni. La production est placée sous une Haute Autorité commune présidée par Jean Monnet.
L’analyse du document qui suit doit vous permettre de comprendre en
quoi la création de la CECA marque le point de départ de la construction
politique de l’Europe.
Document 4
Déclaration de Jean Monnet lors de la séance d’installation de la haute
Autorité du charbon et de l’acier (CECA), Luxembourg, 10 août 1952.
« Six Parlements ont décidé, après mûre délibération et à des majorités
massives, de créer la première Communauté européenne qui fusionne
une partie des souverainetés nationales et les soumet à l’intérêt commun. Dans les limites de la compétence qui lui est conférée par le traité,
la Haute Autorité a reçu des six États le mandat de prendre en toute indépendance des décisions qui deviennent immédiatement exécutoires
dans l’ensemble de leur territoire. Elle est en relation directe avec toutes
les entreprises. Elle obtient des ressources financières, non de contributions des États, mais de prélèvements directement établis sur les productions dont elle a la charge.
Elle est responsable, non devant les États mais devant une Assemblée
européenne. L’Assemblée a été élue par les parlements nationaux […].
Les membres de l’Assemblée ne sont liés par aucun mandat national ;
ils votent librement et par tête et non par nation. Chacun d’eux ne représente pas son pays, mais la Communauté entière. L’Assemblée contrôle
notre action. Elle a le pouvoir de nous retirer sa confiance. Elle est la
première Assemblée européenne dotée de pouvoirs souverains […].
Toutes ces institutions pourront être modifiées et améliorées à l’expérience. Ce qui ne sera pas remis en question, c’est qu’elles sont des institutions supranationales et, disons le mot, fédérales. »
Questions
1P
ourquoi peut-on dire que la Haute Autorité est indépendante des
États ?
2R
elevez la phrase qui définit le mieux ce que Monnet appelle « des
institutions supranationales, et, disons le mot fédérales »
3E
n conclusion, dites en quoi la CECA marque une étape décisive dans
la construction de l’Europe politique.
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Réponses
1 La Haute Autorité a reçu « le mandat de prendre en toute indépen-
dance des décisions qui deviennent immédiatement exécutoires dans
l’ensemble de leur territoire ». C’est l’organe exécutif de la CECA. Elle
dispose d’un budget propre. Elle n’est pas responsable devant les
États mais devant une Assemblée élue par les Parlements nationaux.
Chaque membre « ne représente pas son pays mais la Communauté
entière ».
2L
a CECA est une « Communauté européenne qui fusionne une partie
des souverainetés nationales et les soumet à l’intérêt commun ».
3A
vec la CECA débute un processus d’intégration et pas seulement
de coopération entre États. Les États renoncent à une partie de leur
souveraineté nationale au profit d’une institution commune. L’Europe
franchit donc un pas décisif au niveau politique.
Document 5
La signature du traité de Paris instituant la CECA.
Page de titre d’une brochure allemande de 1951 à l’occasion de la
signature du Traité de Paris instituant la CECA le 18 avril 1951. On
reconnaît le Français Robert Schuman et l’Allemand Konrad Adenauer. Les titres sont révélateurs
des interrogations de l’opinion
publique face à ce traité, cinq ans
après la fin de la Seconde Guerre
mondiale.
« Que se cache t-il là-derrière ? »
(Was steckt dahinter ?) « Questions et réponses à propos du PlanSchuman » (Fragen und antworten
zum Schuman-Plan).
© akg–images
b) Le rejet de la CED
Avec la CECA, les conceptions fédéralistes bien présentes au Congrès de
la Haye triomphent. Mais elles vont vite être mises en échec avec le rejet
de la Communauté européenne de défense (CED).
En 1950, face à la menace soviétique et dans un contexte de durcissement de la guerre froide, le président américain Truman propose de réarmer l’Allemagne. Le gouvernement français refuse mais suggère de créer
sur le modèle de la CECA une armée commune européenne de 100 000
hommes comprenant des allemands. Cette armée serait placée sous un
commandement supranational dépendant de l’OTAN.
40
Séquence 7 – HG00
© Cned - Académie en ligne
Les six membres de la CECA signent en 1952 le traité instituant la CED
(Communauté européenne de défense). Ce traité suscite de violents
débats en France et le Parlement rejette le projet en août 1954.
C’est une défaite pour les partisans de l’Europe fédérale. Le rejet de ce
projet montre bien qu’une partie de la classe politique et de l’opinion
publique est très attachée à la souveraineté de la France surtout dans le
domaine de la défense.
L’abandon de la CED aura des conséquences à long terme. Elle gèle pendant plus de 40 ans une politique européenne commune de défense.
Cette question est toujours d’actualité : l’Europe est-elle en mesure d’assurer elle-même sa défense ?
Dans les années 1950, la construction européenne semble piétiner. Le
climat n’est pas favorable à l’abandon des souverainetés nationales sur
le plan militaire comme politique. Les Européens convaincus comme
Jean Monnet pensent alors que la seule façon de faire avancer l’Europe
est la voie de l’intégration économique.
La priorité devient alors la construction d’un Marché Commun, les préoccupations économiques vont désormais l’emporter sur les préoccupations politiques.
B
Avancées et freins de la construction
politique de l’Europe depuis 1957
1. L
e choix de l’intégration économique
et de l’élargissement
En 1957, la signature des traités de Rome relance la construction européenne. Deux traités sont signés. L’un met en place une Communauté
économique européenne (CEE), l’autre une Communauté européenne de
l’énergie atomique (CEEA ou Euratom), qui elle, ne verra pas le jour.
La création d’un Marché commun est l’objectif principal. Il s’agit d’opérer le rapprochement progressif des politiques économiques des États
membres et de créer une vaste zone de libre-échange. Le traité signé par
les Six est ouvert à d’autres pays.
L’intégration économique va se poursuivre pendant les décennies suivantes non sans débats. Mais progressivement, les barrières douanières
tombent et sur le plan économique, l’Europe devient une réalité.
Parallèlement, le choix de l’élargissement est fait (voir chronologie). La
chute du communisme et l’ouverture du rideau de fer posent la ques-
Séquence 7 – HG00
41
© Cned - Académie en ligne
tion des limites orientales de l’Europe. Celle-ci fait le choix d’intégrer
les anciens États communistes d’Europe de l’Est. L’Union européenne
compte aujourd’hui 27 États et cet élargissement a suscité et suscite
encore de nombreuses questions quand à l’adaptation des institutions.
La chronologie qui suit récapitule les grandes étapes de l’approfondissement économique et de l’élargissement.
Pour aller plus loin…
Activité : Sur le site touteleurope.fr, vous trouverez une
chronologie interactive que vous pouvez consulter pour
approfondir le sujet (sur la page d’accueil du site, cliquez sur
« histoire »)
Document 6
25 mars 1957
Chronologie des principales étapes de l’intégration économique et de
l’élargissement de l’UE
Signature des traités de Rome (CEE et Euratom)
1962
Instauration de la Politique agricole commune (PAC)
1968
Réalisation de l’Union douanière entre les Six (un tarif douanier commun)
1973
Adhésion du Danemark, de l’Irlande et du Royaume Uni (Europe des Neuf)
1979
Instauration du système monétaire européen
1981
Adhésion de la Grèce (Europe des Dix)
1986
Adhésion de l’Espagne et du Portugal (Europe des 12)
1986
Adoption de l’Acte unique européen
1990
Réunification allemande suite à la chute du mur de Berlin
1992
Signature du traité de Maastricht qui prévoit notamment la création d’une
monnaie commune. La CEE devient l’Union européenne.
1995
Adhésion de l’Autriche, de la Finlande et de la Suède (Europe des Quinze)
Janvier 2002
L’Euro devient la monnaie commune de douze pays de l’Union européenne
Mai 2004
Adhésion de 10 nouveaux pays (Estonie, Lettonie, Lituanie, Pologne, République tchèque, Slovaquie, Hongrie, Slovénie, Malte et Chypre) (Europe des 25)
2005
Français et Néerlandais rejettent par référendum le projet de traité Constitutionnel
2007
Adhésion de la Roumanie et de la Bulgarie (Europe des 27*)
*Pour mémoire, la Croatie deviendra le 28° membre de l’Union européenne en juillet 2013.
42
Séquence 7 – HG00
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Pour aller plus loin…
Vous pouvez consulter les cartes des différentes étapes de
l’élargissement sur le site touteleurope.fr
Document 7
Une volonté de tourner définitivement la page du passé
Le chancelier Helmut Kohl et le président François Mitterrand se
tiennent la main devant l’ossuaire
de Douaumont près de Verdun le
22 septembre 1984. Cette photo
symbolise la réconciliation franco
allemande entamée après la
Seconde Guerre mondiale.
© dpa/akg–images
Document 8
Le tête à tête de deux dirigeants européens
Le président François Mitterrand
(à g.) et le nouveau (depuis le 1er
octobre) chancelier fédéral d’Allemagne Helmut Kohl à Bonn le 21
octobre 1982.
Le rôle des hommes a été déterminant tout au long de l’histoire
de l’Europe. Ces photos illustrent
le rôle du couple franco-allemand
comme moteur de la construction
européenne. Dans les années
1960, le dialogue franco-allemand
s’intensifie avec de Gaulle et le
chancelier allemand Adenauer.
© Ullstein bild/akg–images
Les couples Helmut Schmidt et Valery Giscard d’Estaing dans les années
1970, Helmut Kohl et François Mitterrand (documents 7 et 8) dans les
années 1980 se sont illustrés par leurs convergences de vues sur les
questions européennes et ont donc été les moteurs de la construction.
Après le couple Angela Merkel et Nicolas Sarkozy qui s’est imposé dans
la gestion de la crise de la dette grecque et la question de l’avenir de la
Séquence 7 – HG00
43
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zone euro, c’est au tour d’un nouveau couple entre François Hollande et
Angela Merkel que se jouera le scénario d’une relance économique de la
zone euro.
2. Différentes conceptions politiques de l’Europe
Vous allez analyser successivement 3 documents qui présentent des
points de vue différents sur l’organisation politique de l’Europe.
Voici quelques repères pour bien comprendre les documents :
E Le
premier document (document 9), de 1965, présente la position de
Guy Mollet, socialiste français, qui pesa comme chef du gouvernement
français sur la signature des traités de Rome en 1957.
E Le
deuxième document (document 10) est un discours de Margaret
Thatcher* en 1988. Les Britanniques, tournés vers le Commonwealth,
refusent au départ le processus communautaire. Ils rejettent notamment la CECA, puis la CEE. Dans les années 1960, leur attitude change,
et, craignant l’isolement, ils demandent à entrer dans la CEE. Par deux
fois, le Général de Gaulle oppose son veto à l’entrée de la Grande Bretagne qu’il juge trop atlantiste c’est-à-dire trop proche des États-Unis.
En 1973, finalement, le Royaume-Uni entre dans l’Europe. Margaret
Thatcher arrive au pouvoir en 1979. Le climat est alors à l’« europessimisme », la construction européenne piétine. M. Thatcher conteste
le montant de la participation de son pays au budget communautaire.
E Le
troisième document (document 11) est un discours prononcé en 2000
par Joschka Fischer, ministre allemand des Affaires Etrangères de 1998 à
2005. Il donne ici son opinion sur la finalité de la construction européenne.
Document 9
Extrait de Guy Mollet La construction européenne vue par un socialiste
français, avril 1965
«… Europe des patries ou Europe fédérée ? ce n’est pas là une vaine querelle de vocabulaire. De même que les institutions sont nécessaires dans
nos pays libres pour canaliser les efforts des citoyens et des groupes
politiques et pour les faire concourir à l’intérêt général […], de même, des
institutions indépendantes et dotées de pouvoirs suffisants sont nécessaires dans la Communauté européenne pour dégager une position commune des gouvernements, arbitrer parfois entre eux, dire aux peuples
et aux dirigeants quel est l’intérêt de la Communauté et les faire tous
concourir à la réalisation des tâches d’ensemble. J’espère que demain,
nous reprendrons cette marche vers une Europe unie, peu à peu intégrée
avec, au-dessus des décisions nationales, des décisions supranationales. […] Nous sommes donc pour une Europe fédérée. ».
Question
44
Quelle forme d’organisation politique Guy Mollet défend-il ? Quels sont
ses arguments ?
Séquence 7 – HG00
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Réponse
Guy Mollet est partisan de plus d’intégration. Il appelle à la constitution d’une Europe fédérale c’est-à-dire une Europe dotée d’institutions
« supranationales », « indépendantes et dotées de pouvoirs suffisants ».
Elles sont pour lui indispensables pour « dégager une position commune
des gouvernements », pour défendre l’intérêt général.
