Document 3 : Un des aspects incontournables de la condition humaine est la confrontation avec la mort :
soit on l’acceptera (approche thanatosophique), soit on l’occultera.
Je ne crois pas que, depuis que le monde est monde, un seul homme soit mort
conscient. Quand Socrate parmi ses disciples saisit la coupe de ciguë il devait être au
moins à demi persuadé qu'il leur jouait la comédie. Il devait se trouver un peu théâtral et
s'étonner au fond que les jeunes gens le prissent tellement au sérieux. Certes, il savait
en théorie que le breuvage devait avoir un effet mortel ; mais il avait sûrement le
sentiment que la chose était bien différente de ce qu'imaginaient les disciples affligés et
sans humour, et qu'il devait y avoir au fond de tout cela une ruse que lui seul
soupçonnait. Chacun évidemment sait qu'il doit mourir un jour. Mais le savoir est une
chose et le croire en est une autre. Arthur Koestler (1905-1985)
Un testament espagnol, 1938
Document 4 : Il en va de même pour la souffrance et la douleur. Elles marquent la condition de l’homme, et
l’homme doit apprendre à y faire face, en s’en détachant, en les évitant ou/et en les dépassant.
Sagesse dans la douleur - Dans la douleur, il y a autant de sagesse que dans le plaisir :
pareille à celui-ci, elle appartient aux forces primordiales de la conservation de l'espèce.
Si elle ne l'était point, cette force aurait péri depuis longtemps : qu'elle fasse mal n'est
pas un argument contre elle, c'est sa nature. J'entends dans la douleur le
commandement du capitaine de vaisseau : «Larguez les voiles !». Savoir disposer les
voiles de mille façons, voilà à quoi l'audacieux navigateur «homme» doit s'être exercé,
sans quoi son sort serait trop vite réglé, et l'Océan aurait tôt fait de l'engloutir. Il nous faut
savoir vivre aussi avec une énergie diminuée : dès que la douleur donne son signal
d'alarme, le moment est venu de diminuer l'énergie - un grand danger, une tempête
approche, et nous ferons bien de faire en sorte qu'il y ait le moins de «casse». - Il est vrai
qu'il existe des hommes qui, sous l'imminence d'une grande douleur, obéissent au
commandement opposé, et qui jamais ne font montre d'autant de fierté, d'humeur
belliqueuse et de bonheur que lorsque se lève la tempête : oui, c'est à la douleur même
qu'ils doivent leurs suprêmes instants. Ce sont les hommes héroïques, les grands
messagers de douleur de l'humanité : ce sont les quelques hommes rares qui ont
justement besoin de la même apologie que la douleur d'une façon générale - et, en
vérité, on ne saurait la leur refuser ! Ils sont les forces primordiales de la conservation et
du développement de l'espèce, ne serait-ce que par le fait qu'ils résistent au confort, et
que pour cette sorte de bonheur Ils ne dissimulent point leur dégoût.
Friedrich Nietzsche (1844-1900)
Le gai savoir, IV, 318, 1882
Document 5 : La condition humaine, c’est aussi le face-à-face intime avec la question du bien et du mal, il
peut l’un et l’autre. C’est un des aspects de la conclusion du livre de Steinbeck, À l’est d’Eden.
“Vous rappelez-vous le jour où vous nous avez lu les seize versets du quatrième chapitre
de la Genèse ?
- Je me le rappelle très bien, et cela fait longtemps.
- Presque dix ans, répondit Lee. L'histoire m'avait fort impressionné et je l'ai relue mot pour
mot. Plus j'y pensais, plus elle me semblait chargée de sens. Alors j'ai comparé les
traductions que nous possédons, elles se suivent de très près. Il n'y a qu'un seul passage
qui me gêne. Dans la version King James, après que Jéhovah a demandé à Caïn la raison
de sa colère, il ajoute : «Certainement, si tu agis bien, tu relèveras ton visage», «et si tu
agis mal, le péché se couche à la porte», et « Ses désirs se portent vers toi, mais toi, tu le
domineras.» C'est le tu le domineras qui m'a frappé, car c'était une promesse faite à Caïn
qu'il dominerait le péché.»
Samuel acquiesça.
«Or, ses enfants ne l'ont pas entièrement dominé», dit-il.
Lee but son café.
«Alors je me suis procuré une Bible courante américaine. C'était très nouveau à l'époque,
et elle différait des autres à ce passage. Elle dit : «Domine sur lui», et c'est là que réside
toute la différence. Ce n'est plus une promesse, c'est un ordre. J'ai commencé à m'y
Association ALDÉRAN © - Conférence 1600-160 : “La condition humaine” - 17/12/2003 - page 5