La vengeance peut-elle avoir une justification éthique

CONFÉRENCE PHILOSOPHIQUE
“Plus l’être humain sera éclairé, plus il sera libre.”
Voltaire
LA VENGEANCE PEUT-ELLE AVOIR
UNE JUSTIFICATION ÉTHIQUE ?
CONFÉRENCE PAR DANIÈLE DUPIN
La justice et la vengeance divine poursuivant le Crime, Pierre Paul Prud'hon, 1808, Musée du Louvre.
Association ALDÉRAN Toulouse
pour la promotion de la Philosophie
MAISON DE LA PHILOSOPHIE
29 rue de la digue, 31300 Toulouse
Tél : 05.61.42.14.40
Site : www.alderan-philo.org conférence N°1600-189
LA VENGEANCE PEUT-ELLE AVOIR UNE JUSTIFICATION ÉTHIQUE ?
conférence de Danièle Dupin donnée le 25/06/2006
à la Maison de la philosophie à Toulouse
Peut-on penser la vengeance ? La vengeance est une notion classiquement dévalorisée,
considérée comme anti-sociale et négative. Mais ce regard sur la vengeance est-il le seul
possible ? La vengeance ne pourrait-elle pas avoir une justification éthique ?
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LA VENGEANCE PEUT-ELLE AVOIR
UNE JUSTIFICATION ÉTHIQUE ?
PLAN DE LA CONFÉRENCE PAR DANIÈLE DUPIN
I INTRODUCTION
S'interroger en philosophe sur la vengeance, c'est se poser la question du sens possible de certains
actes humains alors même que la «morale» de l'époque les réprouve.
La réflexion proposée ici s'appuiera sur la «Dialectique du maître et de l'esclave» de Hegel, dialectique
qui a beaucoup inspiré la pensée contemporaine. De Marx à Ricœur en passant par Nietzsche,
Heidegger, Sartre, Levinas, Derrida... le thème en est repris dans des problématiques variées, signe de
sa fécondité.
La structure fondamentale qu'elle suggère concernant la lutte pour la reconnaissance
servira de support de modélisation à ce propos dont le champ sera limité aux réactions à la violence
s'exprimant dans les relations interpersonnelles, et plus précisément à l'agression par le regard et le
jugement.
Nous admettrons comme postulat que l'humanité en chacun n'est donnée qu'à titre de potentialité, et
qu'elle a besoin d'être reconnue pour s'actualiser .
La vengeance est une violence en retour, elle implique qu'il y a eu violence, ou au moins sentiment
d'être victime de la violence injuste d'un autre.
J'appelle violence l'agression, l'action dirigée contre l'intégrité de quelqu'un, et qui l'affecte profondément
de l'extérieur (cf Aristote).
La violence de l'autre dirigée contre soi, chacun en fait l'expérience très tôt, et ne peut manquer de se
poser, à froid, un certain nombre de questions, et sur ses causes et sur les réponses les meilleures à lui
apporter en situation, sachant que la justice instituée ne peut pas régler tous les problèmes se posant
dans la sphère privée et qu'à tout moment on peut se retrouver dans la position de l'agressé. Peut-on se
contenter de subir ou de fuir ?
La vengeance est-elle une réponse monstrueuse à rejeter absolument ?
N'est-elle orientée que vers la mort ? Comment cheminer dans la quête de la reconnaissance et de la
coexistence des consciences lorsqu'on est victime, ou qu'on se sent victime de la violence d'un autre?
La vengeance ne pourrait-elle pas avoir une justification éthique ? À quelle condition ?
C'est toute la problématique philosophique de la sagesse pratique qui est ici posée, celle de la
recherche de la "vie bonne", pour reprendre la formule d'Aristote *, au milieu des hommes tels qu'ils
sont ...
II HISTOIRE
Dans plusieurs sociétés la vengeance est ou a été considérée positivement comme l'instrument de la
réparation des torts subis. Et, il y a sans doute à l'origine un étroit rapport entre la vengeance et la justice.
Les mots vengeance et justice ont une parenté étymologique. Vengeance vient du latin
«vindicare» (réclamer en justice) et justice de «judicare» (dire le droit).
Dans la Grèce antique la vengeance, la némésis fut d'abord une idée morale. Elle devint ensuite une
véritable divinité, Némésis, déesse de l'équité, qui agissait chaque fois que la démesure des mortels,
l'hybris, menaçait l'équilibre de l'univers. Némésis n'accomplissait pas des vengeances aveugles ; elle
avait une fonction : celle d'empêcher les orgueilleux mortels, de se croire tout puissants, omniscients,
bref, de vouloir devenir les égaux des dieux. Dans l'antiquité le plaisir de se venger fut longtemps
considéré comme «un plaisir des dieux».
Il ne serait par ailleurs pas difficile de retrouver les épisodes bibliques de l'Ancien Testament qui narrent
des actes de vengeance. La loi du Talion est une tentative de rapprocher la vengeance de la justice, en
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faisant en sorte que la riposte infligée au coupable soit équivalente au dommage subi par la victime, et
ne dépasse pas ce dommage de manière disproportionnée.
Les sociétés féodales et aristocratiques quant à elles, sous des formes difrentes, ont longtemps
reposé sur un code de l'honneur qui obligeait l'aristocrate offensé à venger les affronts. Il y allait de sa
réputation et de sa dignité, à ses propres yeux et aux yeux des autres. Le monologue du Don Diègue du
Cid est un appel à la vengeance, pure et simple . Don Diègue s'adresse à son épée “Passe, pour me
venger, en de meilleurs mains” ou à Rodrigue “Viens me venger ... Je ne te dis plus rien. Venge-moi,
venge-toi“ ; “... Cette vengeance codifiée a disparu du monde occidental, mais elle persista sous une
forme particulière jusqu'au début du XX ème siècle en Corse. Il s'agissait d'un état de guerre privée
entre familles désigné par le mot italien «vendetta» qui se traduit en français par vengeance.
Le désir de vengeance s'exprime sous les formes les plus variées. Don Diègue exige que l'affront soit
immédiatement lavé, mais «la veuve de Paolo Saverini» («La vendetta» Maupassant) prépare et mijote
longuement le plat qu'elle mangera froid. (Temps différé + ou - court).
Aujourd'hui, dans le monde occidental contemporain la vengeance est frappée d'interdiction. Elle est
moralement si dévaluée que les victimes, au cœur même de leur drame, se défendent. D'éprouver ne
serait-ce que le désir de se venger.
Désir, pulsion, envie, projet de vengeance ne semblent plus avoir aucun droit d'entrée chez nous.
Cette rage vive de meurtrir l'auteur d'un tort qui fut un affect important et légitimé de l'intériorité
humaine pendant des siècles est désormais bannie du champ des émotions avouables.
L'histoire occidentale semble avoir opéré une restriction du pathos humain ; et chacun voit dans cette
élimination de la vengeance comme la condition et la conséquence d'un degré supérieur de
civilisation.
Cependant, malgré la condamnation morale de la vengeance, les discours de celle-ci sont toujours
présents et peuvent être parfaitement repérés en tant que tels dans l'actualité événementielle et
culturelle...
Ils occupent tous les champs contemporains, du cinéma, de la bande dessinée, et des diverses
littératures (policières mais pas seulement)... et dans la réalité, les crimes d'honneur existent
toujours... Il arrive que le discours de la vengeance se réfère à une «valeur» transcendante pour se
justifier. Les terroristes et les auteurs de prises d'otages n'hésitent pas à se considérer comme les
bras vengeurs d'une politique, d'une religion, d'un dieu, d'une morale qu'ils estiment avoir été
bafoués…La vengeance apparaît alors comme le lien entre réalité et transcendance.
Au plan des motivations l'expression "respect de soi", tend à déborder sémantiquement sur le vocable
"honneur", un des marqueurs linguistiques les plus à même de justifier un discours ou un projet de
vengeance.
La condamnation morale du discours de la vengeance, n'a-t-elle pas, pour contrepartie, l'hypertrophie
du discours victimaire contemporain ? En effet dès lors que la victime n'est plus autorisée à parler
contre le coupable, sauf dans les termes sans subjectivité de la justice, ne lui reste-t-il pas alors, pour
sa propre parole, que le discours victimaire ? En d'autres termes le discours victimaire n'est-il pas un
des seuls discours disponibles pour le sujet victime qui se trouve privé du discours de la vengeance ?
On semble dire aujourd'hui, facilement, non à la vengeance et oui à la plainte.
III PROBLÉMATIQUE
La vengeance est une réponse de fait à la violence vécue, à quelque chose qui est vécu comme une
violence,qu'elle ait été voulue ou pas par l'agresseur.
Est-elle une réponse de droit ? Ou est-elle une réponse monstrueuse, résidu des temps barbares à
rejeter absolument ?
