Chroniques médicosociales, présentation du livre à l

Michel Brioul (dir.), Chroniques médico-sociales. Accompagnement au quotidien dans une
institution en mutation, postface de Jean-François Gomez, Rennes, ESF, Presses de l’EHESP,
286 p., 25 €.
CHRONIQUES MEDICO-SOCIALES
Mutations et perspectives
Les structures médico-sociales doivent faire face à de profondes évolutions : il en est ainsi au
niveau des populations accueillies (lesquelles ne relèvent plus seulement de problématiques
déficitaires, mais de difficultés psychiques sévères), en ce qui concerne par conséquent la
nature des accompagnements et prises en charge (le soin, la thérapie s’imposent aux côtés de
l’éducatif et du pédagogique), sans omettre les modalités de leur fonctionnement (qui voient
les impératifs de gestion et d’économie occuper une place prépondérante, supplantant parfois
paradoxalement la clinique). Ces changements sont une réalité tant chez les enfants (au sein
des IME, IMP, IMPRO…) que chez les adultes (dans les divers foyers, de vie, d’accueil
médicalisé, d’hébergement, dans les ESAT aussi bien que dans les MAS. Dès lors, il est
devenu nécessaire de considérer autrement les missions de ces institutions. En effet, la
recrudescence des troubles du comportement, symptômes patents de graves désordres
psychiques rend nécessaire dès maintenant une mutation substantielle et des perspectives
nouvelles pour demain.
Face à ces réalités, il m’a semblé intéressant de rassembler quelques points de vue sur les
sujets qui sont dans l’actualité de la vie institutionnelle.
J’ai donc contacté quelques amis cliniciens pour leur proposer de développer leurs réflexions
sur ces thèmes. Ils sont des praticiens expérimentés, et à mon invitation, ont répondu selon
leur point de vue aux questionnements récurrents que se posent les équipes du champ médico-
social, souvent démunies devant les manifestations énigmatiques et déconcertantes des
patients : comment assurer la mission d’aide et de soin à ces personnes en grande difficulté ?
Quels sont les fondamentaux et les fondements des pratiques (la rencontre, le soin, la place du
corps dans la vie quotidienne) ? Qu’en est-il des acteurs de ce processus en marche, de leur
positionnement professionnel, de leurs fonctions, qu’ils soient cadres, psychologues,
soignants ou personnels éducatifs ? Quelles adaptations sont nécessaires face aux
problématiques émergentes : la violence, la sexualité, la clinique du quotidien, scandée par les
repas, les soins ou les « simples » accompagnements de celles et ceux qui interpellent les
professionnels ?
Constatant le naufrage de la psychiatrie française et le refus de l’établissement sanitaire de
prendre ses responsabilités dans le cadre des mutations initiées depuis une vingtaine d’années,
son public particulier s’est vu de plus en plus orienté vers les institutions médico-sociales qui
seules peuvent aujourd’hui assumer cette mission d’accueil, parce qu’elles possèdent les
structures nécessaires, mais aussi et cet ouvrage collectif le montre avec force et intelligence,
parce qu’elles sont détentrices d’un riche et important savoir-faire du travail
d’accompagnement éducatif au quotidien, élaboré et développé au fil des années
d’expérience. S’inscrivant dans la filiation et la transmission de la psychothérapie
institutionnelle, les auteurs de ce travail que j’ai coordonné nous en rappellent les fondements
et la nécessité éthique au vu des conséquences des mutations gestionnaires et managériales à
l’œuvre dans le lien social contemporain. Cet ouvrage, s’il ne fait pas l’impasse de la critique,
ne s’en contente pas et nous présente avec force une proposition finement ciselée, un regard
réflexif clinique et formateur sur ce qui fait la valeur de l’action socio-éducative, détaillant et
développant les fondamentaux qui la constituent et sur lesquels il s’agit de ne pas lâcher, de
tenir position comme on dit sur le champ d’action. (Selon Contini qui en fait la recension dans
VST). Les praticiens réunis pour l’écriture de ces chroniques nous proposent ainsi une vision
globale de la prise en charge éducative. Les difficultés actuelles du métier d’éducateur, de
cadre intermédiaire ou dirigeant, de psychologue sont patentes et pourraient s’avérer
déprimantes, nous mettant devant nos impuissances à lutter contre l’inexorable rouleau
compresseur du penser que sont les directives sclérosantes et la perte du sens de nos
pratiques…
A l’instar de JF Gomez qui a rédigé une post face constructive, il convient au contraire de
dénoncer « le poison du pessimisme », face auquel nous pouvons agir en menant, à l’instar de
Jacqueline de Romilly, des « projets du présent », un présent « rempli d’une stupeur
heureuse ». Ce livre tente de donner quelques pistes, quelques perspectives, quelques données
qui fondent une nécessaire résistance face à l’envahissement de la protocolisation qui
empêche de penser et du management hégémonique qui tue la clinique.
Il reste possible de trouver quelques repères, des outils et des possibilités de création de
solutions pour une pratique médico-sociale qui exige des professionnels de maintenir et de
mettre au travail en permanence la rencontre de l’autre, en tant que rencontre authentique qui
porte attention et offre un visage à des sujets en souffrance : attention aux corps qu’ils
habitent, prenant soin, pour ce faire, d’élaborer un cadre soutenant, contenant et incitant,
ouvrant véritablement sur la construction de lieux qui ne se contentent pas d’être des
établissements gestionnaires de populations problématiques mais bien au contraire des
institutions qui comme le rappelle Pierre Legendre permettent à proprement parler, d’instituer
la vie. La fonction éducative se déploie dès lors sur les deux versants « Moebiens » du
singulier et du collectif, (anneau de Moebius) instituer l’institution pour que celle-ci rendre
opérante la fonction humanisante de l’éducation possible, à savoir la prise en compte de
chaque sujet dans sa singularité pour qu’il ait accès à un place vivable et juste dans le
collectif. Ce travail de funambule, parfois vertigineux, ne peut se faire qu’en combattant le
« ça va de soi » qui éviterait aux professionnels et aux institutions de se questionner en tant
qu’ils sont des agents et des lieux de transmission qui portent cette fonction à même leur
corps. Répondre aux exigences de cette che c’est questionner et donner place à des aspects
et dimensions qui restent souvent dans l’ombre de la réflexion ou qui s’en épargnent le
travail : l’exclusion, la violence inhérente à toute forme d’institution dont il s’agit de
contrebalancer les effets néfastes par des réponses justes et réfléchies. Transmettre la limite,
c’est tenir compte de la dimension transférentielle, de l’amour et de la haine, c’est questionner
les rapports à Loi, c’est aborder la question de l’enveloppement contenant, de la sanction
permettant le travail de responsabilisation des sujets. Prendre soin de la question du vivre
ensemble, c’est aussi prendre au sérieux la sexualité des personnes accueillies et des
possibilités de son expression, sans pour autant faire effraction dans leur intimité. Toutes ces
questions sont présentes dans cet ouvrage collectif de praticiens, éducateurs spécialisés, aides
médico-psychologiques, cadres de direction, psychologues cliniciens, psychanalystes qui
partagent et font connaître avec intelligence le savoir-faire des institutions médico-sociales
dans lesquelles ils évoluent. Nous avons tenté de contribuer à offrir ainsi de solides points
d’appuis à tous ceux que la question du lien social interpelle, professionnels ou non et qui
refusent de se laisser aspirer par les sirènes de la gestion managériales et des pratiques
déshumanisantes que les mutations actuelles produisent dans une rationalité délirante.
LES AUTEURS :
Pierre BONJOUR : Docteur ès lettres et sciences de l’éducation, ancien directeur d’un
centre médico-psycho-pédagogique. Il est membre du comité de rédaction de la revue
Reliance, (revue des situations de handicap, de l'éducation et des sociétés). Il est coordinateur
du CNAD (Comité national des avis déontologiques).
