Michel Azama
De Godot à Zucco, une anthologie...
L'anthologie* tente d'étudier ce qui s'est passé
depuis la prodigieuse génération des Beckett,
Kateb Yacine, Genet, jusqu'à Koltès et au-delà.
Ces grands arbres ne doivent pas nous cacher la
forêt des dramaturges qui ont fait résonner la
langue française en cette fin de XXe siècle,
nourrissant à la fois la mise en question des
formes dramatiques classiques et assurant un
total renouvellement de l'écriture théâtrale.
Répartis en trois volumes, deux cents extraits de
textes sont sélectionnés et mis en perspective,
accompagnés d'une biographie et d'une
bibliographie de chaque auteur. Des
introductions confiées à des universitaires
spécialistes du théâtre précisent les
problématiques de chacun des chapitres.
I
Le premier volume, sous-titré "Continuité et
renouvellements", étudie l'éclatement des formes
canoniques - fable, dialogue, personnage -
encadré par les contributions de Michel Corvin,
Jean-Claude Lallias, Joseph Danan, Jean-Pierre
Ryngaert.
Après la révolution dramatique des années
cinquante, au cours de laquelle Beckett pose
comme accessoires les notions de fable et de
personnage, tandis que Ionesco travaille la
langue à partir de la dérision du stéréotype, on a
pu dire que l'écriture théâtrale était morte et
déclarer obsolète le désir même d'écrire du
théâtre. Le théâtre français — on peut même dire
européen s'est passé d'auteurs durant
pratiquement une trentaine d'années, en
pratiquant le théâtre d'images muet type Bob
Wilson (Le regard du sourd, festival de Nancy,
1970), l'improvisation collective type Théâtre du
Soleil, le collage-montage de textes théâtraux ou
non, la mise en scène de textes non théâtraux (et
on a vu des spectacles à partir de Kafka, Zola,
Dante, Montaigne, Rousseau), et enfin la
revisitation des classiques du monde entier,
pratique toujours majoritaire dans le théâtre
français actuel.
Certains auteurs écrivaient (Les Coréens,
pièce de Michel Vinaver, date de 1952), mais la
plupart se cantonnaient à des petites formes, plus
économiques à produire. On a pu, dans les
années soixante-dix, parler de l'ère du
monologue dont certains, très forts, sont signés
Minyana (Chambres / Inventaires, Éditions
Théâtrales) Cormann (Credo / Le rôdeur,
Éditions Théâtrales) Novarina (Le discours aux
animaux, éditions P.O.L.) ou Koltès (La nuit
juste avant les forêts, Éditions de Minuit).
Cependant, les auteurs paraissaient intimidés à la
fois par le pouvoir grandissant des metteurs en
scène à la tête des institutions et par le discours
dominant sur la mort de l'auteur ("Il y en a trois
par siècle, et on a eu Claudel, Beckett, et Koltès"
est le genre d'imbécillité la plus courante). On
peut dire en fait que le chemin partant de Claudel
et de Brecht, qui sont contemporains et vont
ouvrir le drame l'un à la métaphysique, l'autre à
la politique, ce chemin se sépare en deux
directions : ceux qui continueront d'explorer le
moteur dramatique classique en le détournant
plus ou moins, et ceux qui chercheront à explorer
de nouveaux dynamismes dramatiques en
rompant avec la causalité, la chronologie, en
utilisant le fragment, en renonçant à la fable, ou
en cherchant à faire de la langue le moteur même
du texte. Vinaver (Les écritures dramatiques,
édtions Actes Sud) nomme très justement ces
deux chemins, distinguant « les pièces-machines
» d'une part (fable, personnages, progression
dramatique, final) et « les pièces-paysages »
d'autre part (pour les pièces fragmentaires écrites
sur le principe du puzzle).
La réécriture à partir d'un texte antérieur,
théâtral ou non, semble être la première voie vers
un retour à l'écriture, comme si cette écriture
première donnait en quelque sorte une
permission d'écrire. Pasolini réécrivant Calderon
dans les années soixante-dix, en est sans doute
un des premiers exemples. Pour la France,
Bernard Chartreux est le principal représentant
de cette "famille" d'écriture. Il réécrit à partir de
matériaux aussi divers que la Bible — le Livre
de Job ou le journal de Daniel Defoe, auteur
anglais du XVIIIe siècle (Dernières nouvelles de
la peste, Éditions Théâtrales) ou encore à partir
de Richard III de Shakespeare (Cacodimon Roi,
Éditions Solin). L'acte de réécriture étant
toujours double : on interroge le texte initial,
mais simultanément, on réinvente la langue et on
explore des problématiques d'aujourd'hui. Denis
Guénoun en fait autant avec L'Enéïde, dans
laquelle il ne Se prive pas de faire surgir et
Staline et la télévision. Gabily, dans Chimères et
autres bestioles (Éditions Actes Sud papiers),
interroge le mythe de Don Juan, mais un Don
Juan sans Dieu ni Commandeur, dont l'organe
mâle pourrit dans sa main. et qui sera tué par une
vieille femme.