N'est-elle orientée que vers la mort ? Comment cheminer dans la quête de la reconnaissance par les
autres de sa propre humanité, et de la coexistence des consciences, lorsqu'on est victime, ou qu'on se
sent victime de la violence destructrice d'un autre ? Ne peut-on rien faire soi-même contre la violence de
l'autre ?
Sachant que la justice instituée ne peut pas régler tous les problèmes se posant dans la sphère privée
et qu'à tout moment on peut se retrouver dans la position de l'agressé, peut-on se contenter de subir, de
fuir, ou d'attaquer en justice ?
Nous essaierons de dégager l'enjeu éthique c'est à dire non pas par rapport à un catalogue du bien et
du mal socialement admis, mais par rapport aux principes que nous choisissons d'adopter pour la
conduite de notre vie,
C'est toute la problématique philosophique de la sagesse pratique qui est ici posée, celle de la
recherche de la "vie bonne", pour reprendre la formule d'Aristote*, au milieu des hommes tels qu'ils sont
ou ont vocation à devenir...
La vengeance peut-elle avoir une justification éthique ou non ?
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IV DÉVELOPPEMENT : EXAMEN ÉTHIQUE DES RÉPONSES À LA VIOLENCE
1 - Le problème de la reconnaissance
-La dialectique du maître et de l'esclave : "La lutte pour la reconnaissance est à la vie et à la mort, la
lutte pour la reconnaissance et la soumission à un maître est le phénomène d'où est sortie la vie
sociale des hommes... la violence est le fonds de ce phénomène" Hegel
- la violence du jugement et du regard, l'offense, l'insupportable
2 - Les réponses à la violence
- La soumission et la fuite : le choix de la survie, l'évitement du conflit. Le complexe de l'agneau.
A - La vengeance de type 1
On renvoie à l'offenseur autant ou plus de la même offense. Enfermement, obsession, sortie de
la vie bonne, recherche sans fin du dernier mot. Le soi avec sa blessure prime l'autre et le souci
de coexistence dans des institutions justes
Exemple de Cyrano : fait rire de celui qui a ri de lui, en s'exposant à faire rire aussi de lui au 1er
degré
B - La vengeance de type 2
Le renvoi à l'autre d'un miroir ; Visée : la coexistence, la recherche de la double
reconnaissance.
Pour mémoire les autres réponses à la violence : les réponses du "crédit"
V CONCLUSION : VENGEONS-NOUS
Si la vengeance montre le désir de vivre autrement que soumis au mauvais "traitement" de l'autre, si
elle est choix de réaction en direction de cet autre, elle a du sens.
Pourtant elle rate, semble-t-il, le plus souvent son but, vidant la vie de tout présent, fonctionnant, tant
qu'elle n'est pas exécutée, comme obsession réactive essentiellement destructrice d'un autre, et par
là même souvent de soi.
N'est-elle pas cependant préférable à l'attitude d'évitement systématique de tout conflit, plus prisée
aujourd'hui ? Car que serait notre vie sans l'affrontement de l'altérité de l'autre, avec ses risques de
mort (au moins symbolique) ? N'y aurait-il pas dans la force du désir de vengeance qui s'empare du
sujet profondément blessé, de quoi construire une réponse plus humaine, tournée vers la vie et la
coexistence des consciences ?
Autant de questions essentielles posées sur ce "vivre ensemble" ...
Face à la violence verbale ou posturale de l'autre, on peut se soumettre, préférer la vie comme
«esclave», la démission, le défaitisme, à l'affrontement.
La reconnaissance des consciences comme libertés implique qu'on affronte l'altérité de l'autre même
violent, au lieu de s'enliser dans des justifications, se plaindre ou fuir.
Toute vengeance est déjà recherche de récupérer sa dignité perdue et de s'affirmer comme sujet,
capable d'au moins autant, face à l'offenseur, mais c'est le plus souvent autant de «nuisance» qui est
renvoyée... Dans ce cas, il y a escalade sans fin.
L'intérêt d'une «riposte» ouverte, qui cherche autre chose que la destruction de l'offenseur est de
permettre, et de se poser comme sujet, en grandissant en humanité, et de reconnaître l'autre comme
non enfermé à vie dans sa violence, elle intègre ainsi par la honte que peut éprouver l'offenseur
renvoyé à lui même, la possibilité du dialogue, et du pardon, affaire de la victime, et au delà, la
construction de la coexistence des consciences.
La vengeance est donc une action humaine qui peut hélas conduire à la frontière de l'humanité, dans
le désert du règne de la violence, mais aussi quelquefois permettre d'en sortir en signifiant qu'on
refuse l'oppression, l'injustice.
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