Xavier GALLUT : Educateur Spécialisé, Psychanalyste, docteur en sciences de l’éducation,
titulaire du Master 2 en Philosophie et Psychanalyse. Après avoir été chargé de cours à
l’université Victor Segalen (Bordeaux 2), il exerce actuellement comme formateur en travail
social. Il exerce également en tant que psychanalyste en libéral. Il a créé l’Atelier (Centre de
recherche interdisciplinaire) en 2006. Sa démarche de recherche emprunte à la fois à
l’approche ethnographique et à l’approche clinique. Il s’intéresse notamment à la place du
corps dans le travail d’accompagnement éducatif et/ou thérapeutique. Il a dirigé avec
Abdelhak Qribi l’ouvrage collectif « La démarche qualité dans le champ médico-social »
(ERES 2010)
Jean Luc MARCHAL : Éducateur spécialisé avec une formation de base d'Aide Médico-
Psychologique, Formateur avec un cursus Universitaire de sociologue, il a participé à la
création de l'association « L'Atelier » (Centre de recherche interdisciplinaire) en 2006. Dans le
contexte techniciste actuel, il met en avant l'approche clinique tout en continuant à s'intéresser
à une analyse sociologique globale. Il a collaboré à l'ouvrage « La démarche qualité dans le
champ médico-social » (érès 2010) et écrit régulièrement des articles dans des revues
professionnelles (Les Cahiers de l'Actif, Vie Sociale et Traitements par exemple).
Guillaume SCALABRE : Educateur spécialisé, adjoint de direction d’un foyer de vie
comprenant un foyer occupationnel et un foyer d’accueil médicalisé, il est titulaire du master
2 de management des organisations médico sociales et d’une licence en sciences de
l’éducation. Il oriente depuis plusieurs années ses réflexions et ses interventions vers
l’approche clinique du projet et la notion de « rencontre », en tant qu’espace de
reconnaissance mutuelle, moteur de l’accompagnement et de changement. Il a collaboré à
l’ouvrage « La démarche qualité dans le champ médico-social » (ERES 2010)
Eléa DUPAS, Nathalie MAYET, Céline VERGNE, Aides Médico Psychologiques. Elles
ont toutes trois des expériences cliniques complémentaires. Les analyses qu’elles apportent ici
sont d’une grande richesse et replacent la clinique au centre du travail. A ces fonctions
cliniques spontanées, les AMP modernes, qui succèdent aux aides maternelles mises en place
par TOSQUELLES, ajoutent les capacités de l’enrichissement théorique : ils ont acquis les
compétences nécessaires à la compréhension des rouages des interactions, ce qui leur confère
davantage encore de pertinence dans leurs actions. Le travail de penser est inhérent à
l’intervention des AMP, car la clinique, cet art de la proximité avec celui qui souffre s’y
alimente en la nourrissant d’hypothèses vivantes. C’est ce décalage nécessaire de la réflexion
qui vient éclairer l’hermétisme des comportements psychotiques ou déments, qui permet
d’échapper aux pièges de la psychopathologie, qui vient éviter de s’embourber dans la
confrontation au morbide indissociable de la grande dépendance. L’élaboration théorique
vient réaliser ce que Bion décrit comme la fonction alpha qui donne sens à l’absurde, à
l’irreprésentable, au toxique.
Jean François GOMEZ : Chercheur et auteur du social. Après une carrière où il a exercé les
professions d’éducateur de Prévention dans la gion parisienne, auprès d’enfants délinquants
ou en danger moral, thérapeute en psychomotricité auprès d’enfants et d’adolescents ayant des
troubles de la personnalité, éducateur en institution, puis directeur dans la région parisienne,
et à Montpellier il poursuit une carrière d’auteur, de conférencier et de formateur. Il intervient
dans plusieurs universités et est conseiller de plusieurs associations préoccupées de questions
de handicap ou d’exclusion.
Michel BRIOUL : Psychologue clinicien en institution, psychothérapeute, formateur auprès
de travailleurs sociaux et consultant dans le cadre de structures médico-sociales. Son
expérience clinique auprès d’enfants et d’adultes lourdement handicapés étaye les théories
il puise ses références et alimente les réflexions qu’il engage. Après avoir exercé dans
plusieurs institutions d’accueil et de soins, il se consacre davantage aujourd’hui à la formation
et à l’évaluation externe. Il est l’auteur de nombreux articles traitant de sujets cliniques et de
vie institutionnelle et signe en outre aux presses de l’EHESP « l’évaluation clinique en
institution » (2008), « Clinique institutionnelle des fonctionnements autistiques » paraître
aux éditions Chroniques Sociales 2012). Il a collaboré à l’ouvrage « La démarche qualité dans
le champ médico-social » (ERES 2010)
LES CONTENUS.
Les fondements des structures dont il est question dans cet ouvrage font référence à
quelques principes qui les constituent, qui en font des institutions, au sens d’organisations
établies sur les bases de règles et de perspectives communes que dynamisent leurs acteurs
dans une visée cohérente.
- La vie institutionnelle des structures accueillant des personnes lourdement
handicapées est traversée par des mythes, des ritualisations, de la magie, des
croyances, leur « efficacité » est soumise aux croisements des représentations
symboliques nées à la fois de la nature et de la culture nous disent les anthropologues,
modalités propres à aider les équipes face à l'inquiétante étrangeté des personnes
accueillies. Cette recherche est complétée par un questionnement concernant la place
du corps dans l’action éducative et le fonctionnement des institutions. (XAVIER
GALLUT)
- Dans ces institutions, au-delà des prestations liées à la dépendance, de la mise en
activité et des actions pédagogiques et éducatives, inhérentes à toute structure
d’accueil de personnes en difficultés psychologiques et sociales, La prise en charge
suppose la mise en œuvre de véritables actions de soin. Que suppose et implique ce
concept ? Comment s’articule-t-il avec ceux de besoins, et de demandes à l’heure ou
les projets individuels sont supposés relever essentiellement de l’assentiment de
l’usager ou de ses « ayant droit » ? D’autres notions connexes viennent faire écho ou
se confronter aux exigences du soin, tels ceux de suppléance, de contenance, de
stimulation et de socialisation. Quelles articulations entre ces différentes perspectives
sont nécessaires au sein des institutions ? (Michel Brioul)
- Il est, dit Jean Oury, nécessaire de « favoriser le hasard de la rencontre », signifiant
ainsi l’essentiel de l’authenticité des relations dans l’accompagnement des personnes
en difficulté psychique. Prendre le risque de la rencontre est une chance pour les
structures médico-sociales. Qu’est-ce qui pousse les travailleurs sociaux à cette
expérience à la fois si courante, si rare et si effrayante parfois, qu’elle est le plus
souvent tue, faute de savoir quoi en dire ? Ces rencontres entre le soigné et le soignant,
le démuni et le valide, l’empêché et le libre, loin d’être banales sont extra-ordinaires
et leur dynamique mérite que l’on s’y arrête, pour y penser et en parler pour faire signe
du travail qui s’accomplit
o La rencontre peut être définie comme «l’ensemble des moyens et désirs de
connaissance et de reconnaissance mutuelle entre deux personnes »
o La rencontre suppose l’altérité : reconnaître qui est l’autre, sans perdre qui je
suis…
o Il faut « Prendre soin » de la rencontre, c’est-à-dire considérer une disposition
éthique (notre propre vulnérabilité face à celle d’autrui), un cadre spatio-
temporel, notre disponibilité dans le cadre d’un travail pluridisciplinaire
(imposant une réflexion quant au transfert, « l’à plusieurs », le tiers et les
relais…)
o Le désir de la rencontre implique la construction du sens contre l’usure
professionnelle, le respect et la cohérence, le travail sur les humilités
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