Lire un extrait - Éditions de La Différence

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Philippe Sergeant
Gérard de Nerval,
la mort d’Andros
Illustrations de
Nathalie Anton et Yves Laffont
Les Essais
Éditions de la Différence
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I
FANTÔME DE NERVAL, POÈTE DU KAÏROS
Meret Oppenheim par Nathalie Anton.
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Allez manger des huîtres sur le port.
Vous verrez de belles filles qui ont de longues boucles d’oreilles.
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Cette première partie aurait pu s’intituler « La mort
d’Andros » – cela m’effraie un peu – et surtout je ne
le sais que maintenant, une fois l’essai achevé, au
moment où, utilisant un procédé cher à Nerval, cette
dernière phrase que j’écris, que je détourne comme
un incipit, « est encor la première ».
Nerval a repoussé les limites de « l’image mortelle du véritable amour1 » aussi loin, aussi longtemps que possible. Que signifie cette image
mortelle ? Qu’y a-t-il de mortel dans cette représentation ? Que représentons-nous qui soit mortel ? Est1. Gérard de Nerval, Voyage en Orient, Flammarion, p. 123 :
« Et moi qui vais descendre dans cette île sacrée que Francesco a
décrite sans l’avoir vue, ne suis-je pas toujours, hélas ! le fils d’un
siècle déshérité d’illusions, qui a besoin de toucher pour croire, et
de rêver le passé… sur ses débris ? Il ne m’a pas suffi de mettre au
tombeau mes amours de chair et de cendre, pour bien m’assurer que
c’est nous, vivants, qui marchons dans un monde de fantômes.
Polyphile, plus sage, a connu la vraie Cythère pour ne l’avoir point
visitée, et le véritable amour pour en avoir repoussé l’image mortelle. » Et aussi note 64, p. 398 : « Hypnerotomachia Poliphili, c’està-dire “combat d’amour en rêve”, œuvre d’un dominicain vénitien,
Francesco Colonna. […] Nerval pensait écrire un drame sur la passion
de F. Colonna, pour être joué par Jenny Colon. » – Note de l’auteur :
rappelons que Cythère est une île de la mer Égée où Aphrodite avait
un temple magnifique. Watteau nous a laissé son chef-d’œuvre au
Louvre : Embarquement pour Cythère.
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ce pour conjurer cette image que le poète s’est tant
préoccupé des mythes et doctrines préadamites ? Car
cette dernière question implique au moins les considérations suivantes qui serviront de fil conducteur à
notre réflexion : y aurait-il une antériorité à Adam –
et pour tout dire, à Andros – qui sortirait du cadre de
l’image mortelle, des représentations de notre finitude ? Non pas un défi lancé à Dieu – ce défi existe
pourtant dans l’œuvre nervalienne – mais l’ultime
possibilité, quoique mortelle, d’un véritable amour
sans Dieu ? « Quelque supranaturalisme neutre »
– cette expression se découvrira par la suite – qui ne
serait pas à l’image de Dieu ? Nous verrons que ce
supranaturalisme et cette neutralité culminent dans
la figure énigmatique, majeure, centrale de la Pandora
qui éclaire ou assombrit l’œuvre de Nerval d’une
étrange lumière. À qui Nerval pose-t-il ces demandes, ces adresses ? À quel ami, non de la sagesse,
mais de la démesure ? À quelles amies ? À quelles
confidentes, à défaut, justement, d’ami de la sagesse ?
Une réflexion laconique, tirée de l’étude du poète
sur Restif de la Bretonne, résume l’enjeu : « En amour,
nous nous connaissons parce que nous nous aimons.
En amitié, nous nous aimons parce que nous nous
connaissons. » Dans ce double mouvement, la question
de la connaissance qui convie au bonheur se déplace
dans un léger tremblé : on ne connaît pas dans un même
geste, dans une même posture, en amour, en amitié. En
amour, en amitié, l’épistémé se dédouble. Elle est depuis toujours l’affaire des doubles qui nous hantent.
On a retenu surtout dans l’œuvre nervalienne sa dimension mystique et mythique. Et pourtant, à l’instar
de Descartes dont il retourne, avant Rimbaud, les
lourds principes du cogito pesant de la belle couleur
rouge vermillon du cinabre, Nerval s’est avancé mas-
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qué. La mystique et le mythe ne sont que les ruines
de sa pensée. Nous essaierons de l’indiquer. S’il est,
par excellence, l’homme de la mélancolie, tel que le
pseudo-Aristote en avait esquissé le prototype quatre
siècles avant notre ère, il est surtout celui qui a cherché
par les moyens les plus charmants, les plus légers et
parfois les plus inquiétants – n’entre pas dans l’œuvre
de Nerval qui veut – à repousser les effets de cette
mélancolie, à la démythifier par une tournure et une
formule qui font date : « l’épanchement du songe dans
la vie réelle ». Précisons déjà ; nous développerons ensuite : Nerval est un supranaturaliste. Il rompt avec la
métaphysique. Il est à l’aube de la pataphysique.
Comme feuilletoniste, il est le penseur de la
journée. C’est le journalier de la pensée dont chaque
acte est la minute indécise, c’est-à-dire le procès verbal
imprononçable qui orchestre l’oscillation de la vie.
Ma journée a commencé comme un chant d’Homère !
C’était vraiment l’Aurore aux doigts de rose qui m’ouvrait
les portes de l’orient. Et ne parlons plus des aurores de nos
pays, la déesse ne va pas si loin. […] Le ciel d’orient, la mer
d’Ionie se donnent chaque matin le saint baiser d’amour ; mais
la terre est morte, morte sous la main de l’homme, et les dieux
se sont envolés2.
« La terre est morte. » Voici la nouvelle qu’il faut
conjurer. Comment de nouveau aimer la terre, à défaut des dieux ? Les femmes sauront tandis que les
dieux n’en sauront rien.
« Se retourner vers ce dont on procède pour le
contempler » : ainsi s’annonce le pas nervalien par
2. Ibid., p. 119.
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excellence, « si bien qu’à la limite nous sommes nousmêmes des contemplations3 ». Tant qu’on ignore ce
dont on procède – le sait-on jamais ? – la tentation est
grande de tracer une limite idéale entre deux postures
au moins. Celle qui fait revenir le passé sur le mode de
la réminiscence. Tout le platonisme est là. Mais alors
les contemplations ne sont plus que des souvenirs qui
semblent la copie d’un modèle enfoui dans notre imaginaire. Celle qui se tourne vers un devenir gros de ce
qui n’en finit pas d’arriver. Le temps de l’aiôn des
stoïciens. Mais alors, ces contemplations, que l’on pourrait appeler télescopiques, advenues qu’elles sont par
attraction d’un telos, nous entraînent dans l’examen
des formes virtuelles vers lesquelles notre vie s’attarde
et erre. Dans un cas comme dans l’autre, on perd la
proie pour l’ombre. Si rien n’est vraiment révélateur
dans la copie, rien n’est vraiment révélé dans le cliché
qu’on va tirer du virtuel. La limite idéale, Bergson en
avait l’intuition, consisterait à laisser libre cours à l’élévation d’un jet d’eau qui, parvenu au point extrême de
son ascension, se scinderait en deux gerbes et retomberait de part et d’autre de son axe. Dans l’évanouissement symétrique de ces deux poussières d’eau, on
verrait seulement le passé et l’avenir qui se dédoublent
simultanément et le présent qui surgit, que je contracte
dans ce dédoublement. Le présent déplie ce qui est
double. Par ce seul surgissement, la contemplation de
ce dont on procède prendrait sens puisqu’il ne s’agirait absolument plus de se confronter douloureusement
à ce que je ne suis plus ou à ce qu’il faudrait que je
sois. Dépouillé de l’angoisse ontologique, ce que je
contracte, c’est-à-dire ce dont je procède, me convient.
3. François Zourabichvili, Deleuze, une philosophie de l’événement, PUF, p. 99.
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Ma convenance : cette vie, cette poussée d’une gerbe
d’eau qui se scinde en deux par laquelle mon présent procède. Par laquelle ce dont on procède devient
contemplation. Remontons plus haut ; Montaigne :
« Je ne peins pas l’être, je peins le passage. » N’est-ce
pas ce que Fr. Zourabichvili rappelle : « Ne plus être,
mais procéder d’une préhension qui me constitue. »
Nous contemplons quelque chose qui ressemble à nousmêmes, dans une différence absolue à nous-mêmes :
Nous ne nous contemplons pas nous-mêmes, mais nous
n’existons qu’en contemplant, c’est-à-dire en contractant les
éléments dont nous procédons… et nous sommes tous Narcisse par le plaisir que nous éprouvons en contemplant
(autosatisfactions), bien que nous contemplions tout autre chose
que nous-mêmes… C’est toujours autre chose… qu’il faut
d’abord contempler, pour se remplir d’une image de soi-même4.
