Mimesis et rituel
Pour comprendre les rituels de passage et les processus de mimesis sociale, la situation
connue autour d'un seuil, celle d'état liminal, présente un intérêt particulier. La caractérisent
l'insécurité et l'ambiguïté, d'où la nature intermédiaire de cette phase de transition d'un état
inférieur à un autre plus évolué. Souvent, de telles phases sont déterminées par leur caractère
emphatique. Ainsi, dans les rituels de puberté de sociétés tribales, par exemple, on en vient à
roder des types de comportement qui, autrement, ne sont pas imposés, tels l'humilité, le silence,
le renoncement à la consommation d'aliments ou de boissons, des sévices corporels et des
brimades humiliantes à des fins de soumission à l'autorité de la communauté comme ensemble.
Des formes de stigmatisation de toutes sortes passent pour préparer
à
la promotion qui va suivre.
On pourrait parler d'une pédagogie sui generis de l'état de seuil Son objectif central, c'est la
destruction de l'identité sociale qui avait jusqu'alors prévalu, la confection d'un stade de vide
intermédiaire et ainsi l'entraînement à une nouvelle identité. Dans les sociétés modernes, on a
des rituels de passage semblables, moins marqués et moins intenses il est vrai, tel que le
baccalauréat ou l'obtention du diplôme d'études supérieures dans les pays anglo-saxons. Dans
les situations de contrôle liées à ces rituels, on peut reconnaître des éléments d'une situation de
passage, avec leurs formes d'humiliation des candidats, dont
ils
seront récompensés plus tard par
leur nouveau statut social
:
n'être plus écolier, n'être plus étudiant, être universitaire. Différent à
coup sûr dans son intensité et ses finalités, le caractère de ces rituels amène à se demander dans
quelle mesure l'on peut circonscrire le concept de rituel, de rite, de comportement ritualisé.
Dans une première approche, on concevra les rituels comme une forme de praxis sociale,
comme une stratégie de l'agir social, aux formes propres. On peut sans doute indiquer quelques
éléments typiques des rituels et des ritualisations, ces déterminations ne fournissent néanmoins
pas de définitions suffisantes. D'autant moins que, sur un certain nombre de ces éléments, les
esprits sont partagés. Bien des caractéristiques de tels rituels dépendent de leur contexte, la
généralisation n'étant possible que dans certaines limites. Donnée de fait qui mène à poser le
rituel comme un modèle global, « clef pour la culture » (Durkheim) et à s'interroger plutôt sur
les virtualités spécifiques et les limites des rituels et des ritualisations.
Les rituels sont des formes d'agir social et, simultanément, en sont l'interprétation. Ils
incorporent, matérialisent, dramatisent et mettent en scène des systèmes symboliques
;
l'on n'est
pas autorisé à en inférer que l'agir est subordonné au système symbolique. Selon la conception
de Geertz, il y a dans le rituel deux éléments non réductibles l'un à l'autre, qu'il désigne comme
« manière de voir le monde » (Weltsicht), c'est-à-dire les aspects cognitifs et existentiels d'une
culture, et comme « dispositions » (Dispositionen), c'est-à-dire ceux propres à chaque culture,
en terme de tonus et de motivations, l'ensemble des présupposés des genres d'activité sociale ou
rituelle. Aux yeux de Geertz, c'est donc faire fausse route que de chercher à établir une
hiérarchie entre une manière symbolique de voir le monde et des dispositions
à
l'agir spécifiques
d'une culture. Dans la mesure où les rituels représentent la tentative de produire et de consolider
des ordres culturels, ils sont aussi en rapport avec les niveaux de désordre, avec tout ce qui
regimbe contre l'ordre. Turner a décrit cet aspect à l'aide des concepts de liminalité, d'antistruc-
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