Michel Brioul (dir.), Chroniques médico-sociales. Accompagnement au quotidien dans une institution en mutation, postface de Jean-François Gomez, Rennes, ESF, Presses de l’EHESP, 286 p., 25 €. CHRONIQUES MEDICO-SOCIALES Mutations et perspectives Les structures médico-sociales doivent faire face à de profondes évolutions : il en est ainsi au niveau des populations accueillies (lesquelles ne relèvent plus seulement de problématiques déficitaires, mais de difficultés psychiques sévères), en ce qui concerne par conséquent la nature des accompagnements et prises en charge (le soin, la thérapie s’imposent aux côtés de l’éducatif et du pédagogique), sans omettre les modalités de leur fonctionnement (qui voient les impératifs de gestion et d’économie occuper une place prépondérante, supplantant parfois paradoxalement la clinique). Ces changements sont une réalité tant chez les enfants (au sein des IME, IMP, IMPRO…) que chez les adultes (dans les divers foyers, de vie, d’accueil médicalisé, d’hébergement, dans les ESAT aussi bien que dans les MAS. Dès lors, il est devenu nécessaire de considérer autrement les missions de ces institutions. En effet, la recrudescence des troubles du comportement, symptômes patents de graves désordres psychiques rend nécessaire dès maintenant une mutation substantielle et des perspectives nouvelles pour demain. Face à ces réalités, il m’a semblé intéressant de rassembler quelques points de vue sur les sujets qui sont dans l’actualité de la vie institutionnelle. J’ai donc contacté quelques amis cliniciens pour leur proposer de développer leurs réflexions sur ces thèmes. Ils sont des praticiens expérimentés, et à mon invitation, ont répondu selon leur point de vue aux questionnements récurrents que se posent les équipes du champ médicosocial, souvent démunies devant les manifestations énigmatiques et déconcertantes des patients : comment assurer la mission d’aide et de soin à ces personnes en grande difficulté ? Quels sont les fondamentaux et les fondements des pratiques (la rencontre, le soin, la place du corps dans la vie quotidienne) ? Qu’en est-il des acteurs de ce processus en marche, de leur positionnement professionnel, de leurs fonctions, qu’ils soient cadres, psychologues, soignants ou personnels éducatifs ? Quelles adaptations sont nécessaires face aux problématiques émergentes : la violence, la sexualité, la clinique du quotidien, scandée par les repas, les soins ou les « simples » accompagnements de celles et ceux qui interpellent les professionnels ? Constatant le naufrage de la psychiatrie française et le refus de l’établissement sanitaire de prendre ses responsabilités dans le cadre des mutations initiées depuis une vingtaine d’années, son public particulier s’est vu de plus en plus orienté vers les institutions médico-sociales qui seules peuvent aujourd’hui assumer cette mission d’accueil, parce qu’elles possèdent les structures nécessaires, mais aussi et cet ouvrage collectif le montre avec force et intelligence, parce qu’elles sont détentrices d’un riche et important savoir-faire du travail d’accompagnement éducatif au quotidien, élaboré et développé au fil des années d’expérience. S’inscrivant dans la filiation et la transmission de la psychothérapie institutionnelle, les auteurs de ce travail que j’ai coordonné nous en rappellent les fondements et la nécessité éthique au vu des conséquences des mutations gestionnaires et managériales à l’œuvre dans le lien social contemporain. Cet ouvrage, s’il ne fait pas l’impasse de la critique, ne s’en contente pas et nous présente avec force une proposition finement ciselée, un regard réflexif clinique et formateur sur ce qui fait la valeur de l’action socio-éducative, détaillant et développant les fondamentaux qui la constituent et sur lesquels il s’agit de ne pas lâcher, de tenir position comme on dit sur le champ d’action. (Selon Contini qui en fait la recension dans VST). Les praticiens réunis pour l’écriture de ces chroniques nous proposent ainsi une vision globale de la prise en charge éducative. Les difficultés actuelles du métier d’éducateur, de cadre intermédiaire ou dirigeant, de psychologue sont patentes et pourraient s’avérer déprimantes, nous mettant devant nos impuissances à lutter contre l’inexorable rouleau compresseur du penser que sont les directives sclérosantes et la perte du sens de nos pratiques… A l’instar de