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L’orthographe française
Structure du système graphique
Pour simplifier, la prononciation est indiquée ici en alphabet ordinaire entre deux
barres obliques, par exemple : ai, ê, ei pronons /ê/; en, em prononcés /an/; f
pronon/f/, etc. En classe, c’est l’API1 qui devrait être utilisé.
Il importe tout d’abord de bien distinguer le sens des deux termes grammaire et
orthographe, qu’on a tendance à confondre. L’orthographe est la transposition écrite de la
langue, la manière d’écrire les sons et les mots, c'est-à-dire qu’elle ne concerne que l’aspect
visuel de la langue, alors que la grammaire concerne les règles de fonctionnement du système de
la langue, écrite aussi bien que parlée.
Comme on le sait, l’écriture du français est de nature alphabétique, l'unité de la langue
parlée est le phonème (son), celle de la langue écrite le graphème (lettre ou groupe de lettres).
D’où viennent les problèmes?
L’orthographe du français est complexe pour plusieurs raisons liées surtout à son histoire
depuis le latin2, et au manque d’ajustement des graphies à l’évolution de la prononciation. Les
graphèmes du français ne correspondent plus depuis longtemps à ceux du latin, leur
prononciation a changé. Par exemple, à la lettre c du latin correspondait un seul phonème /k/; en
français, la même lettre a cinq prononciations différentes (dont une nulle) comme dans chat,
cette, copie, tronc et second.
En français, on ne dispose que 26 lettres pour traduire 36 phonèmes3 (en moyenne, car il
existe de légères variations selon les régions et les individus), soit vingt consonnes et six
1 API : Alphabet phonétique international. Voir ANNEXE 3.
2 «Les systèmes graphiques, dont l’orthographe du français […], sont des constructions sociales
résultant d’un enseignement explicite. Leur forme et leurs caractéristiques sont souvent le
produit d’une longue évolution historique où se mêlent les contacts des cultures, les
changements phonétiques de la langue, les progrès techniques, les normes sociales et diverses
formes de pouvoir.» Desrochers, A., F. Martineau et Y. C. Morin. (2008).
3 Et me 39 si on inclut les semi-voyelles comme dans taille, oui, ou lui.
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voyelles. Pour les sons (phonèmes) nouveaux, on a créer de nouveaux graphèmes, soit des
lettres nouvelles (v, j, h, z), soit des groupes de deux ou trois lettres (gn, ch, ou, an, eau, etc.).
On a ajouté des accents sur les voyelles. Ainsi les graphèmes sont devenus beaucoup plus
nombreux.
Malgré ces créations, on constate souvent en français, comme en anglais d’ailleurs, une
non correspondance directe entre un son et une lettre, alors que d’autres langues ont fait
beaucoup mieux pour adapter périodiquement leur écriture à l’évolution de la prononciation
(l’italien, l’espagnol, l’allemand, le russe, etc.)4. Il s’ensuit une impression de désordre, comme
on l’a vu pour les différentes prononciations de la lettre c. En effet, d’une part, une lettre peut
représenter plusieurs phonèmes, par exemple la lettre c, et d’autre part, un même phonème peut
être représenté par plusieurs graphèmes, par exemple, le son /ê/ (cèdre, gêne, plaire, neige, mer,
etc.).
Autre phénomène : avec le temps, des mots de prononciations très différentes à l’origine
ont évolué vers une même prononciation alors que leurs graphies restent différentes, un exemple
bien connu étant les mots verre, vers, ver, vert, vair.
Une autre source de difficulté est que des faits de langue écrite n'apparaissent pas à l'oral.
C’est le cas de bien des marques d’accord qu’on n’entend pas à l’oral (Le chapeau bleu s’envole.
Les chapeaux bleus s’envolent), mais aussi des consonnes doubles et des h. De plus, l’unité mot
n’a pas d'autonomie à l’oral : il n'existe pas d'accent de mots en français mais un accent de
groupes. Le mot phonologique (avec accent sur la dernière syllabe du groupe) ne correspond
donc pas au mot graphique (suite de lettres entre deux blancs) : le jour /lejoúr/, le dernier jour
/ledernierjoúr/, le dernier jour du mois /ledernierjourdums/.
Et le phénomène de liaison accentue le problème : un grand ami aurait pu s'écrire un
grantami, un gran tami. On a choisi un grand ami, la solution la plus abstraite. Même chose pour
la suite neuveur (neuf heures).
Ainsi, la question du choix pour passer du phonème au graphème se pose régulièrement
lorsqu'on écrit. De plus, dans le système des relations sons - signes, le sens entre également en
ligne de compte. En effet, le fait de ne pas comprendre entraine des erreurs de graphie (comparer
une porte grande ouverte et une porte grande ou verte).
Malgré cela, et contrairement à ce que l’on pourrait croire, le désordre orthographique est
en partie apparent, il existe des systèmes de relations sons – signes, et même sons – signes – sens.
4 Fabre, C. et Paret, M.C. (1992)
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L’orthographe du français peut-être considérée comme un système, et non comme un ensemble
hétéroclite de règles et de cas particuliers. Plusieurs chercheurs depuis un demi siècle (Gak, 1956;
Thimonnier, 1967; Blanche-Benveniste et Chervel, 1969; Catach, 1980)5 ont réussi à démontrer
qu'il existe des structures rationnelles dans l'orthographe.
L’organisation du système graphique
Le système graphique du français est organisé de façon à jouer trois rôles6 simultanément.
Nous allons tenter de faire ressortir les grands axes de ce système, car leur connaissance permet
de dégager des pistes importantes pour l’enseignement de l’orthographe. Ces trois rôles
correspondent à trois types d’organisation relativement autonomes, mais qui coexistent et se
recouvrent dans l’orthographe française. Le premier consiste à indiquer une prononciation; en
effet, notre écriture est d'abord phonétique puisque plus de 80% des graphèmes transcrivent des
sons. Le second rôle est de marquer des relations entre des unités de la langue (ou relations
grammaticales, qui apparaissent dans le système des accords). Le dernier rôle est joué, pour
chaque unité graphique, par l’idée particulière que suggère l’image globale du mot. Voyons de
plus près chacun de ces rôles.
Le système des relations phonèmes - graphèmes
Le premier rôle concerne le fonctionnement du système des relations sons - lettres
(phonèmes - graphèmes). Une difficulté paradoxale est que, bien qu'on ait plus de sons que de
lettres disponibles, plusieurs graphies sont possibles; par exemple il y a huit façons d'écrire le son
/s/ (s, ss, c, sc, etc.), deux façons d'écrire tous les phonèmes (sauf /a/), et presque toujours plus de
lettres que de sons. De plus, pour interpréter un graphème, on doit tenir compte des lettres ou
groupes de lettres environnants. Malgré ces difficultés, il existe des lois d’organisation, et il est
bon d'amener l'élève à les découvrir. L'enfant qui apprend l'orthographe lexicale n'apprend pas
vraiment l'orthographe de chaque mot mais plutôt l'ensemble des règles de correspondance
entre des suites de phonèmes (sons) et des suites graphiques (lettres).
5 Voir références à la fin
6 Nous emploierons ici le terme de «rôle» plutôt que de «fonctio pour éviter la confusion en classe avec
celui de «fonction grammaticale».
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On peut considérer qu’il existe cinq types de correspondances grapho-phonétiques7, c'est-à-
dire cinq types de relations entre graphèmes et phonèmes. Par exemple, dans grange, le graphème
g représente deux phonèmes différents : /g/ et /j/, il a donc deux valeurs. Le graphème e a
plusieurs valeurs, comme on le voit dans je, test ou chez (prononcés /e/, /ê/ et /é/).
1- Valeur de base
Chaque graphème a d’abord une valeur de base, c'est-à-dire sa valeur la plus générale,
quand il est seul si c’est possible, ou la valeur qu’il a dans le plus grand nombre de ses positions.
Par exemple, la valeur de base de y est /i/, la valeur de base de c est /k/ puisqu’il se prononce /s/
seulement devant i et e. La valeur de base de e est /e/ (je, le, demain). Pour p, b, t, d, f, j, k, l, etc.
la valeur de base est /p/, /b/, /t/, /d/, /f/, /j/, /k/, /l/, etc.
