CONFÉRENCE DU FORUM DES SAVOIRS “Plus l’être humain sera éclairé, plus il sera libre.” Voltaire VICTOR SCHŒLCHER ET L’ABOLITION DE L’ESCLAVAGE CONFÉRENCE PAR ÉRIC LOWEN Association ALDÉRAN Toulouse pour la promotion de la Philosophie MAISON DE LA PHILOSOPHIE 29 rue de la digue, 31300 Toulouse Tél : 05.61.42.14.40 Email : [email protected] Site : www.alderan-philo.org conférence N°1000-133 VICTOR SCHŒLCHER L’homme de l’abolition de l’esclavage conférence d’Éric Lowen donnée le 23/04/2004 à la Maison de la philosophie à Toulouse Au mois d'avril 1848, Victor Schœlcher réussissait à faire abolir l'esclavage - ce crime contre l'Humanité - dans les colonies françaises. Derrière son engagement abolitionniste se trouve une philosophie complète de l’homme et de la société. Le bicentenaire de sa naissance est l'occasion de revenir sur la pensée, la trajectoire, les engagements et la vie de ce personnage exceptionnel, qui ne se résume nullement à l'abolition de l'esclavage. Association ALDÉRAN © - Conférence 1000-133 : “Victor Schœlcher“ - 23/04/2004 - page 2 VICTOR SCHŒLCHER, ET L’ABOLITION DE L’ESCLAVAGE PLAN DE LA CONFÉRENCE PAR ÉRIC LOWEN Évoquer Schœlcher, ce n’est pas invoquer un vain fantôme, c’est rappeler à sa vraie fonction un homme dont chaque mot est encore une balle explosive. Aimé Césaire I VICTOR SCHŒLCHER AUJOURD’HUI 1 - Que reste-t-il de Victor Schœlcher aujourd’hui ? 2 - En dehors des anciennes colonies, son nom est presque oublié 3 - L’histoire n’a retenu que son action abolitionniste 4 - Un homme plus complexe que cette image caricaturale de vieille barbe “quarante-huitarde” II VICTOR SCHŒLCHER (1804-1893) 1 - Origines familiales 2 - Un bon fils de famille bourgeoise, qui avait tout pour pantoufler dans l’existence 3 - Sa conversion humaniste : la découverte de l’horreur de l’esclavage colonial 4 - La situation de l’esclavage dans les colonies 5 - Son engagement immédiat pour la cause abolitionniste 6 - Et en parallèle, un engagement républicain, franc-maçon, athée et libre-penseur 7 - Un voyageur infatigable pour enquêter sur le terrain de toutes les formes d’esclavage 8 - Un projet de sortie de l’esclavage au profit des esclaves : le schoelcherisme 9 - Son rôle dans le gouvernement provisoire de la Deuxième République en 1848 10 - Il signe le décret d’abolition le 27 avril 1848 11 - Sa promulgation décalée dans les colonies 12 - Le début de la période post-esclavagiste dans les colonies 13 - Son élection à la Martinique et ses efforts dans les colonies pour accompagner l’abolition 14 - Après le coup d’état de Napoléon III, l’exil à Londres (1851-1870) 15 - Le retour à Paris en 1870, son soutien à la République et la défense de Paris 16 - Son retour en politique en 1871, sénateur inamovible de la Martinique en 1875 17 - Ses legs philanthropiques et sa mort le 25 décembre 1893 III SES GRANDS COMBATS 1 - La défense de l’homme sur tous les principaux débats sociaux du 19ème siècle 2 - Un humanisme universel, défenseur de liberté et des droits humains 3 - La destruction universelle de l’esclavagiste et de toutes les formes de tyrannie 4 - Faire des anciens esclavages de nouveaux citoyens 5 - La défense d’un républicanisme démocratique (ex : suffrage universel) 6 - Un socialiste non marxiste, pour une société juste et équitable 7 - Pour l’instruction laïque, gratuite et obligatoire 8 - La lutte contre le cléricalisme et la laïcité 9 - L’abolition de la peine de mort 10 - L’émancipation de la femme, cette “éternelle mineure” IV CONCLUSION 1 - Une vie consacrée à la fondation de la République et à la conquête de la liberté 2 - De la figure historique à un exemple pour le présent 3 - Ses combats ne sont pas dépassés, ils sont toujours d’actualité ORA ET LABORA Association ALDÉRAN © - Conférence 1000-133 : “Victor Schœlcher“ - 23/04/2004 - page 3 Document 1 : Aspect le plus “visible” de l’horreur de l’esclavage, la traite; encore désignée sous les nom de “commerce triangulaire”, “commerce d’ébène”... Le marché des esclaves, d'après les récits de l'explorateur anglais Levingston (tableau anonyme, Musée national des Arts d'Afrique et d'Océanie). Document 2 : La base du système esclavagiste en Amérique et dans les Caraïbes était la grande exploitation agricole coloniale (sucre, coton, café, etc.), qui demandait une