C A S C L I N I Q U E Gènes de la détermination sexuelle : à propos de deux observations ● I. Leroux* O n parle d’anomalies de la détermination sexuelle devant l’existence d’une discordance entre le sexe génétique et le sexe gonadique. Cette dissociation est liée à un échec de la détermination gonadique durant l’embryogenèse. La recherche des gènes en cause s’est portée initialement sur le chromosome Y, qui joue un rôle dominant dans la détermination sexuelle dans le sens masculin. Le gène SRY, gène clé de la différenciation de la gonade primitive en testicule, a été isolé en 1990. Mais des anomalies à son niveau ne suffisent pas à expliquer l’ensemble des troubles de la détermination sexuelle observés (femmes XY et hommes XX). Cette première étape de la différenciation sexuelle fait donc intervenir d’autres gènes, dont certains ont été identifiés. À partir de l’observation de deux patientes atteintes de dysgénésie gonadique XY sans anomalie de SRY, nous aborderons les différents gènes impliqués dans la détermination sexuelle. OBSERVATIONS CLINIQUES Première patiente Mlle A., âgée de 17 ans, est venue consulter dans le service pour aménorrhée primaire. Cette patiente, sans antécédent particulier, avait déjà consulté un gynécologue en ville à l’âge de 16 ans. Un premier bilan avait été effectué qui retrouvait des gonadotrophines élevées (estradiol non dosé), un petit utérus et deux ovaires mesurant respectivement 2,9 cm à droite et 1,5 cm à gauche à l’échographie pelvienne. Suite à ce bilan, un traitement hormonal substitutif avait été prescrit et suivi pendant une période de six mois, avec apparition d’hémorragies de privation. À l’examen, la jeune fille présentait un morphotype féminin de grande taille (1,73 m pour 53 kg) associé à un impubérisme, avec une pilosité axillaire quasiment absente, un développement mammaire peu important et une pilosité pubienne normale (score de Tanner : A1-S1-P4). On notait par ailleurs une petite hypertrophie clitoridienne. Le bilan réalisé a confirmé l’insuffisance ovarienne primitive, avec un estradiol effondré (< 10 pg/ml), des gonadotrophines élevées (FSH = 59 mUI/ml, LH = 12 mUI/ml). Les androgènes étaient normaux (testostérone = 0,36 ng/ml, δ4-androstènedione = 1,6 ng/ml). Une nouvelle échographie pelvienne a retrouvé un utérus de taille normale, avec des formations arrondies situées de chaque côté de la vessie, difficiles à visua- * Hôpital Necker, service du Pr Kuttenn, 149, rue de Sèvres, 75015 Paris. 34 liser et pouvant correspondre à des petits ovaires denses. La cœlioscopie réalisée afin de préciser l’étiologie de cette insuffisance ovarienne a permis de découvrir un utérus hypoplasique et des ovaires réduits à des bandelettes fibreuses. L’histologie a confirmé l’absence de parenchyme ovarien. Le caryotype a permis de porter un diagnostic précis de dysgénésie gonadique en mettant en évidence une formule XY. L’analyse du gène SRY n’a pas mis en évidence de mutation. Une intervention chirurgicale est prévue afin de réaliser une gonadectomie. Deuxième patiente Mlle B. a consulté la première fois à l’âge de 18 ans pour une aménorrhée primaire associée à un impubérisme. Elle avait comme antécédent un rachitisme dans l’enfance. Cette patiente présentait un morphotype féminin de taille moyenne (1,65 m pour un poids de 54 kg). Le développement mammaire était peu important, la pilosité axillaire normale et la pilosité pubienne incomplète, avec présence d’un orifice vaginal court (profondeur de quelques millimètres). Les explorations biologiques ont révélé une insuffisance ovarienne primitive, avec des gonadotrophines élevées (FSH = 61,5 mUI/ml, LH = 23,1 mUI/ml), un estradiol bas (11 pg/ml), une testostérone normale (0,2 ng/ml) avec un test à l’HCG négatif. La radiographie du poignet