Il demande donc un renforcement des institutions européennes dans la
lignée de Jean Monnet et de Robert Schuman.
Document 10
Extraits du discours de Margaret Thatcher, premier ministre britannique
à Bruges, le 20 septembre 1988
[…] Ma première idée-force est celle-ci : une coopération volontaire et active
entre Etats souverains indépendants est le meilleur moyen de construire
une Communauté européenne réussie. Il serait hautement préjudiciable
de tenter de supprimer la nationalité et de concentrer le pouvoir au centre
d’un conglomérat européen ; en outre cela compromettrait les objectifs
que nous poursuivons. L’Europe sera plus forte si elle compte précisément
en son sein la France en tant que France, l’Espagne en tant qu’Espagne,
la Grande-Bretagne en tant que Grande-Bretagne, chacune avec ses coutumes, traditions et particularités. Ce serait de la folie que d’essayer de les
faire entrer dans une sorte de portrait-robot européen. […]
Je suis la première à dire que les pays d’Europe devraient parler d’une
seule voix sur de nombreuses grandes questions. Je voudrais nous voir
coopérer plus étroitement dans les domaines où nous pouvons faire
mieux ensemble que seuls. L’Europe est alors plus forte, qu’il s’agisse
de commerce, de défense ou de nos relations avec le reste du monde.
Mais coopérer plus étroitement n’exige pas que le pouvoir soit centralisé
à Bruxelles, ni que les décisions soient prises par une bureaucratie en
place par voie de nomination. […]
Nous voulons assurément voir une Europe plus unie, avec une plus grande
détermination. Mais il faut que ce nouvel état de choses se fasse en préservant les différentes traditions, les pouvoirs parlementaires et les sentiments
de fierté nationale, car tel a été au cours des siècles le nerf de l’Europe. […]
Ma dernière idée-force porte sur la question la plus fondamentale, le rôle des
pays européens en matière de défense. L’Europe doit continuer de maintenir une défense sûre par l’intermédiaire de l’OTAN. Il ne peut être question
de relâcher son effort, même si cela implique des décisions difficiles et un
coût élevé. […]. Nous devons faire notre possible pour maintenir l’engagement des États-Unis envers la défense de l’Europe. Cela signifie reconnaître
la charge que représente pour eux le rôle mondial qu’ils assument […].
Questions
À quelle conception de l’Europe Margaret Thatcher est-elle hostile ?
1Q
uel type d’organisation politique propose-t-elle ?
2Q
u’affirme-t-elle dans le dernier paragraphe ? En quoi cela peut-il blo-
quer l’approfondissement de l’Europe ?
Séquence 7 – HG00
45
© Cned - Académie en ligne
Réponses
1 Margaret Thatcher s’oppose ici clairement à toute idée d’Europe fédé-
rale et d’institutions supranationales : « Il serait hautement préjudiciable de tenter de supprimer la nationalité et de concentrer le pouvoir
au centre d’un conglomérat européen ». Pour elle, il n’est pas question
que les États renoncent à la moindre parcelle de leur souveraineté.
2E
lle défend l’idée d’une « coopération entre États souverains et indé-
pendants ». Il faut préserver « les différentes traditions, les pouvoirs
parlementaires et les sentiments de fierté nationale ». Ce discours
exprime bien la permanence des idées développées par les différents gouvernements britanniques. La Grande Bretagne, au nom de la
préservation de sa souveraineté souhaite que la Communauté européenne se contente d’être un espace de libre échange.
3M
argaret Thatcher affirme sa volonté de voir la défense européenne
placée sous protection américaine dans le cadre de l’OTAN. Elle ne
peut concevoir une politique européenne de défense indépendante
de celle des États-Unis. Elle défend donc une Europe atlantiste c’està-dire alignée militairement et diplomatiquement sur la politique
extérieure américaine. C’est l’une des raisons pour laquelle le général
De Gaulle s’était opposé par deux fois à l’entrée de la Grande Bretagne dans la Communauté européenne. Cette position empêche la
véritable création d’une Europe de la défense, indépendante des
États-Unis et représentant une force diplomatique et militaire sur la
scène internationale.
Document 11
Extraits du discours de Joschka Fischer à Berlin, le 12 mai 2000
« *Quo vadis Europa ? Telle est donc la question que nous pose une
fois de plus l’histoire de notre continent. Et là, pour des raisons bien
différentes, il ne peut y avoir pour les Européens qu’une seule réponse
s’ils songent à leur bien et à celui de leurs enfants : l’Europe doit aller
de l’avant jusqu’à parfaire son intégration […]. La tâche qui nous attend
n’est pas simple, et nous devrons user de toutes nos forces pour parvenir
dans les dix prochaines années à mener à bien, en grande partie l’élargissement de l’UE à l’Est et au Sud-Est qui aboutira de facto à doubler
le nombre des pays membres de l’Union européenne. Et, pour gérer ce
défi historique et intégrer les nouveaux États membres, sans pour autant
remettre essentiellement en cause la capacité d’action de l’Union européenne, il nous faudra parallèlement apporter la dernière pierre à l’édifice de l’intégration européenne, à savoir, l’intégration politique […].
Nous nous trouvons actuellement confrontés en Europe à une tâche d’une
difficulté énorme qui consiste à mener de front deux grands projets :
Un élargissement aussi rapide que possible. Cette question pose de difficiles problèmes d’adaptation aux pays candidats tout comme à l’Union […]
La capacité d’action européenne. Les institutions de l’UE ont été créées
pour six États membres. Elles ont bien du mal à fonctionner à 15 […]. On
risque donc qu’un élargissement à 27 ou 30 États membres dépasse la
capacité d’absorption de l’UE avec ses vieilles institutions et ses vieux
mécanismes, et engendre des crises graves.
46
Séquence 7 – HG00
© Cned - Académie en ligne
[…] L’élargissement rendra indispensable une réforme fondamentale
des institutions européennes. […] Comment parvenir à 30 à concilier des
intérêts différents, à adopter des décisions et encore à agir ? […] Une
réponse toute simple : le passage de la Confédération, de l’Union, à l’entière parlementarisation dans une Fédération européenne que demandait déjà Robert Schuman il y a 50 ans. Et cela ne veut pas dire moins
qu’un parlement européen et un gouvernement, européen lui aussi, qui
exercent effectivement le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif au sein
de la Fédération.
[…] Mais ce serait commettre une erreur de construction irréparable que
de tenter de parachever l’intégration politique à l’encontre des institutions et des traditions nationales existantes et non en cherchant à les
associer au processus. […] Parachever l’intégration européenne n’est
concevable que si le processus s’effectue sur la base d’un partage de souveraineté entre l’Europe et l’État-Nation. […] Une réglementation précise
de la répartition des compétences entre la Fédération et les Etats-nations
dans le cadre d’un traité constitutionnel devrait laisser à la Fédération
les domaines de souveraineté essentiels et uniquement les questions
demandant à être réglées impérativement au niveau européen, tandis
que le reste demeurerait de la compétence des États-nations […].
L’Union européenne se trouvera confrontée à un moment ou à un
autre dans les dix années à venir à un choix […] : ou bien la majorité
des États membres tente le saut dans « la pleine intégration » et se met
d’accord sur un traité constitutionnel européen portant création d’une
Fédération européenne, ou bien, dans le cas contraire, un petit groupe
d’États membres constituera une avant-garde, c’est-à-dire un « centre de
gravité » comprenant plusieurs États prêts et capables, en Européens
convaincus, de progresser sur la voie de l’intégration politique. […] La
formation d’un centre de gravité pourrait constituer une étape intermédiaire sur la voie du parachèvement de l’intégration politique […] »
*Quo Vadis Europa : expression latine, Où vas-tu Europe ?
Questions
1Q
uels sont les défis auxquels l’Europe est confrontée au moment ou
Joschka Fischer prononce ce discours ?
2P
aragraphes 3 et 5 : Quel projet politique propose t-il ? Avec quelles
institutions et quelles compétences ?
3L
’auteur envisage t-il la suppression des États-nations ? Justifiez.
Réponses
1 En 2000, suite à la chute du rideau de fer 10 ans plus tôt, les négocia-
tions d’adhésion avec les États d’Europe centrale et orientale sont en
cours et l’Union Européenne qui comporte alors 15 membres se prépare
à en accueillir de nouveaux (« un élargissement qui aboutira à doubler
le nombre des pays membres »). Le premier défi est donc de réussir cet
élargissement. L’élargissement pose le problème de l’adaptation des
institutions qui ont déjà « bien du mal à fonctionner à 15 ».
Séquence 7 – HG00
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© Cned - Académie en ligne
2 Il propose une « Fédération européenne » avec un Parlement qui dis-
poserait du pouvoir législatif et un gouvernement qui disposerait du
pouvoir exécutif. Ces institutions seraient de véritables institutions
supranationales au-dessus des États.
Cette Fédération peut-être envisagée de 2 manières (dernier paragraphe) : soit la majorité des États européens l’intègrent, soit un petit
groupe d’États-membres constituera une « avant-garde », un « centre
de gravité » pour montrer la voie aux États encore réticents.
3N
on, l’auteur n’envisage pas la
suppression
des
Étatsnations. Il propose un « partage
de souveraineté » entre l’Europe et les États. « Les domaines
de souveraineté essentiels »
relèveraient de la Fédération
« tandis que le reste demeurerait de la compétence des Étatsnations ». Ce modèle se rapproche
du
fédéralisme
allemand.
Ce type de documents (par exemple
le discours de Margaret Thatcher et
celui de Joschka Fisher) pourraient
vous être proposé au bac dans
le cadre de la seconde partie de
l’épreuve (Analyse de documents)
avec ce type de consigne :
Confrontez le point de vue des
deux auteurs sur l’organisation
politique de l’Europe (type de
gouvernement, rôle des États).
Depuis le Congrès de la Haye en
1948, la question de la nature politique de l’Europe ressurgit à chaque
nouvelle étape. Dès sa naissance, l’Union européenne n’a jamais pu
trancher entre deux destins politiques.
➟P
our une Europe des États :
Des personnalités comme Margaret Thatcher en Grande-Bretagne ou
le général de Gaulle en France incarnent bien cette conception d’une
Europe des États. Pour eux, les États-nations ont chacun une histoire,
une langue, une culture…. L’Europe doit s’articuler autour des États dans
le respect de l’identité propre de chaque pays. C’est la conception souverainiste qui s’oppose donc à la conception fédérale, supranationale
défendue au début de la construction par les pères fondateurs. Elle met
en avant non l’intégration mais la coopération entre États souverains.
Cette position souverainiste est farouchement défendue dans les années
1960 par le général de Gaulle en France. En septembre 1960, il affirme :
« Il est tout à fait naturel que les États de l’Europe aient à leur disposition
des organismes spécialisés pour les problèmes qui leurs sont communs,
pour préparer ou au besoin pour suivre leurs décisions, mais ces décisions leur appartiennent. Elles ne peuvent appartenir qu’à eux » (conférence de presse du 5 sept 1960).
Cette attitude du général de Gaulle est à l’origine d’une grave crise dans
les années 1960. Il s’oppose à la règle du vote à la majorité, que les
partisans de plus d’intégration veulent faire appliquer au Conseil des
ministres. Il exige que pour toute décision importante, le vote à l’unanimité soit conservé afin qu’un Etat ne puisse se voir imposer une déci-
48
Séquence 7 – HG00
© Cned - Académie en ligne
sion qu’il n’approuve pas. Pendant 6 mois, du 30 juin 1965 au 29 janvier 1966, la France refuse de participer aux travaux de la Communauté.
Cette « politique de la chaise vide » met en péril l’avenir de la CEE. De
Gaulle obtient gain de cause et le compromis de Luxembourg de janvier
1966 précise que le vote à l’unanimité reste la règle sur les points essentiels. Le risque est de voir le blocage du processus communautaire, un
seul État, imposant son veto pouvant empêcher la mise en œuvre d’une
décision. La CEE ne compte alors que 6 Etats.
La question du vote va ressurgir à chaque étape de l’élargissement.
➟P
our une Europe fédérale, supranationale
Les pères de l’Europe défendaient cet idéal d’intégration et d’institutions
supranationales comme Jean Monnet. En 1951, Robert Schuman écrivait au moment de la mise en place des institutions de la CECA :
« Désormais, les traités devront créer non seulement des obligations, mais
des institutions, c’est-à-dire des organismes supranationaux dotés d’une
autorité propre et indépendante. De tels organismes ne seront pas des
comités de ministres, ou des comités composés de délégués des gouvernements associés. Au sein de ces organismes, ne s’affronteront pas des
intérêts nationaux qu’il s’agirait d’arbitrer ou de concilier ; ces organismes
sont au service d’une communauté supranationale ayant des objectifs
et des intérêts distincts de ceux de chacune des nations associées. Les
intérêts particuliers de ces nations se fusionnent dans l’intérêt commun,
comme ceux des citoyens se confondent avec l’intérêt national ».
