N° 32 Grammeslpacher Olivier - L`équipe Trigone CIREL

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Actes du Colloque International francophone « Expérience 2012 »
Expérience et professionnalisation dans les champs de la formation et du travail ;
état des lieux et nouveaux enjeux - Lille (France)
26-27-28 septembre 2012
DES EFFETS TRANSFORMATEURS D’UN DISPOSITIF DE
VALIDATION DES ACQUIS DE L’EXPERIENCE EN
ETABLISSEMENTS ET SERVICES D’AIDE AU TRAVAIL
Olivier Grammelspacher, doctorant.
[email protected]
Université Lille 1-Lille 3. Laboratoire Cirel-Trigone. Lille-France
Résumé : L’idée normative selon laquelle des personnes ou des groupes sociaux
doivent être reconnus, et notamment comme compétents, est considérée à priori
comme un principe commun. Sur ce principe, une loi française appelée « Loi de
Modernisation Sociale » est apparue en 2002, faisant de la Reconnaissance et de la
Validation des Acquis de l'Expérience (RVAE) un nouveau droit individuel. Elle
permet donc notamment à des personnes en situation de handicap mental et
travaillant en Etablissements Spécialisés d'Aide au Travail (ESAT) une
reconnaissance de leurs compétences acquises dans certaines de leurs diverses
activités humaines, par l'attribution d'un diplôme ou d'un titre proposés par
diverses institutions certificatives. Ce dispositif d’évaluation des compétences vécu
par ces personnes n’est donc pas sans effets induits et produits sur eux, les
professionnels et les organisations dans lesquelles ils œuvrent. Les recherches que
je mène souhaitent montrer qu’ils sont identitaires, organisationnels et produits par
les changements identitaires.
Mots-clés : reconnaissance – compétences- effets transformateurs- organisationsidentités-dynamiques identitaires
1
Introduction :
Elever la qualification et reconnaître les compétences sont des objectifs majeurs,
affirmés par l'Union Européenne, l'UNESCO et l'OCDE1. Partant du principe que
l’expérience est créatrice de savoirs, savoirs qui se construisent donc dans l’action
et dans la pratique, c’est par la prise en considération notamment des acquis de
l’expérience des personnes que l’on peut reconnaître leurs compétences. Pour cela,
une loi française appelée « Loi de Modernisation Sociale » est apparue en 2002, a
fondé un nouveau droit individuel, la Reconnaissance et de la Validation des Acquis
de l'Expérience (RVAE). En tant que droit, et si certaines conditions sont remplies,
la RVAE permet à des personnes, et donc à des personnes en situation de handicap
mental, une reconnaissance de leurs compétences acquises dans certaines de leurs
diverses activités humaines (professionnelles, bénévoles, militantes, familiales…)
par l'attribution d'un diplôme ou d'un titre proposés par diverses institutions
certificatives2.
Le fait que des personnes en situation de handicap mental en milieu protégé de
travail puissent être officiellement reconnues, notamment comme compétentes,
participe de cette nouvelle politique sociale affichée. Il s’agit de comprendre les
raisons qui expliquent cette politique.
On peut considérer trois raisons principales à cette politique de reconnaissance des
compétences à destination de ces publics. La première raison est que bon nombre
de personnes en situation de handicap mental ayant un travail disposent d’un
faible niveau d’éducation et/ou de qualification et occupent donc généralement des
emplois peu qualifiés et faiblement rémunérés. Et si, par le passé, ces personnes
étaient habituellement formées pour des emplois dans les industries primaires,
manufacturières et de production de biens, celles-ci disparaissent rapidement3.
1 Ces objectifs sont clairement affichés dans le traité européen de Lisbonne.
2 La reconnaissance de l’expérience professionnelle au sein des organisations n’est pas
toutefois une nouveauté : les promoteurs de la RVAE se sont inspirés des pratiques en
vigueur dans certaines entreprises depuis déjà quelques années : dans les années 30 par
exemple, le titre d’ingénieur était accessible par une validation d’acquis ; un dispositif de
Validation des Acquis Professionnels (VAP) avait déjà été instauré en en 1985 et en 1992.
2
Dans
le
même
temps,
les
milieux
protégés
de
travail,
fortement
liés
économiquement à ces industries, se voient par conséquent contraints à la
transformation de certaines formes de travail et d’activités et ce afin d’apporter des
réponses adéquates à de nouvelles exigences de qualité et de conformité dans un
contexte de plus en plus concurrentiel où l’autonomie, la mobilité, la polyvalence et
l’interchangeabilité des personnes sont prônées dans les environnements de travail.
Telle est la deuxième raison principale à cette politique.
Enfin, à une logique de placement et de protection dans les milieux protégés de
travail qui accueillent des personnes en situation de handicap mental, s'est ajoutée
celle d'une volonté d’ouverture sur l'extérieur et les milieux ordinaires de travail.
Cette volonté d’ouverture est relayée à travers certaines revendications légitimes
notamment d’ayants droits, de parents et d’associations, de professionnels
accompagnant ces publics. Car la plupart des personnes en situation de handicap
mental en âge de travailler semblent de plus en plus exclues du marché du travail4.
Voici donc exprimées les trois raisons principales aux niveaux micro, meso et
macro, qui expliquent la politique européenne actuelle de reconnaissance des
compétences à destination des personnes en situation de handicap mental. C’est
parce qu’il existe un constat de « déficit en compétences 5» des personnes en
situation de handicap mental qu’il est nécessaire de reconnaître leurs compétences.
C’est parce que la reconnaissance des compétences est un moyen pour s’adapter
dans un contexte de plus en plus concurrentiel, où la qualité et la conformité des
produits et des services doivent avoir toute leur place, que des exigences
apparaissent de plus en plus fortes en matière de compétences au service des
organisations. Enfin, c’est parce que cette politique européenne se veut d’inclusion
3 L’économie libérale a délaissé progressivement ces industries au profit des industries de
service et, de plus en plus désormais, au profit des industries du savoir.
4 Si l’on considère dans le même temps l’augmentation générale du nombre de bénéficiaires
de prestations d’invalidité, les données fournies par les États membres révèlent que le
pourcentage des personnes en situation de handicap mental dans la population en âge de
travailler est important et que le taux d’emploi de ces personnes est sensiblement inférieur à
celui du reste de la population, de l’ordre de 20 à 30 %.
5 On appelle « déficit de compétences » l’inadéquation structurelle entre la nature des
compétences offertes par et celles requises par le marché de l’emploi, a été reconnu comme
l’un des problèmes clés compromettant les possibilités d’obtenir et de garder un emploi.
3
sociale6 qu’elle pose la question de la personne en situation de handicap mental
sous l’angle de sa participation sociale dans et avec la société et de son accessibilité
aux espaces sociaux de droits communs et culturels.
Quels sont alors les effets attendus de cette politique inclusive de reconnaissance
des compétences à destination des personnes en situation de handicap mental, aux
niveaux macro, meso et micro ?
I. Les effets attendus, aux trois niveaux :
Les effets attendus de cette politique, au niveau macro, donc pour les Etats
membres de l’Union Européenne, est d’augmenter le niveau d’emploi des personnes
en situation de handicap mental. Il s’agit alors de repérer un potentiel expérientiel
ou ce que l’on appelle des pré-requis, de reconnaître les compétences par la
production notamment de standards normatifs d’évaluation) et de rendre mobiles
et disponibles ces compétences afin que ces personnes puissent participer
pleinement au marché de l’emploi.
De même, on attend des effets de cette politique qui a introduit une logique de
compétences dans le contexte juridique, social, économique du milieu de travail
protégé. Les effets attendus, au niveau meso, donc pour les organisations, sont
d’identifier les compétences, de les évaluer afin d’améliorer la qualification, la
polyvalence et la mobilité des personnes en situation de handicap mental, et ce
pour répondre à de nouvelles logiques de production et de services.
Enfin, des effets sont attendus aussi de cette politique pour les personnes en
situation de handicap elles-mêmes. Au niveau micro, Il s’agit pour eux d’autoidentifier leurs compétences, de détenir un titre ou un diplôme et donc de
flexisécuriser leurs projets personnels et/ou professionnels.
