extraits choisis concernent les histoires de
famille, les relations amoureuses, les paroles de
solitude. Un immense roman théâtral du Moi et
de l'Autre. On y trouve les contributions, en
introduction des divers chapitres, de Jean Claude
Carrière, Michel Corvin, Marie-Madeleine
Mervant-Roux, Bruno Tackels.
Le corps meurtri ou la chair exaltée sont
célébrés aussi bien par les bourreaux et les
soldats de Genet que par la Teresada de Louise
Doutreligne, dont l'agonie mystique se rapproche
de l'orgasme. D'autres usent du détournement du
conte : chez Nathalie Papin (Mange-moi,
Éditions École des Loisirs), les ogres refusent de
dévorer les petites filles, et chez Dominique
Paquet (Les escargots vont au ciel, Éditions
Théâtrales jeunesse), les gamines philosophent
dans les arbres en compagnie du facteur, tandis
que chez Christophe Honoré, les premiers émois
de l'amour sont célébrés par une bande de sœurs
aux aguets des premiers rendez-vous de la
cadette (Les débutantes, Éditions École des
loisirs). D'autres partent de la posture inverse,
celle du corps meurtri : Emmanuel Darley (Une
ombre, Tapuscrit / Théâtre Ouvert n°97) part des
meurtrissures du corps qu'il dénude, larmes,
urine, merde et sang. Les nœuds familiaux et
filiaux sont explorés dans le deuxième chapitre.
Promiscuités épouvantables et horreurs
généalogiques insoupçonnables. Depuis l'inceste
(Marie Laberge, L'homme gris, SCA Éditions)
jusqu'aux affrontements père-fils (Serge Kribus,
Le grand retour de Boris S, Éditions Actes Sud-
Papiers) ou entre frères (Michel Marc Bouchard,
Le chemin des passes dangereuse, Éditions
Théâtrales). Des univers inclassables,
fantasmatiques, comme Le génie de la rue
Drolet de Larry Tremblay (Éditions Lansman),
font surgir des zones de mystère. Lebeau,
Pichette, Novarina ou Shéhadé, dans une saisie
poétique de l'intime, bousculent le langage pour
exprimer mal-être ou énergie vitale. Certains
explorent les méandres d'une conscience malade
: Magnan (Et pourtant ce silence ne pouvait être
vide, Éditions Théâtrales), Sarmzac (La passion
du jardinier, Éditions Théâtrales) ou Sallenave
(Wol, Éditions Gallimard)...
III
Le troisième volume, sous-titré "Le bruit du
monde", regroupe des œuvres consacrées aux
histoires collectives. Les extraits retenus
évoquent les mémoires de l'Histoire, et de ses
violences, des chroniques du domaine social ou
politique, des récits sur le monde du travail et de
ses effets au quotidien, des marginalités sociales
ou des témoignages de déracinement. On y
trouve les introductions de Christian Biet,
Michel Corvin, Hélène Kuntz, Yannick Mancel.
Les mutations sociales ont jeté le monde dans
la précarité, les déshérences individuelles, les
aliénations de toutes sortes. Le non-travail,
l'exclusion, et les guerres coloniales et post-
coloniales, ainsi que la mémoire lancinante du
génocide, ont les répercussions les plus violentes
sur nos vies. Césaire, Audiberti, Bayen, abordent
des "vies illustres" porteuses de symboles ou
d'allégories. Sony Labou Tansi, le grand auteur
Congolais, met au jour des contradictions du
colonialisme, Claude Prin cherche les traces de
la tragédie sous les bribes des matériaux
historiques (H, Éditions Théâtrales). Guyotat
(Eden, éden, éden, Éditions Gallimard), Zadi
Zaourou (Les sofas, Éditions PJ Oswald),
Kalisky (Le pique-nique de Claretta, Éditions
Gallimard), Azama (Croisades, Éditions
Theâtrales) évoquent le monde en charpie
cependant que Vian, Gatti, Hubert Colas (Terre,
Éditions Actes Sud-Papiers) stigmatisent
l'inhumanité naturelle à l'homme. D'autres sont
plus directement politiques, dénonçant les assis,
et réactionnaires de tous poils : Alain Gautré
(Chef-lieu, Éditions Actes Sud-Papiers) et Jean-
Marie Piemme (Les forts, les faibles, Éditions
Médianes).
Dramaturges comme romanciers adoptent
diverses postures face au monde actuel, parmi
lesquelles on peut reconnaître l'hédonisme qui
célèbre la splendeur des choses, l’enfance, la
nostalgie, le sentiment de dépossession, des
sortes d'épiphanies du bonheur doux, un mélange
de réalisme et de merveilleux, chez Fabrice
Melquiot, Olivier Py, Jean-Pierre Milovanoff. Il
y a aussi les hédonistes libertins comme
Yasmina Reza ou Eric Emmanuel Schmidt. Et
enfin, les pamphlétaires, les imprécateurs : Yves
Laplace, décrit dans ON un monde imaginaire
dominé par la secte du "lien universel" fabriquée
par les télévangélistes. Les imprécateurs ne
manquent pas : Gabily, Guyotat, Deutsch, Jean-
Yves Picq. Enfin, l'apocalypse, voire l'après-
apocalypse, est évoquée, dans des textes
mélangeant des faits réels à la fiction :
Sebrenitza d'Olivier Py utilise directement les
discours du général Morillon, tandis que La
mastication des morts de Patrick Kermann