Léopold Sédar Senghor :

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Léopold Sédar Senghor :
l’Afrique perd un poète,
un philosophe et un homme d’Etat
© BELGA
Léopold Sédar Senghor, le premier président
du Sénégal et l'un des plus grands poètes
africains, s'est éteint en décembre dernier
dans sa retraite de Normandie où il avait
passé les dernières années de sa vie. Né en
1906 à Joal, un petit village côtier au sud de
Dakar, il avait reçu une bourse en 1928 qui
lui avait permis de poursuivre ses études à
Paris. Premier Africain à entrer à l'Académie
française, il contribua mieux que quiconque à
jeter des ponts entre la France métropolitaine
et les colonies. Il a représenté son pays à
l'Assemblée nationale française et, un beau
jour de 1960, il est devenu le premier
président de la république du Sénégal.
dée sur la fusion de toutes les races et de toutes les cultures
Maurizio Carbone *
Léopold Sédar Senghor fut une figure marquante de
deux grands mouvements du XXe siècle, l’un politique,
l’autre intellectuel : le socialisme africain et la négritude.
Toute sa vie fut placée sous le signe de ces dichotomies :
l’Afrique et l’Europe, le Blanc et le Noir, le colonialisme et
l’indépendance, l’élitisme et le populisme.
C’est Senghor qui a forgé le concept même de négritude,
avec ses compagnons de route que furent Aimé Césaire, en
Martinique, et Léon G. Damas, en Guyane française.
Souvent perçue comme une réaction au colonialisme français et comme une glorification de la culture et de la société africaine, la négritude est ce qui, selon Senghor, transcende les divisions entre les Arabes, les Négro-Africains et
la diaspora et qui annonce l’émergence d’une forte présence noire dans le monde. « La négritude est un fait, une culture. C’est l’ensemble des valeurs économiques, politiques,
intellectuelles, morales, artistiques et sociales des peuples
d’Afrique et des minorités noires d’Amérique, d’Asie et
d’Océanie. »
Pour Senghor, la culture noire tire sa force de sa proximité
avec la nature et avec ses ancêtres, là où la culture occidentale s’en est coupée; le Noir est intuitif quand l’Européen est
cartésien. Cette prise de position a soulevé maintes protestations. C’est ainsi que Jean-Paul Sartre lui-même n’avait pas
hésité à parler de « racisme anti-raciste », persuadé que la
négritude ne faisait qu’ajouter à la confusion.
Senghor nourrissait un profond respect pour la poésie et
la pensée politique de la France et de l’Occident. Il explora
les métissages des cultures africaines, européennes et américaines dans diverses formes artistiques qu’il aimait, notamment le jazz. Il conseillait à ses compatriotes de « s’assimiler
pour ne pas être assimilés ». Il faisait partie de ces écrivains
qui rêvaient à la naissance d’une civilisation nouvelle fon-
dans un esprit de paix, d’égalité et de justice. C’est ainsi qu’il
pouvait concilier deux combats apparemment inconciliables : le militantisme anticolonialiste et le rapprochement
racial. Toute la négritude de Senghor est là : dans un humanisme teinté de social, lui qui prônait un « socialisme africain », afin d’éviter le double écueil de l’athéisme et d’un
matérialisme excessif. Il croyait en l’avènement d’une grande civilisation mondiale, unique et universelle.
En tant que président du Sénégal, Senghor n’a pas échappé à des problèmes que partagent bon nombre de nations
africaines : la pauvreté et le manque de moyens. Il investit
toutes ses forces dans la modernisation de l’agriculture et
dans la lutte contre la corruption, devenue endémique sous
le régime français. S’il transforma le Sénégal multipartite des
premières années en un Etat à parti unique, son régime fut
toujours considéré comme tolérant et démocratique.
Lorsqu’il s’effaça en 1980, il fut le premier dirigeant de
l’Afrique moderne à prendre sa retraite de son propre chef.
Léopold Sédar Senghor était aussi un diplomate éloquent
qui n’hésitait pas à critiquer les politiques coloniales du
Portugal et de l’Afrique du Sud, tout en morigénant certains
pays en développement pour ce qu’il estimait être de l’hypocrisie. Lors d’un discours resté célèbre qu’il prononça à
l’ONU en 1961, il accusa certains pays qui venaient d’obtenir leur indépendance de mener une politique ambiguë :
« Nous avons dénoncé l’impérialisme des grandes puissances pour dissimuler un impérialisme en miniature vis-àvis de nos voisins… Nous avons exigé le désarmement des
grandes puissances pour transformer nos pays en arsenaux.
Nous proclamons notre neutralisme sans le fonder sur une
politique de neutralité. »
Léopold Sédar Senghor était l’un des tout grands intellectuels du XXe siècle. Son originalité, son humanisme et son
universalité étaient tels qu’il aurait mérité de recevoir le prix
Nobel.
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*Stagiaire, DG Développement
janvier-février 2002 le Courrier ACP-UE
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