2. D’autres effets constatés, dans cette recherche :
La reconnaissance des compétences des personnes en situation de handicap mental
est considérée donc comme un des éléments favorisant la participation sociale à un
espace commun et non plus séparé. La reconnaissance des compétences
6 La notion d’inclusion sociale doit être comprise comme l’intégration des individus qui
demandent que soient reconnues comme légitimes des attentes normatives et la prise en
compte de leurs singularités.
4
permettrait de faciliter ou de maintenir l’employabilité des personnes en situation
de handicap mental. C’est à ce titre que le nouveau droit à la RVAE est considéré
dans notre pays comme l’un des outils de la politique publique active de l’emploi et
de la formation, relançant le rôle du diplôme qui est considéré comme un standard
de la reconnaissance en France.
Mais sont-ce là les seuls effets de cette politique ? Et s’ils sont attendus, peut-on les
constater sur le terrain ? N’en existe-t-il pas d’autres ? Quels peuvent être alors
d’autres effets produits et induits d’une reconnaissance des compétences dans un
contexte de milieu protégé de travail ?
Le dispositif de reconnaissance des
compétences qu’est la RVAE doit avoir d’autres effets sur les personnes en situation
de handicap mental, les professionnels et les organisations dans lesquelles ils
œuvrent, des effets autres que ceux officiellement annoncés.
La reconnaissance aujourd’hui amène à des formes de rationalisation nouvelles
relatives au traitement social de l’expérience des personnes. La Reconnaissance et
Validation des Acquis de l’Expérience (RVAE), en France,
fait partie de ces
nouvelles formes, dans le domaine de l’expérience professionnelle. Or, une
intégration sociale fondée sur la reconnaissance n’est pas sans effets, pour les
individus et les organisations. L’objet de la recherche que je mène en Sciences de
l’Education porte donc sur les effets produits par la RVAE sur les individus et les
organisations, dans le champ du handicap mental en Etablissement et Services
d’Aide au Travail.
Je pose donc comme hypothèse que penser la reconnaissance aujourd’hui, posée
comme fondement de l’intégration sociale, et notamment la reconnaissance des
compétences des personnes en situation de handicap mental, n’est pas sans
d’autres effets, sur eux-mêmes et leur environnement humain de travail,
notamment les professionnels qui les ont accompagnés en RVAE, ainsi que les
organisations
qui
ont
permis
cette
reconnaissance
des
compétences.
En
l’occurrence, ces effets sont transformateurs.
3. Des effets transformateurs sur les organisations :
Etre reconnue comme une personne en situation de handicap mental s’évalue en
rapport à un environnement et donc à une norme sociale. Par exemple, une
5
personne en situation de handicap mental handicap mental se caractérise par une
variation importante de son développement intellectuel7.
Cela veut dire que les caractéristiques individuelles de la personne entrent en ligne
de compte certes, mais aussi celles plus générales de son environnement.
Une
démarche de reconnaissance des compétences des personnes en situation de
handicap mental signifie qu’au-delà d’aspects lésionnels et fonctionnels (en termes
d’altérations) du handicap mental, les aspects situationnels soient abordés8. Cela
veut dire donc qu’une démarche de reconnaissance des compétences des personnes
en situation de handicap mental doit avoir d’autres effets que ceux attendus, sur
les organisations. On sait que la notion de situation de handicap se distingue de la
notion de situation9, dans le sens où elle est un type de situation ayant une
structure
complexe
de
contraintes
fortes,
ceci
pouvant
entraîner
une
disqualification de la personne, l’empêchant ainsi pleinement d'être accepté par la
société. Une démarche de reconnaissance des compétences des personnes en
situation de handicap mental dans les environnements du travail protégé nécessite
donc notamment un aménagement plus adapté qui permette à la fois aux
personnes en situation de handicap mental d’exploiter leurs potentiels et qui puisse
répondre aussi aux exigences nouvelles liées à la production et aux services. Des
aménagements et des adaptations ont nécessairement eu lieu. Ces aménagements
et ces adaptations ont dû avoir des effets également sur les organisations en place,
les pratiques et les activités. Cette recherche souhaite caractériser ces effets
organisationnels.