grande main-d’oeuvre peu qualifiée. Ici, récolte du coton en Géorgie (USA). Association ALDÉRAN © - Conférence 1000-133 : “Victor Schœlcher“ - 23/04/2004 - page 4 Document 3 : Une part importante du travail de Victor Schœlcher fut de faire comprendre, à ses compatriotes, la réalité de l’esclavage. Victor Schoelcher fut aussi un impitoyable témoin de la misère de son temps. Les esclaves travaillent aux champs par brigades de quinze ou vingt sous la surveillance de contremaîtres qui les contiennent avec un énorme fouet toujours agité. Voilà la vie d’esclave, froide, machinale, abrutissante, vile, monotone, sans passé pour réfléchir, sans avenir pour rêver, n’ayant que le présent toujours armé d’un fouet ignominieux. *** Le fouet est une partie intégrante du régime colonial, le fouet en est l'agent principal ; le fouet en est l'âme, le fouet est la cloche des habitations, il annonce le moment du réveil, et celui de la retraite il marque l'heure de la tâche ; le fouet encore marque l'heure du repos ; et c'est au son du fouet qui punit les coupables, qu'on rassemble soir et matin le peuple d'une habitation pour la prière ; le jour de la mort est le seul où le Nègre goûte l'oubli de la vie sans le réveil du fouet. Le fouet est un mot, est l'expression du travail aux Antilles. Victor Schœlcher Des colonies françaises. Abolition immédiate de l'esclavage, 1842 Document 4 : Victor Schoelcher réfutait catégoriquement les discours de certains colons qui parlaient d’un esclavage doux et humain. Même avec de bons maîtres, le principe esclavagiste est fondamentalement mauvais. Le sort des esclaves n'a pas cessé d'être horrible, atroce, dégradant, infâme, malgré les lois, les ordonnances, les règlements faits pour l'alléger. Les adoucissements qu'on a cru y porter font illusion à l'humanité. Le seul, l'unique remède aux maux incalculables de la servitude, c'est la liberté. Il est impossible d'introduire l'humanité dans l'esclavage. Il n'existe qu'un moyen d'améliorer réellement le sort des nègres, c'est de prononcer l'émancipation complète et immédiate. Victor Schœlcher Histoire de l'esclavage pendant les deux dernières années, 1847 Document 5 : Pour contester l’esclavage, il fallait réfuter toutes les thèses racistes sur l’infériorité des noirs et autres préjugés. Malheureusement, de nombreux abolitionnistes furent aussi racistes. Alors que Victor Schœlcher défendait l’idée de l’égalité en humanité, dignité et en droit des esclavages. Détruire l'absurde préjugé (...) contre les Noirs et les sang mêlés est impossible tant que l'esclavage subsistera, autrement dit, les moyens nécessaires pour arriver à l'extirpation de ce préjugé sont incompatibles avec l'existence de l'esclavage. Le préjugé contre la couleur des Noirs se lie intimement au fait de la domination et de l'oppression physique que l'homme blanc exerce sur le Noir. Un préjugé analogue est inhérent à toute supériorité d'un homme sur un autre (...) ; or, cette incapacité est devenue une certitude pour ceux qui l'admettent uniquement, parce que les uns se sont contentés de regarder les Nègres dans l'esclavage et que les autres ont cru les maîtres sur parole. Nous ne contestons pas que l'état moral des esclaves dans les colonies ne puisse justifier cette opinion fatale à toute leur race , nous les avons approchés, nous les connaissons, et nous savons jusqu'à quel point de dégradation ils sont descendus ; mais c'est ici qu'il faut bien distinguer l'effet de la cause. Les Noirs ne, sont pas stupides parce qu'ils sont noirs, mais parce qu'ils sont esclaves. L'infériorité intellectuelle des hommes en servitude n'est pas chose nouvelle ; les comédies antiques sont pleines de traits contre l'imbécillité des esclaves. Aristote prétend tout net qu'ils n'ont qu'une demi-âme. Les Romains, malgré leurs marchands, leurs instituteurs, leurs médecins et leurs rhéteurs esclaves, n'avaient pas plus de considération pour la classe en général. L'atrophie de toute faculté d'esprit est au fond de Association ALDÉRAN © - Conférence 1000-133 : “Victor Schœlcher“ - 23/04/2004 - page 5 toute servitude, blanche ou noire. Il y a longtemps qu'Homère a fait dire à Eumée : «Le jour de l'esclavage, ainsi l'a voulu le puissant Jupiter, dépouille un mortel de la moitié de sa vertu.» On parle de l'avilissement, de la stupidité des Noirs en colonie mais n'est-ce pas le produit de l'esclavage, et l'esclavage n'a-t-il pas ce résultat partout où il existe, sur quelque nature d'homme qu'il pèse de son poids de plomb ? Les Blancs même d’Europe n'en éprouvent-ils pas les mêmes effets ? (...) Les fauteurs de l'esclavages vont-ils dire que les serfs russes, polonais et valaques sont des Nègres blancs, des Blancs de l'espèce noire et faits pour être esclaves ? L'esclavage abrutit Blancs ou Noirs, voilà toute la vérité (...). Nous voulons donc établir que la prétendue pauvreté intellectuelle des Nègres est une erreur créée, entretenue, perpétuée par l'esclavage ; conséquemment ce n'est point leur couleur mais leur servitude qu'il faut haïr. Victor Schœlcher Abolition de l'esclavage. Examen critique du préjugé contre la couleur des Africains et des sangmêlés, 1840 Document 6 : Pour Victor Schœlcher, l’esclavage n’était pas mauvais en raison d’une quelconque pitié sentimentale, mais parce qu’il représente un crime contre l’Humanité. Nous plaidons au nom des droits imprescriptibles de l'homme; nous poursuivons l'esclavage en dehors de toute considération, parce qu'il offense l'humanité. Ce n'est point tel ou tel acte de cruauté qui le constitue. La question n'est pas une question de traitement doux ou cruel. C'est une question de principe. Que des planteurs soignent bien leurs esclaves, ce n'est pas ce dont il s'agit : d'autres peuvent les traiter mal. Ce dont il s'agit, c'est du principe qui fait que de deux hommes, l'un se dit maître de l'autre et lui arrache ses droits d'homme. Le principe ! Là est tout le crime nommé esclavage. La bonté de certains possesseurs ne peut venir en expiation de ce crime de principe, si elle n'équivaut à son entière destruction, autrement dit si le possesseur ne rend pas sa liberté au possédé. (...) Mais écartons ces horreurs, supposons qu'en raison de leur caractère exceptionnel elles ne soient pas suffisantes pour nécessiter la transformation d'un état social où elles peuvent se reproduire chaque jour: supposons même qu'elles soient impossibles, et que tous les esclaves jouissent du bien-être matériel dont nous avons reconnu l'existence pour la majorité. Cela supposé, les esclaves sont-ils aussi malheureux moralement que nous le croyons ; nous, surtout avec nos idées ? Non, ils sont misérables, mais pas malheureux ; ils s'ignorent eux-mêmes ; l'abrutissement de la masse l'empêche d'apprécier sa misère dégradée, ils ne souffrent véritablement pas. Élevés dès leur enfance, nourris dans leur vieillesse, soignés dans leurs maladies, on prévoit tout pour eux ; et en échange de cette sécurité de l'existence entière, ils n'ont à donner que neuf ou dix heures de travail par jour. Ils sont un peu moins bien traités que les animaux du Jardin des Plantes qui n'ont rien à donner du tout ; mais ils sont assurément mieux approvisionnés, et plus tranquilles que les ouvriers européens. C'est là le grand argument des créoles, ils s'appuient toujours sur ce point, qu'il n'y a pas en France un paysan aussi heureux que leurs esclaves. Parce que le prolétaire, dans le souverain exercice de son libre arbitre, dans la toute-puissance de son individualisme, sous la glorieuse responsabilité de tous ses actes, lutte avec douleur contre l'adversité au milieu d'une société mal construite, ils disent que le sort de l'esclave est meilleur que celui du prolétaire (...). On ne voit point d'esclaves mourir de faim chez vous; mais on ne voit pas non plus de bœufs mourir de faim en Europe. Si le prolétaire y expire de besoin, un aussi horrible accident condamne la société où il a eu lieu, mais ne justifie pas la permanence de l'infamie qui se commet dans la vôtre. Schœlcher Victor Des colonies françaises. Abolition immédiate de l'esclavage, 1842 Association ALDÉRAN © - Conférence 1000-133 : “Victor Schœlcher“ - 23/04/2004 - page 6 Document 7 : La servitude est une déshumanisation, elle exige de rabaisser l’esclavage au rang d’animal, de chose. C’est une réification d’autrui. La servitude est l'annihilation de tous les droits, comme de toutes les facultés, une éternelle mutilation civile et morale (...). Toujours rigoureusement tenu sous la machine pneumatique de l'ignorance, de crainte que son cerveau ne prenne une force dangereuse, [l'esclave] ne