cette tâche humaine interminable qui consiste à maintenir, à la fois séparées et reliées l’une à l’autre,
réalité intérieure et réalité extérieure. (…) C’est pourquoi j’étudie l’essence de l’illusion. » (Winnicott,
1971). Dans cette perspective, la fantaisie devient cette réserve environnementale où les pulsions
« gazelliennes » peuvent se déployer et où les flamants de l’imagination peuvent voler librement. La
fantaisie, et avec elle le jeu et l’art, acquière, selon le psychanalyste anglais, la qualité d’un monde
habitable, refuge pour l’esprit pèlerin. Ainsi appréhendée, la fantaisie se rapporte à l’expérience
poétique, rencontre intime de l’unité dans la diversité.
Venons-en au mot « fantasma ». La traduction en espagnol du mot français « fantasme » a substitué
le mot « fantasme » à celui de « fantaisie ». Dans de nombreuses traductions d’ouvrages de
psychanalystes français en espagnol, il semble que le mot acquière, qu’on le veuille ou non, un ton
sinistre ou, tout du moins, mystérieux. En espagnol, « fantasma »[2] est un être sans corps, une
apparition qui nous surprend et inspire la crainte. C’est d’ailleurs ce caractère que détiennent les
fantasmes décrits par Abraham et Torok ; des personnages transgénérationels qui apparaissent dans
la vie d’un individu et altèrent ainsi sa narration consciente et son destin (« au fond du fleuve telles
des écrevisses vertes »).
Le mot « fantasme » est littéraire. De même, dans les théorisations de Lacan, l’expression
« fantasme fondamental » revêt le caractère non d’un personnage, mais d’un scénario littéraire qui
décrit une scène où le sujet prend place dans le désir de l’autre ; trame inconsciente que nous
portons comme un livre de poche et qui nous procure le plaisir d’une amulette contre la malchance
(« Ou au fond de moi, comme des fantômes ? » se demande le poète).
Au-delà des précisions du langage et de ses délices, la question que se pose tout psychanalyste est :
comment transposer ces notions à la pratique et comment influer grâce à elles sur le psychisme de
ses patients ? Ces questions font écho à la question que soulève le poète Octavio Paz dans
l’Introduction de son livre L’Arc et la Lyre : « ne vaudrait-il pas mieux transformer la vie en poésie que
de faire de la poésie à partir de la vie ? » (Paz, O., 1956). Le rapprochement qu’établit Freud entre le
concept de fantaisie et le rêve diurne offre à l’être humain un ticket d’accès à un autre monde, créé
par lui pour la satisfaction de ses désirs, tant que ce voyage sera piloté par la conscience (Freud
attribuera ensuite cette fonction au Moi). Il s’agit donc là de la construction infantile d’un monde
parallèle, d’un rêve diurne quotidien sans prétention esthétique, ou bien d’une élaboration qui s’étend
jusque dans les délices de la littérature. La fantaisie, suivant cette conception, permettrait à l’être
humain de développer son monde interne et de le transformer, mais uniquement de manière
temporelle et imparfaite, comme quelqu’un qui irait au cinéma voir un film pour ensuite revenir à la
dure réalité. Nous pouvons donc parler ici, en termes littéraires, d’une narration linéaire.
Suivant la conception freudienne du fantasme inconscient, reprise ensuite par Klein de manière
substantielle, la phantasy ouvre de nouveaux chemins à l’entendement des profondeurs de l’âme
humaine. Le travail psychanalytique devient surréaliste et fou, dans le bon sens du terme, et sa
narration se nourrit des sources énigmatiques de la représentation de chose afin qu’elle se voie
transposée, dans un second temps, au processus secondaire de la pensée. Cette manière
d’appréhender le psychisme à l’aide de notions aussi importantes que le transfert, permet d’envisager
la guérison grâce aux mots. Narration et poésie s’imbriquent, se confondent, et fusionnent. La
proposition conceptuelle de Winnicott d’un espace transitionnel, enrichie ensuite par la notion de
rêverie de Bion, offre à l’analyste des outils de transformation aussi utile que profonde. Nous entrons
alors de plain-pied au cœur de l’expérience poétique.
Lorsque Lacan propose, pour nous libérer de notre maléfice œdipien, de rentrer dans le territoire du