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Document 4 : Dans le cadre de la préparation à notre mort, on peut, à côté du testament matériel, rédiger
un testament philosophique. Ce sont des sortes de profession de foi personnelle quant à la vie et à
l’existence, quant aux valeurs et principes qui furent importants pour nous.
24 janvier 1985 ; je suis entré ce matin dans ma soixante quinzième année. Ça
commence à faire beaucoup. J’aime la vie, chaque seconde de ma vie. Je n’ai jamais été
indifférent, j’ai regardé, écouté, goûté, touché, respiré, aimé. Aimé toute chose et toutes
choses, belles et laides, émerveillé par les miracles qui m’entourent et dont je suis fait. Je
suis un univers de miracles. Je le sais. Bonheur de sentir le stylo entre mes doigts, et la
fraîcheur du papier sous ma main, et de voir le petit serpent noir de l’écriture dessiner
son chemin comme je l’ai voulu et comme il le veut. Bonheur de me savoir vivant et de
savoir autour de moi l’univers en marche, en rond puisque j’en suis le centre comme
chaque vivant et chaque parcelle non vivante. Essayer de comprendre ? Impossible.
Démesure. Mais s’émerveiller de la grandeur infinie, si bien finie en chaque poussière de
poussière. Et de l’ingéniosité de chaque détail, la main, l’oeil, l’oreille, le monde organisé
de chaque cellule, les tourbillons vides de l’atome, le vide infranchissable du bois de mon
bureau. Vide, tout est vide, disait l’Ecclésiaste. Et ce vide est si méticuleusement et
grandiosement ordonné qu’il emplit et construit et anime le vivant et la brique, la brique
est vivante, la brique grouille et tourbillonne, la brique est vide, je suis vide, je contiens
l’univers. A quoi bon écrire tout cela, à quoi bon écrire, puisque cela est et que rien ne
peut empêcher d’être ce qui est, et de voir ceux qui regardent, et d’entendre ceux qui
écoutent. Je n’ai pas envie de mourir, mais je crois que j’ai assez vécu. Chaque instant
est l’éternité. Je sais que ceux qui m’attendent ne m’apporteront rien de plus, je sais peu
de choses, je ne saurai rien de plus, j’ai atteint mes limites, je les ai bien emplies, je me
suis bien nourri d’être autant que je pouvais, à ma dimension, et de petit savoir, et de
grande, grande joie émerveillée. Et maintenant je voudrais faire comme mon chat après
son repas : m’endormir. Si je continue, si je dure encore, je ferai mon métier aussi
longtemps que je pourrai, avec application comme je l’ai toujours fait. Bien faire ce qu’on
fait, quel que soit le métier. René Barjavel (1911-1985)
testament philosophique de René Barjavel écrit un an avant sa mort
Document 5 : Le don d’organe est une approche thanatosophique concernant son corps après la mort.
Dans la mesure où il faut exprimer sa volonté pour être donneur d’organe, cela revient à une préparation
thanatosophique, à la fois pour soi, ainsi que pour les siens qui, si nous devions mourir dans une situation
permettant le prélèvement d’organes, n’auraient pas ainsi à faire un choix pour nous.
Quel choix avons-nous si l’on sait que des personnes malades peuvent guérir ou
continuer à vivre grâce à un simple don de moelle osseuse ? Pour moi ce ne fut même
pas un choix mais une évidence : je n’ai pas le droit de ne pas participer à la solidarité
humaine. Maintenant je ne pose plus de questions : je donne mon sang, je suis prêt à
donner de la mœlle osseuse et une fois mort, j’accepte que mes organes soient prélevés.
Après, c’est aux médecins d’en faire l’usage qui leur semblera le meilleur.
témoignage d’un donneur d’organe et de moelle osseuse
Toulouse, Juillet 1996
Document 6 : La préparation thanatosophique à la mort, ce ne sont pas exercices «spirituels», ni le fait de
visiter tous les cimetières de la terre pour se faire à l’idée de la mort. La meilleure préparation à notre mort
est une vie remplie, une vie qu’on remercie pour tout ce qu’elle nous a permis de faire, de découvrir et
d’être.
“Préparation à la mort”. Il n’y a qu’une préparation à la mort : elle est d’être rassasié.
D’âme. De coeur. D’esprit. De chair. A ras bords. Et il n’y a qu’une immortalité qui vaudrait
être souhaitée : c’est celle de la vie. Henry de Montherlant (1895-1972)
Mors et Vita, 1929, in La vie en forme de proue
Association ALDÉRAN © - Conférence 1513-008 : “La préparation à notre mort” - 14/03/2015 - page 5