sait pas les élans sublimes de l'âme, les joies indicibles du cœur, et il est condamné à ne les savoir jamais. Quel que soit son génie, il ne peut sortir de sa position ? Un esclave n'a presque rien de commun avec un homme, que l'organisation animale (...), c'est une machine à cultiver ; c'est une chose, et il demeure soumis à toutes les misères, à tous les troubles, à tous les accidents qui peuvent suivre l'assimilation d'un homme à une chose possédée. (...) Parmi nous, le riche exploite encore le pauvre, cela est criminel ; mais il ne le possède pas. Leur contrat peut être rompu à volonté. Le pauvre, en subissant la servitude de la nécessité, ne cesse pas d'être libre de choisir un autre exploiteur, il ne perd jamais les chances d'en trouver un plus doux. Entre esclave et prolétaire, il y a la différence d'un outil à un ouvrier. Si l'ouvrier est malheureux, c'est une raison pour améliorer son sort, mais non pas une raison pour se dispenser de faire passer l'outil homme à l'état ouvrier. (...) « Les hommes, a dit Montesquieu, s'accoutument à tout : à la servitude même, pourvu que le maître ne soit pas plus dur que la servitude. Rien ne met plus près de la condition des bêtes, que de voir toujours des hommes libres, et de ne l'être pas. » Les colons à courte vue se trompent à de tels symptômes, et demandent pourquoi l'on s'occupe de misérables qui ne paraissent rien désirer ? Les Israélites, non plus, ne voulaient pas sortir d'esclavage, ils étaient arrivés à un point plus horrible encore de dégradation, ils aimaient leur honte, ils disaient à Moïse : « Non, laissez-nous; servons l'Égypte. » Leur sublime législateur les délivra, presque mal, gré eux, et à la moindre épreuve dans le désert, ils regrettaient leur servitude. Si Moïse avait consulté les Égyptiens, bien certainement on lui aurait répondu : « Ne vous occupez pas de ces êtres stupides. Ils sont paresseux par nature, on ne peut les faire travailler qu'à coups de bâton , et vous voyez qu'ils les supportent, qu'ils y a qu'un extravagant qui puisse songer à les émanciper, ce serait nous causer beaucoup de mal, sans leur apporter aucun bien, ils ne veulent pas de la liberté. » Victor Schœlcher Des colonies françaises. Abolition immédiate de l'esclavage, 1842 Document 8 : À la différence d’autres abolitionnistes, Victor Schœlcher milita toujours pour une abolition immédiate et radicale, et non pas progressive. “Les gens qui souffrent doivent être immédiatement secourus” Vous prétendez, monsieur, que les abolitionnistes doivent se tenir pour satisfaits et attendre, parce que la cause de l'abolition est gagnée ; mais ces victimes de l'arbitraire dominical, ces victimes de la servitude dont le jour lugubre de la cour d'assises révèle quelquefois les tortures, vous semble-t-il donc qu'elles puissent attendre ? Est-ce témoigner une impatience folle que d'exiger leur prompte délivrance ? Il est bon d'apporter du calme aux choses politiques, mais ce n'est pas le moment de faire des réserves quand il s'agit de réparer une séculaire iniquité, aussi monstrueuse en droit qu'atrocement barbare en fait. Les gens qui souffrent veulent et doivent être immédiatement secourus. Une société où les uns sont battus et les autres empoisonnés, ne peut paraître acceptable qu'à ceux qui sont sûrs de toujours battre et qui espèrent n'être jamais empoisonnés. Dans le temps et dans l'espace quelques jours ne sont rien et l'on n'y doit pas regarder, mais quand les délais se peuvent calculer par des coups de fouets et des meurtres, il n'y a pas, chez ceux qui exigent tant de ménagement, fort loin de la prudence à la barbarie. Victor Schœlcher Colonies étrangères et Haïti : résultat de l'émancipation anglaise, 1842-1843 Association ALDÉRAN © - Conférence 1000-133 : “Victor Schœlcher“ - 23/04/2004 - page 7 Document 9 : Le projet de Victor Schœlcher n’était pas seulement de libérer les esclaves, il désirait aussi les faire accéder à la reconnaissance politique, il voulait qu’ils soient hommes parmi les hommes, citoyens parmi les citoyens. Nous avons voulu prouver que le Nègre doit avoir place entière dans le genre hominal. Il est homme, bien véritablement homme. Il pense, il éprouve les émotions du bonheur et les angoisses de la peine ; le désir de l'approbation le porte à des traits héroïques, l'égoïsme à de mauvaises actions. Il faut être au moins très paradoxal pour nier la valeur d'une telle identité d'organisation morale. Son mode d'être intellectuel, ses passions, ses goûts, tout proteste contre une assimilation entre lui et le singe ; l'Africain est un homme noir comme l'Indien un homme brun, l'Asiatique un homme jaune, l'Américain un homme rouge, l'Européen un homme blanc. Voilà tout. Nous ne reconnaissons de supériorité à une race sur l'autre que celle acquise par l'éducation, et nous ne reconnaîtrons de droits au titre de la première création du globe, qu'à celle qui se montrera la meilleure et la plus généreuse ! Encore une fois le Noir est homme. L'analyse anatomique de son être comparée à celle des autres hommes, ne présente aucune dissemblance essentielle. Ce sont des nuances dans une unité ; et lorsque nous en avons contesté quelques-unes, nous n'avions en vue que l'exactitude scientifique, aucunement l'intérêt de notre cause. Même comme abolitionniste, nous ne tenons pas du tout à blanchir le Noir ; nous n'avons pas besoin de cela pour exiger sa délivrance. (...) Le préjugé de couleur était indispensable pour une société où l'on introduisait des esclaves d'une autre espèce d'homme que celle des maîtres. Le salut de maîtres blancs, disséminés au milieu d'un nombre tricentuple d'esclaves noirs, résidait dans la fiction de leur supériorité sur ces derniers, et par suite dans la seconde fiction de l'inhabilité des Noirs à jamais acquérir cette supériorité. Il dérivait de là forcément que tout individu qui aurait du sang inférieur dans les veines, ne devait plus pouvoir aspirer à l'égalité avec ceux de la classe à sang noble : la dégradation du mulâtre n'était qu'un écho de l'asservissement du Noir; une nécessité de logique. Victor Schœlcher Des colonies françaises. Abolition immédiate de l'esclavage, 1842 Document 10 : Victor Schœlcher pensait que l’esclavage, en tant qu’institution légale impliquait une responsabilité collective de tous les français, même eux qui ne possédaient pas d’esclaves mais qui “laissaient faire”. Pour lui, l’indifférence devant un tel crime était une forme de complicité. Nous demandons, Messieurs, l'abolition immédiate et complète de l'esclavage dans les colonies françaises; Parce que la propriété de l'homme par l'homme est un crime (... ); Parce qu'on ne peut détruire les vices de la servitude qu'en abolissant la servitude ellemême; Parce que toutes les notions de justice et d'humanité se perdent dans une société à esclaves ; Parce que l'homme est encore vendu à l'encan, comme du bétail, dans nos colonies; Parce qu'il y a dans la population servile excédent annuel de morts sur les naissances ; Parce que l'honneur du peuple français se compromet à transfigurer plus longtemps avec une institution meurtrière (...); Parce qu'en vertu de la solidarité qui lie tous les hommes de la nation entre eux, chacun de nous a une part de responsabilité dans les crimes qu'engendre la servitude. Schœlcher Victor Pétition aux Chambres pour demander l'abolition de l'esclavage dans les colonies françaises, 1847 Association ALDÉRAN © - Conférence 1000-133 : “Victor Schœlcher“ - 23/04/2004 - page 8 Document 11 : La joie éclate le 24 février 1848, après l'abdication de Louis-Philippe (J’abdique cette couronne, que la volonté nationale m’avait appelé à porter, en faveur de mon petit-fils, le comte de Paris. Puisse-t-il réussir dans la grande tâche qui lui échoit aujourd’hui ! Louis-Philippe, 24 février 1848), un gouvernement provisoire est installé par la volonté du peuple à l'Hôtel de Ville dans un Paris couvert de barricades (Bibliothèque Nationale, Roger Viollet). Document 12 : François Arago (1786-1853), astronome et polytechnicien, républicain modéré, fut nommé ministre de la marine du gouvernement provisoire. Ami de longue date de Victor Schœlcher, il lui donna les moyens de mettre en œuvre l’abolition. Document 13 : Le lendemain de son retour à Paris, Victor Schœlcher est nommé à la tête d’une commission chargée d’abolir l’esclavage. Au nom du peuple français, le gouvernement provisoire de la République, considérant que nulle terre française ne peut plus porter d'esclaves, décrète : une commission est instituée auprès du ministère provisoire de la Marine et des Colonies pour préparer, sous le plus bref délai, l'acte d'émancipation immédiate de toutes les colonies de la République. Le ministre de la Marine pourvoira a l’exécution du présent décret. 