Michel Vinaver fera le pont avec les
dramaturges des années cinquante, cherchant à
miner les systèmes fictionnels du théâtre,
éclatant le temps de la fiction, renonçant à la
chronologie, donc à la causalité, fragmentant ses
dialogues. Dans La demande d'emploi (Éditions
Actes Sud), pièce en trente morceaux, on passe
sans discontinuer d'entretiens professionnels
conduits à l'américaine, mêlant questions privées
et problèmes professionnels, à des conversations
entre Fage, cadre quinquagénaire à la recherche
d'un emploi, et sa femme, qui voudrait divorcer,
ou sa fille, qui ne veut pas avorter malgré l'avis
de son père, du Noir dont elle est enceinte.
Sphère privée et sphère publiques profondément
mêlées ne manquent pas de troubler le
spectateur. Les dérèglements du temps entrepris
par Beckett et Ionesco détruisent ici
complètement toute tentative de chronologie. De
même chez Armand Gatti (Vie imaginaire de
l'éboueur Auguste G., Éditions Seuil / Verdier /
Actes Sud), lequel détruit le temps en divisant
son protagoniste en différentes figures à divers
âges de la vie, qui dialoguent entre elles. Même
procédé utilisé par le québecois Michel
Tremblay dans Albertine en cinq temps (Éditions
Leméac).
Dans le cas de la « pièce-paysage », la
progression dramatique est fondée sur l'aléatoire,
le discontinu, les fragments libérés de toute
causalité et chronologie, et qui présentent des
"blancs" entre eux. Le récit s'abandonne au
doute, la conscience s'avoue comme entièrement
subjective et la quête individuelle est soumise
aux tremblements d'identité. Le spectateur est
invité à reconstituer les pièces manquantes du
puzzle. Les héritiers de Vinaver seront nombreux
: il s'agira d'en finir avec l'idée de profondeur, de
lyrisme du sujet, de psychologie... L'écueil
principal est le risque de neutralité des figures,
d'impersonnalité. Il s'agit de renoncer à la
permanence d'un nom (les pièces de Duras où les
figures s'appellent A et B, celles de Sarraute,
elles sont nommées Hl et H2), de renoncer à une
identité sociale, voire sexuelle, subjective,
identifiable, en accentuant le jeu que la parole se
joue à elle-même et en mettant l'accent sur les
débordements verbaux, les variations de formes,
les ruptures rythmiques plutôt que sur une fictive
individuation par la psychologie et la
chronologie. Christian Rullier dans Le fils
(Éditions Théâtrales) tente en cent monologues
de cerner la personnalité énigmatique de cette
figure centrale absente dont tous parlent, le fils,
et à propos de laquelle les points de vue
divergent absolument. Roland Fichet, dans
Terres promises (Éditions Théâtrales) donne les
points de vue de tous les personnages sans
jamais adopter aucun point de vue central.
Noëlle Renaude, dans Ma Solange, comment te
dire mon désastre, Alex Roux (Éditions
Théâtrales), se livre à un véritable catalogue de
formes passant du dialogue à la lettre, au journal,
à la chanson, au proverbe, au récit, etc, et,
donnant à entendre un millier de voix venues de
la France profonde…
D’autres auteurs vont, poussant au plus loin la
démarche de déconstruction, privilégier
l’affrontement avec la langue. La pulsion
langagière, devient le premier moteur de leur
texte. Le conflit principal est celui du mot et du
sens. Sens qui peut, du coup, disparaître sous le
fatras des mots, ou au contraire surgir d'un coup,
proprement inouï. Ces auteurs sont héritiers
lointains de Rabelais, et proches de Jarry, Joyce,
des surréalistes, de Michaux. Perec et Beckett.
On peut citer tout Novarina, mais aussi Gabily,
Bourdet, Valetti, Lemahieu, Cadiot, et encore les
québécois Danis, Tremblay, Bouchard...
