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Je ne pense pas que les politiques soient assez bêtes pour faire un évènement culturel national
sur la francophonie, surtout sur le territoire français, ce serait grotesque. Ou très drôle, puisque
nous n'avons plus aucune identité, de demander de l'aide à ceux qui utilisent encore le
français, afin de définir ce qu'est exactement la France et le français. Ceux qui savent ce que
c'est, ce sont les étrangers évidemment, car ils ont des idées préconçues et simplistes et on
n’aurait qu'à les suivre. C'est d'ailleurs ce qu'on fait pour plaire aux touristes. La langue, le
français, est d'ores et déjà une langue morte. Et c'est très bien, pour nous notamment, ça
engage à s'en servir de façon purement artistique, comme un langage qui serait une pure
création.
Jon Fosse, par exemple, écrit dans une langue inventée de toute pièce qui n'a aucune oralité...
comme de la peinture si vous voulez... d'où le succès de la rencontre avec Claude Régy.
Il faut avoir confiance dans cette mort du français, il faut laisser tomber, abandonner,
s'abandonner sous les coups : être victime et assumer, ne pas rentrer dans la course au pire
avec les anglo-saxons… assumer la décrépitude (et détester le jeunisme, les liftings, le sport,
etc.). Voire prendre plaisir à perdre, à abandonner, se reposer... s'abandonner à ce plaisir mais
ça c'est pas facile à concevoir, le plaisir de la perte. Et tout porte à croire qu'on fait tout le
contraire : on se crispe, on devient conservateurs (alors que la France a longtemps eu en son
sein de grands visionnaires) on devient communautaristes et corporatistes.
Peut-être est-ce bien de laisser mourir la théâtre et le français aussi. Jean Genet voulait pourrir
le français, Jean Genet voulait jouer dans des cimetières
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ne voyant pas dans quel autre lieu
jouer. Jean Genet savait que le théâtre fermé, le théâtre clos, le théâtre bourgeois, le théâtre
privé, c'était la mort du théâtre et que le théâtre vivant , c'est le théâtre des morts.
Alors le lieu du théâtre n'est plus actuellement le théâtre, celui qui est construit pour en faire.
Je dirais même que l'architecture des théâtres modernes emprisonne le théâtre. Et c'est pour ça
qu'il ne se passe rien dans ces lieux devenus inutiles, surtout que l'endroit théâtral a changé car
au théâtre, qui longtemps a eu une fonction sacrée, on fait plein de choses, sauf des choses
comme égorger un mouton... alors tout le monde s'ennuie au théâtre car il ne s'y passe plus
rien. Moi, je partirai dans "décharges" de ce constat : il ne se passe plus rien alors
commençons la représentation de là.
Les vidéos d'otages occidentaux égorgés, c'est exactement du théâtre et on regarde tous ça
avec effroi et plaisir mêlés (difficile de déterminer la limite). Mais une vidéo, c'est loin car
c'est une image alors qu'au théâtre, c'est près et c'est vrai... alors il a fallu un grand travail de la
part de tout le monde pour retirer tout ce qui est scandaleux au théâtre et pour obtenir
aujourd'hui le théâtre politiquement correct. Et le déferlement de la vidéo au théâtre est la
preuve qu'on ne veut plus trop être gêné par la chair de l'acteur et on la glace par la projection
vidéo.
Il faudrait faire une histoire du dévidage du sens du théâtre mais je laisse nos amis
universitaires travailler sur ça, car merde, c'est leur boulot normalement ! Plutôt que de se
branler sur la poétique de Calderon de la Barca, il ferait mieux de faire une recherche qui
répertorierait les paramètres politiques, sociologiques, ethnologiques et techniques qui ont
amené au théâtre d'aujourd'hui : lisse, sans violence, sans représentation du sacrifice...
Dans "Histoire du Corps", il y a des éléments qui sont confondants à propos de l'évolution du
massacre dans la société, et ça a à voir avec tout car des fêtes paillardes et médiévales,
sanglantes, à la Révolution, à la guillotine et son exposition de plus en plus cachée, aux
révoltes du 19ième siècles matées la nuit, à la disparition quasi-totale de la violence vraie (les
films, c'est pas pareil ! c'est de l'image !), il y a une histoire de la disparition du sacrifice... à
mettre en parallèle avec la disparition de la foi d'ailleurs !
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"L'étrange mot…"