Les débats entre « souverainistes » et « fédéralistes » traversent toute
l’histoire de la construction de l’Europe. Le discours de J. Fischer donna
lieu à de vives réactions comme en témoigne cette caricature de Plantu
parue dans le Monde du 21 juin 2000.
Document 12
Caricature de Plantu, le Monde, 21 juin 2000
© Plantu
Commentaire de la caricature de Plantu
Le ministre de l’Intérieur français, Jean Pierre Chevènement (Souverainator) réagit vivement aux propos du ministre allemand. Pour lui, l’Étatnation est le meilleur moyen de résister à la concurrence qu’impose la
mondialisation. Il défend donc une conception « souverainiste » contrai-
Séquence 7 – HG00
49
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rement au ministre allemand pour qui les Européens doivent s’unir
(conception « fédéraliste »). Ce combat paraît dérisoire quand l’empereur du monde (Oncle Sam) réclame la mort des deux protagonistes, lesquels ne voient pas le monstre de la mondialisation qui va les dévorer.
Les institutions européennes tentent de faire le compromis entre ces
deux visions de l’Europe.
3. Les institutions de l’Union européenne
Les institutions européennes tentent de faire la synthèse entre ces deux
visions de l’Europe. Leur organisation, l’attribution de leurs compétences
ont fait l’objet de nombreux débats souvent vifs que l’on peut résumer
en quelques questions : Quelle doit être la part du supranational et de
l’intergouvernemental ? Qui est habilité à prendre des décisions au
nom de la Communauté ? Un organe supranational ou un conseil des
ministres de chaque État ? Si c’est le conseil des ministres doit-il se prononcer à l’unanimité ou à une majorité qualifiée ?
Deux repères chronologiques importants :
1974 : Création du Conseil européen des chefs d’État et de
gouvernements appelés « sommets européens ».
1979 : Premières élections du Parlement européen au suffrage
universel. La française Simone Veil, première présidente..
Pour aller plus loin…
Tapez europa dans un moteur de recherche ou allez sur le site www.
europa.eu/index_fr.htm. Une fois sur la page d’accueil du site, allez
dans la rubrique « A propos de l’UE » puis « institutions et organes ».
Questions
À partir de la présentation des institutions de l’UE sur le site europa.eu,
complétez ce tableau
.
Composition/mode de
nomination ou d’élection
Le Parlement européen
La Commission
Le Conseil de l’Union européenne
(ou Conseil des ministres)
Le Conseil européen
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Compétences, pouvoirs
Repérez celles qui fonctionnent sur un principe supranational et celle qui
fonctionnent sur le principe intergouvernemental.
Réponses
1
Composition/mode de nomination ou d’élection/siège
Le Parlement
européen
La Commission
Compétences, pouvoirs
736 députés élus au suffrage
universel tous les 5 ans.
Il partage le pouvoir législatif avec le Conseil
des ministres
Le nombre de députés européens de chaque pays est
fonction de l’importance de sa
population.
Il contrôle les autres institutions (ex : il
vérifie que les travaux de la Commission sont
conformes à la démocratie)
27 commissaires, un par État
membre, désigné pour 5 ans.
Elle représente et défend les intérêts de l’UE
dans son ensemble.
Il examine et adopte le budget de l’UE avec
le Conseil.
Elle présente des propositions législatives.
Elle veille à la bonne application des politiques et exécute le budget de l’UE.
Le Conseil
de l’Union
européenne
(ou Conseil des
ministres)
Il réunit les ministres des
gouvernements de chaque
pays membre de l’UE. Lors des
réunions du Conseil, les pays
de l’UE délèguent le ministre
chargé de la politique faisant
l’objet des débats.
C’est l’organe de décision : il adopte la législation de l’UE en accord avec le Parlement.
Le Conseil
européen
Il réunit les chefs d’Etat et de
gouvernements. Il se réunit au
moins une fois par semestre (en
général 4 fois par an) : ce sont
les « sommets européens ».
Il établit les priorités, définit les orientations
générales.
Le Conseil de l’UE prend généralement ses
décisions à la majorité qualifiée.
Il n’a pas le pouvoir d’adopter la législation.
Ne pas confondre le Conseil européen et le Conseil de l’Union européenne (ou Conseil des ministres).
Le traité de Lisbonne prévoit que lors des votes, le mode de scrutin à
la « majorité qualifiée » s’applique. La majorité qualifiée est atteinte
si une majorité des 27 États membres donne son approbation (dans
certains cas une majorité des deux tiers) et si un minimum de 255
voix sur 345 est exprimé. Le nombre de voix par pays dépend de l’importance de sa population.
Il existe également une Cour de justice siégeant à Luxembourg et la
Banque Centrale Européenne (BCE) siégeant à Francfort.
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Le Parlement européen et la Commission sont des institutions supranationales. Les Commissaires comme les députés ne doivent pas représenter les intérêts de leur Etat mais ceux de l’Union.
Les décisions sont prises par le Conseil de l’Union européenne donc
par une assemblée intergouvernementale. Cependant, face au défi de
l’élargissement, le vote à la majorité qualifiée a été étendu et simplifié.
Le traité de Lisbonne entré en vigueur le 1er décembre 2009, étend le
champ d’application de la majorité qualifiée (immigration et asile, énergie, espace…). Mais, les affaires étrangères, la défense, la fiscalité ou
encore la sécurité sociale restent soumis au vote à l’unanimité.
4. Quel bilan aujourd’hui ?
Aujourd’hui l’Europe fonctionne à plusieurs vitesses. Au début du XXIème
siècle, les défenseurs de la souveraineté des Etats l’ont emporté sur les
partisans de l’intégration supranationale. Depuis le traité de Rome, on
privilégie le rôle des États négociant et coopérant afin de répondre plus
efficacement à des défis et des besoins communs. La politique communautaire est devenue très intégrationniste dans de nombreux domaines
comme l’agriculture, le commerce, la monnaie, l’environnement, mais
les États conservent leurs prérogatives en ce qui concerne les affaires
étrangères, la fiscalité ou encore la sécurité sociale.
Aujourd’hui, dans le cadre d’une Union européenne élargie, les pays
voulant poursuivre l’intégration (surtout sur le plan économique)
peuvent aller de l’avant sans que leurs partenaires puissent s’y opposer.
De la même manière, tous les pays n’adoptent pas au même rythme le
processus communautaire. C’est ainsi que la zone euro englobe en 2011
17 des 27 États membres. La Grande-Bretagne ou le Danemark ont, par
exemple, refusé d’y participer.
L’UE souffre aujourd’hui d’un déficit social. Cette préoccupation n’est
pas nouvelle. L’Europe est avant tout une construction économique et
le modèle de l’État Providence défendu par les pères de l’Europe est
aujourd’hui mis à mal.
Un des défis de l’avenir est d’assurer la place de l’Union dans le monde.
L’Europe est pacifiée, c’est là une vraie réussite de la construction européenne. Mais elle est faible, voire inexistante dans les relations internationales car elle n’a pas de politique commune. La division des États
européens face à l’engagement en Irak au côté des Américains en 2003
a bien montré que l’Europe était pour l’instant incapable de parler d’une
seule voie sur la scène internationale. Suite au traité de Lisbonne, l’UE a
nommé un haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et
la politique de sécurité. Il a pour premier objectif de rendre plus cohérente l’action de l’Union européenne sur la scène internationale. C’est la
britannique Catherine Ashton qui a été nommée à ce poste en novembre
2009. Créer une armée commune, mettre en œuvre une politique étrangère commune restent des défis importants pour faire de l’Europe un
acteur majeur des relations internationales.
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Conclusion
L’objectif fondamental de la construction européenne, éviter une nouvelle guerre, a été atteint. Naguère ennemies, la France et l’Allemagne,
réconciliées, sont aujourd’hui les piliers de l’Europe.
Plus de 60 ans après sa création, l’Europe politique demeure un projet.
Elle s’est élargie, s’est approfondie dans de nombreux domaines mais
des débats persistent quant à sa nature.
L’Union européenne est unique. Elle n’est pas une fédération à l’image
des États-Unis d’Amérique car ses États membres restent des nations
souveraines et indépendantes. Elle n’est pas non plus une organisation
strictement intergouvernementale car ses États membres exercent une
partie de leur souveraineté en commun dans le but d’acquérir sur la
scène mondiale une puissance et une influence qu’aucun d’entre eux
ne saurait posséder seul. Aujourd’hui, les États gardent leur structure
et continuent de servir de référence et de cadre de vie à leurs habitants.
En 2011, l’Europe est confrontée à une grave crise financière qui a
donné lieu à des débats importants sur l’avenir de la zone euro et celui
de la construction européenne dans son ensemble. On a vu s’affirmer à
nouveau le couple franco-allemand au détriment des institutions européennes qui se sont montrées bien impuissantes et absentes lors de
la gestion de cette crise. En 2012, le nouveau couple franco-allemand
(Angela Merkel et François Hollande) doit à nouveau tenter d’apporter
une réponse à la question de la gouvernance.
La crise actuelle, dite de l’Euro, où les uns après les autres les États, même
les plus riches de l’Union européenne risquent de subir la dégradation de
la note de leurs finances publiques par les agences de notation (comme
la perte par la France de sa note AAA en janvier 2012) repose le problème
du devenir de la construction européenne. Les peuples européens sont
plongés dans une période d’euroscepticisme quand les politiques ont tendance à rendre « Bruxelles » responsable des dysfonctionnements actuels.
Dans un tel climat de défiance entre partenaires, l’Europe doit apporter de
nouvelles réponses aux questions jamais résolues depuis sa naissance :
E
L es buts poursuivis : doit-elle continuer à s’élargir et a-t-elle vocation à
se confondre réellement avec le continent européen, voire au-delà des
limites historiques incertaines ? Ou doit-elle investir dans une meilleure communication de ses institutions et dans un meilleur fonctionnement démocratique ?
E L’avenir
institutionnel : à l’heure où des États membres risquent ou
menacent de faire sécession, quel est le devenir de l’organisation politique
de l’Union ? Une superstructure coiffant les États qui acceptent de partager
une part de leur souveraineté ? Ou une Europe à géométrie variable en
fonction des intérêts de chacun avec un noyau dur d’États plus puissants
et une périphérie plus pauvre, laissée seule face à ses créanciers.
E Le projet démocratique à présenter aux électeurs européens reste toujours
le même depuis 60 ans : une Europe du libre-échange répondant aux vœux
britanniques ou une Europe qui s’engage un peu plus vers le fédéralisme ?
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G lossaire
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Intégration
Processus par lequel des pays se rattachent à un ensemble plus développé ou plus puissant et s’alignent sur lui. L’intégration va donc bien
au-delà de la simple coopération entre États.
Institutions
supranationales
Institutions placées au-dessus des institutions nationales, et dont les
décisions s’imposent à chaque État membre. Dans une organisation
supranationale, les décisions ne sont pas prises par la réunion des chefs
d’États ou de leurs représentants, mais par des institutions propre à
cette organisation (ex : la CECA).
Fédéralisme
mode d’organisation dans laquelle chaque État dispose d’une certaine
autonomie et délègue certains de ses pouvoirs à un organisme central,
dit fédéral. Les États renoncent donc à une large part de leur souveraineté.
Souverainisme
mouvement ou doctrine politique qui défend la souveraineté des nations
en Europe. Les souverainistes militent pour une « Europe des États » ou
« Europe des Nations » respectant et préservant l’autonomie politique
des Etats. Ils s’opposent aux partisans du fédéralisme européen.
Europessimisme
pessimisme vis-à-vis de la construction politique de l’Europe et de son
avenir.
Atlantisme
politique qui prône un alignement sur les grandes lignes de la politique
internationale des États-Unis. L’adhésion à l’OTAN est une des expressions de l’atlantisme.
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Biographies
Vous trouverez les biographies plus détaillées des grands acteurs de la
construction européenne sur le site touteleurope.fr
http://www.touteleurope.eu/fr/histoire/personnages.html
Konrad
Adenauer
(1876-1967) : chancelier de la RFA de 1949 à 1963. Considéré comme
l’un des pères de l’Europe, il est partisan de la réconciliation franco-allemande. Il collabore étroitement avec Jean Monnet et Robert Schuman,
puis avec le Général De Gaulle avec lequel il signe en 1963, un traité
d’amitié franco-allemand.