Novarina est le principal représentant de cette
tendance, disant d'ailleurs qu'il écrit un « théâtre
pour l'oreille », et ses textes renouent avec le pari
d'un Rabelais luttant contre le « gel des paroles
», et refusant toute médiation idéologique, toute
langue assujettie à la norme.
Écrire voudra donc dire trouver cette langue
animale, langue des pulsions à laquelle nous
avons renoncé, mêlant joyeusement argotique,
dialectal, parler populaire, parlures techniques,
en inventant un polyglottisme proche des
baragouins de Panurge et dénonçant les langues
de bois de nos « penseurs mécaniques » et de nos
« bouches à micro ». Ces textes ont été
longtemps considérés comme injouables tant que
l'auteur ne s'est pas décidé à les mettre en scène
lui-même. Minyana est un autre tritureur de
langue, écrivant dans une rythmisation furieuse,
ponctuation ouverte, phrases en équilibre entre
parler et écrit, le bruissement de la langue
s'accompagnant d'une dramaturgie du coq à l'âne
et du fourre-tout dans une association d'idées
permanente : deuils, guerres, cancers, adultères,
amours et désamours, désillusions de l'âge, c'est
une parole grisante, et finalement jubilatoire bien
que racontant une sinistre comédie humaine,
dans le dévoilement d'un aveu interminable et
bouleversant.
Guyotat, entre récit et parole proférée,
réinvente aussi l'usage de la langue française
dans des textes hallucinés. (Eden, éden, éden,
Éditions Gallimard). Les dramaturges rejoignent
par là certains romanciers de la parole, comme
Claude Ollier (Qatastrophe), Hubert Lucot
(Autobiogre) ou Olivier Cadiot, chez qui la
frontière entre profération théâtrale et récit n'est
jamais nette (Le colonel des zouaves).
Cependant, un grand nombre d'auteurs n'ont
pas renoncé à la forme classique, quittes à la
détourner peu ou prou. Même si la notion de
genre ou de registre est aujourd'hui honnie par
certains universitaires, on peut dire que certains
textes de Koltès ou de Gabily se rapprochent de
la tragédie, que beaucoup de textes de Catherine
Anne sont proches du drame, que Valetti et
Grumberg sont du côté de la comédie, que Bruno
Allain retrouve la veine du théâtre dans le théâtre
(Assassinez-moi, Éditions Quatre vents). De
nombreux noms surgissent dès qu'on pense aux
auteurs qui ne dédaignent pas les instances
classiques sans pour autant renoncer, il va de soi,
à la modernité de leur propos : citons au hasard
de la mémoire, Besnehard, Bonal, Durringer,
Lagarce, Laplace, Llamas, Tartar, Olmi,
Doutreligne, Nordmann, Alègre, Futterer, Sigal...
Premier constat : ils sont nombreux. Second
constat : ils appartiennent à toutes les
générations. Certes, il faut ici nuancer, car si
Durringer trafique la langue des banlieues,
Bonal, elle, travaille sur le poétique de la langue
populaire, tandis que Besnehard tente de restituer
le quotidien d'une façon littéraire, et que Llamas
est plus proche du calembour et du jeu de mots à
la Jarry.
L'auteur le plus connu, le plus joué, le plus
traduit, dans cette famille d'écriture, est Bernard-
Marie Koltès, dont les textes privilégient
l'énigme plutôt que l'aveu, chacun de ses
personnages étant fait d'ombres et de non-dit.
Quant à l'espace, s'il paraît se référer à des
espaces réalistes chantiers en Afrique, prison
ou rue —, il est en alité symbolique de
l'enfermement des personnages dont l'obsession
sera l'évasion par toutes sortes de transgressions :
matricide, parricide, meurtres, viols, désirs
d'inceste, etc. Koltès n'en est pas moins un
inventeur de formes : certaines répliques vont de
un mot à dix-huit pages (Dans la solitude des
champs de coton, Éditions de Minuit). Autre
auteur. souvent rapproché de Koltès, peut-être à
cause de la similitude des destinées (la mort par
le sida à quarante ans) et à cause de son lyrisme,
Jean Luc Lagarce réinvente dans certains textes
la forme chorale (J'étais dans ma maison, et
j'attendais que la pluie vienne, Éditions Les
Solitaires Intempestifs) tout en conservant à
l'intérieur du choeur la pluralité des figures.