JF Gomez qui a rédigé une post face constructive, il convient au contraire de dénoncer « le poison du pessimisme », face auquel nous pouvons agir en menant, à l’instar de Jacqueline de Romilly, des « projets du présent », un présent « rempli d’une stupeur heureuse ». Ce livre tente de donner quelques pistes, quelques perspectives, quelques données qui fondent une nécessaire résistance face à l’envahissement de la protocolisation qui empêche de penser et du management hégémonique qui tue la clinique. Il reste possible de trouver quelques repères, des outils et des possibilités de création de solutions pour une pratique médico-sociale qui exige des professionnels de maintenir et de mettre au travail en permanence la rencontre de l’autre, en tant que rencontre authentique qui porte attention et offre un visage à des sujets en souffrance : attention aux corps qu’ils habitent, prenant soin, pour ce faire, d’élaborer un cadre soutenant, contenant et incitant, ouvrant véritablement sur la construction de lieux qui ne se contentent pas d’être des établissements gestionnaires de populations problématiques mais bien au contraire des institutions qui comme le rappelle Pierre Legendre permettent à proprement parler, d’instituer la vie. La fonction éducative se déploie dès lors sur les deux versants « Moebiens » du singulier et du collectif, (anneau de Moebius) instituer l’institution pour que celle-ci rendre opérante la fonction humanisante de l’éducation possible, à savoir la prise en compte de chaque sujet dans sa singularité pour qu’il ait accès à un place vivable et juste dans le collectif. Ce travail de funambule, parfois vertigineux, ne peut se faire qu’en combattant le « ça va de soi » qui éviterait aux professionnels et aux institutions de se questionner en tant qu’ils sont des agents et des lieux de transmission qui portent cette fonction à même leur corps. Répondre aux exigences de cette tâche c’est questionner et donner place à des aspects et dimensions qui restent souvent dans l’ombre de la réflexion ou qui s’en épargnent le travail : l’exclusion, la violence inhérente à toute forme d’institution dont il s’agit de contrebalancer les effets néfastes par des réponses justes et réfléchies. Transmettre la limite, c’est tenir compte de la dimension transférentielle, de l’amour et de la haine, c’est questionner les rapports à Loi, c’est aborder la question de l’enveloppement contenant, de la sanction permettant le travail de responsabilisation des sujets. Prendre soin de la question du vivre ensemble, c’est aussi prendre au sérieux la sexualité des personnes accueillies et des possibilités de son expression, sans pour autant faire effraction dans leur intimité. Toutes ces questions sont présentes dans cet ouvrage collectif de praticiens, éducateurs spécialisés, aides médico-psychologiques, cadres de direction, psychologues cliniciens, psychanalystes qui partagent et font connaître avec intelligence le savoir-faire des institutions médico-sociales dans lesquelles ils évoluent. Nous avons tenté de contribuer à offrir ainsi de solides points d’appuis à tous ceux que la question du lien social interpelle, professionnels ou non et qui refusent de se laisser aspirer par les sirènes de la gestion managériales et des pratiques déshumanisantes que les mutations actuelles produisent dans une rationalité délirante. LES AUTEURS : Pierre BONJOUR : Docteur ès lettres et sciences de l’éducation, ancien directeur d’un centre médico-psycho-pédagogique. Il est membre du comité de rédaction de la revue Reliance, (revue des situations de handicap, de l'éducation et des sociétés). Il est coordinateur du CNAD (Comité national des avis déontologiques). Xavier GALLUT : Educateur Spécialisé, Psychanalyste, docteur en sciences de l’éducation, titulaire du Master 2 en Philosophie et Psychanalyse. Après avoir été chargé de cours à l’université Victor Segalen (Bordeaux 2), il exerce actuellement comme formateur en travail social. Il exerce également en tant que psychanalyste en libéral. Il a créé l’Atelier (Centre de recherche interdisciplinaire) en 2006. Sa démarche de recherche emprunte à la fois à l’approche ethnographique et à l’approche clinique. Il s’intéresse notamment à la place du corps dans le travail d’accompagnement éducatif et/ou thérapeutique. Il a dirigé avec Abdelhak Qribi l’ouvrage collectif « La démarche qualité dans le champ médico-social » (ERES 2010) Jean Luc MARCHAL : Éducateur spécialisé avec une formation de base d'Aide MédicoPsychologique, Formateur avec un cursus Universitaire de sociologue, il a participé à la création de l'association « L'Atelier » (Centre de recherche interdisciplinaire) en 2006. Dans le contexte techniciste actuel, il met en avant l'approche clinique tout en continuant à s'intéresser à une analyse sociologique globale. Il a collaboré à l'ouvrage « La démarche qualité dans le champ médico-social » (érès 2010) et écrit régulièrement des articles dans des revues professionnelles (Les Cahiers de l'Actif, Vie Sociale et Traitements par exemple). Guillaume SCALABRE : Educateur spécialisé, adjoint de direction d’un foyer de vie comprenant un foyer occupationnel et un foyer d’accueil médicalisé, il est titulaire du master 2 de management des organisations médico sociales et d’une licence en sciences de l’éducation. Il oriente depuis plusieurs années ses réflexions et ses interventions vers l’approche clinique du projet et la notion de « rencontre », en tant qu’espace de reconnaissance mutuelle, moteur de l’accompagnement et de changement. Il a collaboré à l’ouvrage « La démarche qualité dans le champ médico-social » (ERES 2010) Eléa DUPAS, Nathalie MAYET, Céline VERGNE, Aides Médico Psychologiques. Elles ont toutes trois des expériences cliniques complémentaires. Les analyses qu’elles apportent ici sont d’une grande richesse et replacent la clinique au centre du travail. A ces fonctions cliniques spontanées, les AMP modernes, qui succèdent aux aides maternelles mises en place par TOSQUELLES, ajoutent les capacités de l’enrichissement théorique : ils ont acquis les compétences nécessaires à la compréhension des rouages des interactions, ce qui leur confère davantage encore de pertinence dans leurs actions. Le travail de penser est inhérent à l’intervention des AMP, car la clinique, cet art de la proximité avec celui qui souffre s’y alimente en la nourrissant d’hypothèses vivantes. C’est ce décalage nécessaire de la réflexion qui vient éclairer l’hermétisme des comportements psychotiques ou déments, qui permet d’échapper aux pièges de la psychopathologie, qui vient éviter de s’embourber dans la confrontation au morbide indissociable de la grande dépendance. L’élaboration théorique vient réaliser ce que Bion décrit comme la fonction alpha qui donne sens à l’absurde, à l’irreprésentable, au toxique. Jean François GOMEZ : Chercheur et auteur du social. Après une carrière où il a exercé les professions d’éducateur de Prévention dans la région parisienne, auprès d’enfants délinquants ou en danger moral, thérapeute en psychomotricité auprès d’enfants et d’adolescents ayant des troubles de la personnalité, éducateur en institution, puis directeur dans la région parisienne, et à Montpellier il poursuit une carrière d’auteur, de conférencier et de formateur. Il intervient dans plusieurs universités et est conseiller de plusieurs associations préoccupées de questions de handicap ou d’exclusion. Michel BRIOUL : Psychologue clinicien en institution, psychothérapeute, formateur auprès de travailleurs sociaux et consultant dans le cadre de structures médico-sociales. Son expérience clinique auprès d’enfants et d’adultes lourdement handicapés étaye les théories où il puise ses références et alimente les réflexions qu’il engage. Après avoir exercé dans plusieurs institutions d’accueil et de soins, il se consacre davantage aujourd’hui à la formation et à l’évaluation externe. Il est l’auteur de nombreux articles traitant de sujets cliniques et de vie institutionnelle et signe en outre aux presses de l’EHESP « l’évaluation clinique en institution » (2008), « Clinique institutionnelle des fonctionnements autistiques » (à paraître aux éditions Chroniques Sociales 2012). Il a collaboré à l’ouvrage « La démarche qualité dans le champ médico-social » (ERES 2010) LES CONTENUS. Les fondements des structures dont il est question dans cet ouvrage font référence à quelques principes qui les constituent, qui en font des institutions, au sens d’organisations établies sur les bases de règles et de perspectives communes que dynamisent leurs acteurs dans une visée cohérente. - La vie institutionnelle des structures accueillant des personnes lourdement handicapées est traversée par des mythes, des ritualisations, de la magie, des croyances, leur « efficacité » est soumise aux croisements des représentations symboliques nées à la fois de la nature et de la culture nous disent les anthropologues, modalités propres à aider les équipes face à l'inquiétante étrangeté des personnes accueillies. Cette recherche est complétée par un questionnement concernant la place du corps dans l’action éducative et le fonctionnement des institutions. (XAVIER GALLUT) - Dans ces institutions, au-delà des prestations liées à la dépendance, de la mise en activité et des actions pédagogiques et éducatives, inhérentes à toute structure d’accueil de personnes en difficultés psychologiques et sociales, La prise en charge suppose la mise en œuvre de véritables actions de soin. Que suppose et implique ce concept ? Comment s’articule-t-il avec ceux de besoins, et de demandes à l’heure ou les projets individuels sont supposés relever essentiellement de l’assentiment de l’usager ou de ses « ayant droit » ? D’autres notions connexes viennent faire écho ou se confronter aux exigences du soin, tels ceux de suppléance, de contenance, de stimulation et de socialisation. Quelles articulations entre ces différentes perspectives sont nécessaires au sein des institutions ? (Michel Brioul) - Il est, dit Jean Oury, nécessaire de « favoriser le hasard de la rencontre », signifiant ainsi l’essentiel de l’authenticité des relations dans l’accompagnement des personnes en difficulté psychique. Prendre le risque de la rencontre est une chance pour les structures médico-sociales. Qu’est-ce qui pousse les travailleurs sociaux à cette expérience à la fois si courante, si rare et si effrayante parfois, qu’elle est le plus souvent tue, faute de savoir quoi en dire ? Ces rencontres entre le soigné et le soignant, le démuni et le valide, l’empêché et le libre, loin d’être banales sont extra-ordinaires et leur dynamique mérite que l’on s’y arrête, pour y penser et en parler pour faire signe du travail qui s’accomplit o La rencontre peut être définie comme «l’ensemble des moyens et désirs de connaissance et de reconnaissance mutuelle entre deux personnes » o La rencontre suppose l’altérité : reconnaître qui est l’autre, sans perdre qui je suis… o Il faut « Prendre soin » de la rencontre, c’est-à-dire considérer une disposition éthique (notre propre vulnérabilité face à celle d’autrui), un cadre spatiotemporel, notre disponibilité dans le cadre d’un travail pluridisciplinaire (imposant une réflexion quant au transfert, « l’à plusieurs », le tiers et les relais…) o Le désir de la rencontre implique la construction du sens contre l’usure professionnelle, le respect et la cohérence, le travail sur les humilités individuelles et les ambitions collectives, la question de la dépendance et de l’autonomie (naissances et renaissances). o Dans toute rencontre, la connaissance et la reconnaissance mutuelle, sont les premiers pas vers le respect et l’altérité, fondations incontournables du travail éducatif et thérapeutique. o Sans cette considération réciproque ce n’est pas que le travail se fait mal, c’est qu’il n’a pas encore commencé ! (Guillaume SCALABRE) Les institutions fonctionnent avec des femmes et des hommes, dont les missions sont définies et s’articulent pour constituer une équipe. Quelles en sont les composantes ? - Comment appréhender les différents rôles, statuts et fonctions des acteurs impliqués dans la dynamique institutionnelle ? Que signifient et qu’impliquent les fonctions de cadre dans de tels établissements ? Quelle place pour la clinique en proie aux contraintes du management ? Si la gestion est indispensable à la santé d’une institution, comment l’articuler avec les nécessités de la vie, de la spontanéité, de la créativité ? Qu’en est-il de la responsabilité de chacun, de la solidarité, du travail d’équipe ? Pierre Bonjour évoque les difficultés, les paradoxes auxquels sont soumis les cadres, contraints par les tiraillements du nécessaire et de l’impossible et condamnés souvent à échouer un peu mieux… mais, guidés par l’utopie, à l’instar de saint Exupéry : « s’il n’y a pas de solutions, il y a des forces… Créons ces forces et les solutions suivront… » (Pierre BONJOUR) - Quelle est la portée des actions éducatives et pédagogiques au quotidien ? Plus largement, on peut se demander de quoi est porteur le concept d’éducatif ? Comment gérer cette dialectique de l’individuel et du collectif ? Si