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 / juillet-août 2013 / n°433
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les 
partenaires
qui utilisent des techniques très sophistiquées de l’évasion fiscale, 
sont devenues complices dans le blanchiment ». Amer mais lucide 
constat : « L’économie est gangrénée. »
L’économie souterraine contamine l’économie réelle
Où se situe la France dans cette nouvelle économie mondiale du 
crime ? Frédéric Ploquin souligne que notre pays a une spécificité, 
celle du grand banditisme et un renouvellement permanent des 
acteurs car il en meurt beaucoup et de plus en plus jeunes. Mais 
aux grands caïds traditionnels a succédé une nouvelle génération 
qui opère sur un large éventail d’activités très lucratives, allant du 
trafic de drogue au commerce des armes en passant par le racket 
et la prostitution, et qui place l’argent blanchi dans l’immobilier.
« Aujourd’hui, les voyous, qui sont des jeunes des cités, brassent 
beaucoup plus d’argent que les braqueurs de banques d’autrefois. 
Ces jeunes sont passés à un cran supérieur dans les masses 
d’argent. Très organisés, ils ont intégré le système de l’économie 
et ont la capacité de corrompre en raison des masses d’argent 
qu’ils ont en mains ».
Frédéric Ploquin explique avec précision la façon dont ces bandes 
occupent des territoires dans lesquels l’État est peu représenté 
sauf par des brigades anti-criminalités, et comment les familles 
alimentent le narcotrafic. Seules témoins du petit commerce de 
détail en apparence, les brigades lancent des opérations coups 
de poing avec saisie d’armes de tous calibres, de cannabis, etc., 
mais la lutte pour éradiquer les « poches » criminogènes (sic) est 
sans fin car ces bandes sont transversales et brassent énormément 
d’argent.
Quelle est la valeur ajoutée de l’intégration de la 
criminalité mondiale ? Mais aussi dans la lutte contre 
cette intégration ?
Dans un rapport de cette année, Europol, 
l’office européen de police, a recensé 3 
600 groupes criminels actifs dans l’Union 
européenne et que plus de la moitié 
sont versés dans le trafic de drogue et la 
fraude. « Les BRIC nous apportent les 
plus anciennes organisations criminelles 
et incestueuses comme au Japon, note 
Alain Bauer. La Turquie a une mafia 
qui rend service à toutes les autres 
organisations et cela, avec une grande 
efficacité. Les Italiens ont cinq mafias 
très implantées en Allemagne dans le 
système économique. Et puis, il existe des pseudos mafias comme 
les Ukrainiens, qui ne sont pas liés à un clan en particulier. Ce 
sont des mercenaires. Au Canada, qui a perdu ses trois frontières, 
sévissent  les triades, et au Mexique une partie du pays n’est plus 
sous contrôle de l’État ». 
Quant à l’Europe, elle est un terrain de toutes les organisations 
criminelles du monde car les parrains considèrent qu’elle est moins 
minée que partout ailleurs. « La porosité généralisée du système 
fait que nous avons des pays européens où la mafia s’est implantée. 
Aujourd’hui, comme hier, il manque une police européenne et un 
parquet européen dotés de compétences propres. Le problème en 
Europe réside dans l’harmonisation du système pénal des pays 
membres ».
La réponse judiciaire est-elle adaptée à la situation ?
L’administration française a-t-elle réellement pris conscience de 
cet aspect économique du crime ? Quelles mesures devraient être 
décidées et mises en place au niveau fiscal ? « Les tentatives de 
notre administration se heurtent aux lourdeurs et l’archaïsme des 
différents acteurs et services concernés. Chacun se préoccupe de 
son pré-carré, regrette Alain Bauer. La difficulté à laquelle nous 
sommes confrontés est le manque d’anticipation. La lourdeur du 
dispositif structurel, la force de l’inertie de l’administration, et sa 
corruption, empêchent d’aller de l’avant. C’est un problème majeur, 
tout notre système renforce et développe les archaïsmes et font 
les beaux jours des organisations criminelles ».
François d’Aubert, président du comité d’évaluation du Forum 
fiscal et co-auteur d’un célèbre rapport d’enquête parlementaire 
sur la Mafia en France, abonde dans le sens d’Alain Bauer. Pour 
lui, le fractionnement administratif, le fait que nous marchons en 
silo, nuit gravement à la lutte contre les criminels en col blanc, 
les narcotrafiquants, les cyberterroristes, et aussi les particuliers 
fortunés qui détiennent des actifs non déclarés. Car tout s’imbrique : 
« On estime entre 21 000 et 30 000 milliards d’argent non dé-
claré, d’origine très diverse, dans les paradis fiscaux offshore pour 
beaucoup, qui n’est pas traité pour savoir ce qui vient de la fraude 
fiscale, de la criminalité et de le l’argent propre ».
Nos institutions financières et bancaires ont été offshores et s’il 
est possible de régler la question, encore faut-il le vouloir, rebondit 
Alain Bauer. « Les États sont en mesure de résoudre mais ils ont 
un problème avec la question de l’offshore. Pourtant, une solution 
existe, l’amnistie déclarative. On ferait le tri entre l’argent gris, 
l’argent légèrement sale et l’argent noir. Mais notre hypocrisie 
entraîne l’absence de résolution ». Et de conclure : « ne nous 
voilons pas la face et convenons de la réalité des choses même si 
elle n’est pas réjouissante : en 2013, il y a des États qui ne sont 
pas des États, qui ne sont que des frontières. »   ■
Propos recueillis par Philippe Brousse