4 mars 1848 [Le même jour Victor Schœcher est nommé président de cette commission.] Association ALDÉRAN © - Conférence 1000-133 : “Victor Schœlcher“ - 23/04/2004 - page 9 Document 14 : Voilà un document historique. « Décret d'abolition de l'esclavage dans les colonies françaises, 27 avril 1848 Ministère de la Marine et des Colonies Direction des Colonies République française Liberté - Égalité - Fraternité Au nom du Peuple français Le Gouvernement provisoire, Considérant que l'esclavage est un attentat contre la dignité humaine; Qu'en détruisant le libre arbitre de l'homme, il supprime le principe naturel du droit et du devoir; Qu'il est une violation flagrante du dogme républicain: «Liberté - Égalité - Fraternité»; Considérant que si des mesures effectives ne suivaient pas de très près la proclamation déjà faite du principe de l'abolition, il en pourrait résulter dans les colonies les plus déplorables désordres; Décrète : Article 1er : L'esclavage sera entièrement aboli dans toutes les colonies et possessions françaises, deux mois après la promulgation du présent décret dans chacune d'elles. A partir de la promulgation du présent décret dans les colonies, tout châtiment corporel, toute vente de personnes non libres, seront interdits. Article 2 : Le système d'engagement à temps établi au Sénégal est supprimé. Article 3 : Les gouverneurs ou Commissaires généraux de la République sont chargés d'appliquer l'ensemble des mesures propres à assurer la liberté à la Martinique, à la Guadeloupe et dépendances, à l'île de la Réunion, à la Guyane, au Sénégal et autres établissements français de la côte occidentale d'Afrique, à l'île Mayotte et dépendances et en Algérie. Article 4 : Sont amnistiés les anciens esclaves condamnés à des peines afflictives ou correctionnelles pour des faits qui, imputés à des hommes libres, n'auraient point entraîné ce châtiment. Sont rappelés les individus déportés par mesure administrative. Article 5 : L'Assemblée nationale réglera la quotité de l'indemnité qui devra être accordée aux colons. Article 6 : Les colonies purifiées de la servitude et les possessions de l'Inde seront représentées à l'Assemblée nationale. Article 7 : Le principe « que le sol de la France affranchit l'esclave qui le touche » est appliqué aux colonies et possessions de la République. Article 8 : À l'avenir, même en pays étranger, il est interdit à tout Français de posséder, d'acheter ou de vendre des esclaves, et de participer, soit directement, soit indirectement, à tout trafic ou exploitation de ce genre. Toute infraction à ces dispositions entraînerait la perte de la qualité de citoyen français. Néanmoins, les Français qui se trouveront atteints par ces prohibitions, au moment de la promulgation du présent décret, auront un délai de trois ans pour s'y confirmer. Ceux qui deviendront possesseurs d'esclaves en pays étranger, par héritage, don ou mariage, devront, sous la même peine, les affranchir ou les aliéner dans le même délai à partir du jour où leur possession aura commencé. Article 9 : Le ministre de la Marine et des Colonies et le ministre de la Guerre sont chargés, chacun en ce qui le concerne, de l'exécution du présent décret. Fait à Paris, en conseil de gouvernement, le 27 avril 1848. Signé: les membres du gouvernement provisoire. » Association ALDÉRAN © - Conférence 1000-133 : “Victor Schœlcher“ - 23/04/2004 - page 10 Document 15 : Victor Schœlcher fut de tous les combats républicains, en particulier celui de la laïcité de l’état et de l’école. Il fut rapporteur devant le sénat en 1882 des lois de Jules Ferry instituant l’école laïque, gratuite et obligatoire. C'est l'école primaire laïque qui, en commençant la culture de l'intelligence, lui donne des bases solides et la fortifie. C'est là que les enfants apprennent à devenir de bons citoyens, connaissant leurs devoirs et leurs droits, capables de juger la valeur politique et surtout morale de ceux qui sollicitent leurs suffrages, capables d'user avec discernement du bulletin de vote, ce petit morceau de papier qui confère le plus beau titre qu'on puisse avoir dans une république, le