éduquer consiste à contribuer à la socialisation, le risque n’est-il pas de tendre vers une illusion de citoyenneté piégeant le sujet dans la norme plutôt que de tendre à l’aider à conquérir plus de cette liberté d’agir et de penser, propre de l’humain ? Les éducateurs : passeurs d'humanité Dans un premier temps, lorsque Michel m'a demandé de contribuer à cet ouvrage, je me suis d'abord interrogé sur ce que je pourrais bien en dire, et puis l'intitulé est venu de lui-même (ou presque) : « Les éducateurs passeurs d'humanité ». Ces derniers ont-ils leur place dans ces établissements et quelle peut être la portée éducative de l'intervention de professionnels tels que ceux-ci auprès de ces personnes profondément handicapées. Le point de départ de cette réflexion a été la remarque d'un professionnel, entendue dans un établissement, comme quoi il remettait en question « la place de certains professionnels et singulièrement les éducateurs spécialisés, auprès de ces populations, que l'on pense peu intéressantes, de toute façon peu valorisantes et que l'on s'imagine la plupart du temps « inéducables ». Je vous propose donc en point de départ une citation du Dr Jean Itard dans ses « mémoires et rapport sur Victor de l'Aveyron » dans l'ouvrage de Lucien Malson « Les enfants sauvages » : « Cette identité (entre le sauvage de l'Aveyron et de jeunes idiots) menait nécessairement à conclure qu'atteint d'une maladie jusqu'à présent regardée comme incurable, il n'était susceptible d'aucune espèce de sociabilité et d'instruction. Ce fut aussi la conclusion qu'en tira le citoyen Pinel et qu'il accompagna néanmoins de ce doute philosophique répandu dans tous ses écrits, et que met dans ses présages celui qui sait apprécier la science du pronostic et n'y voir qu'un calcul plus ou moins incertain de probabilités et de conjectures ». Donc « En toile de fond du processus de prise en charge de ces personnes accueillies, lourdement handicapées, tant psychiquement que physiquement, dans les structures médico-sociales telles que les FAM, se pose bien souvent, plus ou moins ouvertement et consciemment, la question de leur éducation, ou de leur « éducabilité », voir même, en déclinant cette idée du côté de l'insertion et de la citoyenneté, de l'intérêt même qu'il pourrait y avoir à les amener à un tel processus. » Mon hypothèse a été que la place de l'éducateur est « à priori » aussi importante et nécessaire auprès de ces personnes qu'elle peut l'être auprès d'autres populations que ce dernier accompagne habituellement. J'en suis à partir de là arrivé à deux pistes de réflexion : L'une sur le processus éducatif, ou l’éducation en général : « l'éducation se donne comme objet d'assurer à chacun le développement maximal de ses diverses capacités (morales, intellectuelles et physiques), permettant ainsi au sujet d'affronter et de gérer sa vie en tant que citoyen responsable dans la société au sein de laquelle il vit, voire même d'être créatif et de participer à la vie collective en faisant les propositions nécessaires dans un but d'évolution commune pouvant profiter à tous. » Mais alors qu'en est-il dans le cas où : « La dépendance des personnes accueillies dans ces services est souvent telle que, venant de non-professionnels, la question pourrait effectivement se poser de l'intérêt d'une approche éducative... N'auraient-ils pas, essentiellement et avant tout besoin de soins, de gestes maternants et d'actes thérapeutiques ? » « Mais les deux ne sont-ils pas liés ? Car même si les définitions entre le thérapeutique (qui est de l'ordre du soin) et l'éducatif (qui est de l'ordre de la socialisation) sont fort différentes, il n'existe pour autant pas de clivage. Et, certes, les deux peuvent aller de paire, à condition toutefois, dans un premier temps, de considérer sans exclusive le tableau clinique et les différents aspects de la pathologie des personnes, et dans un deuxième temps, de considérer l'acte éducatif comme s'insérant dans un autre schéma que celui défini habituellement. » « Les premiers actes éducatifs vont donc se définir dans la routine de la quotidienneté des gestes et des activités autour de la toilette, des repas, des levers et des couchers. Ce sont les actes essentiels qui amènent un premier socle de sécurité, qui permettra, ensuite seulement, de se projeter vers d'autres activités, voire même des sorties hors institution. » « Dans