Winston
Churchill
(1874-1965) : Homme politique britannique. En septembre 1946, il
n’hésite pas à parler de futurs «États-Unis d’Europe». Il préside le
Congrès de la Haye en mai 1848 et fait partie des membres de la première assemblée du Conseil de l’Europe en 1949. Il défend une Europe
des Etats, s’opposant à toute notion de supranationalité.
Jean Monnet
(1888-1979) : considéré comme l’un des pères fondateurs de l’Europe, il
est «l’inspirateur» de la Déclaration Schuman du 9 mai 1950. Il est le
premier président de la CECA en 1952.
Denis de
Rougemont
(1906 – 1985) : écrivain suisse, militant antifasciste avant-guerre, il
prône une Europe fédérale sur le modèle américain.
Robert
Schuman
(1886-1963) : ministre des Affaires étrangères de la France de 1948 à
1953. ll est considéré comme un père de l’Europe. Avec Jean Monnet, il
initie la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA) qu’il
présente dans sa déclaration du 9 mai 1950.
Margaret
Thatcher
(1925-) : premier ministre britannique de 1979 à 1990, elle mène une
politique économique ultralibérale. Sur le plan européen, elle incarne
par ses prises de position l’euroscepticisme des années 1980, défendant avec détermination les intérêts britanniques face à ses partenaires
européens.
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w ebographie
http://europa.eu/index_fr.htm
Site web officiel de l’Union européenne. Ce site comporte les éléments
suivants :
Informations de base sur le fonctionnement de l’UE
Dernières nouvelles et événements récents liés à l’UE
Liens vers des informations concernant l’UE sur les sites web des institutions et agences de l’UE
http://www.touteleurope.eu
Toute l’Europe propose à la fois une information pédagogique sur le
fonctionnement et les politiques de l’Union européenne et un décryptage de l’actualité européenne dans toutes ses dimensions — politique,
économique, sociale, historique, culturelle
http://www.cvce.eu/
Situé au Luxembourg, le CVCE est un centre de recherche et de documentation interdisciplinaire sur le processus de la construction européenne.
Il se donne pour mission la création, le partage et la valorisation de la
connaissance dans un environnement numérique innovant
http://www.ina.fr/
Propose de nombreuses images d’archives sur le sujet.
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Séquence 7 – HG00
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3
La gouvernance économique
mondiale depuis 1944
Introduction
le mot même de gouvernance, qui remonte au français médiéval. L’usage
du mot s’était perdu et est revenu dans la langue française au travers d’un
mot anglais (d’Amérique du Nord, c’est-à-dire des États-Unis) : governance.
Ce terme a d’abord été utilisé dans le monde des entreprises, dans
lequel il était utilisé pour désigner la recherche d’une gestion optimale.
Il a ensuite été utilisé dans les instances visant à évaluer et améliorer
les modes de gouvernement des États, et d’abord des États pauvres
demandant des programmes d’aide au développement. Enfin la
« global governance » désigne aujourd’hui la régulation universelle de
problèmes qui se posent à l’échelle de l’humanité entière. Elle revient à
désigner les tentatives de régulation de la mondialisation.
En effet, le thème de « la gouvernance économique du monde depuis
1944 » place l’échelle mondiale comme cadre de l’étude. Il a donc pour
toile de fond la mondialisation*, c’est-à-dire sur le phénomène historique
reposant sur l’ouverture des économies nationales au développement
des échanges de matières premières, de biens et de services, aux
transactions internationales, à la mobilité des capitaux.
Une chronologie de la gouvernance : quelques étapes du thème de la gouvernance
❑ XIIIe siècle
Le terme gouvernance apparaît en français pour qualifier « l’art de gouverner les hommes ».
❑ 1638
Le duc de Sully expose le « Grand Dessein de Henri IV » visant à « conserver et
augmenter la Chrétienté » grâce à un accord entre les grandes puissances.
❑ 1713
Le philosophe britannique Jeremy Bentham imagine A Plan for Universal and Perpetual Peace
❑ 1795
Le philosophe allemand Emmanuel Kant publie Vers la paix perpétuelle.
❑ XIXe siècle
Création des premières organisations internationales : Commission centrale pour
la navigation du Rhin en 1816, Union internationale du télégraphe en 1865, Union
générale des postes en 1874.
❑ 1919
Au lendemain de la Première Guerre Mondiale, création à Genève de la Société des Nations
(SDN) qui a pour but la prévention des guerres au travers du principe de sécurité collective,
la résolution des conflits par la négociation et l’amélioration de la qualité de la vie. EE
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❑ 1944
Les accords de Bretton Woods posent les bases de l’organisation monétaire et financière
internationale de l’après-guerre ; création de la Banque Mondiale et du Fonds Monétaire
International (FMI).
❑ 1945
Création de l’Organisation des Nations Unies (ONU) lors de la conférence de San Francisco.
❑ 1947
Ouverture à Genève du premier cycle de négociations commerciales multilatérales dans
le cadre de l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT) destiné à
favoriser le libre-échange.
❑ Années 1970
Le terme de gouvernance se généralise en économie, notamment pour faire référence
à l’exigence d’une plus grande transparence dans la gestion des entreprises (corporate
governance).
❑ 1971
Le 1er Forum économique mondial de Davos (Suisse) réunit dirigeants d’entreprise,
responsables politiques, intellectuels afin de débattre des grands problèmes du monde
contemporain.
❑ 1975
1ere réunion du G6 (« groupe des Six »), un groupe de discussion et de partenariat
économique des 6 premières puissances économiques mondiales (États-Unis, Japon,
RFA, France, Royaume-Uni, Italie).
❑ 1976
le G6 devient G7 en s’élargissant au Canada.
❑ 1992
Le « Sommet planète Terre » organisée à Rio de Janeiro sous l’égide des Nations-Unies
marque l’intensification des préoccupations internationales relatives à l’environnement.
❑ 1994
Accords de Marrakech : le GATT devient l’OMC à l’issue de son 8e cycle de négociations,
l’Uruguay Round.
❑ 1999
Échec de la conférence ministérielle à Seattle : rôle croissant des mouvements
altermondialistes.
❑ 2000
Sommet du millénaire des Nations-Unies : adoption de huit objectifs de développement
à atteindre avant 2015.
❑ 2001
Le premier Forum Social Mondial (FSM) à Porto Alegre (Brésil) réunit des organisations
citoyennes du monde entier.
❑ 2008
Le G20 se réunit pour la première fois au niveau des Chefs d’État ou de gouvernement.
Ses pays membres représentent les 2/3 du commerce mondial et de la population
mondiale et plus de 90 % du PIB mondial.
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Séquence 7 – HG00
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La mondialisation est un phénomène dont il est possible de retracer
l’histoire. On peut distinguer trois phases :
1 Du XVe au début du XIXe siècle, l’ouverture de l’espace mondial est
permise par les Grandes Découvertes et le développement économique très important en Europe.
2 Entre le début du XIXe siècle et 1918 : le phénomène d’industrialisa-
tion s’accompagne de la domination économique de l’Europe sur le
monde et de la formation de vastes empires coloniaux. L’Angleterre
joue le rôle d’économie-monde avant d’être supplantée par les ÉtatsUnis.
3 Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale : l’hégémonie économique
des États-Unis a imposé un nouvel ordre économique mondial ; le
système capitaliste se diffuse progressivement à l’échelle du monde.
La libéralisation des échanges de toutes natures s’impose. Cette
période est progressivement marquée par une instabilité croissante
de l’économie mondiale.
La mondialisation a donc créé une interdépendance croissante entre
les États. Or, il n’existe aucun Ministre de l’Economie et des Finances
du monde édictant des règles communes et des politiques universelles.
La gouvernance naît donc de cette absence, et du manque de ces
règles. Les États, les entreprises, les citoyens ont été confrontés à cette
interdépendance croissante et à ces conséquences. La mondialisation
a créé des enjeux mondiaux – et qui ne pouvaient être envisagés qu’à
l’échelle mondiale : enjeux économiques mais aussi d’autre nature
comme les questions climatiques et environnementales… Ce sont à ces
enjeux que la gouvernance tente de répondre.
Problématique
Q
uelle gouvernance économique mondiale a été mise en œuvre
depuis 1944 ?
Cette gouvernance mondiale est-elle parvenue à mettre en place
un nouveau système de régulation internationale de l’économie
mondiale ?
Séquence 7 – HG00
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Plan du chapitre : traitement
de la problématique
A- Les États-Unis imposent un nouvel
ordre économique après la Seconde
Guerre mondiale
1- Le nouvel ordre économique américain
Notions clés
Puissance hégémonique
Libre-échange
Système
de
Bretton
Woods
2- Le système de Bretton Woods et
la recherche de la stabilité économique mondiale
Repères
Étude d’une source
historique : le
communiqué final de la
conférence de Bandung,
1955
3- La recomposition économique de
l’Après-guerre
B- Instabilité économique et mondialisation : le difficile apprentissage de
l’interdépendance
1- La formation d’un système international de capitaux privés
2- Les tentatives inabouties de coordination internationale
3- Les crises de la dette des pays du Sud
C- Progrès et limites de la gouvernance
économique mondiale.
1- Vers un nouvel ordre économique
mondial
2- La nouvelle gouvernance de l’économie et de la finance mondialisées
Accords de Kingston
Dévaluation
Désordre monétaire
Chocs pétroliers
G6, 7 puis 8
Crise de la dette
Comprendre un
enchaînement
d’événements :
l’intervention du FMI au
Ghana dans les années
1980
Consensus de Washington
G 20
Crise des subprimes
Réforme des institutions
de Bretton Woods
Biens publics mondiaux
Analyser un tableau de
chiffres
Calculer un taux de
variation annuelle
3- L es enjeux de la gouvernance économique mondiale
A
Les États-Unis imposent un nouvel
ordre économique après la seconde
Guerre mondiale
1. Le nouvel ordre économique américain
a) Une puissance hégémonique
Les États-Unis sortent victorieux de la Seconde Guerre mondiale – en
Europe et en Asie. Ils en sortent aussi plus riches et plus puissants. Déjà
première puissance économique du monde depuis la fin du XIX° siècle,
ils accèdent au rang de première puissance internationale en assumant
leur leadership.
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Séquence 7 – HG00
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Les États-Unis sont le seul État, au sortir de la guerre, à être plus riches
qu’ils n’y sont entrés. Leur territoire national a été épargné par les combats ; leur population civile a été épargnée par les bombardements qui ont
détruit l’Europe et le Japon. À l’issue du conflit, leur revenu national a plus
que doublé. Leur budget est équilibré. Surtout, leur puissance financière
est considérable. Les États-Unis possèdent les 2/3 des réserves d’or mondiales. Le dollar est la seule monnaie des pays belligérants à conserver en
1945 la même valeur qu’avant la guerre. Aucune autre monnaie – notamment européenne – ne peut plus rivaliser avec le dollar, qui supplante
définitivement la livre sterling comme monnaie internationale.
Les États-Unis sont aussi en position de domination des échanges internationaux : les économies européennes sont ruinées et confrontées à la pénurie alimentaire et la destruction de leur tissu industriel. Au contraire, l’agriculture et l’industrie américaines ont des surplus de production à écouler.
Enfin, les États-Unis contrôlent les grandes voies maritimes et aériennes
majeures, alors même que la flotte aérienne et navale prend une importance majeure.
➟ les États-Unis sont donc une puissance hégémonique au lendemain
de la Seconde Guerre mondiale.
➟ au contraire, l’Europe et le Japon sont ruinés par la guerre et vont
dépendre des capitaux américains pour se reconstruire.
➟ l’ordre économique qui se met en place au lendemain de la Seconde
Guerre mondiale est donc un ordre qui reflète cette hégémonie des
États-Unis.
b) Une puissance convertie au libre-échange
Les États-Unis ont longtemps été protectionnistes. De fait, ils se convertissent au libre-échange dans les années 1930. La crise qu’ils traversent
alors est en effet marquée par l’existence d’une importante surproduction, notamment de produits agricoles. Dans les années 1930, la plupart
des pays avaient mis en œuvre des politiques de protection de leur marché national.
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la thèse selon laquelle ces
politiques protectionnistes ont engendré des tensions qui ont conduit
inéluctablement à la guerre domine aux États-Unis. Ils se transforment
donc en chantres du libre-échange international.
Cette attitude libre-échangiste est conforme aux intérêts des ÉtatsUnis. Ils réalisent à eux seuls en 1945 la moitié de la production mondiale. Ils veulent éviter une nouvelle crise de surproduction en assurant
les débouchés suffisants à cet énorme niveau de production. Enfin, la
guerre a ruiné tous leurs concurrents potentiels, les mettant en position
de monopole temporaire dans de nombreux secteurs économiques.
