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PATIENTS EN SURSIS : VECUS ET HOSPITALISATION
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SANTE MENTALE EN CONTEXTE SOCIAL / 2006 Isabelle DEGREVE
MULTICULTURALITE ET PRECARITE Infirmière spécialisée en santé
communautaire
La vie hospitalière reste encore très méconnue. Comment les patients atteints de
pathologies graves se représentent-ils leur passage dans une unité de soins ? Sont-ils
préparés à entendre le diagnostic annoncé par le corps médical ? Prennent-ils conscience des
atteintes physiques, psychiques et sociales qu'engendreront les soins qui leur seront
prodigués au cours de l'hospitalisation ? Ecoutons quelques témoignages afin d'avoir une
idée plus réaliste de leurs vécus, suite à des traumatismes qui modifient leur identité, leurs
relations et leur destinée...
Infirmière spécialisée en santé communautaire, je travaille en tant qu’infirmière
hospitalière dans un service de chirurgie digestive aux Cliniques St Luc à Woluwé. Dans le
cadre hospitalier, la dimension sociale n’est pas aisée à développer. Ayant peu d’expérience
dans le milieu social, j’ai suivi la formation santé mentale en contexte social afin de
m’éclairer et d’avoir une vision plus nette du travail d’écoute et d’accompagnement
psychosocial en tant que tel.
J’ai réalisé des récits de vie avec plusieurs patients afin de mieux comprendre leurs
ressentis, la vision qu’ils avaient de leur hospitalisation, les agressions physiques et
psychiques qu’ils subissaient ainsi que leurs relations vis à vis de l’équipe médicale et
paramédicale. J’ai regroupé leurs propos en divers points, que je développerai, comme les
premiers indices de leur corps malade, les visions d’eux-mêmes et de leur maladie, leur
rapport à la nourriture, les réactions de leur famille, de leurs amis … Ils m’ont relaté les
profondes transformations identitaires et relationnelles qu’ils ont vécues suite à leur
pathologie et à leur condition de patient en sursis.
1. Description et situation de mon service
Ce service traite des pathologies du tube digestif : l’œsophage, l’estomac, l’intestin
grêle, le colon et le rectum. Ce sont des maladies inflammatoires, néoplasiques, parfois à un
stade avancé ou alors des patients qui nécessitent une reconstruction de l’œsophage ou autre
montage suite à une malformation ou après avoir tentés de se suicider.
Outre le personnel de nursing, il y a trois professeurs-spécialistes qui ont chacun leurs
assistants respectifs.
Certains patients hospitalisés découvrent fortuitement qu’ils ont un cancer. Il est
décelé lors de la chirurgie et le diagnostic tombe en post-opératoire. Bien souvent un
traitement de chimiothérapie et/ou de radiothérapie s’avérera nécessaire par la suite. D’autres
savent qu’ils viennent pour être opérés de leur cancer, ont déjà subi chimiothérapie et/ou
radiothérapie préopératoire. Bien souvent il y a guérison, rémission ou, pour d’autres, il y aura
synonyme de « survie » avec un traitement palliatif.
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Un autre type de patients souffre de la maladie de crohn
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, de recto-colite-ulcéro-
hémorragique
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avec soit une première opération et un lourd passé médical et psychologique,
soit un nouveau passage aux mains du chirurgien.
Pour tous ces patients, le schéma corporel, son intégrité, son psychisme sont perturbés
par le traitement lourd, le diagnostic, les cicatrices, la stomie digestive
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éventuelle,….
L’hospitalisation peut être longue (+de 15 jours), hospitalisation lourde (jeûne long, schéma
corporel perturbé…). L’hospitalisation peut en engendrer d’autres. Des liens peuvent se
former au contact de patients chroniques.
Zoom sur une matinée au sein de l’unité
Il est 6h38, l’ascenseur s’arrête au 5
ème
, les lampes sont encore en veille dans le
couloir. J’aime arriver un peu à l’avance comme çà je peux discuter avec les deux veilleuses.
Zut le café n’est pas passé, mes collègues ont sûrement dû avoir du boulot cette nuit.
