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AVANT-PROPOS : LA FRANCOPHONIE SELON LÉOPOLD S. SENGHOR : UNE INDÉPASSABLE THÉORISATION?
Que me soit permis cet audacieux postulat, qui avec le temps s’imposera comme un constat. Le
« senghorisme » est à la Francophonie ce que le marxisme est à l’économie, c’est-à-dire une
logique de pensée holistique alternative à ce point articulée et cohérente qu’elle est capable, à
elle seule, d’expliquer le fonctionnement de la société. Par le biais d’une lecture historiographique
de l’œuvre de Léopold S. Senghor, en cela inspirée par la présente réflexion de notre collègue
Samba Diakité, il nous est permis de proposer une hypothèse exploratoire centrale,non pas tant
sur Senghor lui-même, que sur son legs et plus particulièrement encore sur ce qu’est devenue la
Francophonie.
Nous postulons que Senghor, même si cela n’aura jamais été sa prétention, a théorisé un système-
monde dont la Francophonie, depuis sa fondation, ne s’est jamais réellement idéologiquement
émancipée, ne serait-ce que minimalement distancée. À telle enseigne que le cadre conceptuel
bâti par Senghor s’impose dans le discours des intellectuels organiques qui pullulent dans les
différentes instances de l’OIF, comme un référentiel aussi indispensable qu’indépassable. Une
lancinante question se pose alors, que Senghor du reste serait peut-être aujourd’hui le premier à
formuler : la Francophonie souffrirait-elle du « syndrome de Fukuyama », d’une sorte de fin de son
histoire, institutionnellement condamnée à se répéter, incapable de se régénérer?
Avec le temps, cet unilatéralisme idéologique des différents opérateurs de l’OIF s’est lentement
transformé en une rhétorique somme toute assez banale. Or, d’un point de vue ontologique, il
s’agit d’une attitude (pour ne pas dire d’une paresse) intellectuelle qui est aux antipodes de l’état
d’esprit insufflé par Senghor lui-même. En l’absence d’une remise en question épistémique et
méthodologique rigoureuse, la Francophonie s’est lentement éloignée de sa francophonie. Bref,
c’est paradoxalement en invoquant Senghor que la Francophonie aura oublié Senghor.