Séquence 7 – HG00
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2. Le système de Bretton Woods et la
recherche de la stabilité économique mondiale
Les lendemains de la Seconde Guerre mondiale sont marqués par la mise en
place d’institutions et d’instances internationales visant à garantir la stabilité économique et la prospérité mondiale. Cette reconstruction de l’ordre
économique fut prise en charge par les États-Unis, avec le soutien de leurs
alliés occidentaux. Elle s’explique par le traumatisme de la crise de 1929
aux États-Unis et vise donc à prévenir le retour de telles difficultés.
a) Le système monétaire international de Bretton
Woods
Document 13
Conférence de Bretton Woods, 1944, photographie de groupe des représentants des 44 pays
© Suddeutsche Zeitung/Rue des Archives
La Conférence qui se tient aux États-Unis à Bretton Woods (dans le New
Hampshire) réunit les délégués de 44 nations du 1er au 22 juillet 1944
– donc avant même la fin du conflit. Lors du discours inaugural à cette
conférence, Henry Morgenthau, Secrétaire d’Etat au Trésor depuis 1934
déclare « Il faut éviter de recourir aux pratiques pernicieuses du passé
telles que la course aux dévaluations, l’élévation des barrières douanières, les accords de troc, le contrôle des changes par lesquelles les
gouvernements ont essayé vainement de maintenir l’activité économique à l’intérieur de leurs frontières. En définitive, ces procédés ont été
des facteurs de dépression économique sinon de guerre ».
La conférence a abouti à la création de deux institutions garantes de la
stabilité économique internationale, le FMI et la BIRD.
62
Séquence 7 – HG00
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➟ Le FMI (Fonds monétaire interntional)
A sa création, c’est l’institution chargée du maintien d’un système de taux
de change fixes centrés sur le dollar américain et l’or mis en place par les
accords de Bretton Woods. Ce système a donc pour but d’éviter les fluctuations excessives des monnaies. Il préconise le retour dans les meilleurs
délais à la libre convertibilité de toutes les monnaies entre elles et avec le
dollar, devise pivot du nouveau système, convertible en or.
Il fonctionne comme une caisse de solidarité dont le capital est formé
par les apports des pays signataires des accords de Bretton Woods sous
forme d’une quote-part calculée d’après leur poids économique et commercial. Le quota versé par les pays est à ¼ formé d’or et aux ¾ formés
de dollars. Le FMI reconnaît à chaque État-membre un « droit de tirage »
initialement plafonné à 125 % de sa quote-part et destiné à lui permettre
de surmonter des difficultés temporaires sans recourir à des manipulations monétaires.
→C
e nouveau système favorise donc les pays les plus riches, qui versent
les quotes-parts les plus importantes au FMI, et en premier lieu les
États-Unis.
➟L
a BIRD (Banque internationale pour la reconstruction et
le développement).
Communément appelée Banque mondiale, est, avec le FMI, le second
pilier des institutions financières internationales. Elle aussi a été créée
en juillet 1944 lors de la conférence monétaire et financière de Bretton
Woods. Son rôle est d’accorder des crédits à long terme pour favoriser
dans l’immédiat la reconstruction des pays détruits par la guerre et,
ensuite, le développement pays pauvres.
Initialement composée de 44 pays membres, la Banque mondiale en
compte désormais 185.
LA BANQUE MONDIALE ou BIRD EN CHIFFRES
• Nombre de pays membres : 187 pays [en 2010]
• Directeur général : Robert Zoellick (depuis le 1er juillet 2007)
• Nombre de salariés : 10 000 environ
• Budget administratif : 1 230 millions €
•P
rêts : la BIRD a consenti des prêts d’un montant total de 11,5 milliards
de dollars pour appuyer 96 projets dans 40 pays (exercice 2002).
Un pays doit obligatoirement être membre du FMI pour adhérer à la
Banque Mondiale. Enfin, le partage des pouvoirs est dévolu aux ÉtatsUnis et à l’Europe : traditionnellement, le directeur général du FMI est un
Européen, et le président de la Banque mondiale, un Américain.
b) Le GATT ou le retour au libre-échange
Le General Agreement on Tariffs and Trade (GATT), soit l’Accord Général sur les Droits de Douane et le Commerce constitue l’autre versant de
cette politique de libéralisation des relations économiques. Cet accord a
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pour but de définir des règles de commerce universelles et de promouvoir une baisse des droits de douane. Cet accord est signé le 30 octobre
1947 à Genève par 23 pays, qui représentent alors 80 % du commerce
mondial. Le Congrès des États-Unis (à majorité républicaine à partir de
1947) est hostile à un engagement plus contraignant et refuse de ratifier
la Charte de la Havane élaborée en mars 1948 sous l’égide de l’ONU.
Cette charte incluait en effet un code commercial, un code des investissements, une stabilisation du cours des produits de base et la création
de l’OIC, Organisation Internationale du Commerce. En regard, le GATT
n’est qu’un simple accord.
Il semble néanmoins couronner le rêve du défunt Président Roosevelt
d’un nouvel ordre mondial assurant la paix grâce à trois piliers ; le FMI
chargé de veiller à la stabilité des monnaies, l’ONU chargé de la sécurité
collective et le GATT veillant au retour à la libéralisation des échanges.
Le texte même de l’accord comporte 35 articles. Il repose sur une
logique multilatérale fondée sur le respect de la réciprocité des avantages consentis. C’est le principe de la nation la plus favorisée : toute
concession accordée à un partenaire doit bénéficier à toutes les parties
contractantes. Les subventions nationales sont strictement encadrées.
Les pays signataires s’engagent à ne pas augmenter les droits de douane
existants et à participer à des « négociations commerciales multilatérales », aussi appelées « rounds » de négociations.
Toutefois, le GATT tolère de nombreuses dérogations pour tenir compte
des situations économiques particulières. Ainsi les produits agricoles ontils longtemps bénéficié de ce type de mesures dérogatoires. Le GATT définit avant tout un cadre propice à la négociation multilatérale. Par conséquent, le libre-échange ne devient réalité que dans les années 1960.
c) L
e rôle de l’ONU dans l’économie mondiale et ses
limites
Dès sa création en juin 1945, l’Organisation des Nations Unies intègre
à ses missions les relations économiques comme facteur de paix, le
maintien de la paix mondiale représentant sa mission essentielle. Ses
fondateurs sont acquis au libéralisme et convaincus que la coopération
économique entre pays est facteur de prospérité collective et de paix.
C’est pourquoi le système de l’ONU comporte :
– un Conseil Economique et Social qui a pour mission de promouvoir le
développement économique et social.
Ainsi que des institutions indépendantes :
– le FMI et la BIRD sont des institutions indépendantes rattachées à
l’ONU.
Et des institutions spécialisées pour accompagner la mise en place de
cet ordre économique international :
– le CNUCED : Conférence des Nations Unies sur le Commerce et le Développement
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– l’UNICEF : Fonds des Nations Unies pour l’Enfance
– le HCR : Haut-Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés
Ainsi que certaines de ses agences spécialisées, organisations autonomes qui travaillent avec l’ONU et collaborent entre elles, comme :
– l’OIT : Organisation internationale du travail, antérieure à la naissance
des Nations-Unies, son siège est à Genève.
– la FAO : Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture (siège à Rome).
– le PNUD : Programme des Nations Unies pour le Développement (centré sur les pays du Sud), siège à New York.
– le PNUE : Programme des Nations Unies pour l’Environnement basé à
Nairobi (Kenya).
– L’OMS : Organisation mondiale de la santé basée à Genève dont le rôle
est devenu primordial avec l’émergence de nouvelles maladies hautement transmissibles à l’ensemble de l’humanité.
Document 14
L’ONU et le nouvel ordre économique mondial
CONSEIL ÉCONOMIQUE ET SOCIAL
18 membres en 1945
54 aujourd’hui
élus par tiers pour 3 ans
par l’Assemblée Générale
ASSEMBLÉE GÉNÉRALE
51 menbres en 1945
1 voix par pays
Insitutions
spécialisées
à vocation
économique
et sociale :
OIT
Programmes
et fonds :
192 membres aujourd’hui
CNUCED
croissance économique
déséquilibré et contestée
Insitutions
indépendantes :
FMI
Les flèches signifient «rapportent directement»
3. L
a recomposition économique de l’Aprèsguerre
a) Une reconstruction rapide
L’économie se relève de la Seconde Guerre mondiale plus rapidement
que ne le laissait craindre la situation désastreuse de 1945.
– les États-Unis réussissent la reconversion de leur économie de guerre
– les pays d’Europe occidentale se reconstruisent rapidement, notamment grâce au financement américain du Plan Marshall.
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– les vaincus, Allemagne et Japon se reconstruisent également grâce au soutien des alliés occidentaux qui craignent l’expansion du communisme
Cette reconstruction permet de poser les bases d’un système monétaire
international stable. En 1949 la livre sterling, et une vingtaine de grandes
monnaies à sa suite, dévaluent, ce qui met un terme à l’inflation héritée
de la Seconde Guerre mondiale. Il faut néanmoins attendre 1957 pour
que la convertibilité des monnaies européennes prévue à Bretton Woods
et définie comme objectif souhaitable, soit rétablie.
La reprise du commerce international est favorisée par la stabilisation
du cours des monnaies, et par les premières négociations organisées
sous l’égide du GATT. Dès 1951, les échanges mondiaux dépassent leur
niveau de 1938 mais aussi celui de 1929, la meilleure année de l’entredeux-guerres en la matière. Cette reprise bénéficie fortement à l’Europe
occidentale.
Néanmoins, cette reconstruction a fonctionné pour les pays qui ont
accepté le modèle et les intérêts économiques des États-Unis. Dans le
monde coupé en deux par la guerre froide à partir de 1947, elle est donc
loin de concerner l’ensemble du monde. Les pays d’Europe de l’Est ont
été contraints par l’URSS de refuser l’aide du Plan Marshall. L’URSS avait,
de surcroît, d’emblée refusé de participer au nouveau système monétaire
international et d’adhérer au GATT. Avec la victoire de Mao en Chine en
1949, c’est presque le tiers de l’humanité qui vit dans un pays communiste et ne participe donc pas à ce nouvel ordre économique « mondial ».
b) L
es pays du Sud, oubliés du nouvel ordre
économique mondial ?
À partir des années 1960, les pays dits du « Tiers-monde » contestent de
plus en plus l’ordre économique international imposé par les pays industrialisés. Les trois pôles dominants de ce monde industrialisé, qu’on
appelle aussi Triade, sont les États-Unis, le Japon et l’Europe occidentale, dont les intérêts sont d’ailleurs loin d’être toujours convergents.
Alors même que ces pays connaissent une phase de croissance soutenue, l’écart qui les sépare des pays du Tiers-Monde semble se creuser.
Dans les trente années qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale, les
habitants des pays les plus riches ont vu leur revenu individuel augmenter en moyenne de 5843 dollars, alors que le revenu des habitants des
pays pauvres n’augmentait sur la même période que de 81 dollars. Les
pays du Tiers-monde ne représentent que 17 % des exportations mondiales en 1973, alors qu’ils pesaient 34 % en 1948. Les pays pauvres
essaient alors de développer leurs revendications afin de définir un
ordre économique moins inégalitaire.
La conférence des peuples afro-asiatiques de Bandung organisée entre
les 18 et 25 avril 1955 en Indonésie porte publiquement et collectivement ces revendications. Vingt-neuf nations, représentant la moitié de la
population mondiale mais seulement 8 % du PIB mondial s’y réunissent
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Séquence 7 – HG00
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Une des trois commissions de la conférence porte sur la coopération
culturelle, les deux autres sur la politique et la coopération culturelle. La
résolution finale est une déclaration anticolonialiste qui met au premier
plan les revendications des pays du Tiers-Monde en matière de partage
de la croissance économique mondiale.
Document 15
Communiqué final de la conférence de Bandung, 24 avril 1955
États participant à la conférence organisée par les gouvernements de
Birmanie, de Ceylan, d’Inde, d’Indonésie, du Pakistan qui s’est tenue à
Bandung du 18 au 24 avril 1955 : Afghanistan, Arabie saoudite, Birmanie, Cambodge, Ceylan, Chine populaire, Ghana (qui s’appelle alors Gold
Coast), Egypte, Ethiopie, Inde, Indonésie, Irak, Iran, Japon, Jordanie,
Laos, Liban, Libéria, Libye, Népal, Nord-Vietnam, Pakistan, Philippines,
Soudan, Sud-Vietnam, Syrie, Thaïlande, Turquie, Yémen.
1. La Conférence afro-asiatique reconnaît la nécessité urgente d’encourager le développement économique de la zone afro-asiatiaque.