cet accompagnement au quotidien, nous en restons là à des gestes primaires mais qui donnent sens et fondent toute notre humanité sociale. C'est donc en cela que tout l'aspect éducatif est primordial, n'abandonnant pas ces personnes gravement handicapées à la dérive de leurs angoisses, de leurs souffrances ou encore d'une jouissance mortifère. » « Gardons toujours en mémoire que quelle que soit la personne à laquelle l'éducateur s'adresse, il s'agit de prendre conscience que le travail éducatif est d'abord d'humaniser le sujet, c'est-à-dire de le confronter à l'interdit et à la castration, de l'empêcher de s'adonner à une jouissance mortifère, et qu'il s'agit d'un « passage obligé », quel que soit la personne et son degré de handicap, pour pouvoir accéder à l'humanité ». Ma deuxième piste de réflexion s'est elle, étayée sur la question de la relation éducative qui va mettre à jour : « Certains phénomènes qui vont aussi jouer un grand rôle dans le travail thérapeutique, à savoir, par exemple l'identification ou le transfert. » « Le travail suppose en effet une interaction permanente entre, d'une manière générale, les personnels encadrants, ou soignants, et les personnes accueillies. C'est au sein de cette interaction que vont se nouer des relations et où vont se jouer de multiples phénomènes psychologiques, avec leurs conséquences affectives et émotionnelles. » « Le cœur du travail éducatif est donc la rencontre avec un autre humain en souffrance. Le transfert va-t-être le moteur de cette rencontre et va définir le type de relation instaurée, cette dernière dépendant, de part et d'autre, des fantasmes et des enjeux inconscients des différents protagonistes. Il s'agira d'amour, et parfois de haine, l'instance d'amour amenant avec elle sa part de leurre puisqu'on aime toujours chez l'autre ce dont on manque, c'est-àdire ce dont on a été castré. » « A partir d'un premier socle de sécurisation interne, puis groupal, pourra alors être envisagée une insertion partielle dans la cité lors de moments socialement codifiés et définis. » « Ces moments de « la vraie vie » (courses, achats personnels ou de groupe, manipulation d'argent, visites culturelles, sorties lors de spectacles et participation éventuelle, promenades diverses, marchés, contacts avec le monde des « normopathes »...) sont extrêmement importants afin de pouvoir appréhender et apprendre à gérer les affects, les émotions et le stress liés à la vie « extérieure » à l'institution. » Nous nous en tiendrons donc (pour l'instant) à l'idée d'intégration possible et partielle, sans aller jusqu'à l'intégration « citoyenne » de ces personnes profondément handicapées, et qui dépend aussi à mes yeux d'un travail sur les représentations et donc du regard porté vis-à-vis de ces personnes par l'ensemble du groupe social. Chacun dans cette histoire a un rôle à jouer, et j'aimerais quand à vous que vous gardiez en tête cette image du « passeur » : Vous faites monter dans votre embarcation ces personnes que vous allez accompagner, guider, mener vers d'autres rives, parfois dans des moments de houle, parfois par temps calme… Il vous faudra savoir traverser des deltas, des fleuves, ou des rivières, ou parfois simplement des ruisseaux… Mais n'oubliez pas que « Cette population en grande souffrance et bien souvent en extrême détresse, a comme tout être humain vivant et en devenir, un besoin fondamental de reconnaissance, d’accompagnement et d'éducation au sens plein du terme afin d'accéder à une égale humanité. » Et que « La loi a beau aujourd'hui proclamer la citoyenneté, tout en écartant le leurre d'une égalité illusoire et d'une insertion utopique qui risquent d'oblitérer le sujet dans sa spécificité, il nous faudra encore beaucoup de temps et une certaine lucidité afin de ne pas oublier que ces personnes gravement handicapées ont toute leur place à nos côtés, si ce n'est en tant que citoyen en capacité de participer à la vie collective, à leur manière certes limitée, de toute façon en tant que sujets, et en tant qu'êtres humains tout simplement. » Jean Luc MARCHAL - Qu’est-ce qu’être psychologue au sein d’une telle structure engagée dans la thérapie autant que dans la vie quotidienne ? Quels sont les impératifs et limites de chacun de ces postes ? Comment mettre à profit leur synergie ? Formés à s’inscrire dans les relations individuelles, les psychologues oublient trop