Ah voilà Sophie la secrétaire qui arrive. Alors que nous discutons du week-end passé, les
veilleuses arrivent. La nuit n’a pas été facile, l’assistant junior
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n’a pas su assurer pour le
patient post-opératoire et le senior
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était en salle pour une greffe hépatique toute la nuit. Elles
ont donc dû gérer et maintenir le patient à l’étage car il n’y avait pas de place aux soins
intensifs pour le moment. Le café vient de se terminer et les autres collègues du matin arrivent
un par un. Ah oui, c’est lundi, il y a deux nouvelles étudiantes qui commencent aujourd’hui.
Elles sont en 2
ème
année et c’est leur premier stage de l’année.
6h52, on quitte la salle café, toute l’équipe se dirige vers le bureau infirmier, c’est
l’heure du rapport.
Après 45 minutes de rapport pour les 23 patients présents dans l’unité, on salue
Geneviève et Francine qui partent en récupération, elles viennent de finir une série de 7 nuits.
Après avoir regardé le cahier de charges rempli par l’infirmière chef qui sépare le couloir en 2
parties, je vois que je travaille avec Véronique, une infirmière, Sandrine, une aide-soignante et
Anne une des nouvelles étudiantes. Je vois avec mes collègues comment on organise notre
matinée. Comme je vais suivre Anne, en tant que référente de cette étudiante, je commence
par vérifier les prises de sang à effectuer, si elles sont bien nommées et étiquetées et je pars
avec Anne pour l’évaluer sur son soin. Pendant ce temps Véronique commence son tour des
patients d’administration des médicaments per os
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et intra-veineuses. Elle prend les
paramètres, vidange les sacs urinaires, gastriques, les drains et donne les anti-douleurs si
nécessaire.
Après que l’élève ait raté sa première prise de sang, je prends le relais et lui ré-
explique la technique. J’essaie de la mettre à l’aise, d’ailleurs par la suite, je la laisse finir
seule pour moins la stresser en lui disant de m’appeler au moindre doute ou souci.
Pendant ce temps, je rejoins Sandrine qui vient de commencer une toilette complète
seule.
- « Bonjour Monsieur Dupond, comment allez-vous ce matin ?
- Bof, pas bien dormi. J’ai eu mal toute la nuit malgré que l’infirmière soit passée
souvent pour essayer de me soulager.
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Crohn et recto-colite-ulcéro hémorragique : maladies inflammatoires du tube digestif.
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Stomie digestive : abouchement de l’intestin à la peau.
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Assistant junior : chirurgien dans ses 3 premières années de spécialité.
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Assistant senior : chirurgien dans ses 3 dernières années de spécialité.
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Per os : médicaments administrés par la bouche.
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- Ah, et vous l’avez signalé au médecin, ce matin ?
- Vous savez, ils sont passés tôt ce matin, je venais juste de m’assoupir, ils ont écouté
mon ventre et m’ont dit qu’ils repasseraient plus tard dans l’après-midi mais qu’il
fallait prendre les anti-douleurs, je n’étais pas bien réveillé.
- Ah, oui, je comprends. »
Je termine la toilette de Monsieur en le rasant, en lui faisant un bain de bouche, comme
ça, Sandrine peut partir distribuer les petits-déjeuners car Olivier, l’aide logistique est malade.
Une fois la toilette terminée, j’appelle Bernard, le kiné pour m’aider à lever Monsieur qui
n’est pas facile à mobiliser. Bernard est déjà occupé un peu plus loin, je rappelle donc
Sandrine pour venir m’aider comme l’étudiante est toujours occupée à piquer les prises de
sang .
- « 1,2 et 3, et hop ! Monsieur, vous pouvez vous lever. Appuyez bien sur les jambes.
Regardez devant vous. Maintenant, vous pouvez avancer, vous tourner .. Oh ! Mince !
Votre poche de stomie vient de lâcher … ».
L’odeur nauséabonde se dégage dans la chambre alors que le voisin avait commencé
son petit-déjeuner. Malgré le rideau tiré, son appétit fut coupé…
- « Aller, on va s’asseoir et je vais vous changer votre poche. Cela peut arriver. Ne
vous en faites pas…Ce sera un exercice pour vous. Si vous voulez regarder votre
stomie ?
- Oh non, mademoiselle, c’est encore trop tôt ! ».
Une fois les repas distribués, Sandrine part dans une chambre, pour commencer à installer
d’autres patients au lavabo.
Après avoir rafraîchi le patient et le sol, je termine le soin et rejoins Véronique afin de lui
faire mon rapport et qu’elle l’inscrive dans le dossier. Lorsque les toilettes sont terminées, je
regarde l’heure 11h10, déjà !
Après que nous ayons vidé les sacs récolteurs, les redons
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à l’utility
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sale, la chef nous
fait le rapport pour les changements éventuels des traitement et pansements dont elle a pris
connaissance lorsqu’elle a fait le tour avec les assistants le matin. Elle nous informe qu’elle
sera absente le reste de la matinée pour une réunion.
Après une courte pause à la salle café, où nous parlons entre nous, on se distribue les
pansements à réaliser. Je vais suivre Anne l’étudiante. Pendant ce temps, Céline fait ses bilans
hydriques, valide les traitements, réalise les changements et Sandrine prépare les chambres
post-opératoires et met les repas de midi à chauffer.
Et les sonnettes ne cessent de claironner.
- « Oui, Madame, vous avez sonné ?
- Ben oui, j’ai signalé ce matin que j’avais mal au niveau du drain, l’anesthésiste
m’a dit qu’il m’avait injecté la dose maximum dans la pompe anti-douleurs mais
j’ai toujours aussi mal, je ne suis pas soulagée ».
Effectivement, après avoir été consulter le dossier du traitement, je remarque que le
traitement d’analgésie a été administré. J’appelle l’anesthésiste responsable, pas content car il
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Redons : drain sous aspiration récoltant un liquide biologique.
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Utility : local servant à entreposer du matériel.
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venait de passer dans le service. Il me donne l’ordre d’administrer un autre médicament et me
promet qu’il repassera début d’après-midi.
Les pansements prennent du temps avec Anne, mais c’est normal, elle apprend.
Lors d’un soin, je remarque une rougeur sur la plaie abdominale d’un patient opéré il y a 4
jours, avec un petit écoulement. Je laisse l’étudiante seule un instant et je vais bipper Laurent,
l’assistant responsable qui, je le sais, est en salle d’opération. Mais je veux lui transmettre
l’information et savoir ce que je peux faire en conséquence.
Voilà, les soins se terminent, il est 12h43, j’envoie l’étudiante dîner, elle a une heure de
pause. L’équipe se réunit dans la salle café pour pouvoir dîner ensemble. Mais ce moment est
entre-coupé de sonnettes, de coups de téléphone, de stagiaires médecins qui nous demandent
des prises de sang en urgence…Voilà une matinée qui est passée vite mais la journée n’est pas
encore terminée !
Il y a énormément de travail et celui-ci est bien souvent lourd, le temps passé auprès du
patient est compté. Les moments où on peut travailler le relationnel, avoir des confidences des
patients se font rares. Comme le dit Christophe Dejours, nous devons sans cesse « tricher »
dans notre travail effectif, au quotidien, afin de pouvoir pratiquer ce sur-travail indispensable,
et pourtant non évaluable, l’écoute de nos patients, de leur ressentis et de leurs douleurs
existentielles.
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2. Choix et évolution de ma problématique
Le choix de ma problématique fut assez vague au début de mon travail d’enquête.
Il y avait, pour ma part, plusieurs sujets à débattre mais je ne voyais pas comment faire le lien
entre le certificat de santé mentale en contexte social et mon travail au quotidien. Des idées,
j’en avais, comme le burn out des infirmières, la difficulté d’avoir une vision globale du
patient (vu le manque de personnel et de temps imparti) et de le soigner en conséquence.
J’aurais voulu parler aussi des parcours des patients, de leurs vécus de la maladie, du passage
de patient sain au lit d’hôpital.
Après avoir vécu une situation assez délicate et grave avec une patiente, l’envie de
parler de l’agressivité des professionnels envers les patients m’est venue. Cette patiente était
revenue en pleurs d’un scanner demandé en urgence, car les radiologues et les techniciens
avaient tenus des propos diminuant la personne et négligeant tout l’aspect humain de la
patiente.
J’avais commencé ma recherche sur ce thème mais heureusement cela ne s’est plus
reproduit ou du moins aucun patient n’en a plus jamais fait référence.
Ensuite après avoir réfléchi, en travaillant au quotidien avec des personnes ayant un
passé lourd médicalement, chirurgicalement et psychologiquement, je me suis penchée plus
sur le ressenti du patient dans son lit avec les agressions physiques, morales qu’incombent
une hospitalisation. Tout ceci tant au niveau médical qu’infirmier.
Ce choix n’est pas anodin car je me suis retrouvée également de l’autre côté de la
barrière à un moment de ma vie. Je suis passée du statut de soignant à celui de patient. Suite à
un grave accident de la route, je me suis retrouvée dépendante pour tout, aussi bien pour les
petits gestes de la vie courante, que pour avoir le droit de prendre mes propres décisions.
Je me suis rendue compte à quel point le relationnel était primordial dans les situations
critiques. Car, à un moment donné de mon hospitalisation, je ne me sentais plus maître de
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DEJOURS Ch., Souffrance en France. La banalisation de l’injustice sociale. Point Seuil, 2006.
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mon corps, celui-ci ne m’appartenait plus… Ayant eu autour de moi un personnel soignant,
des parents, des amis, compréhensifs, à l’écoute sans être envahissants, j’ai pu comprendre de
manière plus sereine et objective mon parcours de dépendance. Leur aide m’a fait avancer et
ma convalescence s’est d’autant mieux passée. Je les en remercie encore.
Que veut dire être patient ? A quoi pense le patient et que ressent-il dans son lit
d’hôpital quand il vient pour se faire opérer ? Se sent-il écouté ? Soutenu ?
Mon sujet en tête, il ne me restait plus qu’à m’y lancer. Après avoir eu quelques
rendez-vous avec Pascale Jamoulle, nous avons pu trouver une stratégie afin de mener mon
enquête de manière adaptée à mon quotidien : des interviews ou micro-discussions avec les
patient. La difficulté, pour moi, était de trouver le moyen de pouvoir rencontrer les patients en
gardant mon statut de professionnelle et de suivre un fil conducteur avec une méthodologie.
3. Méthodologies
Pour réaliser cette enquête sur le ressenti des patients, j’ai croisé différentes
approches : des entretiens avec eux, mon vécu personnel et l’observation participante dans
mon travail au quotidien. Pour mes entretiens avec les patients, j’ai ciblé une catégorie type
de personnes. Je tenais à ce que ce soit des patients avec lesquels j’entretenais un suivi
régulier, ayant subi une, voire plusieurs opérations, ayant donc un temps d’hospitalisation
assez long. Cela afin d’avoir assez de « sujets à débattre ». Aussi, je voulais travailler avec
des patients avec qui un lien de confiance et de réciprocité s’était installé. Ces patients
n’étaient pas en post-opératoire immédiat et ne demandaient plus de soins lourds.
Les ayant choisis, je leur ai dit que j’avais suivi une formation et que je devais faire
une recherche par rapport à mon travail d’infirmière. Je leur ai expliqué le sujet d’enquête et
les thèmes sur lesquels je voulais me pencher : le vécu, les craintes et agressions diverses du
patient hospitalisé. A mon grand étonnement, tous m’ont répondu « oui », directement. Ce
« oui » rimait avec de la reconnaissance, ils pouvaient s’exprimer sur leur maladie, ils étaient
entendus.
Après avoir eu leur accord pour les interroger, je trouvais un moment de la journée qui
leur convenait afin de pouvoir m’entretenir avec eux. Ce fut, pour les trois personnes choisies,
le soir, après mon travail de l’après-midi. C’est un moment de la journée où les visites sont
terminées et où les soins sont finis pour la plupart. Il n’y a que la veilleuse qui passe pour les
traitements IV et per os. Je ne voulais perturber ni leur quotidien, ni les habitudes qu’ils
avaient prises à l’hôpital.
Avant de commencer mes interviews, je leur rappelais une dernière fois en quoi
consistait mon travail de recherche, leur assurais l’anonymat et pour ce, ils pouvaient choisir
un nom d’emprunt, tout ce qui se disait dans la chambre ne sortirait de là.
Je leurs signalais que j’allais prendre des notes au moment des récits, que j’allais
recopier tout en un texte suivi par la suite et que, s’ils le désiraient, ils pourraient en prendre
connaissance.
Je ne voulais pas que mes entretiens soient des entretiens dirigés. Ceux-ci étaient semi-
directifs c’est à dire qu’il y avait un point de départ et après il y avait une prise de liberté, je
suivais le discours de la personne interviewée.
Je tiens à préciser que je n’ai parlé à aucun des patients de mon hospitalisation
personnelle.
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