Enfin, on peut distinguer une troisième voie,
celle des auteurs qui, ne voulant pas raconter
classiquement une histoire, ne renoncent
cependant pas à la fable, et vont en raconter
plusieurs à la fois, multipliant les histoires, à la
façon du Jacques le Fataliste, de Diderot Ils ont
choisi ce mode de narration qui consiste à faire
surgir mille voix autour de l'épine dorsale d'une
ou plusieurs figures. Cette multiplication des
récits ne passe pas forcément par la
multiplication des histoires. C'est parfois le
personnage qui subit une multiplication de ses
identités. Ainsi, dans Suzanne, de Roland Fichet
(Éditions Théâtrales) l'histoire racontée est
celle d'une dépossession : plus le personnage
s'élabore, plus cette thématique s'approfondit.
Quand enfin le spectateur croit connaître
Suzanne, elle n'est plus rien et a même vendu
aux enchères la dernière lettre de son père. De
même, le texte de Catherine Anne : Agnès
(Éditions Actes Sud-Papiers) relate un inceste
père-fille subi durant des années. Le personnage
d'Agnès est démultiplié à des âges différents, ce
qui permet à l'histoire —comment cela s'est
passé, combien cela a duré, comment on a fini
par le dire — de se donner par morceaux, avec le
désordre, la confusion, l'état dans lequel on est
quand le mal est fait mais continue d'agir. Même
pulvérisation du biographique chez Olivier Py —
on mélange des bouts de Bible, de polar, de
bande dessinée, voire de mangas japonais, de
bouts dialogués et on raconte plusieurs histoires
successives qui se font écho : La servante,
Éditions Actes Sud-Papiers. Eugène Durif, dans
Croisements divagations (Éditions Actes Sud-
Papiers), jette les couples sur le plateau et
travaille la ligne de dispersion du récit et son
engendrement infini ; le phrasé, le remous de
mots crée la cruauté, la barbarie, le cri.
II
Le volume deux de l'anthologie est sous-titré
"Récits de vie : le Moi et l'intime", Il rassemble
donc les textes consacrés à l'individu et examine
les écritures du moi dont le moins qu'on puisse
dire est qu'elles sont aussi nombreuses que
variées depuis une quinzaine d'années. Les
extraits choisis concernent les histoires de
famille, les relations amoureuses, les paroles de
solitude. Un immense roman théâtral du Moi et
de l'Autre. On y trouve les contributions, en
introduction des divers chapitres, de Jean Claude
Carrière, Michel Corvin, Marie-Madeleine
Mervant-Roux, Bruno Tackels.
Le corps meurtri ou la chair exaltée sont
célébrés aussi bien par les bourreaux et les
soldats de Genet que par la Teresada de Louise
Doutreligne, dont l'agonie mystique se rapproche
de l'orgasme. D'autres usent du détournement du
conte : chez Nathalie Papin (Mange-moi,
Éditions École des Loisirs), les ogres refusent de
dévorer les petites filles, et chez Dominique
Paquet (Les escargots vont au ciel, Éditions
Théâtrales jeunesse), les gamines philosophent
dans les arbres en compagnie du facteur, tandis
que chez Christophe Honoré, les premiers émois
de l'amour sont célébrés par une bande de sœurs
aux aguets des premiers rendez-vous de la
cadette (Les débutantes, Éditions École des
loisirs). D'autres partent de la posture inverse,
celle du corps meurtri : Emmanuel Darley (Une
ombre, Tapuscrit / Théâtre Ouvert n°97) part des
meurtrissures du corps qu'il dénude, larmes,
urine, merde et sang. Les nœuds familiaux et
filiaux sont explorés dans le deuxième chapitre.
Promiscuités épouvantables et horreurs
généalogiques insoupçonnables. Depuis l'inceste
(Marie Laberge, L'homme gris, SCA Éditions)
jusqu'aux affrontements père-fils (Serge Kribus,
Le grand retour de Boris S, Éditions Actes Sud-
Papiers) ou entre frères (Michel Marc Bouchard,
Le chemin des passes dangereuse, Éditions
Théâtrales). Des univers inclassables,
fantasmatiques, comme Le génie de la rue
Drolet de Larry Tremblay (Éditions Lansman),
font surgir des zones de mystère. Lebeau,
Pichette, Novarina ou Shéhadé, dans une saisie
poétique de l'intime, bousculent le langage pour
exprimer mal-être ou énergie vitale. Certains
explorent les méandres d'une conscience malade
: Magnan (Et pourtant ce silence ne pouvait être
vide, Éditions Théâtrales), Sarmzac (La passion
du jardinier, Éditions Théâtrales) ou Sallenave
(Wol, Éditions Gallimard)...