2- Valeur de position8
La plupart des graphèmes ont aussi une ou plusieurs valeurs de position : ce sont des
valeurs secondaires, qui dépendent de la position du graphème par rapport aux autres. Par
exemple, la valeur de position de c est /s/ (ciel, cerise) puisque c’est seulement devant e et i que c
se prononce /s/. La valeur de position de g est / / (léger, agir), celles de e sont /é/ (les) et /è/
(mer), celle de s entre voyelles est /z/. Dans la liaison, même après consonne, il a toujours sa
valeur de position. En a comme valeur de position /in/ (chien).
3- Valeur auxiliaire
Plusieurs graphèmes ont une valeur auxiliaire. C’est le cas lorsque, sans être prononcé, ils
modifient la valeur d'un graphème voisin. Par exemple, le u de bague indique quelle valeur on
doit donner à g mais on ne l’entend pas; également le e de plongeon. Le e a une valeur auxiliaire
importante en finale, il impose la prononciation de la consonne précédente pour former le féminin
(petit petite) ou dans la conjugaison (chant chante) sans être lui-même prononcé. Il permet
aussi de dissocier des graphèmes dans la prononciation : avec le e, la suite aient se prononce /ê/;
sans le e, on prononce comme dans maint; le e fait la différence entre caneton et canton.
7 Nous empruntons cette conception du système essentiellement à Blanche-Benveniste et Chervel
(1969).
8 Parfois nommée valeur contextuelle
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Les consonnes finales ont également une valeur auxiliaire qui donne au e sa valeur de
position /é/: s dans mes, r dans danser, t dans et, z dans et, nez. Il y a 12 graphèmes qui peuvent
être auxiliaires.
4- Valeur zéro
Une quatrième valeur possible pour un graphème est la valeur zéro. Un graphème muet ne
correspond à aucun phonème et ne contribue pas à la prononciation d’un autre graphème. Les
graphèmes muets sont présents parfois dans les groupes initiaux du mot (t(h)éorie, s(c)ience),
mais surtout en fin de syllabe, le plus souvent dans le groupe final du mot (plom(b), déba(t),
instin(ct) fi(l)s). Parfois aussi en fin de syllabe non-finale (com(p)teur, dévou(e)ment), dans les
consonnes doubles co(l)line, raiso(n)nable) (une des deux est muette). Le h est muet dans le
mot, mais au niveau du groupe, il peut être muet ou improprement dit aspiré (ce qui signifie
simplement qu’on ne fait pas la liaison) : Il est honteux. Le e est muet dans certains cas, comme
en finale (table), instable dans d’autres (rarement prononcé rar’ment).
5- Digrammes et trigrammes
Un cinquième type de correspondances est représenté par des digrammes et les trigrammes.
Ce sont des groupes de deux ou trois lettres qu'on ne peut pas séparer et aucune ne garde sa
valeur de base, comme dans EU ou IN. La plupart ont été créés pour combler des lacunes du
système phonographique. Il y en a 32 (dont 22 très réguliers)9. Certains sont d'origine étrangère
(AY, EY, SH). AY a plusieurs prononciations, soit /ei/ (pays), soit comme dans veille (paye),
soit comme dans paille (cobaye). ET n’en est pas un, il ne peut pas se trouver à l’intérieur d’un
mot avec la même valeur /ê/. Certaines suites ressemblent à des di- ou trigrammes, ce qui
explique certaines hésitations à des mots comme gageure (/gajure/, sans digramme) ou enivrer
(/en-nivré/, avec digramme) et pour les suites de deux consonnes : gn (prononcé /gn/ ou /g-n/,
comme dans stagnant, cognitif). ll après i se prononce de deux façons différentes, soit comme
dans fille, soit comme dans ville.
Les digrammes permettent de compenser le manque de graphèmes, mais plusieurs
transcrivent un même phonème, par exemple an (ou am), en (ou em), pour transcrire le phonème
9 Par exemple CH, GN, AN, IN et les variantes en yn ou yn (synthèse, thym), ON, UN et les variantes
en m (parfum, faim), OI, AI, EU, AU, OU, OE, AIN, EAU, EIN, OEU, PH, GN, IL/ILL, etc.
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