Est-ce le projet nervalien ? Se remplir d’une image
de soi-même ? Et qui, cette fois, ne serait plus mortelle ? Bien que nous contemplions tout autre chose
que nous-mêmes ? Nous entrons au cœur de la problématique. Ne nous y trompons pas : tout ce que nous
venons de dire sur le présent appartient encore au dispositif de la métaphysique. Or, par la formule je suis
l’autre, Nerval ne cherche nullement à confirmer une
présence à soi-même. Il met, au contraire, au point
une stratégie qui a pour nom ek-stasis : une sortie de
soi-même. Autrement dit, une sortie de la présence à
soi, du lieu même de la métaphysique s’il est vrai que
celle-ci participe au jeu du voilement et du dévoilement de la présence de l’être. Stratégie poétique à
partir de laquelle le poète prévoit – Nerval se fait prévoyant – de ne plus se laisser enfermer dans les caté4. Gilles Deleuze, Différence et répétition, PUF, p. 101, 102.
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gories métaphysiques de présence et d’absence. Nous
ne disons pas qu’il y parviendra. Ces catégories qui,
sur le plan de l’ontologie, tantôt le rendent présent à
lui-même, dans des conditions souvent désolantes, sans
rémission, tantôt dramatiquement absent, sont celleslà mêmes qui le font souffrir et le conduisent à la folie.
Il faut donc, sinon les abolir, les neutraliser, contrer la
perversité de leurs effets. Nous reviendrons sur ce point
et aurons recours à Roland Barthes pour mettre en perspective le désir, chez Nerval, de neutralisation.
Pour le moment, contentons-nous de souligner
que nul, plus que lui, avec une persistante inquiétude
et nécessité, n’a fait l’usage du discours indirect libre pour rendre compte de la polysémie des voix et
des points de vue qui compliquent sa poétique. En
contractant les éléments dont il procède, Nerval met
en abîme tout recours au principe d’identité. À sa manière, c’est un phénoménologue. Mais il rend aussi
indiscernable l’espérance en l’altérité. C’est souvent
un feuilletoniste, un mondain, l’homme du divertissement selon Pascal, qui parle néanmoins à quelqu’un
d’autre qui n’a pas de « moi », ce qui d’ailleurs est le
propre, le proprement inouï de l’altérité. « Propre :
proprius, qui appartient exclusivement à. » Mais justement, qu’est-ce qui appartient à l’altérité, en propre ? Un phénoménologue doublé d’un mondain, ce
n’est pas là le moindre trouble. Un phénoménologue
qui mettrait entre parenthèses son « moi ». Un mondain qui mettrait entre parenthèses son « autre ». Et
vice-versa. Dans une procédure proprement inouïe
d’une désappropriation qui serait celle, surtout, d’une
désaliénation par la poésie. Le déshérité nous dépossède de toute identité, de toute topologie patronymique comme de toute altérité, de toute adresse. L’effet
en est le suivant : quelque chose, dans la vie, nous
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double et nous prend de vitesse : Je suis l’autre. Ni
moi ni quelconque. Personne, ce sera plus tard le nom
– est-ce un nom ? – de Pessoa. Se remplir de l’image
de soi-même, c’est d’abord se remplir de l’image de
personne : ni absence ni présence. Je ne suis pas toutes
les existences qui m’ont précédé ni toutes celles qui
m’attendent. Mais j’ai la capacité de les doubler, d’être
doublé par elles et de les capter ou capturer comme
mes doubles. Par exemple, autour du poème « El
Desdichado », une intensité parcourt et double la méditation du pseudo-Aristote sur la mélancolie. Nous
développerons ce thème. C’est le temps du kaïros. Mais
le temps du kaïros ne va pas sans son double ; celui de
l’aiôn des stoïciens repensé par Deleuze. En accélérant encore la vitesse, la rose trémière nervalienne cristallise le double du schibboleth de Paul Celan, revisité
par Derrida. Nous aurons à en parler. Ce ne sont pas
des abstractions, ce n’est pas du concret, mais du
supranaturalisme, des concrétions, des concassions.
Nerval renvoie à des doubles, s’adresse à des doubles,
à des multiplicités, comme à des solutions imaginaires, jamais à des identités isolées, monolithiques. Il se
fait doubler par Rimbaud qu’il annonce dans ce processus intégral de désidentification et de désaltérité :
l’arcane du « je est un autre ».
Si nous reprenons ce qui n’est encore qu’une
métaphore, celle de « l’image mortelle du véritable
amour », et que nous l’ajointons à ces deux propositions performatives, alors : dans le jeu du « je suis
l’autre », diastole, et dans celui qui le dédouble, du
« je est un autre », systole, nous obtenons autre chose
qu’une présence et qu’une absence à soi-même. Nous
obtenons une superfluidité dira le pseudo-Aristote.
Un supranaturalisme dira Nerval. Une éternité retrouvée, dira Rimbaud. Il n’y a plus d’image mortelle ni
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de soi ni de l’absence de soi, mais tout autre chose et
« tout cela ensemble ». Cette autre formule de Nerval
sera à méditer selon des raccourcis inquiets de ce type :
Ici ? Maintenant ? Sans présence, sans absence ? Sans
identité, sans altérité ? La compulsion freudienne du
fort/da sera-t-elle rassurante ?
La poésie comme folie, – déjà ? un peu ? toujours ? défrayée, sans chemin – en jouant son va-tout
contre les forces a priori de l’identité et de l’altérité ?
La poésie – comme « une logique des événements »,
écrira Nerval – jouée à la fois – « tout cela ensemble » – contre la folie compulsionnelle de l’identité et
de l’altérité ? Ces haltes de l’amour véritable sont précipitées, anticipées. Il faudra revenir s’y reposer.
Le double nervalien a la figure de l’hôte, de celui
qui accueille et de celui qui est accueilli. En ce sens,
il touche à la philia. Jean-Claude Milner rappelle que :
Benveniste avait sur la famille de philos avancé des propositions précises […] Il désigne le comportement obligé
d’un membre de la communauté à l’égard de son hôte étranger. Traiter comme un des siens celui qui n’en est pas, c’està-dire affirmer qu’il est membre du même corps social,
précisément parce qu’il ne l’est pas, telle est la stricte relation d’hospitalité5.
Et Nerval a toujours été hanté par cette hospitalité
qu’inspire l’intuition philosophique la plus antique.
Mais la loi d’hospitalité nervalienne est une étonnante
éthopoièse (le mot nous vient de Jackie Pigeaud dans
son introduction au « Problème XXX » du pseudoAristote) où la figure accueillie est la part féminine de
la figure accueillante, son double : Sylvie, Aurélia, la
5. Jean-Claude Milner, Le Triple du plaisir, Verdier, p. 25.
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Pandora etc. sont les autres ou les devenirs féminins
d’Andros. Andros n’a plus de filiation en propre. Il est
le déshérité, le veuf, l’inconsolé. Il devient ce qu’il n’est
plus : il n’est plus Andros. Andros n’a plus d’être. Fin
de l’ontologie. Il n’y a d’ontologie que mâle. Il n’y a
de devenir que féminin. Du coup le devenir est ce qu’il
y a de plus étranger à l’ontologie. Nerval accueille ce
devenir qu’épellent les prénoms de ses héroïnes qui le
métamorphosent jusqu’à ce qu’il devienne étranger à
lui-même, en tant qu’Andros. Nous le verrons avec la
Pandora : « Ni homme, ni femme, ni androgyne etc.
mais tout cela ensemble. » Dans la formule équivoque
du « je suis l’autre », s’amorce la mort d’Andros et de
son corollaire, l’ontologie. Rimbaud a-t-il vu ce coup
de force ? Et vivons-nous aujourd’hui autre chose que
cet « autrement qu’être » ricochant curieusement sur
la philosophie de Levinas, mais ne s’en réclamant pas ?
Non pas « être autrement » – état de l’homme du divertissement – : ce qui nous donne des airs autrement
qu’homme, autrement que femme, et tout cela ensemble, autrement qu’androgyne, en tissant des nouveaux
rapports de monstruosité entre la poésie et la philosophie, pour ce qui nous préoccupe ici ? Des rapports
qui ne toucheraient ni à l’être ni à l’essence, mais à la
rencontre de l’instable et du moment opportun ? Des
rapports avec l’univers, avec le cosmos, avec le
chaosmos. Un motif qui se dessine entre quelque chose
qui cesse d’être (fin de l’ontologie) et quelque chose
qui n’en finit pas d’advenir (Aurélia en est le leitmotiv, la Pandora, la figure).
Nous reviendrons également souvent sur une ritournelle décisive qui marque l’œuvre nervalienne. Elle se
fait entendre dans les Confidences de Nicolas, et éclaire
la dynamique du projet poétique dans son ensemble :
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C’était la minute indécise entre le bien et le mal, marquée
dans la vie de chaque homme, qui décide de toute sa destinée.
Ah ! si l’on pouvait arrêter l’aiguille et la reporter en arrière !
mais on ne ferait que déranger l’horloge apparente, et l’heure
éternelle marche toujours.
Cette minute indécise qui s’apparente à cette heure
éternelle se retrouve dans le poème « Artémis » :
La treizième revient… C’est encor la première ;
Et c’est toujours la seule, – ou c’est le seul moment.
Fr. Zourabichvili a cette définition :
La vérité est l’heure captée par une ritournelle… La vérité comme heure est habitude contemplative, signe, devenir.
Développer le signe n’est pas du tout chercher un sens caché,
puisque le sens se confond avec le dynamisme même du développement, mais parvenir à le répéter, à répéter le pur mouvement, à le contracter en un signe qu’il faut appeler
ritournelle. […] Sous un autre aspect, la ritournelle est la
marque d’un territoire […]6.
Sous le mode de la ritournelle, les poèmes et les
récits nervaliens ne dessinent pas seulement des territoires, mais explorent des forces, des puissances de
déterritorialisation : tout ce qu’écrit dans d’admirables
pages François Zourabichvili sur Gilles Deleuze invite à un mouvement rétroactif pour saisir l’effort
nervalien dans ce qu’il inaugure et notamment cette
incise :
Expression d’une heure doit s’entendre ici au même sens
que vérité du temps. Non pas le contenu de l’heure mais l’expression qui lui correspond, ou ce qui s’exprime à cette heure.
6. Fr. Zourabichvili, Deleuze, une philosophie de l’événement,
p. 116.
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du même auteur
aux éditions de la différence
Alain Jouffroy, l’instant et les mots, essai, 1987.
La Victoire de Tancrède, théâtre, 1989.
Donald Sultan, appoggiatures, essai, 1989 (traduit et publié aux
États-Unis en 1991, Ed. Jancovici).
Kim, essai, 2008.
Deleuze, Derrida – Du danger de penser, coll. « Les Essais », 2009.
Nietzsche – De l’humour à l’éternel retour, coll. « Les Essais », 2010.
chez d’autres éditeurs
L’Ombre dans la fontaine, récit, illustration Hervé Télémaque,
Christian Bourgois, 1979.
Cent pages imaginaires d’un conte réel, Christian Bourgois, 1980.
Erró ou le langage infini, essai, Christian Bourgois, 1980.
Le Présent, récit, illustration Marcel Dhoye, Pierre Bordas & fils,
1981.
Promenade ou une enfance de Sophocle, récit, illustration Joël
Capella, J.-M. Ponty, Limoges, 1986.
Chemins de la lenteur, récit, illustration Pierre Gaste, ACAPA,
Angoulême, 1986.
Dostoïevski, la vie vivante, essai, L’Harmattan, 1994.
Passagers clandestins, essai, illustration Nathalie Anton, L’Harmattan, 2004.
Désabri, suivi de Pulchinella, poèmes, dessins de Jeanne Gatard,
Éditions Voix Richard Meier, 1995.
Maurice Matieu, de l’insoumission, essai, Actes Sud, 1995.
Pensées perdues, poèmes, dessins de Nathalie Anton, Provare, 1998.
Idées clandestines, essai, illustration Nathalie Anton, Provare, 2000.
Maurice Matieu, Sous X, avec Barbara Cassin, Actes Sud, 2003.
Du principe espérance à l’éternel retour, essai, L’Harmattan, 2006.
Sérieux s’abstenir, poèmes, collages de Philippe Amrouche, Émérance (à paraître).
© SNELA La Différence, 30 rue Ramponeau, 75020 Paris, 2006.
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