III
Le troisième volume, sous-titré "Le bruit du
monde", regroupe des œuvres consacrées aux
histoires collectives. Les extraits retenus
évoquent les mémoires de l'Histoire, et de ses
violences, des chroniques du domaine social ou
politique, des récits sur le monde du travail et de
ses effets au quotidien, des marginalités sociales
ou des témoignages de déracinement. On y
trouve les introductions de Christian Biet,
Michel Corvin, Hélène Kuntz, Yannick Mancel.
Les mutations sociales ont jeté le monde dans
la précarité, les déshérences individuelles, les
aliénations de toutes sortes. Le non-travail,
l'exclusion, et les guerres coloniales et post-
coloniales, ainsi que la mémoire lancinante du
génocide, ont les répercussions les plus violentes
sur nos vies. Césaire, Audiberti, Bayen, abordent
des "vies illustres" porteuses de symboles ou
d'allégories. Sony Labou Tansi, le grand auteur
Congolais, met au jour des contradictions du
colonialisme, Claude Prin cherche les traces de
la tragédie sous les bribes des matériaux
historiques (H, Éditions Théâtrales). Guyotat
(Eden, éden, éden, Éditions Gallimard), Zadi
Zaourou (Les sofas, Éditions PJ Oswald),
Kalisky (Le pique-nique de Claretta, Éditions
Gallimard), Azama (Croisades, Éditions
Theâtrales) évoquent le monde en charpie
cependant que Vian, Gatti, Hubert Colas (Terre,
Éditions Actes Sud-Papiers) stigmatisent
l'inhumanité naturelle à l'homme. D'autres sont
plus directement politiques, dénonçant les assis,
et réactionnaires de tous poils : Alain Gautré
(Chef-lieu, Éditions Actes Sud-Papiers) et Jean-
Marie Piemme (Les forts, les faibles, Éditions
Médianes).
Dramaturges comme romanciers adoptent
diverses postures face au monde actuel, parmi
lesquelles on peut reconnaître l'hédonisme qui
célèbre la splendeur des choses, l’enfance, la
nostalgie, le sentiment de dépossession, des
sortes d'épiphanies du bonheur doux, un mélange
de réalisme et de merveilleux, chez Fabrice
Melquiot, Olivier Py, Jean-Pierre Milovanoff. Il
y a aussi les hédonistes libertins comme
Yasmina Reza ou Eric Emmanuel Schmidt. Et
enfin, les pamphlétaires, les imprécateurs : Yves
Laplace, décrit dans ON un monde imaginaire
dominé par la secte du "lien universel" fabriquée
par les télévangélistes. Les imprécateurs ne
manquent pas : Gabily, Guyotat, Deutsch, Jean-
Yves Picq. Enfin, l'apocalypse, voire l'après-
apocalypse, est évoquée, dans des textes
mélangeant des faits réels à la fiction :
Sebrenitza d'Olivier Py utilise directement les
discours du général Morillon, tandis que La
mastication des morts de Patrick Kermann
(élitions Lansman) donne à entendre les voix
joyeuses ou toniques des morts venus des
guerres. De même, Durif, dans L'arbre de Jonas
(Éditions Comp'act), s'inspire de divers écrivains
des camps (Primo Lévi, Robert Anthelme) pour
dire l'horreur.
Une postface de Michel Corvin clôt l'ouvrage
et examine l'évolution du théâtre européen
depuis le début du XXe siècle. Michel Corvin et
Jean Claude LaIlias ont été de très précieux
conseillers littéraires tout au long de l'élaboration
du livre.
On le voit, le discours récurrent sur la mort de
l'écriture théâtrale est en réalité sous-tendu par
une conception du théâtre comme art du plein, et
rate ce qui fonde la richesse du théâtre
contemporain : un théâtre évidé de ses lieux
communs dont la forme est justement la remise
en question des formes. Impression d’illisibilité,
née de la fragmentation et de la déperdition du
dire, appelle plus que jamais la collaboration
d'un auteur et d'un metteur en scène, ainsi qu'en
témoignent de nombreux couples artistiques qui
tentent de faire du théâtre contemporain ce qu'il
n'aurait jamais cesser d'être : un événement
irremplaçable.
M.A.
* De Godot à Zucco / Anthologie du théâtre contemporain
francophone, de 1950 à 2000, Michel Azama, Éditions
Théâtrales / CNDP, 2003 (trois volumes),
1 / 5 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !