Lexique d`eco du deve-2 - Professeur Moustapha Kassé

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PETIT GUIDE DES THEORIES
ECONOMIQUES DU DEVELOPPEMENT
Pr. Moustapha Kassé
1/ La notion de développement
Selon Kuznets, la notion de développement économique qui se distingue de la croissance
économique (élévation du revenu par tête et du produit intérieur brut) combine trois
éléments : une croissance économique auto-entretenue, des changements structurels de
la production et le progrès technologique. Les historiens du développement, les théoriciens
du développement de la nouvelle école institutionnelle et les économistes néoclassiques du
développement ajoutent à ces éléments la modernisation institutionnelle qui permet aux
marchés d’orienter rationnellement les décisions économiques des individus. Les théoriciens
de la modernisation ajoutent le développement politique et social la liste tandis que l’école de
l’esprit d’entreprise insiste sur l’évolution socioculturelle. Enfin, les défaillances du processus
de croissance qu’ont connu les pays en développement ont amené certains à ajouter
l’augmentation du bien-être au bénéfice du plus grand nombre à la liste des caractéristiques
du développement économique.
La notion de développement a fait l’objet de diverses critiques. D’abord, elle fait de
l’accumulation technico-économique le préalable à tout changement social ce qui revient à
nier le caractère indissociablement culturel des processus économiques et la dimension
multidimensionnelle du changement social. Ensuite, elle traduirait la volonté des occidentaux
d’imposer leur modèle culturel. Pour les tenants de cette thèse, le développement est un
paradigme occidental qui recouvre une expérience historique faussement exemplaire, celle de
l’Europe de l’Ouest et un ensemble de croyances (croyance en un temps cumulatif et linéaire,
croyance en l’attribution à l’homme de la mission de dominer totalement la nature, croyance
en la raison calculatrice). En fin, certains soulignent l’origine politique du concept. Ainsi, la
notion de pays sous-développés date-t –elle du discours du président américain H. Truman de
41949. a l’époque, il s’agissait de convaincre le contribuable américain d’aider les pays sousdéveloppés non seulement pour des raisons géopolitiques. Il fallait limiter l’expansion du
communisme. Pour les américains, le système colonial et surtout la misère contribuaient à
l’essor des mouvements révolutionnaires.
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Pr. Moustapha Kassé : Petit lexique d’économie du développement
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2/ Cinquante ans de développement
qu’avons –nous appris ?
Lors de la seconde conférence européenne le développement organisée par la
Ban,que mondiale et le Conseil d’analyse économique qui s’est déroulée à Paris
des 26 au 28 juin 2000, Irma Adelman, dans sa communication intitulée :
« Fifty Years of Economic Development : What Have we learned ? ».
Cinquante ans de développement : qu’avons nous appris »), recense huit leçons :
1. Le développement économique des pays en développement est
possible, ce qui dans les années cinquante n’était pas aussi
évident que cela peut l’être aujourd’hui ;
2. Le processus du développement économique est à la fois
multidimensionnel et non son linéaire. Il correspond à un
changement dynamique non seulement au niveau de la
structure de production et de la technologie mais également au
niveau des institutions sociales, politiques et économiques
aussi bien qu’au niveau des éléments constitutifs du
développement humain ;
3. Il existe pour les gouvernements un éventail de choix en
matière d’institutions de politiques de développement et de
stratégies de mise en œuvre dans le temps, et cela même à des
niveaux de développement identiques. Les choix faits, à leur
tour, génèrent les conditions initiales pour un développement
ultérieur C’est
pourquoi comprendre comment le
développement s’est enclenché est tout à fait essentiel à
l’analyse des différentes situations ;
4. Le développement a lieu de manière inégale, les différents
aspects du processus changement par sauts et conduisent à
jeu continuel de rattrapage. Les réussites de chaque phase
constituent les conditions initiales de la phase suivante ainsi
que des défis. L’évolution créatrice, les modifications de
trajectoires mais aussi la destruction constituent l’essence
même d’un développement réussi à long terme ;
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Pr. Moustapha Kassé : Petit lexique d’économie du développement
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5. Les changements technologiques, démographiques et
économiques, les conditions sociales et institutionnelles
fournissent l’impulsion principale du processus de
développement. Ils entraînent à la fois de nouveaux défis et de
nouvelles opportunités pour le développement du pays. Ils ont
de multiples implications et enclenchent des effets de seuil et
de modifications de trajectoires dans le développement ;
6. Les facteurs nécessaires au développement sont à la fois de
nature matérielle et immatérielle. Par ordre d’importance, ce
sont : l’engagement des autorités politiques en faveur du
développement économique ; le niveau du capital social ( qui
inclut les ressources humaines, le degré de cohésion sociale et
la volonté d’agir en coopération) ; les biens matériels
(infrastructure capital physique et humain, investissement et
système financiers) ; des politiques appropriées notamment en
ce qui concerne la politique commerciale, la politique
d’investissement et la gestion macroéconomique (ces
politiques pouvant être modulées dans le temps et en fonction
des secteurs ; les institutions et la culture ; l’adaptation sociale
et institutionnelle) ;
7. La relation entre croissance et répartition dépend
principalement du facteur intensif de la croissance et de la
manière dont est réparti le plus important des facteurs de
production ;
8. Les facteurs culturels jouent un rôle significatif à former les
institutions et les réponses sociétales aux nouveaux défis et
opportunités.
3/ Le développement en 18 concepts
1) Le « consensus de Washington ». d’où à Williamson, il désigne
l’ensemble des recommandations des organisations internationales
(Fonds monétaire international, Banque mondiale) vis à vis des pays
en développement pour rétablir les équilibres interne et externe et
pour accélérer la croissance. Les recommandations portent sur la
réduction des déficits budgétaires, l’élimination des subventions,
l’affectation des dépenses publiques en faveur de l’éducation, de la
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Pr. Moustapha Kassé : Petit lexique d’économie du développement
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santé et de l’infrastructure, la libéralisation du système financier, la
fixation d’un taux de change compétitif, la libéralisation des
échanges, l’encouragement de l’investissement direct étranger, la
privatisation la déréglementation de l’économie et une meilleure
définition des droits de propriété.
2) La croissance appauvrissante. Cette situation peut se produire
lorsqu’un pays pratique le libre-échange et qu’il connaît une
amélioration de ses techniques de productions et/ou une amélioration
de sa dotation factorielle. Ces améliorations entraînent une baisse du
prix mondial du bien exporté d’où une détérioration des termes de
l’échange. Cette situation a d’autant plus de chances de se produire
que la croissance provient essentiellement du seul secteur des
exportations, que l’élasticité élevée, que le pays en question a été le
seul à connaître ces améliorations.
3) Développement durable ou soutenable. Définie par le Rapport
Brantland, cette notion affirme la nécessité d’assurer une croissance
économique soutenue qui soit compatible avec la gestion et qui assure
l’équité intra et intergénérationnelle.
4) Economie politique de l’ajustement. Les objectifs sont d’analyser
comment les intérêts de groupes de pression et des hommes politiques
ainsi que les institutions influencent l’échelonnement dans le temps,
la cohérence et la crédibilité des politiques d’ajustement et d’étudier
les conséquences sociales et politiques du processus d’ajustement.
5) Esprit d’entreprise et développement économique. Cette théorie
recherche les barrières socioculturelles et psychologiques aux
attitudes entrepreneuriales et les différents dans la prévalence des
attitudes entrepreneuriales ce qui expliquerait l’incapacité de la
société sous-développée à générer et à mettre en œuvre l’innovation
technologique et organisationnelle.
6) Inégalité et développement. Kuznet (prix Nobel 1971) montre que le
rapport entre le PNB individuel et les inégalités dans la répartition
des revenus prend la forme d’une courbe en « U » renversée. Lorsque
les revenus individuels augmentent, les inégalités s’aggravent un
maximum pour un niveau intermédiaire de revenus, puis déclinent
pour des niveaux de revenus élevés.
7) Le modèle d’économie duale de Lewis. Le modèle décrit une
économie duale constituée de deux secteurs, le secteur capitaliste et le
secteur traditionnel. Dans ce dernier, il existe une offre illimitée de
main-œuvre. Si les disponibilités de mains-d’œuvre dans le secteur
traditionnel, jusqu’à présent inemployés, sont utilisés dans le secteur
moderne, le salaire reste stable durant la phase de transfert en raison
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Pr. Moustapha Kassé : Petit lexique d’économie du développement
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précisément de l’excédent de l’offre de travail comparativement à la
demande. Dans le secteur en expansion, la croissance permet des
profits qui sont épargnés puis investis. La hausse du taux
d’accumulation du capital permet d’accélérer le développement.
8) Stratégie de développement par substitution d’importations. Il
s’agit de repérer les débouches importants du marché intérieur, de
s’assurer de la capacité des industriels locaux à maîtriser les
techniques de production et d’ériger des obstacles protecteurs (tarifs
douaniers ou contingents à l’importation) afin de couvrir les coûts
initiaux élevés de production et éviter la concurrence étrangère.
9) Stratégie de spécialisation dans la production de matière
premières pour l’exportation. Le libre échange conduit à des
résultats optimaux pour tous les pays échangistes et cela quelles que
soient les différences de départ dans les proportions capital/ travail.
Pour un pays donné, la croissance des échanges et de la production
entraîne une augmentation des coûts initialement faibles du facteur
relativement abondant car ce dernier devient de plus en plus rare.
L’avantage relatif initial va progressivement disparaît. Au final, la
spécialisation généralisée des revenus mondiaux et créera partout les
mêmes conditions et les mêmes chances de développement en raison
de la tendance à long terme à l’égalisation des prix de facteurs.
10) Théorie de la croissance équilibrée. Toute croissance repose sur un
effort minimum d’investissement de départ mais à la condition de
respecter en permanence l’interdépendance entre l’offre et la
demande aussi bien au niveau global qu’au niveau de chaque secteur
ce qui à terme permet un équilibre de croissance auto entretenue.
11) Théorie de la dépendance. L’économie mondiale est constituée de
deux pôles, le centre capitaliste représentant les nations occidentales
industrialisées, la périphérie constituée des pays du tiers monde. La
dépendance de ces derniers vient de la dégradation des termes de
l’échange des multinationales des transferts de technologie de l’aide
et de l’alliance objective des classes dominantes capitaux. Seule une
modification des relations économiques avec les pays industrialisées
peut permettre un développement des pays du tiers monde.
12) Théorie de la gouvernance. Cette théorie combine les approches de
la science politique et de l’économie institutionnelle. Elle vise à
démontrer que les Etats qui son les plus aptes à favoriser le
développement sont ceux qui exercent les fonctions régaliennes
universelles et les seules politiques publiques que d’autres acteurs
que l’état ne seraient pas en mesure d’élaborer à sa place avec la
même efficacité. Ce sont également des Etats suffisamment
désengagés de la société civile et du marché pour laisser les
mécanismes d’autorégulation de ceux ci produire tous leurs effets
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Pr. Moustapha Kassé : Petit lexique d’économie du développement
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13) Théorie de recherche de rente. Les systèmes administratifs de
nombreux pays en développement se caractérisent par diverses
formes de clientélisme de népotisme ou de corruption. L’intervention
de l’Etat offre de par les emplois et les législations des possibilités de
rente. Les individus et les groupes de pression seront incités à investir
des ressources pour rechercher des rentes et obtenir des privilèges au
lieu de rechercher à accroître la production. Les responsables
politiques offriront des rentes en échanges de rémunérations
monétaires et/ou de soutien politique. Cette recherche de rente
entraîne un gaspillage de ressources et un facteur de violence
politique pour s’approprier des rentes.
14) Théorie de l’échange inégal.
Les difficultés des pays en
développement e trouvent leur origine dans la différence des taux de
salaire entre nations et dans la péréquation internationale des taux de
profits. Les pays à bas salaires vendent leurs marchandises à un prix
inférieur à leur « prix de production », même si leur productivité est
similaire à celle des pays industrialisés. Une partie de leur sur-travail
est donc transférée à ces derniers et contribuent à leur
approvisionnement.
15) Théorie des effets d’entraînement. Elle part de l’existence d’effets
d’entraînement de l’amont du processus productif vers l’aval, et de
l’aval vers l’amont et de l’interdépendance à long terme des décisions
en matière d’investissements. Les gouvernements sont incités à
pratiquer une politique d’investissement sélective en faveur des
secteurs industriels jugés économiques tout en soutenant l’existence
de la libre entreprise et du libre échange.
16) Théorie des étapes de la croissance. Toute société passe par cinq
phase : tradition, transition, décollage, (take off) , maturité et
consommation intensive. Le problème soulevé par le développement
se situe au niveau de la troisième séquence. Le décollage se produit
grâce à une forte augmentation du taux d’investissement déclenchant
une dynamique auto entretenue de la croissance.
17) Théorie du cercle vicieux de la pauvreté. Les pays sous
développées en raison de la faiblesse de la demande interne liée aux
faibles revenus, sont dans l’incapacité de lancer des projets
d’investissements rentables et capables de déclencher le processus de
développement. Du côté de l’offre, la faible capacité d’épargne
résulte du bas niveau de revenu réel qui lui même reflète la faible
productivité qui résulte à son tour du manque de capital un manque
de capital qui lui même est le résultat de la faible capacité d’épargne,
ainsi le cercle est fermé
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Pr. Moustapha Kassé : Petit lexique d’économie du développement
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4/
De
quelques
développement
théories
du
1°) Esprit d'entreprise et développement économique
Cette théorie cherche à rendre compte en quoi les barrières socio-culturelles et
psychologiques aux attitudes entrepreneuriales pourraient expliquer l'incapacité de la société
sous-développée à générer et à mettre en oeuvre l'innovation technologique et
organisationnelle. (Bauer, Yamey, Friedman)
Modèle de développement de Lewis
Selon Lewis, les pays de la périphérie sont constitués d'une "économie duale" composée d'un
secteur capitaliste et d'un secteur traditionnel. Le premier comprend des activités
manufacturières et minières et d'agriculture commerciale : il est orienté vers le profit, lequel
est consacré au financement de l'investissement. Le second secteur qui inclut l'agriculture
traditionnelle et les activités informelles urbaines est orienté vers la subsistance. Le secteur
capitaliste se développe en attirant les travailleurs du secteur des activités de subsistance. Lors
de la phase initiale de développement, l'offre de travail dans le secteur capitaliste excède la
demande de travail, le salaire peut donc rester faible et stable durant une période assez longue
au cours de laquelle s'effectue ce transfert de travailleurs. Il en résulte des profits élevés et
donc, une épargne et une accumulation du capital dont dépend le développement économique.
capital Cette phase s'achève quand le surplus de travail a été absorbé et que les salaires
augmentent. (Lewis)
2°) Théorie de la croissance appauvrissante
La théorie rend compte de ce type de situation lorsqu'un pays pratique le libre-échange et qu'il
connaît une amélioration de ses techniques de production et/ou une amélioration de sa
dotation factorielle. Ces améliorations entraînent une baisse du prix mondial du bien exporté
d'où une détérioration des termes de l'échange. Cette situation a d'autant plus de chances de se
produire que la croissance provient essentiellement du seul secteur des exportations, que
l'élasticité prix de la demande du produit exporté est élevée, que le pays en question a été le
seul à connaître ces améliorations. (Bhagwati)
3°) Théorie de la croissance équilibrée
Elle montre que toute croissance repose sur un effort minimum d'investissement de départ
mais à la condition de respecter en permanence l'interdépendance entre l'offre et la demande
aussi bien au niveau global qu'au niveau de chaque secteur ce qui à terme permet un équilibre
de croissance autoentretenue. (Rosenstein-Rodan, Nurkse)
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Pr. Moustapha Kassé : Petit lexique d’économie du développement
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4°) Théorie de la dépendance
Dans ce cadre théorique, l'économie mondiale est constituée de deux pôles, le centre
capitaliste représentant les nations occidentales industrialisées, la périphérie constituée des
pays du Tiers monde. La dépendance de ces derniers vient de la dégradation des termes de
l'échange, des multinationales, des transferts de technologie, de l'aide et de l'alliance objective
des classes dominantes des pays dépendants avec les intérêts des capitalistes. Seule une
modification des relations économiques avec les pays industrialisés peut permettre un
développement des pays du Tiers monde. (Amin, Prebish, Singer, Frank)
5°) Théorie de la gouvernance
Cette théorie combine les approches de la science politique et de l'économie institutionnelle.
Elle vise à démontrer que les États qui sont les plus aptes à favoriser le développement sont
ceux qui exercent les fonctions régaliennes universelles et les seules politiques publiques que
d'autres acteurs que l'État ne seraient pas en mesure d'élaborer à sa place avec la même
efficacité. C’est également des États suffisamment désengagés de la société civile et du
marché pour laisser les mécanismes d'autorégulation de ceux-ci produire tous leurs effets.
6°) Théorie de la recherche de rente
Les systèmes administratifs de nombreux pays en développement se caractérisent par diverses
formes de clientélisme, de népotisme ou de corruption. L'intervention de l'État offre, de par
les emplois et les législations, des possibilités de rente. Les individus et les groupes de
pression seront incités à investir des ressources pour rechercher des rentes et obtenir des
privilèges au lieu de chercher à accroître la production. Les responsables politiques offriront
des rentes en échange de rémunérations monétaires et/ou de soutien politique. Cette recherche
de rente entraîne un gaspillage de ressources et un facteur de violence politique pour
s'approprier des rentes. (Krueger)
7°) Théorie des effets d'entraînement
Elle part de l'existence d'effets d'entraînement de l'amont du processus productif vers l'aval, et
de l'aval vers l'amont et de l'interdépendance à long terme des décisions en matière
d'investissement. Les gouvernements sont incités à pratiquer une politique d'investissement
sélective en faveur des secteurs industriels jugés les plus stratégiques en termes de retombées
économiques tout en soutenant l'existence de la libre entreprise et du libre échange.
(Hirschman)
8°) Théorie des étapes de la croissance
Toute société passe par cinq phases : tradition, transition, décollage (take off), maturité et
consommation intensive. Le problème soulevé par le développement se situe au niveau de la
troisième séquence. Le décollage se produit grâce à une forte augmentation du taux
d'investissement, déclenchant une dynamique autoentretenue de la croissance. (Rostow)
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Pr. Moustapha Kassé : Petit lexique d’économie du développement
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9°) Théorie des industries industrialisantes
Les industries industrialisantes sont celles qui dans leur environnement local modifient
structurellement la matrice interindustrielle, transforment les fonctions de production et
augmentent la productivité de l'ensemble de l'économie. La priorité donnée à ces indutries
repose sur une forte intervention de l'État via la planification et la nationalisation des
entreprises. (Perroux, De Bernis)
10°) Théorie du cercle vicieux de la pauvreté
Les pays sous-développés, en raison de la faiblesse de la demande interne liée aux faibles
revenus, sont dans l'incapacité de lancer des projets d'investissement rentables et capables de
déclencher le processus de développement. Du côté de l'offre, la faible capacité d'épargne
résulte du bas niveau de revenu réel qui lui-même reflète la faible productivité qui résulte, à
son tour, du manque de capital, un manque de capital qui lui-même est le résultat de la faible
capacité d'épargne ; ainsi, le cercle est fermé. ( Nurkse)
11°) Théorie du sous-développement dans le cadre de
l'échange inégal
Les difficultés des pays en développement trouvent leur origine dans la différence des taux de
salaire entre nations et dans la péréquation internationale des taux de profits. Les pays à bas
salaires vendent leurs marchandises à un prix inférieur à leur " prix de production ", même si
leur productivité est similaire à celle des pays industrialisés. Une partie de leur surtravail est
donc transférée à ces derniers et contribuent à leur appauvrissement. Deux hypothèses sont
essentielles : 1°/ à travail égal les salaires sont largement inférieurs dans les pays sousdéveloppés par rapport aux pays développés ; 2°/ le taux de profit est le même pour tous les
investissements, quel que soit le pays où ils sont réalisés. Cette théorie a été critiquée.
Certains marxistes lui reprochent de ne pas prendre en compte une analyse de classes. Les
pays développés, toutes classes confondues exploitent les pays sous-développés. D'autre part,
statistiquement, on observe plus une instabilité qu'une détérioration généralisée et continue
des termes de l'échange. En outre, d'autres facteurs peuvent expliquer les phénomènes
observés comme l'évolution de la demande ou du progrès technique. (Arghiri Emmanuel)
5/ Sur le renouveau de l’Economie
politique.
Au dix-huitième siècle, l'économie politique se constitue comme « science des richesses ».
Mais la richesse dont nous parle l'économie politique est immédiatement enfermée dans un
champ limité : la richesse est tout ce qui satisfait un besoin matériel et qui relève du
marchand, la production des besoins constitutifs de la valeur d'usage étant exclue du champ
de l'économique, ainsi que tout ce qui relève de l'échange non marchand. Sur quoi repose
cette production de richesse en tant que surplus ?
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Pr. Moustapha Kassé : Petit lexique d’économie du développement
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Sur ce point, la théorie smithienne n'a jamais était démentie : cette production repose sur la
division du travail retenue comme seule arme dans la lutte contre le temps et, comme
corollaire, sur l'extension des marchés. Autrement dit, étant donné le « penchant naturel à
l'échange », la division du travail, permise par l'extension des marchés, se développe et
permet les gains de productivité sur lesquels repose la production du surplus. Sans jamais
infirmer les postulats de la pensée classique, et en en approfondissant les fondements,
l'économie, qui se construit en tant que « science » avec l'affirmation de la théorie
néoclassique, délaissera l'analyse du processus d'accumulation pour se constituer comme
théorie de l'équilibre de marché. Elle sera essentiellement théorie normative des marchés et
des lois assurant les principes d'équité et d'efficience du système.
Sous l'hypothèse d'un comportement individualiste, le sujet producteur ne souhaite pas
travailler avec les autres ; autrement dit, la coopération est exclue et il ne reste que le marché
pour coordonner l'action des agents, dont l'objectif ultime est un maximum individuel de
plaisir.
Le présupposé théorique fondamental étant la rareté des ressources, le problème devient celui
d'une allocation optimale de ces dernières. Sous l'hypothèse des rendements factoriels
décroissants, il est démontré que le marché (théorique) de Concurrence Pure et Parfaite assure
à la fois le respect d'un principe d'équité (dans la rémunération des ressources) et d'efficience
(dans l'allocation de ces mêmes ressources). L'hypothèse de la décroissance des rendement
n'est pas neutre du point de vue de la théorie de la répartition : c'est l'hypothèse nécessaire du
principe paretien de l'optimum social et qui permet de maintenir une théorie de la répartition
non conflictuelle fondée sur le principe de la productivité marginale des facteurs travail et
capital. La dimension antagonique que contient la répartition fonctionnelle du revenu, suivant
Ricardo d'un côté et Marx de l'autre, est donc dépassée par une théorie de l'équité et de
l'optimum social défini dans les termes d'un optimum paretien : à l'équilibre, plus personne ne
peut améliorer sa situation sans nuire à celle d'au moins une autre personne.
Dans la mesure où tous les agents ont un même comportement et une même rationalité, et
qu'ils agissent de manière isolée, les interactions et les problèmes de coordination ex-ante
n'existent pas. La société est alors niée par la figure de l'agent unique. Ce sont là les
fondements théoriques que l'on retrouve dans toute la littérature orthodoxe, jusqu'aux théories
les plus récentes des cycles réels et de la croissance endogène développées depuis les années
1980. Néanmoins, des éléments importants de rupture peuvent être repérés au sein des
nouvelles théories de la croissance et du changement technique. Pourquoi cette rupture ? En
quoi cette rupture constitue-t-elle une innovation majeure au sein de la pensée économique ?
1°) L'émergence des NTIC comme expression d'une mutation
fondamentale dans la production de richesse
En juillet 1978, on pouvait lire dans la New York Times Book Review l'article de Solow, que le
débat en économie figera sous l'appellation de « Paradoxe de Solow » : les ordinateurs sont
partout sauf dans les statistiques de la productivité. L'une des réponses apportées (Freeman &
Perez) consistait à considérer qu'une nouvelle révolution technologique se préparait, et qu'elle
ne pouvait pas épanouir son potentiel de croissance du fait d'une « incohérence », d'un
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Pr. Moustapha Kassé : Petit lexique d’économie du développement
« décalage » entre technologies et institutions. Plus fondamentalement, ce sont l'éclatement de
l'usine, la diffusion de formes inédites de coopération dans les interstices de l'espace construit
par la firme fordiste, et le fait enfin que l'innovation échappe au contrôle de la grande
entreprise, qui court-circuitent tous les principes de ce qui se voulait une « science dure »
s'appuyant sur la puissance de l'outil mathématique. Comme le montre Philippe Breton dans
son Histoire de l'informatique (1987) « Le micro-ordinateur est né d'un projet social formulé
au début des années 1970 par un groupe radical américain, qui avait surtout comme souci la
démocratisation de l'accès à l'information plutôt qu'un désir d'innovation technique. Toute
l'affaire semble avoir commencé en 1970 à Berkeley, en Californie, en plein milieu de la crise
du Cambodge… »
La révolution technologique des NTIC oppose la puissance créatrice et coopérative des forces
sociales à la cohérence du modèle fordiste d'organisation du travail, qui se voulait scientifique
et universel, et qui misait sur la massification-standardisation des besoins et des désirs, ainsi
que sur la coopération entre les seules grandes firmes et l'Etat. Cette révolution fait émerger la
culture, la communication, la production langagière, la production sociale de savoir, comme
moyens de production et comme produits, tout ce que l'économie avait exclu de son champ
d'investigation.
Comment l'économie politique peut-elle concevoir que cette révolution technologique ne soit
pas née dans les départements de R & D des grandes entreprises informatiques et, de plus, le
fait qu'elle ne soit pas née dans la perspective d'une innovation technique ? Ce n'est pas non
plus l'entrepreneur-innovateur schumpeterien, mu par la logique d'un profit différentiel par
rapport à ses concurrents, qui est à l'origine d'une innovation technologique majeure, telles les
NTIC qui vont instrumenter des nouvelles formes de coopération sociale.
Comment un économiste pourrait-il admettre que la diffusion de l'informatique ne suivent pas
les lignes des pouvoirs hiérarchiques de la grande entreprise ou de l'Etat ? En fait, l'émergence
des NTIC révèle une mutation profonde qui est sociale avant d'être technologique, et qui
dépasse largement le champ technique pour concerner de manière bien plus globale la
production sociale de richesse. Depuis les années 1980, la science économique a entrepris de
se renouveler en combinant de manière originale des idées et des concepts jusque-là émiettés
dans des champs séparés. Deux directions de recherche sont particulièrement intéressantes :


La macroéconomie de la croissance endogène qui traite du capital humain et des
externalités (voir encadrés 1 et 2).
L'approche évolutionniste du changement technique qui conçoit l'innovation comme
un processus social d'apprentissage créateur.
Pour pouvoir mesurer la portée du renouveau, il est important de rappeler quel était l'état de
la science, et plus particulièrement, comment la croissance avait été traitée jusque-là.
2°) Les théories de la croissance après Keynes
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Pr. Moustapha Kassé : Petit lexique d’économie du développement
La théorie keynésienne comportait trois ruptures fondamentales : l'introduction du temps, le
lien entre phénomènes réels et monétaires, et l'impossibilité de concevoir l'équilibre comme
état naturel de l'économie. C'est sur ces bases que, dans les années quarante, l'économie
politique posera les problèmes de la croissance. Sur le « fil du rasoir » (Harrod) n'est rien
d'autre que la traduction, sur le long terme, de l'impossibilité d'assurer exante l'égalité entre
épargne et investissement.
En renouant avec la théorie classique de la croissance et de la répartition, Kaldor, Robinson et
Pasinetti ont démontré qu'une croissance équilibrée est possible grâce à une modification de la
répartition du revenu. Plus fondamentalement, ils démontrent que le taux de croissance d'une
économie ne dépend que du taux d'accumulation, variable dont seuls les capitalistes disposent
du contrôle. Toutefois, les néo cambridgiens, dans une perspective keynésienne et
kaleckienne qui se voulait critique de la pensée néoclassique et marginaliste, construisent une
théorie de la croissance et de l'accumulation sans le capital. En ce sens, le capital y est réduit,
in fine, à une masse d'argent, à un ensemble de moyens de production. La croissance reste
ainsi, de fait, confiée à un progrès technique exogène considéré neutre, autrement dit, il ne
modifie pas la répartition de la richesse, donc la nature du processus d'accumulation. In fine,
le problème de la croissance, tel qu'il est posé jusqu'aux années 1980, n'est qu'un problème de
croissance à l'équilibre. On maintient une vision matérielle de la richesse, dont les sources
restent non expliquées par les modèles
.
Ainsi, les différences avec le modèle néoclassique et postkeynésien de Solow ne sont que
marginales, bien qu'on ne puisse pas nier leur importance. Chez Solow, c'est la parfaite
substituabilité des facteurs de production et la flexibilité parfaite des prix qui assure l'équilibre
de la croissance, croissance qui s'avère n'être rien d'autre que la reproduction, à l'infini dans le
temps, de l'état présent des choses, une sorte de faux mouvement. Dans le modèle de Solow,
la croissance n'est qu'un phénomène temporaire. Sous l'hypothèse des rendements
décroissants - hypothèse nécessaire au maintien d'une théorie de l'efficience du marché et de
l'équité de la répartition du revenu - la théorie économique ne peut tout simplement concevoir
l'accroissement de la richesse autrement qu'en assumant une sphère non économique - celle de
la science - qui produirait les sources des gains de productivité.
Avec Solow, l'économie a néanmoins découvert que le capital et le travail ne peuvent pas
expliquer à eux seuls la croissance. Un résidu apparaît : ce résidu peut atteindre 80 % de la
croissance. Autrement dit, le capital et le travail ne pourraient expliquer que 20 % de la
croissance. Que retenir de tout cela ? L'économie politique renonce à expliquer comment on
produit la richesse. Au reste, comment la théorie économique de la croissance aurait-elle pu
concevoir la croissance en restant dans un monde maudit de rareté des ressources et des
rendements décroissants ?
3°) Les modèles de croissance endogène
Ce sont justement les rendements factoriels « non décroissants » (la productivité marginale
des facteurs capital et travail ne diminue pas en fonction de leur emploi croissant dans la
production dès lors que leur qualité peut s'accroître et évoluer) et la non rareté des ressources
(en particulier, c'est le travail qui, en tant que capital humain, devient une ressource
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Pr. Moustapha Kassé : Petit lexique d’économie du développement
reproductible et accumulable) qui sont au cœur des tentatives d'une nouvelle formulation des
problèmes de la croissance dans les années 1980.
Comment ont été construits les modèles de croissance endogène ? Le retour à Adam Smith
semblait la seule voie possible, en incorporant les apports de Schumpeter, d'Arrow, de Kaldor
et de Marshall. Quatre idées fondamentales sont alors intégrées dans le modèle de croissance
équilibrée de Solow de 1956 : la division du travail est une source endogène de la prospérité
(Smith), l'innovation est le moteur de la croissance (Schumpeter), l'innovation naît d'un
processus d'apprentissage de learning by doing (Arrow), le progrès technique est une fonction
de l'accumulation (Kaldor) et des externalités (Marshall) générées dans le temps par
l'investissement. Ces théories ont alors été intégrées dans le modèle de Solow, tout en
maintenant l'hypothèse de la capacité autorégulatrice du marché… bien que l'intervention de
l'Etat soit affirmée comme souhaitable pour garantir les infrastructures nécessaires à la
production, pour garantir la protection de la propriété intellectuelle, pour garantir également
un développement adéquat du capital humain, mais aussi, d'une partie de la R & D.
Développés à partir du premier modèle présenté par Romer en 1986, les modèles de
croissance endogène intègrent ainsi les concepts d'externalité, d'apprentissage et de capital
humain, pour concevoir la possibilité d'un progrès technique endogène. Autrement dit, les
sources du progrès technique permettant la croissance de la richesse doivent être recherchées
à l'intérieur de la production - mais au-delà du capital et du travail - et en dehors du marché.
En résolvant très habilement la contrainte des rendements décroissants qu'impose l'hypothèse
de la concurrence pure et parfaite et la théorie de la répartition fondée sur la productivité
marginale des facteurs, ces modèles laissent apparaître un processus de production de capital
humain par du capital humain. Mais quels sont les fondements théoriques du capital humain ?
Doit-on les chercher du côté du concept de travail vivant ? En réalité, le concept de capital
humain, suivant la définition du mainstream (orthodoxie), est un concept fort réducteur : c'est
la valeur actualisée des ressources futures en fonction d'un investissement initial en éducation.
L'un des problèmes théoriques fondamentaux est justement constitué par la définition du
concept de capital humain, qu'on trouve maintenant dans tous les modèles de croissance, mais
aussi dans les nouvelles théories du salaire. C'est une catégorie de la pratique avant d'être un
concept scientifique. En fait, le capital humain désigne une interprétation communément
partagée du rapport de l'individu à son travail et à sa rémunération, ce qui dans l'opéraïsme
italien est désigné comme l'auto valorisation.
Le concept de capital humain semble se complexifier et s'enrichir avec la notion de wetware,
terme qui désigne directement le cerveau. Le wetware résume et comprend le capital humain,
mais aussi les connaissances tacites qui spécifient la singularité de chacun.
Dans un article de 1997, Nelson et Romer analysent la centralité du wetware et évoquent la
nécessité d'une intervention étatique, non plus pour financer la recherche-développement des
entreprises mais directement le wetware, le capital humain, formé dans les universités. Le
temps de formation, le temps de communication, le temps de construction des réseaux
sémantiques et sociaux semblent alors être implicitement reconnus comme temps de
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Pr. Moustapha Kassé : Petit lexique d’économie du développement
production de la richesse essentiels à la production contemporaine de la valeur. L'État n'est
plus sollicité par les économistes en tant que consommateur collectif d'une demande
supplémentaire, comme dans la théorie keynésienne, mais en tant qu'investisseur essentiel
dans le capital humain, en tant que biopouvoir (voir Multitudes n° 1). Mais comment
l'économie politique peut-elle, dans cette perspective de l'émergence du wetware, maintenir la
fiction de l'agent unique et rester enfermée dans la logique de l'équilibre unique, alors même
qu'elle est obligée d'introduire la multiplicité des singularités et la complexité des
interactions ? Comment peut-elle maintenir une théorie de la distribution fondée sur le
rendement individuel ? Comment peut-elle introduire l'incertitude et l'imprévisibilité des
chemins possibles du développement ?
4°) L'approche évolutionniste du changement technique
L'ouvrage fondateur de l'évolutionnisme en économie est constitué par le livre de Nelson et
Winter, An evolutionary theory of economic change, de 1982. Le concept d'évolution
(changement graduel) est conçu ici dans l'esprit de la théorie de l'évolution biologique de
Darwin. Les comportements des agents sont caractérisés par des éléments d'héritage - les
routines - mais aussi par des éléments de mutation - les comportements de search (recherche),
à l'origine de l'évolution. L'évolutionnisme veut rendre compte de la procédure de prises de
décision individuelles, à partir de la diversité des positions des agents. Il met l'accent sur les
mécanismes mentaux par lesquels les individus forment leurs représentations du monde, en y
incorporant l'originalité de leur situation (hypothèse cognitiviste), et sur le fait que les
comportements individuels, et même les objectifs à atteindre, sont construits dans le temps en
fonction des apprentissages et des interactions (hypothèse de la rationalité procédurale).
La filiation schumpeterienne est maintenue par l'hypothèse du rôle moteur de l'innovation (de
produit, de process, de marché, et organisationnelle) dans le changement social et
économique. Mais l'acteur de base n'est plus l'entrepreneur innovateur cher à Schumpeter ;
c'est l'entreprise, la firme, qui est le lieu de l'innovation et de l'accumulation des
connaissances liées à la production. Cette innovation est le produit des innovations
antérieures, mais elle ne sélectionne dans cet héritage qu'une partie seulement. De ce point de
vue elle procède à une création destructrice, pour reprendre, à l'envers, les termes de
Schumpeter.
Le processus d'innovation est un processus d'apprentissage, un processus cognitif présentant
un degré élevé d'irréversibilité, ce qui conduit à considérer que les solutions auxquelles on
parvient ne sont pas nécessairement les plus efficientes en théorie, puisqu'elles dépendent des
opportunités délaissées dans les étapes antérieures. Le concept d'apprentissage, qui est au
cœur de l'évolutionnisme, est conçu dans une logique cybernétique : les déterminations
internes se renforcent au fur et à mesure de son trajet, et la différenciation de l'hétérogénéité
initiale est croissante.
Le processus d'apprentissage produit de nouvelles connaissances codifiées, articulables,
tacites, ou encore transmissibles, transférables et non transférables, en fonction de leur mode
de construction. C'est un processus interactif qui se développe d'abord au sein de la firme mais
aussi entre elle et son milieu, son marché, le système technique auquel elle appartient, ses
réseaux. L'environnement de la firme compte beaucoup dans sa capacité d'innovation. Même
les consommateurs participent au processus d'apprentissage, le processus d'imitation-diffusion
étant un processus créateur. La performance d'une technologie dépendra plus des rendements
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Pr. Moustapha Kassé : Petit lexique d’économie du développement
croissants d'usages innovants que des rendements croissants d'adoption comme dans la
conception classique du succès par extension du marché.
L'évolutionnisme offre donc une analyse très riche d'une production immédiatement créatrice
et largement socialisée, tout en affirmant que la grande firme reste le seul lieu possible pour
son développement. Il estime que seule la grande firme impose à son espace interne la
cohérence susceptible de cristalliser efficacement un ensemble d'apprentissages interactifs.
Mais une part importante des connaissances ainsi produites est alors tacite et non
transférable ; ces connaissances spécifient chaque firme, mais sont perdues pour des
interactions plus larges dans la société. La théorie de l'hétérogénéité du milieu économique est
alors une théorie de la différence entre firmes, assise sur les routines telles qu'elles ont été
incorporées en règles de comportements, en organisation.
Seules survivront les firmes qui auront su incorporer les routines nécessaires pour faire face
au changement constant de l'environnement concurrentiel. L'hétérogénéité est liée à la
diversité des routines et de leurs modes d'incorporation dans l'histoire propre à chaque firme
en fin de compte. Mais au final, cette diversité est soumise à la sélection, à l'hypothèse non de
la coopération, mais de la lutte pour la survie. L'innovation n'est pas plaisir mais résistance à
l'angoisse dans un monde où la rareté et le manque, on pourrait aller jusqu'à dire l'absence de
richesse, semblent rester les données de base.
5°) De l'innovation comme contrainte à la création comme plaisir
Nous pouvons maintenant reprendre notre question initiale : en quoi ces nouvelles théories
constituent-elles une innovation majeure ? Elles constituent une innovation majeure dans la
mesure où elles finissent par poser l'innovation et la coopération au cœur du changement et de
la croissance. Elles constituent une rupture du fait aussi qu'elles assument la non-matérialité
de la richesse et surtout les sources « non-marchandes » de sa production, que recèle le
concept d'externalité. Elles préfigurent pour nous la possibilité d'échapper à la malédiction des
rendements décroissants, et aussi à la rareté des ressources. In fine, la rareté ne serait-elle
qu'une construction politique et institutionnelle plutôt qu'un état de la nature ?
Avec l'approche évolutionniste du changement technique, à la fiction de l'agent unique se
substituent la multiplicité et l'hétérogénéité des acteurs immergés dans un univers traversé par
des forces coopérantes, dominé par l'incertitude et par la multiplicité des chemins possibles.
Mais la vision du monde que nous donnent ces nouvelles théories ne continue-t-elle pas de
s'aveugler sur la richesse socialement accumulée et sur le plaisir de chacun à la faire
prospérer ? Ne s'aveugle-t-elle pas surtout sur la diversité et la spontanéité des coopérations
permises par les NTIC ? Ne s'agit-il pas, une nouvelle fois, de stigmatiser le risque qu'il y
aurait à coopérer librement, à échanger sans accumuler, et surtout à mettre en défaut la
logique de la prédation ? Les lois de l'évolution n'expliquent-elles pas davantage la
destruction ou la disparition que la création ?
6/ Petite histoire de la pensée du
développement.
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Pr. Moustapha Kassé : Petit lexique d’économie du développement
Dans leur contribution, lors de la seconde conférence européenne sur le
développement organise par la Banque mondiale et le conseil d’analyse
économique à Paris les 26 au 28 juin 2000 intitulée : fifty years of
development » Paul Collier, David Dollar et Nicolas Sten résument
sommairement comme ils le soulignent les principaux changements dans
l’histoire de la pensée du développement. Ces changements sont dus d’une
part aux expériences dans les différents pays et d’autre part, aux évolutions
de la science économique.
1. Dans les années cinquante et soixante. De nombreuses économies
considéraient que le fonctionnement ne pouvait pas répondre de
manière satisfaisante aux problèmes particuliers des pays en
développement. L’Etat devait jouer un rôle majeur dans l’allocation
des ressources et, notamment, en matière d’investissement. La
grande dépression des années trente et la réussite à l’époque des
expériences de planification que cela soit en URSS ou bien au
Royaume-Uni au cours de la Seconde Guerre expliquent une telle
position. Même s’il existait des différences sur la nature de la
croissance équilibrée ou déséquilibrée, l’Etat était amené à jouer un
rôle essentiel. Seuls des économies comme Peter Hayek, Gottfried
Haberler et Friedrich von Hayek s’opposaient à ce consensus. Un
deuxième paradigme de la pensée du développement à l’époque est
son pessimisme vis à vis des stratégies de développement fondées
sur les exportations et, au contraire, l’encouragement donné aux
stratégies de substitution d’importation.
2. Dans les années soixantaines et soixante-dix. Plusieurs études de
nature microéconomiques mirent en évidence les distorsions de prix
et les inefficacités qui résultaient des stratégies de substitution
d’importation. Parallèlement, la théorie économique a été amenée
de plus en plus à s’intéresser aux problèmes d’information et
d’incitation et à la manière dont les arrangements contractuels
développés pouvaient soit résoudre soit au contraire, aggraver ces
problèmes. C’est au cours des années soixante et soixante dix que
se sont également développées les études concernant la mesure de
la pauvreté et des inégalités et les analyses de la relation entre
concentration de revenus et la croissance, initiée par la courbe en
« U » reversée de Kuznets.
3. Les années quatre-vingt ont marqué un tournant. D’une part, la
disponibilité des données ainsi que les progrès en matière de
traitement informatique des données ont permis une analyse
empirique d’un certain nombre de mécanismes du développement.
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Pr. Moustapha Kassé : Petit lexique d’économie du développement
D’autre part, les maigres résultats obtenus par les stratégies de
développement mises en avant dans les années cinquante ont
conduit à la fois à une faible croissance et des problèmes
d’ajustement et de dette.
4. Au cours des années quatre-vingt-dix. L’accent a été mis sur le
rôle des institutions dans le développement et notamment
l’importance des systèmes juridiques et financiers. Des travaux ont
été menés dans les domaines de l’économie politique de la réforme
et de la construction institutionnelle. Le capital social (degré de
cohésion sociale, normes, associations, réseaux d’influence) est
maintenant analysé comme un facteur important dans la mise en
œuvre des politiques économiques des réformes ainsi que le
fonctionnement des institutions. Parallèlement, un ensemble de
travaux a été consacré à l’efficacité du rôle de l’aide au
développement. Ils ont mis en évidence le rôle des institutions et
des politiques dans les résultats de cette aide.
7/
Renouveau
développement
de
l'économie
du
Par Rémy Herrera (CNRS)
La domination de l'économie néo-classique dans les milieux académiques,
et spécialement, sur la théorie du développement, va de pair aujourd'hui avec celle
de la politique néo-libérale dans l'ordre de la pratique du développement. Mais
cela n'a pas empêché M. Rémi Herrera, professeur à l'Université Paris 1 Sorbonne
et chercheur au CNRS (Centre National de Recherche Scientifique) de tenter de
montrer de quelle manière le courant néo-classique, qui a désormais absorbé le
développement comme l'une de ses composantes, est prisonnier d'une crise très
profonde, et en quel sens il faut comprendre sa domination dans l'élément de la
théorie comme indissociable de celle du néo-libéralisme sur la pratique du
développement. L'objectif recherché est que les peuples puissent continuer à
espérer construire un authentique projet de développement et les conditions d'une
maîtrise de leur devenir collectif dans une alternative post-capitaliste -qu'on
l'appelle «socialiste», ou simplement «sociale»
.
1°) L'économie néo-classique et la politique néo-libérale en crise
Aujourd'hui, les hétérodoxies, y compris celles du développement, sont
donc encore largement sur la défensive ; et les attaques en règle menées contre
elles par le mainstream opèrent, on l'a vu, tous azimuts: sur les fronts de la micro________________________________________________________________________ 17
Pr. Moustapha Kassé : Petit lexique d’économie du développement
et de la macro-économie (équilibre général et croissance endogène) comme sur
celui des institutions (néo-institutionnalisme). Cette agressivité néo-classique n'est
pas sans rappeler les deux grandes offensives lancées après Marx, et contre lui,
par ce que Boukharine appelait, il y a presque un siècle, l'«économie théorique de
la bourgeoisie»(11): l'école «autrichienne» (Menger, Böhm-Bawerk, Wieser…) et
l'école «historique» (Roscher, Hilderbrandt, Schmoller…).
La résistance des auteurs hétérodoxes est pourtant à l'heure actuelle
d'autant plus impérative que l'essor de l'économie néo-classique, tout à fait
impressionnant dans le domaine du développement, ne saurait occulter les
impasses théoriques dans lesquelles s'est depuis longtemps enfoncée l'orthodoxie.
2°) La crise de l'économie néo-classique
En premier lieu, ce sont les théorèmes d'indétermination (ou
d'impossibilité) de Sonnenschein (1973) qui constituent, à l'évidence, le défi le
plus sérieux à relever pour la micro-économie néo-classique. Ces théorèmes,
mathématiquement robustes, embarrassent depuis trois décennies les néoclassiques, qui n'ont toujours pas trouvé les moyens de leur dépassement. En
substance, et techniquement, ils établissent que les fonctions de demande dérivées
du modèle d'équilibre général standard peuvent prendre «une forme quelconque»,
donc que les conditions sur les formes des courbes d'offre et de demande ne sont
pas déductibles des comportements maximisateurs des agents (en concurrence
parfaite comme dans les cas mono- ou oligopolistiques). Il devient dès lors
impossible de démontrer l'unicité de l'équilibre et la convergence du
«tâtonnement» walrasien (12). Inutile de dire que ces problèmes théoriques,
absolument fondamentaux en ce qu'ils ébranlent les bases du paradigme néoclassique, ne sont jamais évoqués dans les études consacrées aux pays en
développement, en particulier celles utilisant les modèles d'équilibre général
calculables - et pas davantage ceux liés à la formation des prix dans l'échange ou à
la contradiction d'une référence à la concurrence parfaite dans des modèles ultracentralisées, avec «commissaire-priseur» à la Walras.
Le repli récent de très nombreux modèles néo-classiques sur le postulat
d'agents «représentatifs», voire d'agent unique, à la fois producteur et
consommateur, n'est que la conséquence obligée de leur incapacité à résoudre les
problèmes cruciaux de l'agrégation et de la coordination des décisions d'une
multitude d'individus. Reste alors posée, et sans réponse, la question de savoir
quel sens il y a à parler de «marché», d'«échange» ou de «prix» (donc aussi de
rémunération du capital) lorsque l'agrégation correspond en fait à la duplication
d'un agent unique, comme c'est le cas dans les nouvelles macro-dynamiques du
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Pr. Moustapha Kassé : Petit lexique d’économie du développement
court terme (théorie du cycle réel) (13) et du long terme (théorie de la croissance
endogène). Par un étrange effet, la victoire historique des néo-classiques dans leur
effort de destitution des méthodes holistiques en économie au profit d'une vision
subjectiviste et atomistique, réduisant le comportement humain à une psychologie
individualiste, se traduit donc souvent à se réfugier dans l'holisme le plus stérile
qui soit (celui de l'agent unique). Quand bien même le mainstream serait parvenu
à se dépêtrer de ces difficultés, nous serions fondés à refuser son explication des
phénomènes économiques comme résultat d'une agglomération de comportements
ne prenant en compte que l'intérêt individuel
En excluant du raisonnement les ensembles réels, propres aux
démarches holistes et systémiques, les néo-classiques écartent sciemment de leur
champ de vision les forces collectives, les institutions socialement construites, les
structures historiques des formations sociales -en clair, ce que von Hayek
qualifiait d'«abstractions populaires et pseudo-entités collectives»-, et leur étroite
et complexe connexion avec les actions des hommes. Cela donne ce qu'il faut bien
appeler de vraies catastrophes intellectuelles. Juste quelques exemples, tous
couronnés de Prix Nobel d'économie. L'explication du féodalisme que propose
North: le seigneur offrirait des biens collectifs pour lesquels n'existe pas de
marché (défense notamment), en contrepartie de quoi la rémunération de ses
«services» prend des formes institutionnelles adéquates (comme le servage) afin
d'empêcher de la part de ses sujets d'éventuels comportements de «passager
clandestin»(14). Ou celle, de même farine, du rapport du maître et de l'esclave
comme «contrat implicite» qui traduirait un «libre choix»(15). Ou, toujours dans
la même veine, l'interprétation que donne Stiglitz de la résurgence contemporaine
du métayage dans certaines zones rurales du Sud : le contrat de métayage ne serait
ni irrationnel ni inefficace; ce serait celui dont les termes assurent, pour le
propriétaire foncier, l'équilibre entre le risque d'incertitude associé aux
fluctuations des recettes tirées du produit de la terre et l'incitation au travail du
métayer (16). Williamson ne nous a-t-il pas appris que les «contrats privés» issus
de transactions entre individus ont été rationnels et efficients aux différentes
périodes de l'histoire? (17) S'étonnera-t-on dans ces conditions de le voir
revendiquer la paternité et surtout, encore tout récemment (18), la validité des
«réformes institutionnelles» du Consensus de Washington ? L'essentiel pour ces
auteurs néo-classiques (North, Stiglitz, Williamson…), réputés modérés, est de
préserver la fiction de la «liberté de choix individuel» des agents, si intimement
liée à celle d'une «démocratie» qui tait les effets de domination de classes et de
nations et la violence des rapports de force entre exploiteurs et exploités, c'est-àdire la contradiction fondamentale du système mondial capitaliste depuis ses
origines les plus lointaines
Quant à elle, la croissance endogène, pour y revenir un instant,
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Pr. Moustapha Kassé : Petit lexique d’économie du développement
persévère en fait dans l'incapacité du mainstream néo-classique à rendre compte
du progrès technique, tant est frappante son indétermination à cerner le «capital»
moteur de croissance. Ce capital peut correspondre à n'importe quel facteur sujet à
accumulation (connaissance, capital humain, infrastructures…). Ses bases
conceptuelles restent inexplorées, parce qu'inexplorables par les néo-classiques nous le savons depuis les années 1920-30 et la «polémique des deux Cambridge»,
qui tourna pour eux en déroute. Voilà sans doute une opportunité pour
l'hétérodoxie de renouer avec sa radicalité d'antan, lorsqu'elle osait s'attaquer aux
piliers de l'économie bourgeoise: à une définition du capital qui occulte les
contradictions majeures du capitalisme (critique marxiste), à la fonction de
production (critique keynésienne, en suivant la géniale Joan Robinson), au
contenu idéologique du concept d'«équilibre» néo-classique (de court terme, avec
ajustement des prix), révélant une vision totalement mythifiée des rapports
sociaux… (19) L'une des incohérences les plus graves de la nouvelle théorie de la
croissance tient peut-être à sa conception contradictoire de l'État, à la fois présent
(c'est lui qui rétablit l'«optimalité parétienne» de l'équilibre) et absent (le modèle
ne peut distinguer l'État de l'agent unique). Si bien que ce que les macroéconomistes néo-classiques donnent pour un progrès dans la théorie est en réalité
une authentique régression intellectuelle - y compris d'ailleurs en regard du
modèle d'équilibre général lui-même. Nous l'avons dit en d'autres lieux: ces
travaux ne sont pas inintéressants pour qui s'intéresse - non à la science, mais - à
la science-fiction économique (20).
Mais l'essentiel réside dans la fonction idéologique de cette théorie, là
même où se découvre son point de contact avec la politique du néo-libéralisme.
La réactivation néo-classique de l'intervention de l'État y opère en effet par
négation de la nature de «biens publics» de composantes du patrimoine commun
de l'humanité (le savoir lato sensu), formalisées comme des catégories du capital
susceptibles d'une appropriation privative. L'État n'est mobilisé que pour aider
leur accumulation et rémunération privées, dans la seule logique de profit.
Endogénéisation signifie ici marchandisation. Comme la théorie du capital
humain de Becker (1964) était une «machine de guerre» contre l'éducation
publique, l'éducation à la Lucas repose sur une décision allocative de l'agent privé
et s'adresse à ce seul individu. Elle va à l'encontre d'un développement de
l'éducation publique. C'est dire sa compatibilité avec le projet néo-libéral, en
phase avec le discours dominant à la Banque mondiale préconisant l'essor du
«marché du savoir» (et la «transformation des instituts de recherche en sociétés
par actions»!) (21). La théorie de la croissance endogène est née au sein de
l'establishment intellectuel états-unien, de l'impulsion d'auteurs qui n'ont jamais
caché leurs penchants néo-libéraux. Lucas, par exemple, figurait, aux côtés de
Friedman et Becker, parmi les économistes «soutenant avec enthousiasme le
programme économique de George W. Bush» en 2000 (22). Ce que comprirent
ces néo-libéraux, c'est simplement l'urgente nécessité d'assouplir leur position
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Pr. Moustapha Kassé : Petit lexique d’économie du développement
anti-étatique du passé pour sauver le capitalisme contre les excès de l'ultralibéralisme: l'État devrait intervenir pour réguler le marché, contre le service
public, au profit du capital transnational, qui reste maître du jeu. Face aux
récentes crises de la mondialisation financière, d'autres économistes néoclassiques lucides ne réagirent pas autrement: Stiglitz ne propose-t-il pas lui aussi
de «réguler les flux financiers» ? L'ultra-libéralisme, celui qui peut sans bornes
s'attaquer aux fonctions régaliennes de l'État, est réservé au Sud, et à lui seul - pas
au Nord, et surtout pas aux Etats-Unis
.
3°) La crise du néo-libéralisme
Les politiques néo-libérales cherchent, sous l'égide de la finance à
gérer la crise de l'expansion du capital. Bien qu'ayant échoué, depuis trois
décennies, à sortir le système de la crise, elles offrent aux grands propriétaires du
capital l'opportunité de placements spéculatifs sur des marchés financiers
globalisés. Face aux insuffisantes possibilités d'investissements profitables pour
l'excédent de capitaux, cette gestion vise à élargir leurs débouchés pour éviter leur
dévalorisation. Rationnelle du point de vue du capital, cette gestion du système
mondial capitaliste est destructrice pour le reste de (soit presque toute) l'humanité,
et spécialement pour les peuples du Sud, qui supportent des transferts accélérés de
surplus vers le Nord: remboursement de la dette, retours sur investissements
étrangers, fuite de capitaux… Le néo-libéralisme n'est pas un «modèle de
développement», mais la stratégie mise en pratique par la grande finance, qui se
caractérise, au Sud, par un nouveau pillage, et au Nord, par une accumulation de
très basse intensité. Or cette stratégie, qui a fait la preuve de son échec dans tous
les domaines et sur tous les continents, continue d'être imposée unilatéralement et
de la façon la plus anti-démocratique qui soit. Ses ravages sont connus de tous. À
ceux qui crurent au mirage du «village global» ou doutaient de la polarisation du
système mondial (23), les crises financières de la fin de la décennie 1990 ont servi
de leçon en rappelant les tendances lourdes de la «mondialisation»: partout, les
inégalités explosent, intra- comme internationalement. L'exemple de la Corée du
Sud est à cet égard éclairant. Au plus fort de la crise (1997-99), toutes les couches
de la population se sont appauvries, sauf le décile supérieur, dont les revenus ont
continué d'augmenter malgré la crise. Depuis, la réorientation néo-libérale de
l'État, la pénétration des firmes transnationales dans la structure de propriété du
capital, la flexibilisation de l'emploi et des salaires sur le marché du travail ont
très profondément altéré les bases institutionnelles sur lesquelles ce pays était
parvenu à construire son succès, modifié les conditions de sa trajectoire future de
croissance et accentué sa dépendance vis-à-vis de l'hégémonie du système
mondial capitaliste.
Ce sont en fait les mécanismes même de régulation du système
mondial qui sont désormais en crise. Car le trait fondamental du pouvoir de la
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Pr. Moustapha Kassé : Petit lexique d’économie du développement
finance sous hégémonie états-unienne est aujourd'hui sa militarisation. Une
militarisation qui se repère moins dans l'évolution des indicateurs de «fardeau
militaire» (encore que, comme on le sait, les dépenses de défense sont en forte
hausse aux États-Unis depuis le 11 septembre) que par l'expansion agressive de
bases militaires états-uniennes dans le monde et l'implication croissante des
transnationales au sein du complexe militaro-industriel. La mondialisation a pour
nom impérialisme, et le système mondial capitaliste, toujours plus polarisé au
point de dessiner les contours d'un apartheid planétaire, fonctionne de plus en plus
ouvertement par la guerre. La finance est en guerre contre quiconque entendrait
affirmer et mener un projet autonome de développement. Et l'on a pu soutenir,
non sans raison, que cette violence systémique (celle visible des guerres
impérialistes et celle invisible des rapports sociaux capitalistes) provoque, au Sud,
parmi les plus pauvres, un véritable «génocide silencieux». Les causes de ces
nouvelles guerres, et spécialement de celle dirigée contre le peuple irakien, se
découvrent au-delà de la propagande médiatique, et des apparences. L'argument
presque toujours avancé à ce sujet est le contrôle des ressources pétrolières, de la
Péninsule arabique à l'Asie centrale. Cette évidence ne saurait faire perdre de vue
une réalité plus décisive encore: ce qui est en jeu, et qui rend ces guerres pour
ainsi dire «nécessaires», c'est la reproduction des conditions du pouvoir actuel de
la finance. C'est cette dernière, en tant que classe, avec son système d'exploitation
et d'oppression, avec ses institutions nationales et internationales (et non pas
uniquement Bush, ses «faucons» et magnats du pétrole), qui ne peut plus
maintenir son pouvoir que par la guerre.
C'est là l'une des raisons qui expliquent pourquoi les récentes divisions
entre pays riches observées au Conseil de Sécurité de l'ONU ou au sein de
l'OTAN n'ont provoqué aucune rupture entre classes dominantes au sein de la
triade États-Unis–Europe–Japon. Cette alliance de classes interne au système
inter-étatique de la triade lui est devenu indispensable pour contenir les
résistances
qui
surgissent
de
toutes
parts
Pour faire retour une dernière fois sur la théorie, il est d'ailleurs symptomatique
que le regain d'intérêt des néo-classiques pour les questions relatives aux dépenses
militaires, impulsé à la fin des années 1980 par des recherches concertées au FMI,
à l'OCDE…, ait coïncidé avec le bouclage du cycle de travaux sur le problème de
la dette extérieure, qui se conclut en expliquant celle-ci par une mauvaise gestion
des finances publiques. Les coupes de budgets militaires suggérées par les
organisations internationales dans les pays débiteurs (Sud) ouvraient pour les
créditeurs (Nord) une marge de manœuvre pour le remboursement de la dette, en
même temps qu'une opportunité de tenter de désarmement des puissances
régionales du Sud, telles que la Chine, l'Inde, le Brésil ou l'Afrique du Sud. Pour
l'économiste, ce champ d'étude est, il est vrai, d'une réelle complexité -liée en
particulier à l'opacité d'informations souvent classées «secret défense» (gênant
l'économètre dans ses tests empiriques), aux effets multiformes des dépenses
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militaires dans l'économie (délicats à démêler pour le formalisateur) ou à
l'interférence de facteurs stratégiques (qui exigent la sophistication des modèles).
Mais si les contributions sont très abondantes en ce domaine et émanent de néoclassiques de premier plan (24), il n'est pas excessif d'avancer que ces travaux,
technicisés à mesure de leur absorption par le corpus orthodoxe, ne sont pas à ce
jour parvenus à dégager des conclusions assurées. À titre d'exemples, les modèles
de demande, de bien lointaine filiation keynésienne, se révèlent inaptes à capter
les effets dynamiques de ces dépenses sur l'accumulation, tandis que les
estimations de modèles d'offre, typiquement néo-classiques, présentent de graves
défectuosités, et ne mettent généralement en évidence aucun impact du secteur
militaire. La palme en la matière pourrait cependant revenir aux experts du FMI,
dont les modèles de simulation de l'impact des dépenses militaires sur la
croissance des pays du Sud sont d'une déconcertante inconsistance (25) -ce qui
devrait inciter le Fonds, en toute logique et bonne gouvernance, à pratiquer sur ses
collaborateurs les réductions d'effectifs et de rémunérations qu'elle recommande
partout ailleurs. La raison de ces échecs en série ? La prétention néo-classique
d'édifier une économie de la guerre sans conflit-réplique de son économie sans
politique (26).
Conclusion
La domination de l'économie néo-classique dans les milieux
académiques, et spécialement, pour ce qui nous a occupé ici, sur la théorie du
développement, va de pair aujourd'hui avec celle de la politique néo-libérale dans
l'ordre de la pratique du développement. Cela ne veut pas dire que tous les néoclassiques sont néo-libéraux - loin s'en faut, l'une des complexités de notre temps
tient précisément à cette schizophrénie de nombreux économistes, néo-classiques
aux heures de bureau, «de gauche» le week-end (donc aussi les jours de vote).
Cela signifie qu'une relation de correspondance existe entre ces deux dominations,
compatibles, mieux solidaires l'une avec l'autre, comme a pu le montrer
l'évaluation critique que nous donnons du néo-institutionnalisme et des nouvelles
micro- et macro-économies du développement. Ce n'est par conséquent pas
seulement leur absence de fondement scientifique ou leurs incohérences logiques
qui disqualifient à nos yeux ces approches, mais surtout leur fonction idéologique
et le projet de société, au service du capital mondialement dominant, que leurs
méthodologies et leurs conclusions supportent. Les hétérodoxes n'ont certes plus
les moyens de se diviser dans d'inutiles polémiques, reproduisant des clivages du
passé désormais dépassés. Il semble pourtant que ce ne soit pas en prônant de
nouvelles «synthèses» ni en se soumettant à l'idéologie dominante du mainstream
néo-classique que les hétérodoxies parviendront à mobiliser les forces de leur
reconstruction, mais bien au contraire en lui résistant et en réaffirmant leur
radicalité combative. Car, aujourd'hui plus que jamais, la question qui reste tout
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entière posée est celle de savoir comment, au-delà des échecs et des erreurs du
passé, les peuples peuvent continuer à espérer construire un authentique projet de
développement et les conditions d'une maîtrise de leur devenir collectif dans une
alternative post-capitaliste - qu'on l'appelle «socialiste», ou simplement «sociale».
Car tel est bien, au fond, le moteur qui anime les hétérodoxies du développement
depuis leurs origines.
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