a mis en évidence un retard d’âge osseux (13 ans). De plus, on retrouvait à l’échographie pelvienne une absence d’utérus et de vagin et des petites formations situées de chaque côté de la vessie pouvant correspondre à des gonades. Le caryotype, là encore, a révélé une formule XY, avec absence de mutation au niveau du gène SRY. La recherche d’une duplication de DSS s’est également révélée négative. Une laparotomie exploratrice a permis de pratiquer une gonadectomie prophylactique. Lors de cette exploration, ces gonades étaient surmontées d’une structure les circonscrivant en casque et pouvant correspondre à une trompe rudimentaire ou à un épididyme. L’histologie a retrouvé des gonades rudimentaires, avec une ébauche de stroma ovarien et un début de développement wolffien. Cette patiente a bénéficié d’une périnéoplastie avec plastie vaginale permettant l’obtention d’un vagin de 3-4 cm ; elle suit actuellement un traitement estroprogestatif. Il s’agit donc d’une dysgénésie gonadique XY mixte, comme le confirment l’absence d’organes génitaux internes féminins (preuve d’une sécrétion d’hormone antimüllérienne durant l’embryogenèse) et l’histologie, qui met en évidence la trace d’un développement testiculaire. La Lettre du Gynécologue - n° 244 - septembre 1999 RAPPEL DES ÉTAPES DE LA DIFFÉRENCIATION SEXUELLE La différenciation sexuelle peut schématiquement être séparée en deux étapes principales. La première est l’étape de détermination gonadique ; elle est contrôlée par les gènes de la détermination gonadique inclus dans le sexe génétique. La deuxième est l’étape de différenciation sexuelle primaire. Elle dépend de la sécrétion hormonale des gonades différenciées et de la sensibilité des tissus cibles à ces sécrétions hormonales. Elle aboutit au sexe phénotypique (développement des organes génitaux internes et externes). Sexe génétique gènes de la détermination gonadique 1re étape : détermination gonadique Sexe gonadique 2e étape : différenciation sexuelle ± sécrétion hormonale Sexe phénotypique La première étape de détermination sexuelle s’effectue à partir de gonades indifférenciées bipotentielles qui vont se différencier en testicule ou en ovaire, à partir de la sixième ou de la septième semaine de vie intra-utérine chez l’homme (dixième jour de gestation chez la souris). Âge Développement gestationnel fœtal approx. (mm) 0 37-45 jours 43-50 jours 10 20 60 jours On sait depuis le milieu du siècle (1959 : analyse du caryotype) que le sexe gonadique est lié à la présence ou à l’absence de chromosome Y, avec un effet dominant du chromosome Y quel que soit le nombre de chromosomes X. En effet, les sujets XY, XXY ou XXXY développent un phénotype masculin et les sujets XO, XX ou XXX développent un phénotype féminin. Chez la femme, la détermination gonadique est plus tardive (figure 1). Elle a lieu en l’absence de chromosome Y et nécessite la présence de deux chromosomes X. Par ailleurs, les expériences du Pr Jost en 1950 ont mis en évidence l’importance fondamentale de deux hormones sécrétées par le testicule fœtal : l’hormone antimüllérienne et la testostérone. Ces hormones sont indispensables à la différenciation sexuelle dans le sens masculin (figure 2). L’hormone antimüllérienne (AMH) est produite par les cellules de Sertoli dès la formation des tubes séminifères, avec un maximum d’activité à la huitième semaine de gestation. Elle entraîne la régression des canaux de Müller, responsable, chez la femme, du développement de l’utérus, du tiers supérieur du vagin et des trompes. La testostérone est sécrétée par les cellules de Leydig à partir de la huitième semaine de gestation chez l’homme. Elle induit le développement des structures génitales mâles à partir des canaux de Wolff, qui formeront l’épididyme, les canaux déférents et les vésicules séminales. La testostérone, sous l’action de la 5α-réductase, se transforme en dihydro- GONADES GONADE INDIFFÉRENCIÉE Avec cellules germinales primordiales Tubes séminifères TESTICULE TRACTUS GÉNITAL Canaux müllériens 30 Régression Cellules de Leydig 40 Organes génitaux externes 50 Sinus urogénital 60 PÉNIS 70 PROSTATE 80 jours 80 Début de la méiose Organogenèse vaginale 90 100 110 11-12 sem. 20-25 sem. 120 200 ORGANOGENÈSE OVARIENNE Follicules primordiaux Stroma TRACTUS GÉNITAL FÉMININ OGE FÉMININS VAGIN Figure 1. Chronologie des différentes étapes de la différenciation sexuelle. La Lettre du Gynécologue - n° 244 - septembre 1999 35 C A S C L I Gonade primitive Chromosome Y TESTICULE Cellules de Sertoli Facteur antimüllérien Régression des canaux de Müller Cellules de Leydig Testostérone Canaux de Wolff Épididyme Déférent Vesicules séminales Dihydrotestostérone Pénis Scrotum Figure 2. Facteurs de l’induction testiculaire et de la différenciation sexuelle masculine. testostérone (DHT), qui induira la formation des organes génitaux externes chez l’homme (pénis, scrotum et prostate) à partir du sinus urogénital. L’effet du chromosome Y chez l’homme (et les mammifères) est donc d’induire le développement du testicule qui, une fois formé, va sécréter des hormones entraînant la différenciation sexuelle dans le sens masculin. Ce rôle actif du chromosome Y dans la détermination sexuelle a été attribué à la présence d’un hypothétique gène unique appelé TDF (Testis Determining Factor), qui a fait l’objet d’une longue recherche. SRY : SEX-DETERMINING REGION Y CHROMOSOME GENE Quête du gène de la détermination sexuelle : TDF L’étape cruciale dans la recherche du gène TDF a été l’analyse moléculaire des hommes XX et des femmes XY (présentant une dysgénésie gonadique pure). Cette analyse a permis de démontrer que la majorité des hommes XX possédaient dans leur génome des fragments d’ADN de longueur variable spécifiques du chromosome Y, et que certaines femmes XY avaient des délétions de fragments d’ADN correspondant à ceux détectés chez la majorité des mâles XX. L’hypothèse proposée par Ferguson-Smith en 1966 s’avérait exacte : les deux anomalies résultaient d’un échange méiotique entre les deux chromosomes sexuels paternels (figure 3). La partie du chromosome Y mobilisée dans un crossing-over inclurait le locus TDF (cette hypothèse est en fait exacte pour la majorité des hommes XX sans ambiguïté sexuelle et pour une minorité de femmes XY). Durant ces longues années de recherche, plusieurs gènes ont été retenus, entre autres : – Le gène HY, qui code pour un antigène du groupe sanguin HY. Il a été proposé comme TDF en 1970. En fait, on s’est vite aperçu que les mâles XX n’exprimaient pas HY. De plus, HY était localisé sur le bras long du chromosome Y, alors qu’il est vite apparu qu’il devait être localisé sur le bras court. Ce n’était donc pas le bon candidat... 36 I Q U yy ,, ,, yy ,, yy ,, yy ,,,,, yyyyy ,,,,, yyyyy ,,,,, yyyyy ,,,,, yyyyy ,,,,, yyyyy E Région pseudo-autosomale DÉTERMINANT GONADIQUE Y OVAIRE N X yy ,, ,, yy ,, yy ,, yy ,, yy ,, yy ,, yy + TDF TDF Y yy ,, ,, yy ,, yy ,, yy – TDF XY Femme XX Homme Figure 3. Hypothèse de Ferguson-Smith. – Le gène ZFY (Zinc Finger Y), qui a été localisé par Page et coll. sur le bras court du chromosome Y en 1987. Il avait de nombreuses caractéristiques attendues du gène de la détermination sexuelle : il s’exprime dans les gonades mâles des souris avant la détermination gonadique, il est très conservé dans l’évolution, et, par ailleurs, il code pour un facteur de régulation (protéine à doigt de zinc) pouvant contrôler l’expression d’autres gènes impliqués dans la différenciation testiculaire. En fait, il s’est avéré que ZFY n’était pas le bon candidat non plus, et ce pour plusieurs raisons : on a retrouvé un gène homologue ZFX porté par le chromosome X ; ZFY est exprimé dans de nombreux tissus en dehors des gonades ; chez les marsupiaux, ZFY est porté par les autosomes ; et, enfin, certains mâles XX ne possèdent pas ZFY. Par la suite, chez les patients mâles XX, a été mis en évidence le transfert d’une très petite région du chromosome Y sur le chromosome X, qui toutefois ne comportait pas ZFY. Ces observations ont permis de définir un nouveau locus possible pour le gène de la détermination testiculaire. La Lettre du Gynécologue - n° 244 - septembre 1999 Le gène SRY a été identifié dans cette petite région distale du chromosome Y adjacente à la région pseudo-autosomale par Sainclair et coll. en 1990 (figure 4). Yp Région pseudoautosomale (140 kb) TDF (140 kb) Yq 1959 1966 1986 SRY 60 kb 35 kb ZFY 1987 1989 1990 Figure 4. Évolution des connaissances dans la localisation des gènes de la détermination sexuelle. SRY = TDF Plusieurs caractéristiques de SRY en font un excellent candidat pour être le gène TDF : tout d’abord, c’est un gène conservé chez la plupart des mammifères (essentiellement au niveau de la boîte HMG) ; il est localisé sur le bras court du chromosome Y ; il code pour une protéine se liant à l’ADN avec de possibles effets régulateurs sur la transcription des gènes (protéine à domaine HMG - High Mobility Group) ; enfin, il est exprimé au niveau de la crête génitale chez la souris entre J10 et J12,5 après fécondation, juste avant le développement des tubes séminifères. Les deux preuves principales ont été apportées par l’identification de mutations simples sur le gène SRY des patientes XY présentant une dysgénésie gonadique pure et par l’expérience transgénique de Koopman et coll. en 1991. Cette expérience a montré que l’injection d’un fragment d’ADN contenant l’analogue murin de SRY chez des souris XX entraîne une inversion de sexe chez ces souris. Propriétés de SRY. SRY est un petit gène mono-exonique de 2 100 bases codant pour une protéine de 204 AA. Cette protéine appartient à la famille des protéines à domaine HMG, qui est un motif protéique de liaison à l’ADN. Ce domaine HMG occupe une position centrale sur le gène SRY. Il a un rôle crucial dans l’activité de SRY, comme en témoignent les différentes mutations retrouvées chez les femmes XY, qui se situent à son niveau (une seule mutation décrite en dehors de la boîte HMG, figure 5). La liaison du domaine HMG à l’ADN se fait par l’intermédiaire d’une séquence d’oligonucléotides bien définie (AACAATG). Elle est responsable d’une altération de la géométrie de l’ADN, avec torsion des doubles brins, qui pourrait être à l’origine de la régulation de la transcription d’autres gènes. Par cet effet de torsion, SRY rapprocherait des facteurs protéiques et des séquences d’ADN jusque-là séparés, permettant la réalisation d’un complexe multiprotéique transcriptionnel. Cette action est nécessaire à l’activité de SRY : les mutations de SRY présentes chez les femmes XY altèrent plus cet effet de torsion que la capacité de liaison à l’ADN. Si, chez la souris, il a été montré que SRY avait un rôle d’activateur de la transcription, rien n’est démontré chez l’homme. La Lettre du Gynécologue - n° 244 - septembre 1999 En 1993, Mc Elreavy et coll. ont émis l’hypothèse que SRY serait un inhibiteur de la transcription. Cette hypothèse repose sur l’analyse de la transmission des cas familiaux de mâle XX avec ambiguïté et hermaphrodisme vrai qui ne porte pas SRY (figure 6). L’analyse révèle la transmission d’une anomalie de type autosomique récessif. Afin d’expliquer toutes les anomalies possibles, Mc Elreavy a émis une hypothèse : SRY inhiberait un gène Z qui, à l’état normal, réprimerait l’expression des gènes spécifiques mâles. Dans les cas familiaux de mâles XX sans SRY, la présence d’une anomalie au niveau du gène Z (à transmission autosomique récessive) suffirait à expliquer le morphotype masculin par l’absence de répression des gènes masculins. Chez les femmes XY, les mutations décrites jusqu’à présent sur SRY sont situées au niveau du cadre de lecture. Il s’agit essentiellement de mutations de novo, mais il existe aussi des cas de transmission familiale père/fille. Ces exemples de pénétrance variable plaident en faveur soit d’une expression variable de la mutation, soit d’une interaction de SRY avec d’autres allèles non liés à Y. A. Normal XY male Z B. Normal XX female Z SRY Male-specific genes Male-specific genes On C. XX male Z– Off D. XY female Zi SRY Male-specific genes Male-specific genes On Off E. XY female with DSS duplication DSS DSS SRY Male-specific genes Off Figure 5. Hypothèse de Mc Elreavy pour la détermination sexuelle : SRY antagonise Z, un inhibiteur des gènes spécifiques mâles. HMG box 1 10 21 29 27 X N 17 10 L G I 14 11 T X 58 17 X 17 T 137 12 16 15 11 12 M XX R I 204 28 12 18 S FS T 13 FS 14 19 X C 17 W 20 X .G..S..DRVKRPMNAFIVWSRDQRRKMALENPRMRNSEISKQLGYQWKMLTEAEKWPFFQEAQKLQAMHREKYPNYKYRPRRKAKM...L.. 2 18 60 70 80 90 100 110 120 130 163 Figure 6. Mutations de SRY décrites chez les patientes présentant une dysgénésie XY. 37 C A S C L En fait, l’analyse génétique des patients présentant un état intersexué montre que seules 15 à 20 % des femmes XY avec dysgénésie gonadique pure présentent une mutation de SRY et que SRY est présent dans seulement 10 % des cas de mâle XX avec ambiguïté sexuelle, dans 10 % des hermaphrodismes vrais et chez 90 % des mâles XX sans ambiguïté. Même si les variations phénotypiques observées chez les mâles XX peuvent s’expliquer par des phénomènes d’inactivation de l’X, ces résultats sont en faveur de l’implication d’autres gènes dans la détermination sexuelle, qui agiraient en amont ou en aval de SRY. AUTRES GÈNES IMPLIQUÉS DANS LA DÉTERMINATION SEXUELLE Des recherches ont été entreprises afin d’identifier les autres gènes possiblement impliqués. Certains ont été découverts grâce à l’étude génétique de patients présentant une pathologie héréditaire associée à une forte prévalence de troubles de la différenciation sexuelle. On retrouve des gènes liés au chromosome X et des gènes liés aux autosomes. Gènes liés à l’X Gène DSS (Dosage Sensitive Sex-reversal). Le gène DSS a été annoncé comme le gène de la féminité par la presse généraliste. L’hypothèse de l’existence d’un gène lié à l’X impliqué dans la détermination sexuelle vient de l’observation de cas héréditaires de dysgénésie gonadique XY avec un mode de transmission lié à l’X. C’est Bardoni et coll. qui, en 1994, ont identifié un locus DSS de 160 kb localisé sur le bras court du chromosome X (en position 21). Ce gène était dupliqué chez des patientes XY n’ayant pas de mutation au niveau du gène SRY. Une double “dose” de DSS aurait donc un effet inhibiteur sur l’action de SRY, expliquant le phénotype féminin chez ces patientes. Ce gène muté chez des femmes XX n’entraîne pas de trouble de la différenciation sexuelle ; il n’aurait donc pas de rôle dans la détermination sexuelle dans le sens féminin. DAX 1 est un gène localisé à l’intérieur du locus de DSS (Xp21-3). Il code pour un membre de la famille des récepteurs nucléaires orphelins. Une mutation de ce gène est responsable de l’hypoplasie congénitale des surrénales (AHC), qui touche les hommes dans les premières semaines de vie. Cette affection est fréquemment associée à un hypogonadisme hypogonadotrope. Il s’agit d’un gène candidat à un rôle dans la détermination sexuelle puisque, entre autres, il est exprimé chez la souris au niveau de la crête génitale à la période de détermination sexuelle. Par ailleurs, son expression au moment de l’embryogenèse a lieu tout le long de l’axe gonadotrope (hypothalamus, hypophyse, surrénale), ce qui explique sans doute la prévalence de l’hypogonadisme hypogonadotrope chez les sujets présentant une mutation de DAX 1. Cependant, son ou ses rôles sont mal connus. Il aurait un rôle au niveau de la fonction des cellules de Sertoli. En effet, l’analyse des testicules chez les sujets présentant une AHC révèle une absence de cellules germinales, avec immaturité des cel38 I N I Q U E lules de Sertoli. Il aurait aussi un rôle dans le développement ovarien puisque, chez la souris, son expression est maintenue uniquement en cas de différenciation sexuelle dans le sens féminin. Pour certains, ces deux gènes, DSS et DAX 1, n’en représenteraient qu’un seul : la surexpression de DAX 1 par transgène chez la souris est en faveur de cette hypothèse puisque l’on observe une inversion de sexe chez la souris XY (Swain et coll., Nature 1998). Gènes autosomiques SOX 9 est un gène localisé sur le bras long du chromosome 17. Il appartient à la famille des protéines SOX (SRY box containing). Cette famille comporte une homologie de séquence de plus de 60 % au niveau de la boîte HMG avec le domaine HMG de SRY. Une mutation de SOX 9 a été retrouvée chez des patients atteints de dysplasie campomélique (anomalie de la formation du cartilage), celle-ci étant fréquemment associée à une dysgénésie gonadique XY. Cette mutation s’exprime sur le mode hétérozygote dominant. Il semble que SOX 9, comme SRY, joue un rôle dans la détermination sexuelle dans le sens masculin puisque seuls les hommes atteints de dysplasie campomélique ont un trouble de la détermination sexuelle. WT 1 est un gène localisé sur le bras court du chromosome 11. Il a été initialement identifié comme oncogène responsable d’une tumeur rénale (tumeur de Wilms) chez l’enfant. Plusieurs arguments plaident en faveur de son implication dans le développement gonadique : – il est exprimé à J9 chez la souris au niveau de la crête génitale ; – on observe, chez la souris “knock-out” pour ce gène, une agénésie rénale et gonadique, avec un possible rôle dans le maintien des gonades au cours de l’embryogenèse ; – par ailleurs, des mutations de WT1 ont été retrouvées chez des patients présentant un syndrome de Denys-Drash et un syndrome de Frasier associant ambiguïté sexuelle et anomalie rénale. SF 1 est un gène localisé sur le bras long du chromosome 9 (Chr.9q33). Il code pour un récepteur nucléaire orphelin qui a un rôle clé dans la biosynthèse des stéroïdes. Il semble qu’il ait aussi un rôle majeur dans le développement gonadique et dans la différenciation sexuelle puisque, chez la souris, l’absence de SF 1 entraîne une agénésie des surrénales et des gonades. SF 1 aurait aussi un rôle dans la régulation de l’AMH puisque, chez les souris XX et XY, l’absence de SF 1 entraîne le développement d’organes génitaux internes de type féminin et qu’il existe une expression continue de SF 1 au cours de l’embryogenèse dans le sens masculin. Ces différents gènes ont été identifiés chez des patients présentant une dysgénésie gonadique associée à une pathologie le plus souvent sévère prédominante sur l’existence d’une anomalie de la détermination sexuelle. Ils n’ont pas été étudiés chez les patients ou patientes présentant une dysgénésie gonadique isolée sans anomalie de SRY. La Lettre du Gynécologue - n° 244 - septembre 1999 TROUBLES DE LA DÉTERMINATION SEXUELLE Les troubles de la détermination sexuelle sont rares. Ils sont représentés essentiellement par les femmes XY et les hommes XX, avec des expressions cliniques variables. Dysgénésie gonadique XY Les dysgénésies gonadiques XY font partie des pseudohermaphrodismes masculins. On distingue les dysgénésies gonadiques pures et mixtes selon que la gonade se résume à une bandelette fibreuse constituée de stroma indifférencié, vide de cellules germinales et dépourvue d’activité endocrinienne, ou qu’il persiste des îlots de cellules testiculaires. Les tableaux phénotypiques sont multiples, avec un degré de masculinisation variable en fonction de la date à laquelle la fonction testiculaire a disparu lors de l’embryogenèse. Le phénotype sera d’autant plus féminin et le diagnostic d’autant plus tardif que la dysgénésie est pure, et le phénotype d’autant plus ambigu et le diagnostic d’autant plus précoce que la dysgénésie gonadique est mixte. Ces dysgénésies gonadiques peuvent être unies ou bilatérales. Il existe essentiellement deux présentations cliniques. La dysgénésie gonadique mixte se manifeste le plus souvent à la naissance par une ambiguïté sexuelle. À l’examen, on peut retrouver un hypospadias, une absence de soudure des bourrelets génitaux... Les gonades sont le plus souvent ectopiques, situées dans les creux inguinaux, ou intra-abdominales. Le frottis buccal à la recherche de chromatine sexuelle (corpuscule de Barr) est négatif, confirmant l’absence d’un deuxième chromosome X. Il sera confirmé par le caryotype, qui nécessite un délai plus long. La génitographie et l’échographie permettront de visualiser le vagin, le rapport entre les orifices urétral et vaginal, de retrouver éventuellement une empreinte cervicale surmontée d’une cavité utérine avec présence uni- ou bilatérale de trompes. Biologiquement, on observe un taux d’AMH inférieur aux valeurs normales et un taux de testostérone bas non stimulable par l’HCG (confirmant la défaillance testiculaire). La laparotomie exploratrice permet de faire un bilan précis de la présence des dérivés müllériens et wolffiens ; elle précise l’aspect macroscopique des gonades et permet de porter un diagnostic clair par l’intermédiaire de biopsies gonadiques. Le traitement consiste en une gonadectomie prophylactique devant le risque de dégénérescence. En fonction du sexe d’“élevage” choisi, des interventions chirurgicales de plastie pourront être proposées afin de corriger les anomalies du sinus urogénital. Un traitement hormonal substitutif sera débuté à la puberté. La dysgénésie gonadique pure est diagnostiquée le plus souvent à la puberté ou à l’âge adulte. Il s’agit de la forme la plus fréquente. Le tableau clinique comporte un morphotype féminin avec aménorrhée primaire et impubérisme (hypoplasie des OGE, développement mammaire peu important, pilosité axillaire absente). La grande taille fréquemment observée s’explique par une absence de soudure des cartilages de conjugaison. À l’examen, le vagin et l’utérus sont présents, et il existe parfois une hypertrophie clitoridienne. Biologiquement, La Lettre du Gynécologue - n° 244 - septembre 1999 on observe un hypogonadisme hypergonadotrope avec un estradiol effondré (< 30 pg/ml) et une testostérone inférieure au taux normal chez la femme. Le caryotype est XY, avec possibilité de mosaïque. La cœlioscopie permet de faire un bilan précis des anomalies du tractus génital. Là encore, la gonadectomie bilatérale prophylactique est indispensable, et ce dès le diagnostic établi, devant le risque élevé de dégénérescence, qui est évalué à 25 % chez ces patientes (16 % avant 20 ans et 27,5 % avant 30 ans). Les tumeurs retrouvées sont des gonadoblastomes dans 53 % des cas, des dysgerminomes dans 19 % des cas, des gonadoblastomes associés à des dysgerminomes dans 17 % des cas et d’autres tumeurs dans 10 % des cas (choriocarcinomes, carcinome, tératome...). Ces cancers peuvent être uni- ou bilatéraux. Le traitement hormonal doit être instauré à la puberté afin de permettre un développement mammaire et de lutter contre les effets délétères de la carence estrogénique. En cas de désir de grossesse, un recours aux dons d’ovocytes est possible. L’annonce du diagnostic d’anomalie gonadique associée à un génotype masculin reste un moment délicat lors de la prise en charge de ces patientes, puisque au diagnostic de stérilité s’ajoute le diagnostic de sexe génétique masculin. Le risque d’un traumatisme psychologique majeur doit faire moduler les informations transmises aux patientes en fonction du contexte. Agénésie gonadique Elle est décrite par certains comme appartenant aux dysgénésies gonadiques XY. Il s’agit de patientes au phénotype féminin avec caryotype XY et agénésie gonadique complète, c’està-dire qu’aucune gonade n’est retrouvée à la laparotomie. Ces agénésies gonadiques s’accompagnent d’une ébauche de virilisation des OGE et d’une absence de dérivés müllériens, ce qui prouve un fonctionnement transitoire des gonades au cours de l’embryogenèse. Deux hypothèses pourraient expliquer ces observations : soit les reliquats sont passés inaperçus lors de la laparotomie, soit le fonctionnement partiel et transitoire de la gonade embryonnaire a été suivi d’une destruction totale de cette gonade. Cette destruction complète pourrait être secondaire à un trouble vasculaire, à un effet tératogène, ou encore à une anomalie génétique (existence de cas familiaux). Mâle XX La fréquence de cette anomalie est de 1/20 000 naissances. On retrouve une présentation clinique variable, avec une ambiguïté sexuelle pouvant aller jusqu’à l’hermaphrodisme vrai. Les sujets se présentent avec un morphotype masculin, une taille normale. Dans 10 % des cas, on retrouve un hypospadias ou d’autres signes d’ambiguïté sexuelle, et dans un tiers des cas une gynécomastie. Ces hommes sont stériles et présentent des testicules hypoplasiques et scléreux à l’histologie. Biologiquement, la testostérone est normale basse et les gonadotrophines sont élevées. Chez les patients sans ambiguïté sexuelle, SRY est présent dans 90 % cas. Lorsqu’il existe une ambiguïté sexuelle pouvant aller jusqu’à l’hermaphrodisme vrai, SRY n’est, le plus souvent, pas retrouvé, ce qui suggère là encore une anomalie de la cascade en aval de SRY. 39 C A S C L I CONCLUSION La dysgénésie gonadique XY est une anomalie rare du déterminisme sexuel. C’est une pathologie grave qui atteint les femmes au niveau de leur identité sexuelle et de leur capacité de reproduction. Elle doit être éliminée chez les patientes présentant une aménorrhée primaire avec impubérisme du fait des risques tumoraux élevés justifiant la gonadectomie prophylactique. L’étude de ces patientes ainsi que l’étude des mâles XX a permis la découverte du gène SRY comme facteur de la détermination testiculaire. Mais d’autres gènes sont en jeu, comme le prouve l’absence d’anomalies de SRY chez la plupart des patientes atteintes de dysgénésie gonadique. Certains d’entre eux ont été identifiés chez des patients présentant une pathologie héréditaire associée à des troubles de la détermination gonadique (SOX 9, DAX 1, SF 1, WT 1…) ; ils interviennent en amont ou en aval de SRY. Cependant, la chronologie exacte de la cascade des gènes aboutissant à la formation d’une gonade reste à définir… ■ 40 N I P O Q U R E N U S A V O E I R P L U S . . . ❒ Vilain E., McCabe E.R.B. Mammalian sex determination : from gonads to brain. Molecular Genetics and Metabolism 1998 ; 65 : 74-84. ❒ Bardoni B., Zanaria E., Guioli S. et coll. A dosage-sensitive locus at chromosome Xp21 is involved in male to female sex reversal. Nature Genetics 1994 ; 7 : 497-501. ❒ Koopman P., Gubbay J., Vivian N., Goodfellow P., Lovelle-Badge R. Male development of chromosomally female mice transgenic for SRY. Nature 1991 ; 351 : 117-21. ❒ Greenfield A., Koopman P. SRY and mammalian determination. 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