7 Cette variation entraîne généralement très tôt des difficultés d'apprentissage à l'école. La
perturbation des capacités de perception, d'attention, de mémoire et de pensée, va entraîner
des difficultés à organiser et structurer le raisonnement qui se transforment en retards
scolaires qui viennent vite perturber d'autres aspects du développement de la personnalité
et du processus global d'intégration sociale de la personne. Il est à noter que cette variation
importante du développement intellectuel a des conséquences variables selon les individus,
les familles, le tissu social.
8 Tel est le sens de la définition du handicap dans la loi française de 2005 : « constitue un
toute limitation d’activité, ou restriction de la participation de la vie en société subie dans
son environnement par une personne en raison d’une altération substantielle, durable ou
définitive d’une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales, cognitives ou
psychiques, d’un polyhandicap ou d’un trouble de santé invalidant ». On peut ainsi
considérer que le handicap permet de juger de l’autonomie d’une personne (caractérisée par
sa limitation d’activité ou sa restriction de participation de la vie en société).
6
3. Des effets transformateurs sur les organisations :
4. Des effets transformateurs sur les identités :
Mais poser une réflexion portant sur la reconnaissance des compétences des
personnes en situation de handicap mental renvoie également à envisager d’autres
effets, et en deuxième lieu, des effets identitaires. Les identités sont des
constructions sociales. Elles sont définies par la personne et par autrui ; elles le
sont aussi dans l’activité de ces personnes, et de façon située. L'image positive que
l’on peut avoir de soi dépend du regard, des jugements et des comportements
d'autrui à notre égard. S'appuyant en particulier sur les travaux de George H.
Mead10, Axel Honneth soutient que l'idée que se fait une personne de sa propre
valeur se constitue par le rapport à autrui. C'est la raison pour laquelle nous
restons toujours en attente de reconnaissance dans les interactions sociales. On
sait par exemple, depuis cet auteur, dans son livre : « La Lutte pour la
reconnaissance », que la reconnaissance a des effets identitaires dans trois sphères
sociales distinctes11. Peut-on constater par exemple des effets identitaires sur ces
personnes en situation de handicap mental, reconnues comme compétentes ?
constate-t-on par exemple un effet positif sur le contrôle de soi de ces personnes12 ?
Dans son livre, « les usages sociaux des handicaps», Erving Goffman pose que tout
membre d’une société est doté d’une identité sociale, à deux facettes : l’identité
réelle d’un individu, ce qu’il est, et l’identité sociale virtuelle d’un individu, ce qu’il
9 Il faut concevoir la situation comme un cadre de l’action et un cadre pour l’action. Comme
cadre de l’action, la notion de situation nomme une forme typique d’environnement qui
organise a priori l’action ; elle pré-existe à l’engagement des personnes dans l’activité sociale
(une rue, à traverser). Comme cadre pour l’action, la notion de situation renvoie à ce qu’une
personne est en mesure de concevoir dans les limites d’un possible inscrit dans cette
situation (puis-je la traverser ?). La situation est donc conçue comme une structure
complexe de contraintes, exerçant un contrôle sur l’expérience, et dont les éléments sont
contenus dans une certaine normalité caractérisée par des propriétés matérielles et
conceptuelles, et qui définissent les formes de l’activité pratique et les attentes qu’elle
suscite (traverser la rue en question) qu’il faut comprendre la situation. La situation opère à
la manière d’un filtre qui fournit des critères d’identification et d’attribution. Le nombre et la
complexité de contraintes qu’un type de situation fait peser sur un individu va le distinguer
d’autrui.
10 Mead G. H. : « L’Esprit, le soi et la société », PUF, 1986.
11 Honnett A. : « La Lutte pour la reconnaissance », Cerf, 2000 : la première sphère est celle
de l'intimité. La deuxième sphère porte sur les relations juridiques. La troisième et dernière
sphère concerne la contribution de nos activités individuelles au bien de la société.
7
devrait être. Il y a stigmate13 lorsqu’il existe un désaccord entre ces deux facettes. La
recherche que je mène souhaite montrer qu’il existe des effets identitaires produits
par cette démarche de reconnaissance des compétences sur les candidats qui ont
obtenu leur VAE (en lien avec le stigmate dont parle Erving Goffman).
De même, à la logique de filière s’est substituée la logique de parcours pour les
personnes en situation de handicap mental. En cela, elle nécessite que les
frontières entre le champ du travail protégé et celles du milieu ordinaire de travail
s’en trouvent redéfinies. Cette logique passe par un décloisonnement des services et
institutions spécialisées. La recherche que je mène veut montrer que ce dispositif de
VAE a produit des effets identitaires sur les professionnels qui accompagnent ces
personnes (moniteurs d’ateliers, responsables éducatifs et de formation).
5. Des effets transformateurs sur les dynamiques identitaires :
La reconnaissance contribue à la fois à la création de la valeur des projets d’une
personne et à la constitution du sentiment de confiance dans ses capacités pour les
mener à bien. L'identité d’une personne n'est pas une donnée figée, constituée une
fois pour toutes. On peut la voir certes comme un état. Mais la considérer
seulement comme un état peut amener le risque de la réifier, de la figer (avec
des dérives qui peuvent être par exemple la stigmatisation de personnes). L’identité
est aussi mouvement14. Les identités sont à voir comme des constructions15 et non
comme des états.
12 A ce propos, le handicap mental est reconnu spécifiquement dans la loi de 2005 : il
nécessite spécifiquement
fortement imbriqués l'un
rencontre avec le monde
recul peut engendrer des
comportements excessifs,
a du mal à verbaliser.
d'être considéré sous deux aspects, individuel et social, très
dans l'autre, la fragilité de la personne le conduisant à vivre la
extérieur comme une menace pour son intégrité. Le manque de
difficultés de contrôle de soi, des émotions. On peut observer des
qui expriment ce que la personne en situation de handicap mental
13 « Tout attribut personnel dont la présence suscite, dans l’esprit de celui qui le relève, un
doute à propos de l’adéquation entre les identités sociales virtuelle et réelle d’un
interlocuteur est un stigmate », in E. Goffman, Stigmate : les usages sociaux des handicaps,
Paris, édition de minuit, 1975. Il faut considérer un attribut à la fois comme une
caractéristique personnelle (une marque physique, un trait de caractère, un détail de vêture,
une forme d’expression verbale, un handicap) et un certain type de relation avec une
identité sociale pré-définie, un stéréotype. C’est quand il y a inadéquation entre les deux
que cet attribut prend valeur de stigmate, ce qui entraîne, par voie de conséquence, s’il se
répète de façon répétée et durable, un processus d’exclusion sociale de la personne qui
devient alors stigmatisée.
8
L’identité est donc à considérer dans son évolution, de façon dynamique, comme un
processus permanent de construction, déconstruction, reconstruction. Si on ne
peut dissocier la reconnaissance des compétences à destination des personnes en
situation de handicap mental d’effets identitaires (produits, induits ?) sur ces
publics et les professionnels qui les ont accompagnés dans ce dispositif de RVAE, il
s’agit alors d’envisager d’autres effets, en troisième lieu, par contre coup : il s’agit
d’effets produits par des changements identitaires (en termes de stratégies, de
dynamiques identitaires) pour les personnes en situation de handicap mental et les
professionnels qui les ont accompagnés dans le dispositif.
Les dynamiques identitaires sont constituées de l'ensemble des tensions et des
interactions entre les différentes composantes de l'identité16. Elles expriment
l'orientation identitaire dans laquelle se trouve une personne à un moment donné
de sa vie. On peut par exemple être dans une dynamique identitaire professionnelle
différente de celle qu’on a dans le champ familial ou dans le champ social. C’est la
raison pour laquelle parfois on peut se retrouver dans des conflits identitaires ;
certains projets peuvent être en conflit ou en tension avec d’autres (par exemple,
entre le projet personnel d’une personne et son projet professionnel, ou entre son
projet familial et son projet de vie). La recherche que je mène souhaite montrer des
effets sur les dynamiques identitaires des personnes candidates à la VAE et des
professionnels qui les ont accompagnés.
6. Question centrale de recherche :
Cette recherche que je mène en Sciences de l’Education a pour but d’identifier ces
effets, de comprendre comment ils interagissent et les transformations opérées sur
14 « Relevant d’un cheminement et non d’une clôture, l’identité n’est pas la somme
juxtaposée ou le résultat cumulatif de l’ensemble des expériences d’une vie, mais un
étant en constant devenir. Il s’agit d’un remaniement permanent ». (Broda, 1990).
15 « (…) avec différentes facettes, subjectives et objectives : elles sont définies par les
personnes elles-mêmes, par autrui, mais aussi dans l’activité de ces personnes et de façon
située ». (J.M Barbier, 2006).
16 Mokhtar Kaddouri, in la revue « Recherche et Formation » N° 31, pages 101-112. 1999
9
les personnes et les organisations du fait de leur engagement dans cette action de
VAE. Ma question centrale de recherche porte donc sur la question suivante : quels
sont
les
effets
transformateurs
qui
interagissent
dans
le
dispositif
de
Reconnaissance et de Validation des acquis de l'Expérience pour les personnes en
situation de handicap mental, les professionnels qui les accompagnent et les
organisations qui les accueillent ?
Je pose donc comme hypothèse centrale que des effets existent, que ces effets sont
transformateurs, qu’ils interagissent entre eux et qu’ils sont de trois ordres :
-
ils sont identitaires pour les personnes en situation de handicap mental qui
ont
-
obtenu
une
reconnaissance
de
leurs
compétences
et
les
professionnels qui les ont accompagnés ;
ils sont produits par des changements identitaires pour les personnes en
situation de handicap mental qui ont obtenu une reconnaissance de leurs
-
compétences et les professionnels qui les ont accompagnés.
ils sont organisationnels pour les structures en milieu protégé de travail qui
accueillent ces personnes en situation de handicap mental.
Cette recherche est en cours d’exploitation de données recueillies à partir
d’interviews réalisées dans 7 ESAT auprès de 10 candidats qui ont obtenu un titre
d’Agent de Fabrication Industrielle (AFI) et de 6 candidats qui ont obtenu le titre
d’Ouvrier du Paysage (OP) par la VAE ainsi que de 13 professionnels qui les ont
accompagnés.
7. De quelques résultats dans cette recherche :
La VAE a eu un effet mobilisateur qui perdure encore aujourd’hui, sur les publics
(professionnels et candidats). Elle fait de la VAE un outil socio-éducatif important,
pour toutes les personnes interrogées (candidats et professionnels).
Des liens entre des tensions identitaires (entre le soi actuel et le soi idéal visé) et
l’engagement en VAE existent17. A ce jour, certains candidats travaillent hors murs.
D’autres qui sont restés ne désespèrent pas d’en sortir. Quant à ceux qui désirent
17 In BARBIER Jean-Marie, BOURGEOIS Étienne, de VILLERS Guy, KADDOURI Mokhtar
(2006). Constructions identitaires et mobilisation des sujets en formation, Paris : Ed.
L’Harmattan.
10
rester en ESAT, le fait d’avoir une VAE assoit, légitime leur place dans l’organisation
du travail. Certains sont devenus des référents qui accompagnent d’autres
travailleurs handicapés en tutorat sur des postes de travail. Elles sont sur des
postes stratégiques dans les chaînes de production. Ces formes de reconnaissance
qui, si elles sont d'ordre symboliques, n'en sont pas moins réelles et signifiantes et
engagent les personnes à de nouvelles responsabilités. Ceci amène à penser que la
VAE peut se concevoir, certes, comme un outil d’ascension sociale mais aussi
comme un outil de reproduction sociale.
Les trois formes de la reconnaissance identifiées par Axel Honneth et qui sont la
confiance en soi, l’estime de soi et le respect de soi, se trouve valorisée et/ou
confortée par cette démarche de VAE. Tous les candidats interviewés ont le
sentiment de compétence et sont fiers d’avoir obtenu un diplôme. « Avant, j’étais un
travailleur handicapé. Maintenant, je suis Agent de Fabrication Industrielle ». Cette
définition de soi, recueillie auprès d’un candidat qui a obtenu sa VAE, caractérisée
par l'identité professionnelle et plus par l'identité de travailleur handicapé exprime
mon propos. Ce nouvel outil qu’est la VAE permet d’apporter un titre au travailleur
handicapé, et participe à la construction d'une identité professionnelle, au-delà des
aspects fonctionnels, situationnels ou lésionnels de la personne.
Ce titre agit comme un signal pour l’autre. On peut parler ainsi d’un certain
contrôle de l’information sociale par le candidat, qui se transmet à travers des
symboles, de nouveaux attributs. Au-delà du signal, la VAE tendrait à diminuer
l’écart entre identité virtuelle et identité réelle, atténuant certains signes
qui
pourraient être révélateurs d’un stigmate. On peut donc considérer que la VAE
participerait d’un effet dés-identificateur du stigmate. Cela rejoint l'ambition et
l'esprit de la loi de 2005, dans laquelle le handicap est pensé comme lié à son
environnement, devenant ainsi donc une caractéristique davantage conjoncturelle
que structurelle de l'individu18. La VAE aurait des effets positifs sur l’identité (sur la
perception que l’on a de soi-même, le concept de soi (ce dont on a conscience), la
représentation de soi, l’image que l’on a de soi-même, la présentation de soi19.
18 Tabaoda-Leonetti C. : « Stratégies identitaires et minorités », in Camilleri C. et al. ,
« Stratégies identitaires », Paris, PUF, 1990, pages 43 à 89.
11
On peut signaler enfin que l’opportunité de « sortir d’une situation de handicap » se
présente. Une partie des candidats déclarent qu’ils se sont engagés dans la
démarche avec l'espoir qu'elle leur permettrait de « sortir de l'ESAT ». Cette
représentation est en décalage avec le projet associatif, la VAE intervenant dans un
processus de professionnalisation qui avait été conçu pour des travailleurs dont on
pensait qu'ils ne pourraient pas sortir de l'ESAT. Dans la logique institutionnelle, la
VAE n’était pas visée en soi, mais la professionnalisation et la reconnaissance de
l'expérience et des compétences. Cette expérience illustre les liens qui peuvent
exister entre une entrée en formation, un engagement en formation
et les
dynamiques identitaires des personnes.
Conclusion
Notre société est caractérisée par des exigences de plus en plus fortes en matière de
qualification professionnelle au service des organisations. Toutefois, l’évaluation des
compétences (comme un dispositif tel que la VAE) peut être considérée comme un
instrument de valorisation des individus permettant de répondre à certaines
aspirations à leur reconnaissance, et notamment dans des contextes identifiés
d'exclusion. La VAE permettrait peut-être alors de sortir à terme certaines
personnes en situation de handicap de cet état de « suspension sociale ».
Mais, si elle constitue une forme institutionnalisée de valorisation de l'expérience, la
VAE n'en est pas la seule modalité en ESAT. L’enjeu ne porte pas tant sur la
technicité des gestes professionnels que sur le cheminement. Construire des
19 Cela renvoie aux réflexions du modèle de la socialisation de Dubar (1991) qui place la
reconnaissance des compétences et des images de soi en tant que noyau dur des identités
revendiquées. Ce modèle décrit les stratégies identitaires comme reposant sur l'interaction
entre deux processus : l'identité pour autrui et l'identité pour soi. Ces stratégies mettent en
jeu des transactions relationnelles (mise en relation des identités attribuées-proposées et
des identités assumées-incorporées) et des transactions biographiques (mise en relation des
identités héritées et des identités visées).
12
parcours par capitalisation avec une progression pédagogique (notamment avec le
décret français de 2009 relatif à la Reconnaissance des Acquis de l’Expérience –
RAE - dans le champ du handicap), permettrait une ouverture plus large au public
que les épreuves de synthèse exigées pour la VAE, qui ne semblent pas accessibles
au plus grand nombre.
13
Bibliographie :
Barbier J.M, Bourgeois E, Kaddouri M, De Villers G. (2006). Constructions
identitaires et mobilisation des sujets en formation. Paris, L'Harmattan.
Dubar
C.
(1991).
La
socialisation,
construction
des
identités
sociales
et
professionnelles. Paris, Armand Colin.
Goffman, E. (1975). Stigmate : les usages sociaux des handicaps. Paris : Edition de
Minuit.
Honnett A. (2000). La Lutte pour la reconnaissance. Cerf.
Kaddouri M. (avril 2003) in la revue : Recherche et formation, INRP, N° 31, pages
101-112.
Mead, G.H. (1963). L’esprit, le soi et la société. Paris, PUF.
Tabaoda-Leonetti C. (1990). Stratégies identitaires et minorités, in Camilleri C. :
Stratégies identitaires, Paris, PUF, pages 43 à 89.
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