La
SYNDICALISTE ET COOPÉRATIVE
FONDÉE
en .1885
PAR
Benoît MAL ON
DIRECTEUR:
Eugène EOURNIÈRE
.--î-
RÉpACTEURENCHEF
'.-.'.'
Albert THOMAS
TOME LVI
(Juillet-Décembre 1912)
PARIS
LIBRAIRIE DES SCIENCES POLITIQUES ET SOCIALES
MARCEL RIVIÈRE & Gie
3], RUE JACOBET 1, RUESAINT-BENOIT
Coll. CEDIAS-Musée social / Numérisation BnF
Coll. CEDIAS-Musée social / Numérisation BnF
Les catégories sociales et leur contenu
1. On peut classer les modes de notre activité de relation
que sont les catégories en trois grandes divisions : économi-
que, juridique, éthique. Toutes les manières d'agir, de s'expri-
mer, de sentir socialement rentrent dans ces trois divisions,
qui n'en laissent aucune en dehors. On aperçoit donc immé-
diatement que ce qui différencie profondément la catégorie
de la classe,' c'est qu'un individu ne peut être que d'une classe
à la,fois : il est noble, bourgeois ou artisan, capitaliste ou pro-
létaire. Il peut être successivement tout cela, mais non simul-
tanément, car alors il n'y aurait plus de classes. Il ne faut pas
alléguer ici que tel paysan peut être simultanément patron
sur son champ et ouvrier sur le champ de son voisin : il n'est
pas plus capitaliste quand il travaille son champ, même avec
l'aide d'un salarié, qu'il n'est prolétaire quand il travaille
le champ du voisin. En réalité, il demeure de la classe des
gens qui gagnent peu et sont voués à faire travailler leurs
muscles plus que leur cerveau. Cette classe, salariée ou non,
fût-elle parfois salariante dans quelques-uns de ses membres,
est proprement la classe ouvrière. Ce n'est pas tant le salariat
que son infériorité économique et sociale qui la qualifie.
Tandis que l'individu ne peut appartenir qu'à une classe
à la fois, il peut être, au contraire, il est nécessairement d'au-
tant de catégories qu'il possède de manières différentes d'agir,
de s'exprimer, de sentir, de communiquer avec ses semblables
et avec le fragment d'univers qui est à sa portée. Membre des
Coll. CEDIAS-Musée social / Numérisation BnF
6 REVUE SOCIALISTE
catégories économiques, il est à la fois producteur et consom-
mateur :il devra donc considérer son intérêt sous ce double
aspect et résoudre plus d'un conflit intérieur. Comme pro-
ducteur, il appartiendra également à une des catégories qui
se juxtaposent et parfois s'opposent : l'intérêt du professeur,
de i'artiste ou du fonctionnaire, considérés dans leur carac-
tère économique de producteurs de savoir, de beauté ou de
sécurité, n'est pas nécessairement celui du commerçant, de
l'industriel ou du cultivateur, qui eux-mêmes s'opposent sur
le terrain de la protection et du libre échange. Nous verrons
plus loin que ces* oppositions de catégorie sont aussi actives
que les oppositions de classe, et qu'elles prennent assez fré-
quemment le pas sur elles.
L'individu social, qui appartient pour le moins à deux caté-
gories économiques, est, de plus, membre de quatre catégories
juridiques principales : il fait en effet partie de la nation, a
des droits sur l'Etat et des devoirs envers lui comme citojren,
comme justiciable, comme administré, comme soldat. Dans
la catégorie civique, le citoyen électeur se différencie du
citoyen élu, comme dans la catégorie judiciaire le justiciable
du juge et du juré, ou dans la catégorie administrative le
contribuable du fonctionnaire, ou dans la catégorie militaire
le soldat temporaire de l'officier professionnel. D'autre part,,
il faut remarquer que si les ministres, députés, juges, fonc-
tionnaires civils et militaires appartiennent pour leur fonction
aux catégories juridiques, pour leur rémunération ils appar-
tiennent aux catégories économiques.
Les catégories éthiques ne présentent pas de moindres divi-
sions et sont susceptibles d'oppositions peut-être plus grandes
dans la catégorie. La variété des catégories éthiques est
grande et s'accroît sans cesse.' La religion, l'art, la morale
en forment les principaux départements, qui se morcellent à
l'infini. Pour satisfaire ses sentiments et ses aspirations dans
cet ordre, l'homme normal de notre temps sera croyant ou
philosophe, amateur d'art ou de sport, membre de sociétés
de moralité, d'enseignement et d'assistance. Les oppositions
Coll. CEDIAS-Musée social / Numérisation BnF
LES CATÉGORIES SOCIALES ET LEUR CONTENU 7
ne manqueront pas plus entre les catégories éthiques que dans
l'intérieur de chacune d'elles. Non seulement les groupes reli-
gieux se combattront mutuellement, mais; encore ils auront à
se liguer pour résister aux attaques des groupes irréligieux.
Et, tout aussi bien dans la catégorie de l'art que dans celle de
la religion, en plus de la nécessaire opposition organique qui
se manifeste à l'intérieur de toute collectivité agissante, il y
al'opposition juridique, peut-on dire, qui parfois suscite des
conflits entre les fidèles et le prêtre désireux de vivre plus
confortablement de l'autel, entre les amateurs et les artistes,
ceux-ci défendant leur pain contre ceux-là.
Plus la sociabilité générale est développée et plus les caté-
gories sont nombreuses et différenciées, plus aussi les opposi-
tions intérieures s'y manifestent pour concourir finalement,
comme on le verra plus-loin, àcréer de la solidarité générale
dans la catégorie, de même que lès oppositions entre les
catégories se résolvent en contrat de solidarité ou se terminent
par. l'élimination de, celles que la lutte a vidées de tout contenu
réel. Et de même que les catégories ou fonctions de la division
du travail social croissent en nombre et en importance à
mesure que se développe la sociabilité générale, de même on
peut mesurer le degré de, sociabilité d'un individu au nombre
des catégories qui font en lui, et dans ses rapports avec les
autres membres de la société, fonction de diviser méthodi-
quement son activité dans les divers modes de sa vie de rela-
tion. Ce point ayant été examiné dans un autre travail, il
n'est pas nécessaire.de s'y arrêter davantage ici (1).
Ce fait, que le même individu peut appartenir àplusieurs
catégories, tandis qu'il ne peut appartenir qu'à une seule
classe; établit une différence essentielle entre la catégorie et la
classe. Elles ont d'ailleurs, dans le développement social, des
fonctions non seulement séparées, profondément distinctes,
mais encore nettement opposées et dans la direction qu'elles
(1) V. L'Individu, l'Association et l'Etat,, chap. 1er, §9: «l'Associé dans
la Démocratie moderne », pp. 55 à 60. (Félix Alcan, éditeur, Paris, 190,7.)
Coll. CEDIAS-Musée social / Numérisation BnF
1 / 94 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !