N° 32 Grammeslpacher Olivier - L`équipe Trigone CIREL

Actes du Colloque International francophone « Expérience 2012 »
Expérience et professionnalisation dans les champs de la formation et du travail ;
état des lieux et nouveaux enjeux - Lille (France)
26-27-28 septembre 2012
DES EFFETS TRANSFORMATEURS D’UN DISPOSITIF DE
VALIDATION DES ACQUIS DE L’EXPERIENCE EN
ETABLISSEMENTS ET SERVICES D’AIDE AU TRAVAIL
Olivier Grammelspacher, doctorant.
Université Lille 1-Lille 3. Laboratoire Cirel-Trigone. Lille-France
Résumé : L’idée normative selon laquelle des personnes ou des groupes sociaux
doivent être reconnus, et notamment comme compétents, est considérée à priori
comme un principe commun. Sur ce principe, une loi française appelée « Loi de
Modernisation Sociale » est apparue en 2002, faisant de la Reconnaissance et de la
Validation des Acquis de l'Expérience (RVAE) un nouveau droit individuel. Elle
permet donc notamment à des personnes en situation de handicap mental et
travaillant en Etablissements Spécialisés d'Aide au Travail (ESAT) une
reconnaissance de leurs compétences acquises dans certaines de leurs diverses
activités humaines, par l'attribution d'un diplôme ou d'un titre proposés par
diverses institutions certificatives. Ce dispositif d’évaluation des compétences vécu
par ces personnes n’est donc pas sans effets induits et produits sur eux, les
professionnels et les organisations dans lesquelles ils œuvrent. Les recherches que
je mène souhaitent montrer qu’ils sont identitaires, organisationnels et produits par
les changements identitaires.
Mots-clés : reconnaissance compétences- effets transformateurs- organisations-
identités-dynamiques identitaires
1
Introduction :
Elever la qualification et reconnaître les compétences sont des objectifs majeurs,
affirmés par l'Union Européenne, l'UNESCO et l'OCDE
1
. Partant du principe que
l’expérience est créatrice de savoirs, savoirs qui se construisent donc dans l’action
et dans la pratique, c’est par la prise en considération notamment des acquis de
l’expérience des personnes que l’on peut reconnaître leurs compétences. Pour cela,
une loi française appelée « Loi de Modernisation Sociale » est apparue en 2002, a
fondé un nouveau droit individuel, la Reconnaissance et de la Validation des Acquis
de l'Expérience (RVAE). En tant que droit, et si certaines conditions sont remplies,
la RVAE permet à des personnes, et donc à des personnes en situation de handicap
mental, une reconnaissance de leurs compétences acquises dans certaines de leurs
diverses activités humaines (professionnelles, bénévoles, militantes, familiales…)
par l'attribution d'un diplôme ou d'un titre proposés par diverses institutions
certificatives
2
.
Le fait que des personnes en situation de handicap mental en milieu protégé de
travail puissent être officiellement reconnues, notamment comme compétentes,
participe de cette nouvelle politique sociale affichée. Il s’agit de comprendre les
raisons qui expliquent cette politique.
On peut considérer trois raisons principales à cette politique de reconnaissance des
compétences à destination de ces publics. La première raison est que bon nombre
de personnes en situation de handicap mental ayant un travail disposent d’un
faible niveau d’éducation et/ou de qualification et occupent donc généralement des
emplois peu qualifiés et faiblement rémunérés. Et si, par le passé, ces personnes
étaient habituellement formées pour des emplois dans les industries primaires,
manufacturières et de production de biens, celles-ci disparaissent rapidement
3
.
1 Ces objectifs sont clairement affichés dans le traité européen de Lisbonne.
2
La reconnaissance de l’expérience professionnelle au sein des organisations n’est pas
toutefois une nouveauté : les promoteurs de la RVAE se sont inspirés des pratiques en
vigueur dans certaines entreprises depuis déjà quelques années : dans les années 30 par
exemple, le titre d’ingénieur était accessible par une validation d’acquis ; un dispositif de
Validation des Acquis Professionnels (VAP) avait déjà été instauré en en 1985 et en 1992.
2
Dans le même temps, les milieux protégés de travail, fortement liés
économiquement à ces industries, se voient par conséquent contraints à la
transformation de certaines formes de travail et d’activités et ce afin d’apporter des
réponses adéquates à de nouvelles exigences de qualité et de conformité dans un
contexte de plus en plus concurrentiel l’autonomie, la mobilité, la polyvalence et
l’interchangeabilité des personnes sont prônées dans les environnements de travail.
Telle est la deuxième raison principale à cette politique.
Enfin, à une logique de placement et de protection dans les milieux protégés de
travail qui accueillent des personnes en situation de handicap mental, s'est ajoutée
celle d'une volonté d’ouverture sur l'extérieur et les milieux ordinaires de travail.
Cette volonté d’ouverture est relayée à travers certaines revendications légitimes
notamment d’ayants droits, de parents et d’associations, de professionnels
accompagnant ces publics. Car la plupart des personnes en situation de handicap
mental en âge de travailler semblent de plus en plus exclues du marché du travail
4
.
Voici donc exprimées les trois raisons principales aux niveaux micro, meso et
macro, qui expliquent la politique européenne actuelle de reconnaissance des
compétences à destination des personnes en situation de handicap mental. C’est
parce qu’il existe un constat de « déficit en compétences
5
» des personnes en
situation de handicap mental qu’il est nécessaire de reconnaître leurs compétences.
C’est parce que la reconnaissance des compétences est un moyen pour s’adapter
dans un contexte de plus en plus concurrentiel, la qualité et la conformité des
produits et des services doivent avoir toute leur place, que des exigences
apparaissent de plus en plus fortes en matière de compétences au service des
organisations. Enfin, c’est parce que cette politique européenne se veut d’inclusion
3
L’économie libérale a délaissé progressivement ces industries au profit des industries de
service et, de plus en plus désormais, au profit des industries du savoir.
4
Si l’on considère dans le même temps l’augmentation générale du nombre de bénéficiaires
de prestations d’invalidité, les données fournies par les États membres révèlent que le
pourcentage des personnes en situation de handicap mental dans la population en âge de
travailler est important et que le taux d’emploi de ces personnes est sensiblement inférieur à
celui du reste de la population, de l’ordre de 20 à 30 %.
5
On appelle « déficit de compétences » l’inadéquation structurelle entre la nature des
compétences offertes par et celles requises par le marché de l’emploi, a été reconnu comme
l’un des problèmes clés compromettant les possibilités d’obtenir et de garder un emploi.
3
sociale
6
qu’elle pose la question de la personne en situation de handicap mental
sous l’angle de sa participation sociale dans et avec la société et de son accessibilité
aux espaces sociaux de droits communs et culturels.
Quels sont alors les effets attendus de cette politique inclusive de reconnaissance
des compétences à destination des personnes en situation de handicap mental, aux
niveaux macro, meso et micro ?
I. Les effets attendus, aux trois niveaux :
Les effets attendus de cette politique, au niveau macro, donc pour les Etats
membres de l’Union Européenne, est d’augmenter le niveau d’emploi des personnes
en situation de handicap mental. Il s’agit alors de repérer un potentiel expérientiel
ou ce que l’on appelle des pré-requis, de reconnaître les compétences par la
production notamment de standards normatifs d’évaluation) et de rendre mobiles
et disponibles ces compétences afin que ces personnes puissent participer
pleinement au marché de l’emploi.
De même, on attend des effets de cette politique qui a introduit une logique de
compétences dans le contexte juridique, social, économique du milieu de travail
protégé. Les effets attendus, au niveau meso, donc pour les organisations, sont
d’identifier les compétences, de les évaluer afin d’améliorer la qualification, la
polyvalence et la mobilité des personnes en situation de handicap mental, et ce
pour répondre à de nouvelles logiques de production et de services.
Enfin, des effets sont attendus aussi de cette politique pour les personnes en
situation de handicap elles-mêmes. Au niveau micro, Il s’agit pour eux d’auto-
identifier leurs compétences, de détenir un titre ou un diplôme et donc de
flexisécuriser leurs projets personnels et/ou professionnels.
2. D’autres effets constatés, dans cette recherche :
La reconnaissance des compétences des personnes en situation de handicap mental
est considérée donc comme un des éléments favorisant la participation sociale à un
espace commun et non plus séparé. La reconnaissance des compétences
6
La notion d’inclusion sociale doit être comprise comme l’intégration des individus qui
demandent que soient reconnues comme légitimes des attentes normatives et la prise en
compte de leurs singularités.
4
permettrait de faciliter ou de maintenir l’employabilité des personnes en situation
de handicap mental. C’est à ce titre que le nouveau droit à la RVAE est considéré
dans notre pays comme l’un des outils de la politique publique active de l’emploi et
de la formation, relançant le rôle du diplôme qui est considéré comme un standard
de la reconnaissance en France.
Mais sont-ce là les seuls effets de cette politique ? Et s’ils sont attendus, peut-on les
constater sur le terrain ? N’en existe-t-il pas d’autres ? Quels peuvent être alors
d’autres effets produits et induits d’une reconnaissance des compétences dans un
contexte de milieu protégé de travail ? Le dispositif de reconnaissance des
compétences qu’est la RVAE doit avoir d’autres effets sur les personnes en situation
de handicap mental, les professionnels et les organisations dans lesquelles ils
œuvrent, des effets autres que ceux officiellement annoncés.
La reconnaissance aujourd’hui amène à des formes de rationalisation nouvelles
relatives au traitement social de l’expérience des personnes. La Reconnaissance et
Validation des Acquis de l’Expérience (RVAE), en France, fait partie de ces
nouvelles formes, dans le domaine de l’expérience professionnelle. Or, une
intégration sociale fondée sur la reconnaissance n’est pas sans effets, pour les
individus et les organisations. L’objet de la recherche que je mène en Sciences de
l’Education porte donc sur les effets produits par la RVAE sur les individus et les
organisations, dans le champ du handicap mental en Etablissement et Services
d’Aide au Travail.
Je pose donc comme hypothèse que penser la reconnaissance aujourd’hui, posée
comme fondement de l’intégration sociale, et notamment la reconnaissance des
compétences des personnes en situation de handicap mental, n’est pas sans
d’autres effets, sur eux-mêmes et leur environnement humain de travail,
notamment les professionnels qui les ont accompagnés en RVAE, ainsi que les
organisations qui ont permis cette reconnaissance des compétences. En
l’occurrence, ces effets sont transformateurs.
3. Des effets transformateurs sur les organisations :
Etre reconnue comme une personne en situation de handicap mental s’évalue en
rapport à un environnement et donc à une norme sociale. Par exemple, une
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