souvent que l’on ne peut prétendre soigner les individus dans une institution malade, ce qui est une imposture (Oury). Je défends l’idée du travail du psychologue comme devant d’abord s’inscrire dans la dynamique institutionnelle, ou il doit trouver une place de responsable thérapeutique en se défiant du confinement dans un cabinet, ce qui alimente le mythe d’une action thérapeutique isolée et magique… (Michel Brioul) Les établissements médico-sociaux, a fortiori s’ils sont résidentiels, doivent répondre à cette double perspective : assurer les meilleures conditions possibles en tant que lieu de vie, tout en développant une dynamique de soin propre à prendre en compte la pathologie des personnes accueillies. Il convient donc de considérer ces deux aspects comme indissociables. Quels actes sont développés pour atteindre ces objectifs ? La vie quotidienne ne va pas sans que les institutions ne soient confrontées à quelques problématiques, parmi elles il est souvent question de violence, mais aussi de vie affective et de sexualité… - Chaque jour, les choses, les gens, « les petits riens » de la maison emplissent la vie, avec l’espace, avec le temps, avec le soi… La répétitivité banale de ces instants mobiles pourrait paraître orchestrée de façon monotone et ennuyeuse, s’il n’en était des évènements qui viennent en rompre la lancinante ritournelle… A moins que ces évènements qui viennent bouleverser le cours de l’existence soient source de trop d’émotions, d’angoisses et le ballet devient bastringue infernal… La gestion de la vie quotidienne ne va pas de soi et constitue une dimension essentielle du travail qu’il convient de déployer. (Michel Brioul) - Comment concevoir la dynamique de la clinique au quotidien développée au sein de ces institutions dans la réalité incarnée des pratiques ? Les thérapeutes de la vie quotidienne mettent en place des actions, étayées sur des réflexions théoriques qui leur donnent sens : c’est ce qui est développé dans ce chapitre, grâce à quelques expériences cliniques riches d’enseignements. (Michel Brioul, et Cécile BODIN, Eléa DUPAS, Nathalie MAYET, Céline VERGNE, Elèves AMP) - Se nourrir est une activité essentielle pour tout être vivant. Cette activité prend cependant une dimension toute particulière pour les êtres humains qui en font une source de plaisir et de convivialité. Cette question est particulièrement aigüe quand il s’agit de penser ces moments pour les personnes handicapées, chez qui les émotions sont vives et souvent complexes, mêlant plaisir, nostalgie ou angoisses. Le temps du repas est ainsi chargé de toutes les connotations imaginaires, symbolique et réelles liées à l’alimentation. (Michel Brioul) - La violence est inhérente aux difficultés de la vie collective, des exigences qu’elle suppose, lesquelles viennent entraver ipso facto les libertés individuelles et confrontent les individus aux réalités sociales, aux lois, à l’enfer des autres… De plus, lorsque la pathologie, parfois assortie de déficience, vient compliquer la gestion des naturelles pulsions agressives, celles-ci explosent parfois de façon clastique et insupportable. Que faire face à ces expressions qui sont à la fois symptomatiques d’une souffrance et délictueuses au regard de l’appartenance à la communauté humaine ? Comment à la fois les entendre au regard des pathologies sous jacentes et les contenir, voire les réprimer au nom de la cohésion sociale ? (Michel Brioul) - Autrefois taboue, la question de la sexualité (pudiquement associée à la vie affective, même si les pratiques peuvent être exemptes de toute dimension amoureuse) est aujourd’hui abordée sans ambages. On entend même le contrepoint des non-dits et dénis antérieurs dans des discours qui tendraient à imposer la sexualité non comme un droit mais comme un dû indispensable… D’interdite puis déniée, la sexualité est devenue une nécessité incontournable, participant même selon certains à la dynamique thérapeutique : Ainsi se développe l’idée de l’assistanat sexuel en vogue en Allemagne, au Danemark et en Suisse romande, et qui gagne la conviction de quelques professionnels en France … Qu’en est-il au sein même des institutions, quelles questions éthiques et éducatives doivent se poser ? Comment aborder la réalité de la libido génitale ? Qu’en est-il de l’avènement des pulsions sexuelles eu égard aux différentes pathologies ? (Michel Brioul)