n'y eût aucun Dieu qui existât. Tant s'en faut, c'est ici qu'il y a un sophisme
[Raisonnement incorrect ayant l'apparence de la vérité.] caché sous l'apparence de cette
objection : car de ce que je ne puis concevoir une montagne sans vallée, il ne s'ensuit
pas qu'il y ait au monde aucune montagne, ni aucune vallée, mais seulement que la
montagne et la vallée, soit qu'il y en ait, soit qu'il n'y en ait point, ne se peuvent en
aucune façon séparer l'une d'avec l'autre ; au lieu que, de cela seul que je ne puis
concevoir Dieu sans existence, il s'ensuit que l'existence est inséparable de lui, et partant
qu'il existe véritablement : non pas que ma pensée puisse faire que cela soit de la sorte,
et qu'elle impose aux choses aucune nécessité ; mais, au contraire, parce que la
nécessité de la chose même, à savoir de l'existence de Dieu, détermine ma pensée à le
concevoir de cette façon. Car il n'est pas en ma liberté de concevoir un Dieu sans
existence (c'est-à-dire un être souverainement parfait sans une souveraine perfection),
comme il m'est libre d'imaginer un cheval sans ailes ou avec des ailes.
René Descartes (1596-1650)
Méditations, 1641
Document 3 : Le texte suivant expose un des passages les plus importants de la réfutation kantienne de la
preuve ontologique (la preuve ontologique tente de démontrer l'existence de Dieu à partir de sa seule
définition). L’existence n’est pas un prédicat comme les autres, elle ne se déduit pas de l’essence
conceptuelle. L'existence d'un objet ne peut être tirée du concept de cet objet et Dieu ne fait pas exception à
la règle.
Être n'est évidemment pas un prédicat (1) réel, c'est-à-dire un concept de quelque chose
qui puisse s'ajouter au concept d'une chose. C'est simplement la position d'une chose ou
de certaines déterminations en soi. Dans l'usage logique, ce n'est que la Copule (2) d'un
jugement. Cette proposition : Dieu est tout puissant, renferme deux concepts qui ont leurs
objets : Dieu et toute-puissance ; le petit mot est n'est pas du tout encore par lui-même
un prédicat, c'est seulement ce qui met le prédicat en relation avec le sujet. Or, si je
prends le sujet (Dieu) avec tous ses prédicats (dont la toute-puissance fait aussi partie) et
que je dise : Dieu est, ou il est un Dieu, je n'ajoute aucun nouveau prédicat au concept de
Dieu, mais je ne fais que poser le sujet en lui-même avec tous ses prédicats, et en même
temps, il est vrai, l'objet qui correspond à mon concept. Tous deux doivent exactement
renfermer la même chose et, par conséquent, rien de plus ne peut s'ajouter au concept
qui exprime simplement la possibilité, par le simple fait que je conçois (par l'expression : il
est) l'objet de ce concept comme donné absolument. Et ainsi, le réel ne contient rien de
plus que le simple possible. Cent thalers (3) réels ne contiennent rien de plus que cent
thalers possibles. Car, comme les thalers possibles expriment le concept et les thalers
réels, l'objet et sa position en lui-même, au cas où celui-ci contiendrait plus que celui-là,
mon concept n'exprimerait pas l'objet tout entier et, par conséquent, il n'en serait pas,
non plus, le concept adéquat. Mais je suis plus riche avec cent thalers réels qu'avec leur
simple concept (c'est-à dire qu'avec leur possibilité). Dans la réalité, en effet, l'objet n'est
pas simplement contenu analytiquement (4) dans mon concept, mais il s'ajoute
synthétiquement (5) à mon concept (qui est une détermination de mon état), sans que,
par cette existence en dehors de mon concept, ces cent thalers conçus soient le moins
du monde augmentés. [...]
Quelles que soient donc la nature et l'étendue de notre concept d'un objet, il nous faut
cependant sortir de ce concept pour attribuer à l'objet son existence. Pour les objets des
sens, cela a lieu au moyen de leur enchaînement avec quelqu'une de mes perceptions
Association ALDÉRAN © - Conférence 1600-193 : “L’infondation des religions” - 15/01/2007 - page 5