Les pays participants ont exprimé le désir général d’une coopération
économique sur la base des intérêts mutuels et du respect de la souveraineté nationale. Les propositions concernant la coopération économique entre les pays participants n’excluent pas le caractère désirable
ou la nécessité d’une coopération avec les pays en dehors de la zone
afro-asiatique, y compris les investissements de capitaux étrangers.
Il a été reconnu que l’assistance reçue par certains des pays participants dans le cadre d’accords internationaux ou bilatéraux – assistance émanant d’États extérieurs à la zone afro-asiatiques – a représenté une contribution appréciable à la réalisation des programmes
de développement des bénéficiaires.
2. Les pays participants décident de s’accorder une assistance technique,
dans toute la mesure de possible, sous forme : d’experts, de projets
pilotes, de matériel de démonstration, d’échanges de documentation,
d’établissements d’instituts de recherche et de formation nationaux
et – si possible régionaux – qui prodigueront leurs connaissances
techniques et scientifiques en coopération avec les organismes internationaux existants.
3. La conférence afro-asiatique recommande
– l’établissement sans retard d’un Fonds des Nations Unies pour le
développement économique
– l’allocation par la Banque internationale de reconstruction et de développement d’une plus grande partie de ses ressources aux pays
afro-asiatiques
– la fondation rapide d’une corporation internationale financière qui
devrait inclure dans ses activités l’engagement de procéder à des
investissements
– d’encourager l’organisation de projets communs entre les pays afro-asiatiques, dans la mesure où cela correspondrait à leurs intérêts communs
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4. La Conférence afro-asiatique reconnaît la nécessité vitale de stabiliser
le commerce des marchandises dans la zone afro-asiatique. […]
5. La Conférence afro-asiatique préconise une action collective des pays
participants pour stabiliser les prix internationaux et la demande
des marchandises essentielles par le jeu de dispositions bilatérales
et multilatérales. Dans la mesure où cela est possible et désirable,
les pays participants devraient adopter une ligne de conduite unifiée
à l’égard de ce problème à la Commission consultative permanente
des Nations Unies pour le commerce international ainsi que dans les
autres organisations internationales.
Questions
1 Présentez le document, en rappelant le contexte historique de la déco-
lonisation au milieu des années 1950 (ceci fait appel à vos connaissances acquises en classe de Première !)
2 Quelle place tiennent les pays représentés à la Conférence dans
l’ordre économique international de cette période ?
3 Quelle est la situation politique de ces États ?
4 Quelles sont leurs revendications principales ?
Réponses
Le texte est un extrait de la résolution finale de la Conférence des peuples
afro-asiatiques de Bandung (18-25 avril 1955). Cette conférence a été organisée en Indonésie, pays récemment libéré de la tutelle des Pays-Bas
et regroupe des États récemment décolonisés, soucieux d’affirmer leur
souveraineté et leur solidarité collective. Souvent étudié pour sa portée politique – affirmation de la souveraineté et de l’égalité des nations
entre elles, refus de toute pression de la part des grandes puissances
– l’extrait étudié révèle aussi la portée économique de cette conférence.
Les vingt-neuf nations réunies représentent plus de la moitié de l’humanité, mais seulement 8 % du PIB mondial en 1955. Pour autant, en 1955,
ce sont surtout les revendications politiques qui passent au premier plan
de la conférence, les pays présents ayant pour ambition de définir une 3e
voie entre l’Est et l’Ouest en pleine guerre froide : c’est ce qu’on a appelé
le « non-alignement ».
En effet, ces États sont de jeunes Nations, récemment libérées de la
tutelle coloniale. C’est le cas de l’Indonésie, pays organisateur, mais
aussi de l’Inde et du Pakistan, indépendants depuis 1947. On peut
noter le cas particulier de la République populaire de Chine, communiste depuis 1949. La Chine tient en effet une place à part puisqu’elle
n’a jamais été vraiment colonisée (même si son économie était dominée
par les pays européens au XIX° siècle). Cette proximité avec les pays du
Tiers-Monde est encore aujourd’hui un aspect important de la position
de la Chine dans le monde.
Le texte de la résolution finale fait le bilan du retard pris par ces pays
dans la croissance économique : « nécessité urgente d’encourager le
développement économique ». Pour autant, en matière économique, la
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Séquence 7 – HG00
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rupture complète des liens avec la métropole est souvent difficile, voire
impossible : « une contribution appréciable à la réalisation de projets
de développement ». Néanmoins, ces jeunes nations ont à cœur de faire
entendre leur voix propre, ce qui passe par une organisation collective :
« s’accorder une assistance technique » et l’utilisation des Nations Unies
comme d’une tribune : « une ligne de conduite unifiée (..) ainsi que dans
d’autres organisations internationales ».
Dans la même lignée, l’OPEP (l’organisation des pays exportateurs de
pétrole) est créée en 1960 et cherche à contrôler les profits d’un marché
du pétrole en plein développement.
En 1964, la première Conférence des Nations unies sur le commerce
et le développement (CNUCED, voir schéma de l’ONU) voit l’émergence
d’un bloc du Sud avec le « Groupe des 77 » (qui regroupe 133 pays
aujourd’hui) qui rassemble les pays du tiers-monde. Cette conférence
offre un cadre aux discussions sur l’aide au tiers-monde. Il s’agit de
favoriser l’expansion du commerce international dans une perspective
de développement, perspective qui n’est pas du tout prise en compte
par le GATT.
B
Instabilité économique et mondialisation : le difficile apprentissage
de l’interdépendance
1. L
a formation d’un système international
des capitaux privés
a) Les États-Unis modifient les règles du jeu
Le système mis en place à Bretton Woods revenait à un système de financement public international. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la finance officielle joue donc un rôle prépondérant. Les flux de
capitaux privés sont encore modestes : les investissements directs et les
crédits commerciaux sont le plus souvent garantis par les États des pays
exportateurs, les États-Unis en premier lieu. En effet, au lendemain du
conflit, il n’existe pas de marché international des capitaux de taille suffisamment importante. Les possibilités de financement des pays en déficit
se limitent en pratique aux possibilités de tirage sur le FMI et d’emprunt
auprès de la Banque Mondiale. Dans ces conditions extrêmement restrictives, les déficits courants généralement devaient être contenus en
dessous de 1 % du PIB, ce qui est très faible. [Cette situation était donc
radicalement différente de celle d’aujourd’hui.]
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69
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Pourtant, ce système allait progressivement être remis en cause. En effet,
ce dispositif de financement allait progressivement subir la concurrence
du marché des « eurodollars ». À partir de la seconde moitié des années
1960, de plus en plus de capitaux sortent du territoire des États-Unis,
désireux de trouver une meilleure rentabilité à l’étranger, creusant de
plus en plus le déficit de la balance des capitaux américains.
Trois éléments peuvent expliquer ce déficit croissant :
E Les investissements massifs des firmes des États-Unis à l’étranger, en
Europe notamment
E
Le plafonnement des taux d’intérêt aux États-Unis encourage les
emprunts étrangers sur ce marché (puisque les taux d’intérêt y sont
faibles)
E Le financement de la Guerre du Viêt-Nam.
Les dollars se répandent donc dans le monde, notamment en Europe
où on les appelle les « eurodollars ». Les opérations réalisées en dollars à l’étranger, par des filiales des banques américaines, ne sont pas
contrôlées par la Banque centrale des États-Unis, la FED, qui ne peut
contrôler des marchés étrangers à son territoire. Elles ne sont pas contrôlées non plus par les Banques centrales des pays dans lesquels elles
se produisent, car elles se font en dollars. Elles échappent donc à tout
contrôle étatique et sont très rentables, encourageant le développement
de marchés de capitaux privés.
b) La fin du système de Bretton Woods
En 1971, les États-Unis sont confrontés à leur premier déficit commercial
depuis le début du XX° siècle. Les dollars présents hors du sol américain
représentent alors 5 fois la valeur des réserves d’or détenues par la Fed.
Les États-Unis craignent de voir se déclencher une crise financière très
importante.
C’est pour tenter de la contrer que le président Richard Nixon annonce,
le 15 août 1971, la suppression de la convertibilité du dollar en or.
C’est une décision unilatérale des États-Unis : cela signifie qu’ils l’ont
prise sans consulter leurs alliés et partenaires économiques. Cette décision est entérinée a posteriori par l’accord de Washington, signé le 18
décembre 1971 par les grandes puissances économiques. Cet accord
aboutit à la dévaluation du dollar, à la réévaluation du Deutsche Mark
et du Yen japonais (la RFA et le Japon sont alors les 2e et 3e économies
mondiales). Les marges de fluctuation des monnaies autorisées à Bretton Woods sont élargies de 1 à 2,25 %.
Cette réforme se révèle insuffisante du point de vue des États-Unis, dont
l’économie donne alors de sérieux signes de faiblesse. Ils décident de
dévaluer à nouveau le dollar le 13 février 1973, de 10 % cette fois. Mais
cette décision unilatérale n’est cette fois pas suivie d’un accord : les pays
européens décident de ne pas suivre cette dévaluation. Il s’ensuit un
flottement généralisé des monnaies, hors des limites prévues. C’est la
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Séquence 7 – HG00
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fin du système de Bretton Woods, le FMI perdant de fait sa capacité de
contrôle sur les fluctuations monétaires.
Les accords de Kingston (capitale de la Jamaïque) signés en janvier 1976
officialisent la fin de ce système, et la disparition de l’or comme étalon monétaire : chaque monnaie peut désormais fluctuer, chaque État
membre du FMI est libre de décider de sa politique monétaire. Désormais, la valeur des monnaies est décidée par les marchés. La période
est marquée par d’importants désordres monétaires, avec notamment
l’effondrement du cours du dollar. Les États prennent aussi conscience
qu’il leur incombe désormais d’attirer les capitaux de plus en plus importants et libres de leurs localisations.
Des tentatives inabouties de coordination internationale
Confrontés à la crise, les États ne parviennent pas pour autant à envisager des réponses collectives. Néanmoins, les premières tentatives de
coordination internationale après l’effondrement du système de Bretton
Woods se font jour.
2. L
e nouveau jeu mondial des années
1970 et 1980
Pour la première fois depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, les pays
industrialisés subissent une décision prise par un autre groupe de pays :
les pays exportateurs de pétrole. Le premier choc pétrolier a pour résultat la multiplication par quatre du prix du pétrole entre octobre 1973 et
janvier 1974. Ainsi, une série de décisions prises en dehors des grands
centres de pouvoir économique du monde développé perturbe l’ensemble
de l’économie mondiale. Tous les pays industrialisés sont affectés par ce
choc, et prennent conscience de leur dépendance énergétique. Le 2e choc
pétrolier, en 1979, coïncide avec l’arrivée de gouvernements très libéraux
aux États-Unis (élection du Président Républicain Ronald Reagan en 1980)
et au Royaume-Uni (arrivée de Margaret Thatcher, Premier ministre conservateur) qui remettent en cause l’intervention de l’État dans l’économie.
D’autres acteurs tentent de se faire entendre et revendiquent une place
dans un ordre mondial défini sans eux : nouveaux pays industrialisés
d’Asie (Hong Kong, Taïwan, Corée du Sud, Singapour), pays les moins
avancés, pays émergents… mais aussi acteurs non-étatiques comme les
Organisations non Gouvernementales (ONG). En 1971, est organisé pour
la première fois le World Economic Forum de Davos qui associe États et
milieux d’affaires. Pour les gouvernements, un nouveau type de gouvernance se profile : il faut trouver des compromis plutôt qu’imposer des
décisions à l’intérieur de frontières bousculées par la mondialisation.
b) Les premières tentatives de coordination des États
Ces premières tentatives sont issues de l’initiative des pays industrialisés. En 1975 le G6 est créé : il réunit les États-Unis, le Japon, l’Alle-
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magne, le Royaume-Uni, la France et l’Italie, c’est-à-dire les six pays démocratiques les plus industrialisés au monde. Le Canada, mécontent de ne
pas avoir été invité, rejoint ce club dès juin 1976, le G6 devient donc le
G7. Quatre membres du G7 appartenant aux communautés européennes
(République fédérale d’Allemagne, France, Italie, Royaume-Uni), la Commission européenne obtient d’être présente lors des différentes rencontres, sans obtenir de siège officiel. Le G7 est conçu comme un club de
happy few (heureux élus) : les dirigeants des pays les plus riches se réunissent. En février 1987, les accords du Louvre tentent de définir une politique monétaire coordonnée, notamment entre les États-Unis d’une part
et le Japon et l’Allemagne d’autre part. Ces sommets sont aussi l’occasion
pour le pays hôte de déployer faste et apparat, dans des décors exceptionnels : Versailles en 1982, Williamsburg en 1983, Venise en 1987.