titre de représentant du peuple. Victor Schœlcher Extrait d'une Conférence devant le groupe de Saint-Denis de la Ligue de l'enseignement laïque avril 1881 Document 16 : Son combat contre la peine de mort, autre élément de son engagement pour le progrès humain à travers la réforme des prisons et des systèmes judiciaires. Les assassinats légaux n'empêchent pas le flot de la liberté de se soulever à de longs intervalles et d'entraîner toujours dans son impitoyable courant quelques-uns de ceux qui sont assez fous pour vouloir faire digue. Victor Schœlcher Document 17 : Ami de longue date de Flora Tristan, il avait compris l’inséparabilité du combat pour les libertés, il fut un féministe avant l’heure. Toutes les servitudes se touchent, et les mêmes causes produisent les mêmes effets. Victor Schœlcher, 1881 Les femmes... existent en tant que membres de la société politique. Pour nous qui voulons l’affranchissement de tout ce qui est en servitude, moralement ou physiquement, nous voulons celui de la femme, comme du prolétaire, comme du nègre. Courage, femmes françaises ! Comprenez votre rôle, il est immense. L’Europe vous bénit et vous admire. Quand ses hommes lui manquent, ses femmes la relèvent. Un régime qui a contre lui les femmes ne peut pas durer. Victor Schœlcher, Histoire des crimes du 2/12/1852 Association ALDÉRAN © - Conférence 1000-133 : “Victor Schœlcher“ - 23/04/2004 - page 11 Document 18 : L’hommage des anciennes colonies à Victor Schœlcher (en bas), va de pair avec celui des nègres marrons (en haut) qui osèrent se révolter tout au long de l’histoire tragique de l’esclavage. Association ALDÉRAN © - Conférence 1000-133 : “Victor Schœlcher“ - 23/04/2004 - page 12 DÉCOUVREZ NOTRE AUDIOTHÈQUE pour télécharger cette conférence, celles de la bibliographie et des centaines d’autres Tous nos cours et conférences sont enregistrés et disponibles dans notre AUDIOTHÈQUE en CD et DVD. Des milliers d’enregistrements à disposition, notre catalogue est sur notre site : www.alderan-philo.org. Plusieurs formules sont à votre disposition pour les obtenir : 1 - PHILO UPLOAD : un abonnement annuel pour un libre accès à la totalité des enregistrements disponibles. 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Association ALDÉRAN © - Conférence 1000-133 : “Victor Schœlcher“ - 23/04/2004 - page 13 POUR APPROFONDIR CE SUJET, NOUS VOUS CONSEILLONS - Les cours et conférences sans nom d’auteurs sont d’Éric Lowen - Revue de philosophie “ALDÉRAN” - Victor Schœlcher, l’homme de l’abolition française, Éric Lowen, Revue ALDÉRAN N°12 - Dossier Spécial “L’esclavage, ce crime contre l’humanité”, Revue ALDÉRAN N°11 Conférences sur l’histoire de l’esclavage - Histoire de l’esclavage, de l’esclavage antique à l’esclavage colonial - Esclavage et servage - Réalité de la condition servile : l’exemple du Surinam - Les abolitions de l’esclavage en France - Spartacus et les révoltes serviles de l’Antiquité - Toussaint Louverture et la révolution haïtienne - Simon Bolivar et les révolutions sud-américaines 1000-136 1000-196 1000-142 1000-146 1000-092 1000-122 1000-103 Conférences sur le cadre historique de l’action de Victor Schœlcher - La révolution française de 1789 - 1830, la révolution de juillet - La révolution de 1848 - La révolution de 1871, la Commune 1000-102 1000-154 1000-126 1000-105 Conférences sur l’histoire de la philosophie - Héraclite et le devenir - Démocrite et l’atomisme - Le théâtre de la variété ou la démocratie athénienne selon Platon, par Noémie Villacéque - Aristote et l’éthique à Nicomaque - La philosophie du plaisir d’Épicure - Épicure et le plaisir, par Yves Belaubre - La grande bibliothèque d’Alexandrie - Sénèque et le stoïcisme romain - Avicenne et la raison, par Dominique Urvoy - L'apport de la civilisation arabe au moyen-âge, un héritage remis en cause par l'ouvrage de Sylvain Gouguenheim, par Habib Samrakandi - Montaigne et l’humanisme - Vanini, philosophe méconnu, méprisé, diabolisé, par Matthias Klemm - Descartes et la méthode, par Mickaël Dubost - Spinoza et le bonheur, par Mickaël Dubost - Leibniz et la question du mal, par Mickaël Dubost - Hume et l’habitude, par Mickaël Dubost - Condillac et la sensation, par Mickaël Dubost - L’Encyclopédie et la philosophie des Lumières - Voltaire et la religion - Voltaire et l’affaire Calas - La singularité philosophique de Jean-Jacques Rousseau, par Eliane Martin-Haag - Adam Smith et l’économie, par Jacques Passerat - Olympe de Gouges, héritière des lumières, par Betty Daël - Kant et l’absolu, par Mickaël Dubost - Victor Schoelcher, l’homme de l’abolition française de l’esclavage - Victor Hugo, mystique de la liberté et du progrès - Nietzsche ou le combat contre l'utopie et la réalité chrétiennes, par Yannick Souladié - Dostoïevski face à l'athéisme, par Yannick Souladié - Bernard Bolzano corrige Kant, par Ghislain Vergnes - William Morris : socialisme et design, par John William - Jaurès, un philosophe majeur, par Jordi Blanc - Jaurès et la loi 1905 sur la laïcité 1000-141 1000-130 1000-212 1000-176 1000-203 1000-165 1000-013 1000-007 1000-131 1000-241 1000-040 1000-234 1000-137 1000-138 1000-139 1000-147 1000-155 1000-074 1000-156 1000-129 1000-224 1000-166 1000-087 1000-158 1000-133 1000-112 1000-220 1000-240 1000-088 1000-222 1000-228 1000-218 Association ALDÉRAN © - Conférence 1000-133 : “Victor Schœlcher“ - 23/04/2004 - page 14 - Wittgenstein, entre Vienne et Cambridge, par Yoann Morvan - Teilhard de Chardin et l’évolution - Saint-Exupéry, vie et oeuvre philosophique - Vercors, à la quête de la dignité humaine - George Orwell et la dénonciation des totalitarismes - Camus ou la voie de la sagesse, par Christiane Prioult - Logique et épistémologie dans l’oeuvre de Carnap, par Xavier Verley - Marguerite Yourcenar, l’itinéraire d’une sage, par Valéria Rousseau - Marguerite Yourcenar, l’écriture du “moi” dans le labyrinthe du monde, par Valéria Rousseau - Sartre et l’existentialisme - Guy Debord : la philosophie subversive réalisée, par Ghislain Vergnes - Popper et la connaissance, par Mickaël Dubost - Jean-Pierre Vernant et l’hellénisme 1000-153 1000-067 1000-019 1000-113 1000-123 1000-144 1000-239 1000-124 1000-207 1000-149 1000-211 1000-135 1000-235 Conférences autour de ces questions - L’image fantasmée de l'Afrique - La tentation esclavagiste, les fondements de l’esclavage - Philosophie et progrès social - L’Humanisme ou la mort ! - Démocratie et humanisme, le démocratisme humaniste - Les fondements des droits humains - L’universalité des droits humains - La conquête des libertés - La libération de l’Humanité - Liberté, j’écris ton nom... éloge de la liberté - Le devenir de l’Humanité - Le devoir de désobéissance 1600-208 1600-203 1600-012 1600-118 1600-141 1600-103 1600-211 1600-167 1600-080 1600-143 1600-097 1600-120 Quelques livres de Victor Schœlcher - Correspondance de Victor Schœlcher, Victor Schœlcher, Maisonneuve et Larose, 1998 - Lettres de Victor Schœlcher, Victor Hugo ; recueilli par jean et Sheila Gaudon, Victor Schœlcher ; Victor Hugo, Flohic Éditions, 1998 - Vie de Toussaint Louverture, en 1889 - Polémique coloniale (1882-1886) - Vie de Haendel (1857) - L’Égypte en 1845, Histoire de l’esclavage pendant les deux dernières années (1847) - Colonies étrangères et Haïti (1842-1843) - Des colonies françaises, abolition immédiate de l’esclavage (1842) - Abolition de l’esclavage; examen critique du préjugé contre la couleur des Africains et des sang-mêlés (1840) - De l’esclavage des noirs et de la législation coloniale (1833) Quelques livres et revues sur Victor Schœlcher - Le coup d’état du 2 décembre, de Gonzague Saint-Bris, Tallandier, 2002 - Février-juin 1848, la république maçonnique, par André Combes, in L’histoire N°256, numéro spécial, dossier spécial “Les francs-maçons” , Juillet-Août 2001 - Abolitionnistes de l’esclavage et réformateurs des colonies 1820-1851; analyse et documents, Nelly Schmidt, Karthala, 2000 - Victor Schoelcher républicain et franc-maçon, Girollet, Edimaf, 2000 - Victor Schœlcher abolitionniste et républicain, Anne Girollet, Karthala, 2000 - Victor Schœlcher, républicain et humaniste, Nelly Schmidt, ville de Houilles, 1998 - Schœlcher en son temps, images et témoignages, Nelly Schmidt, Maisonneuve et Larose, 1998 - Victor Schœlcher, N. Schmidt, Éditions Fayard, 1994 - La Vie politique aux Antilles au début de la période post-esclavagiste, 1848-1871, Nelly Schmidt, Institut caraïbe de recherches internationales en sciences humaines et sociales, Guadeloupe, 1982 Association ALDÉRAN © - Conférence 1000-133 : “Victor Schœlcher“ - 23/04/2004 - page 15