3. Les crises de la dette des pays du Sud
a) La crise de la dette en Amérique latine
Août 1982 : le Mexique déclare officiellement qu’il n’est plus en mesure
de faire face à ses engagements, c’est-à-dire de rembourser ses créanciers. Prises de panique, les banques réagirent par l’arrêt brutal des
financements vers l’ensemble des pays d’Amérique latine, propageant
la crise à l’ensemble de la région. Cette crise des années 1980 donne au
FMI un nouveau rôle : il pourvoit les financements dont les pays, incapables de faire face à leurs échéances ont besoin. Mais cette aide est
conditionnée à la mise en œuvre de « politiques d’ajustement structurel » : libéralisation de l’économie, ouverture des frontières, privatisation de secteurs alors contrôlés par l’État.
b) La dette des pays d’Afrique subsaharienne
Cette stratégie est aussi appliquée dans les pays à faible revenus
d’Afrique subsaharienne. Leur situation est pourtant très différente
des pays d’Amérique latine. Ces derniers avaient emprunté auprès des
banques américaines pour profiter des faibles taux d’intérêt. Quand ces
taux sont repartis à la hausse, après le second choc pétrolier, ces pays
se sont retrouvés avec des remboursements beaucoup plus élevés que
prévus : on dit que le service de la dette a augmenté. Leur incapacité à
rembourser menaçait donc directement le système bancaire américain.
Mais les pays d’Afrique subsaharienne ont surtout emprunté de l’argent
directement auprès des pays riches et de la Banque mondiale. Ces pays
auraient donc pu renégocier – à la baisse – cette dette afin d’empêcher
qu’elle n’asphyxie les pays concernés, puisqu’elle ne menaçait en rien le
système bancaire international.
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Document 16
L’intervention du FMI dans un pays d’Afrique des années 1980 :
l’exemple du Ghana
Présentation du Ghana (capitale Accra) :
Pays du Golfe de Guinée
Deuxième producteur mondiale
de cacao (60 % des exportations
agricoles du pays)
BURKINA FASO
1982 : baisse du cours des
matières premières et agricole,
baisse du cours du cacao
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B l ack V
CÔTE
D’IVOIRE
BÉNIN
Lac
Volta
Possède aussi des ressources
naturelles : or, manganèse, bauxite, diamants
Mais son industrie est très peu
développée.
La situation politique du Ghana
est considérée comme un modèle
en Afrique.
Le gouvernement de l’indépendance, favorable au non alignement et ouvert aux pays de l’Est
bâtit une économie sur le modèle
Accra
socialiste. Il est renversé, des
Golfe de
Guinée
régimes militaire et corrompus
alternent. Plusieurs coups d’État
menés par un officier putschiste,
Jerry Rawlings, vont permettre de lutter contre la corruption endémique et transférer au secteur privé les entreprises d’État inefficaces. Le FMI et la Banque Mondiale vont prêter de l’argent au pays,
à deux conditions, revoir entièrement le fonctionnement du Ghana
par une administration pléthorique et privatiser le secteur du cacao
et des mines. Rawlings accepte, sous la pression des bailleurs de
fonds, le retour à la démocratie. Les Ghanéens vivent mieux que
leurs voisins, dans un pays qui poursuit la voie de la démocratie,
alors que le voisin ivoirien a sombré dans le chaos de la guerre civile.
L’évolution économique du Ghana depuis trente ans :
→ Le Ghana, confronté à la baisse des cours du cacao, doit s’endetter
→ Obtient un prêt du FMI : 2,4 milliards de dollars sur 4 ans
→ Contrepartie exigée par le FMI : libéralisation des prix et des échanges
commerciaux
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→ Recettes tirées de l’exportation de cacao désormais utilisées pour
rembourser le prêt au FMI
→ Retard de développement : peu d’écoles, d’hôpitaux…
→ Poursuite des privatisations avec la transition démocratique du début
des années 1990
→ La production cacaoyère ivoirienne est vendue au Ghana pendant les
années de guerre civile
→ Aujourd’hui, le Ghana reste toujours un pays pauvre très endetté
→ Découverte récente de gisements de pétrole dans le Golfe de Guinée,
secteur minier en expansion.
Questions
1 Présentez la situation du Ghana au début des années 1980 ?
2 Pourquoi peut-on parler d’engrenage de l’endettement ?
3 Pourquoi le FMI présente-t-il le Ghana comme un élève modèle ?
4 Quelles peuvent être les conséquences, souhaitables ou non, de
découverte des gisements de pétrole pour le Ghana ?
Réponses
1 Le Ghana est un pays du Golfe de Guinée dont l’économie est en
grande partie dépendante des exportations de matières premières et
agricoles, notamment de cacao. Or, comme de nombreux pays africains, ce pays a été touché par la baisse des cours mondiaux des matières premières au début des années 1980. Un pays comme le Ghana
est incapable d’influer sur ces cours, qui sont décidés par les marchés
internationaux (les deux grandes bourses mondiales des produits
agricoles sont Londres et Chicago). Par contre, une baisse de ces
cours a des conséquences immédiates sur son économie puisqu’elle
signifie une baisse très significative de ses revenus. Or, son économie
est très peu diversifiée et les autres secteurs n’ont pas pu prendre le
relais du cacao.
2 Dans ces conditions, l’endettement est devenu nécessaire pour faire
face aux dépenses. Mais les remboursements des prêts octroyés par le
FMI sont soumis à des conditions très contraignantes de libéralisation
de l’économie. D’autre part, le FMI – et la Banque Mondiale – ont refusé
jusqu’en 1996 d’accepter le principe de la renégociation des sommes qui
leur étaient dues. Le pays qui s’endette doit donc en priorité rembourser
cette dette, au détriment d’autres dépenses lui permettant d’élever son
niveau de développement, comme des écoles ou des hôpitaux.
3 Le FMI a présenté le Ghana comme un élève modèle car il a connu un
processus de démocratisation depuis le début des années 1990. Ce
processus a renforcé la confiance du FMI et des autres créanciers du
Ghana, et n’a pas interrompu la libéralisation de l’économie.
4 La découverte du gisement de pétrole dans le golfe de Guinée, dans
les eaux territoriales du Ghana, est une bonne nouvelle pour ce pays.
En effet, le pétrole peut servir de relais de croissance et procurer des
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revenus substantiels à son économie. Par contre, ce n’est peut-être
pas une très bonne nouvelle pour la jeune démocratie. Si on prend
l’exemple du Nigéria, on constate que les revenus importants tirés du
pétrole sont captés au profit du pouvoir autoritaire de ce pays et par
les firmes pétrolières occidentales ou asiatiques qui les exploitent.
Dans ces conditions, la richesse tirée du pétrole n’a pas amélioré le
niveau de développement du Nigéria, consolide un pouvoir dictatorial
et entraîne la guerre civile pour modifier par la force le partage actuel
des richesses. Le risque est grand pour le Ghana.
C
Progrès et limites de la gouvernance économique mondiale
1. Vers un nouvel ordre économique mondial
Deux aspects expliquent la configuration actuelle de l’économie mondiale, et le passage d’une économie-monde américaine à une économie
multipolaire, qui vous a été présenté dans le premier chapitre de l’année
de Première.
La fin de la guerre froide :
En effet, la réflexion sur la gouvernance mondiale était de peu d’actualité
pendant cette période. Le système international est alors organisé en
fonction de la coupure Ouest/Est et s’appuie sur les institutions héritées
de la reconstruction du monde après la Seconde Guerre mondiale. La
géographie de l’économie internationale organisée par ces institutions
se limite de fait aux alliés des États-Unis.
L’effondrement du communisme en Europe de l’Est (1989) puis de
l’URSS (1991) met fin de fait à cette organisation bipolaire du monde.
Les réflexions autour de la nécessité d’une meilleure gouvernance
prennent alors plus d’importance. En effet, la prise de conscience se fait
du manque de cette gouvernance à l’échelle mondiale, alors que l’intégration économique est de plus en plus avancée à l’échelle de la planète.
La montée en puissance des pays émergents
Cette montée en puissance remet en cause les conceptions du monde
développées par les pays occidentaux et multiplie le nombre de pays
désirant avoir voix au chapitre dans la gouvernance mondiale. Qui sont
ces puissances dites émergentes, qu’on désigne maintenant comme le
groupe des BRIC ?
La Chine : Mao meurt en 1976, Deng Xiaoping lui succède. Il opte pour la
modernisation de son pays et son ouverture – de plus en plus importante
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– aux investissements internationaux. Elle est admise à l’OMC en 1995.
Peuplée de 1,3 milliards d’habitants, elle est devenue la 2e puissance
économique mondiale (devant le Japon), le 1er émetteur de CO2 dans le
monde (devant les États-Unis), le 2e pays consommateur d’énergie.
L’Inde : a aussi décidé d’accroître son ouverture économique dans les
années 1990. Sa croissance annuelle moyenne atteint 7,9 % entre 2002
et 20007 ; Elle s’est spécialisée dans l’informatique et les services.
La Russie : Croissance annuelle moyenne de 6,9 % entre 2002 et 2007 ;
sa richesse repose essentiellement sur l’exportation de ressources énergétiques, notamment du gaz.
Le Brésil : la croissance annuelle moyenne de ce pays a atteint 3,7 %
entre 2002 et 2007 ; c’est une puissance agricole de premier plan.
Certains experts estiment qu’à l’horizon 2030-2040 le PIB total de ces
pays pourrait dépasser celui des pays occidentaux.
2. L
a nouvelle gouvernance de l’économie
et de la finance mondialisées
a) L
es désordres financiers mondiaux : l’exemple
de la crise asiatique de 1997
La première grande crise financière de l’Asie émergente a lieu en 1997.
Tous les pays d’Asie sont frappés et la crise a des répercussions mondiales affectant le Brésil et la Russie.
Calendrier de la crise asiatique en 1997
2 juillet : décrochage de la monnaie thaïlandaise, le baht
24 juillet : effondrement monétaire et boursier en Asie du SE
(Thaïlande, Malaisie, Philippines)
Août : décrochage de la monnaie indonésienne, la roupie
23 octobre : krach boursier HK
27-28 octobre : chute cours
Bourses EU et Europe
novembre/décembre : décrochage
de la monnaie sud-coréenne, le
won et krach boursier à Séoul
décembre : rééchelonnement
de la dette sud-coréenne par
les banques occidentales et
japonaises
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Document 17
South Korea Seoul Stock Exchange, décembre 1997
…et propagation mondiale en 1998
Avril : krach boursier à Moscou
juillet : FMI décide principe prêt de 22,6 milliards à la Russie
août : chute des Bourses de Sao Paulo (Perd 40 %) et Buenos Aires
(pers 38 %)
septembre : chute des Bourses mondiales.
Document 18
Le mécanisme de la crise asiatique de 1997
Afflux des capitaux
étrangers,
crédit trop facile
«Bulle» :
augmentation
déraisonnable
des cours de la
Bourse, les prix
de l’immobolier
s’envolent
Éclatement
de la bulle
Fuite des
capitaux
Krach boursier
et immobilier
Crise bancaire
Baisse du
cours des
monnaies
Les pays asiatiques, la Chine au premier plan, ont retenu la leçon de cette
crise : la priorité est désormais pour ces pays de se constituer des réserves
financières aussi importantes que possible. La Chine accumule vis-à-vis
des États-Unis des excédents commerciaux : cela signifie qu’elle exporte
vers les États-Unis davantage qu’elle n’importe de biens et de services
produits aux États-Unis. Elle investit ses excédents en achetant des bons
du Trésor américain et devient donc le premier créancier des États-Unis.
Les désordres financiers mondiaux : la crise des subprimes
En 2007 éclate aux États-Unis la crise des subprimes, dont les mécanismes
sont proches de ceux de la crise asiatique de 1997, mais dont les conséquences, dramatiques, sont de portée mondiale. On retrouve en effet la
hausse vertigineuse des prix de l’immobilier. Les banques ont accordé facilement des crédits aux ménages américains, qui pensaient faire une excellente affaire en achetant une maison dont le prix allait augmenter avec les
années. Certains ménages se sont donc lourdement endettés alors même
qu’ils n’étaient pas en mesure de rembourser les prêts contractés – ce que
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les banques n’ont pas toujours vérifié. Quand la « bulle » se dégonfle et que
les prix de l’immobilier se mettent à baisser, ces ménages sont incapables
de rembourser ce qu’ils doivent (l’hypothèque de leur prêt) et se retrouvent
avec une maison qui ne vaut plus rien – mais toujours un prêt à rembourser.
Or, ces prêts immobiliers ont été transformés en produits financiers : c’est
ce qu’on appelle la « titrisation ». Ces titres sont vendus à d’autres banques
au sein de montages complexes. Par conséquent, quand une banque d’affaires américaine, Lehman Brothers, a fait faillite au début de l’automne
2008, une crise boursière et bancaire mondiale s’est enclenchée.
Cette crise a suscité une réponse immédiate des États, craignant de
voir ressurgir l’équivalent de la récession qui a suivi le krach boursier
de 1929. Les États-Unis, les États de l’Union Européenne et le Japon ont
mis en place des plans de sauvetage des banques et de relance de l’économie. Dans le même temps, les pays émergents ont mieux résisté à
la crise, ils sont moins insérés dans le système bancaire international.
Mais ces désordres financiers ont imposé l’idée d’une nécessaire régulation mondiale de l’économie.
3. L
es enjeux de la gouvernance
économique mondiale
a) Un nouveau forum mondial ? Le G20
Le 25 septembre 2009, le G 20 est officiellement réuni pour la première
fois à Pittsburgh. L’idée d’un forum élargi aux pays émergents est en fait
apparue en 1999, au lendemain de la crise asiatique. Mais il ne s’agit
alors que d’une rencontre entre ministre des Finances et des gouverneurs
des Banques centrales des pays concernés. Neuf ans plus tard, l’idée ressurgit, réunissant cette fois les chefs d’État et de gouvernement des vingt
principales puissances de la planète (voir tableau récapitulatif).
Pays membre du G20
(par ordre alphabétique)
Allemagne
Afrique du Sud
Arabie Saoudite
Argentine
Australie
Brésil
Canada
Chine
Corée du Sud
États-Unis
France
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PIB en 1998
(milliards de dollars)
2187
134
146
299
PIB en 2008
3673
277
469
325
373
1013
844
1573
617
1499
1019
4327
360
929
8793
14441
1474
2867
Inde
Indonésie
Italie
Japon
Mexique
Royaume-Uni
Russie
Turquie
411
1207
105
512
1219
2314
3857
4911
455
1088
1456
2680
271
1676
269
730
NB : l’UE est le 20e membre du G20
Question
Quels pays font leur entrée dans le G20 par rapport au G8 (G7 + Russie) ?
En quoi cette entrée est-elle significative ?
Quelle est l’évolution du PIB des pays membres du G20 entre 1998 et
2008 en général ? Pour les pays émergents ? Pour le savoir, vous pouvez calculer le taux de croissance pour ces pays de la manière suivante :
(PIB en 2008 – PIB en 1998)/PIB en 2008/10 (le nombre d’années entre
1998 et 2008) x 100 (pour obtenir un %). Les résultats obtenus donnent
la mesure du rythme moyen de progression annuelle des différents pays.
Réponses
L’intégration des pays émergents n’est pas que symbolique : elle est
significative des transformations récentes de l’économie mondiale. Elle
traduit l’importance nouvelle des pays émergents dans l’économie globale et leur aspiration à participer à la prise des décisions concernant la
régulation de cette économie.
Le tableau montre que l’ensemble des pays membres du G20 ont connu
une croissance de leur PIB entre 1998 et 2008. Par contre, cette évolution est plus ou moins spectaculaire. Elle est particulièrement spectaculaire en Chine et en Inde. Les États-Unis conservent une avance remarquable. On peut d’ailleurs remarquer que les croissances sont d’autant
plus spectaculaires que les pays concernés partent de loin.
Pays membre du
PIB en 1998
G20 (par ordre
(milliards de dollars)
alphabétique)
PIB en 2008
Croissance
Croissance
moyenne relative moyenne relative
du PIB (sur 10 ans) annuelle du PIB
Allemagne
2187
3673
67,9
6,8
Afrique du Sud
134
277
106,7
10,7
Arabie Saoudite
146
469
221,2
22,1
Argentine
299
325
8,7
0,9
Australie
373
1013
171,6
17,2
Brésil
844
1573
86,4
8,6
Canada
617
1499
142,9
14,3
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Chine
1019
4327
324,6
32,5
Corée du Sud
360
929
158,1
15,8
États-Unis
8793
14441
64,2
6,4
France
1474
2867
94,5
9,5
Inde
411
1207
193,7
19,4
Indonésie
105
512
387,6
38,8
Italie
1219
2314
89,8
9,0
Japon
3857
4911
27,3
2,7
Mexique
455
1088
139,1
13,9
Royaume-Uni
1456
2680
84,1
8,4
Russie
271
1676
518,5
51,8
Turquie
269
730
171,4
17,1
Le G20 représente bien une avancée puisqu’il représente 90 % du PIB
mondial et place les puissances émergentes sur un pied d’égalité avec
les pays industrialisés anciens. Pour autant, comme le G7-G8, le G20 ne
peut que faire des recommandations. Il n’a aucun pouvoir contraignant,
au contraire du Conseil de Sécurité de l’ONU par exemple.
b) Le rôle renouvelé des institutions de Bretton Woods
Lors du sommet du G20 organisé les 11 et 12 novembre 2010 à Séoul,
en Corée du Sud, des décisions importantes ont été prises concernant le
fonctionnement du FMI. Afin de tenir compte du rôle accru des puissances
émergentes dans l’économie mondiale, les droits de vote de ces pays ont
été augmentés. La Chine détient désormais la 3e place, derrière les ÉtatsUnis et le Japon mais devant l’Allemagne, la France et le Royaume-Uni.
L’Inde est 8e juste derrière l’Italie, la Russie 9e et le Brésil 10e.
D’autre part le FMI, qui détient la 3e réserve d’or mondial derrière les ÉtatsUnis et l’Allemagne, a vu ses ressources augmenter afin de lui permettre
de mieux répondre aux situations de crise économique et financière.
Conclusion
80
Le monde actuel est encore largement l’héritier du projet politique et
économique hérité de la Seconde Guerre mondiale. Les structures de
gouvernance actuelle en sont issues, même si leur fonctionnement a pu
être modifié. La recomposition de l’économie mondiale n’est pas achevée et l’ensemble de ses conséquences sans doute imprévisible. Pour le
moment, aucun modèle de gouvernance mondial ne s’est imposé car il
n’existe pas de réel espace public mondial.
Pour autant, le nombre d’enjeux devant être considérés à l’échelle mondiale s’est multiplié, qu’il s’agisse des crises financières ou des enjeux
environnementaux.
La notion de biens publics mondiaux – ressources naturelles, air, eau…
– montre l’acuité de ces enjeux, mais aussi la difficulté d’aboutir à des
accords internationaux à ce sujet.
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Glossaire
Ajustement
structurel
Les programmes d’ajustement structurel regroupent les conditions
posées par le FMI au rééchelonnement de la dette des pays en développement à partir des années 1980. Visant au rétablissement des balances
commerciale et financière extérieures, ils préconisent une baisse des
dépenses publiques, ainsi que des mesures structurelles du type privatisations, libre circulation des capitaux.
Arriérés
Dette due et non remboursée à une date précise. Les arriérés peuvent
correspondre à des retards de paiement ou à une dette échue depuis
longtemps.
Banque
mondiale
Le Groupe de la Banque mondiale comprend la Banque internationale
pour la reconstruction et le développement (BIRD), la Société financière
internationale (SFI), l’Association internationale de développement
(AID), le Centre international de règlement des différends, l’Agence multilatérale de garantie des investissements (MIGA). L’usage désigne souvent la BIRD et l’AID du nom de Banque mondiale. La Banque possède un
capital apporté par les pays membres et emprunte sur les marchés internationaux de capitaux. Elle finance des projets sectoriels, publics ou privés, à destination des pays en développement et en transition.
BIRD
Banque internationale pour la reconstruction et le développement).
Institution spécialisée des Nations unies, elle a été créée en 1944 à l’issue de la Conférence de Bretton Woods pour accorder des aides sous
forme de prêts, afin de faciliter la reconstruction et le développement
des économies des Etats membres. L’activité de la Banque, orientée au
lendemain de la seconde guerre mondiale vers la reconstruction des
pays détruits, est aujourd’hui tournée vers les pays en développement.
CNUCED
(Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement)
Créée en 1964, elle vise à intégrer les pays en développement dans l’économie mondiale. La CNUCED est un forum intergouvernemental qui réalise
des travaux de recherche et d’expertise et offre une assistance technique
aux pays en développement, notamment aux pays les moins avancés.
Dette
Dette à court terme : inférieure ou égale à un an.
Dette à long terme : supérieure à un an.
Dette extérieure : dette publique + dette privée + dette multilatérale
+ dette à court terme.
Dette multilatérale : contractée auprès des institutions internationales,
notamment le FMI et la Banque mondiale.
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Droits de
tirage spéciaux
Le FMI a créé en 1969 le droit de tirage spécial (DTS), à titre d’instrument
de réserve international, pour compléter les réserves existantes des pays
membres (avoirs officiels en or et en devises, et positions de réserve au
FMI). Le DTS, qui sert d’unité de compte au FMI et à un certain nombre
d’autres organismes internationaux, est aujourd’hui évalué sur la base
d’un panier de grandes monnaies (dollar, euro, livre sterling et yen).
FAO
(Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture) Institution spécialisée des Nations unies chargée du développement mondial des ressources agricoles afin d’élever le niveau de nutrition et les
conditions de vie des populations rurales avec l’objectif ultime d’éradiquer la faim.
FMI
Institution spécialisée des Nations unies, fondée officiellement en 1945,
après la ratification par 29 pays des statuts adoptés à la conférence de
Bretton Woods en juillet 1944. Il a été créé en vue d’encourager la coopération monétaire internationale, de promouvoir la stabilité des changes,
de mettre temporairement, moyennant des garanties adéquates, ses
ressources générales à la disposition des États membres qui ont des difficultés de balance des paiements.
Groupe des
Sept (G7),
Groupe des
Huit (G8)
Le G7 est un groupe informel rassemblant les sept principaux pays industrialisés (Allemagne, Canada, États-Unis, France, Japon, Italie, RoyaumeUni) rejoints par la Russie en 1997. Initié en 1975 lors du sommet de
Rambouillet, le G8 se réunit en sommet annuel des pays industrialisés et
le G7 Finances réunit les ministres des finances et gouverneurs des
banques centrales, sans la Russie.
Groupe des
Soixante-dixsept (G77)
Fondé en 1964 dans le cadre de la première Conférence des Nations
unies pour le commerce et le développement (CNUCED), par soixantedix-sept pays en développement, afin d’établir une position commune
des pays en développement aux Nations unies, face aux pays industrialisés, il compte aujourd’hui 134 PED.
Groupe des
Vingt (G20)
Forum de réflexion sur les finances mondiales, créé en 1999, qui
regroupe le G7, l’Union européenne et douze pays émergents : Afrique
du Sud, Arabie saoudite, Argentine, Australie, Brésil, Chine, Corée du
Sud, Inde, Indonésie, Mexique, Russie, Turquie.
Indicateur de
développement
humain (IDH)
Indicateur élaboré par le PNUD (Programme des Nations unies pour le
développement) et utilisé depuis 1990. Il combine trois éléments :
– l’espérance de vie à la naissance,
– le niveau d’instruction, mesuré par le taux d’alphabétisation des
adultes (pour 2/3) et le taux brut de scolarisation tous niveaux confondus (pour 1/3),
– le revenu, mesuré par le PIB réel par habitant.
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OMC
Créée en 1995, l’OMC, qui succède au GATT, a quatre missions principales : arbitrer les conflits commerciaux entre Etats, contrôler les accords
de libre-échange mis en place par l’Acte final de l’Uruguay Round, élargir
les champs du libre-échange à de nouveaux domaines par l’ouverture de
cycles de négociations et faire le bilan des politiques commerciales des
États membres.
Pays
émergents
Pays dont la croissance économique est sérieusement amorcée (croissance du PIB et des exportations de produits manufacturés, augmentation des flux internationaux de capitaux). Ils ont connu sur une période
longue des taux de croissance très forts, ce qui leur a permis de combler
une partie de leur retard.
Quotes-parts
Les quotes-parts génèrent l’essentiel des ressources financières du FMI.
Chaque pays membre se voit attribuer une quote-part sur la base de son
importance relative dans l’économie mondiale. La quote-part d’un pays
membre détermine le montant maximum de ressources financières que
le pays s’engage à fournir au FMI et le nombre de voix qui lui est attribué,
et détermine le montant de l’aide financière qu’il peut obtenir du FMI.
Système
monétaire
international
Le SMI est un système de règles et de mécanismes institué par les États
et les organisations internationales pour favoriser les échanges internationaux et assurer la coordination des politiques monétaires nationales.
Celui qui est utilisé actuellement, est issu des accords de la Jamaïque
(1976). Il a profondément modifié le système précédent organisé par les
accords de Bretton Woods en 1944
n
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