gestions hospitalières n° 510 - novembre 2011 [dossier] 589
MOTS CLÉS
i, pour le philosophe André Comte-Sponville, « la
valeur n’est pas vraie et la vérité n’a pas de va-
leur (1) », il est essentiel de réaffirmer la distinction
opérée par le philosophe David Hume dans son
acception bipolaire du is (ce qui est) et du ought (ce qui
devrait être). La structuration et l’écriture du projet de
soins de la direction des soins des hôpitaux de Toulouse ne
pouvaient s’envisager sans cette distinction ; il était indis-
pensable d’avoir accès à « ce qui est» pour décider demain
« ce qui devrait être » en essayant d’apporter des réponses
à ces questions… D’où viennent ces valeurs qui sous-tendent
au quotidien nos gestes professionnels et témoignent de
leur qualité ? Comment les concilier au sein d’une institution
hospitalière (dans un contexte de réformes fondamentales)
alors qu’elles relèvent d’univers différents, de logiques dia-
logiques, contradictoires et/ou complémentaires? Quels im-
pacts ont-elles sur l’implication organisationnelle des pro-
fessionnelsde santé?
Définir ces valeurs professionnelles et institutionnelles, c’est
déjà porter un projet en soi en termes de prise de conscience.
Repérer ces valeurs, c’est aussi inscrire son projet de soins
dans la recommandation 6-4 Développer et promouvoir un
management d’établissement axé sur la bientraitance des
patients et la qualité de vie au travail des professionnels
du rapport «Promouvoir la bientraitance dans les établisse-
ments de santé(2) ».
La recherche présentée ici, dans sa visée décisionnelle, tente
de répondre à l’hypothèse selon laquelle l’implication organi-
sationnelle d’un sujet (le professionnel de santé) pour un objet
(le travail) est la relation qui existe entre
cet objet et le système central des va-
leurs du sujet en termes d’adhésion aux
buts, normes et valeurs de l’institution.
Elle poursuit une double approche:
comprendre les «savoir agir » en action
sur le terrain et identifier l’impact des
valeurs professionnelles sur l’implication
organisationnelle des acteurs de santé
en termes de distinction et repères.
Revue de littérature
Dans le domaine de la psychologie du
travail, une grande importance est ac-
cordée à la notion de valeurs au travail.
Cette importance est due essentielle-
ment à trois éléments :
»les valeurs désignent des principes de
vie relatifs aux finalités d’existence et
aux manières d’agir socialement désira-
bles (3). Dans cette optique, les valeurs
sont des croyances liées aux affects et
aux sentiments;
»les valeurs font référence à des espoirs
individuels. Elles sont liées non seule-
ment au concept d’intérioridu sujet
(son histoire, ses croyances, ses repré-
sentations) mais aussi à une dimension
sociale en tant que produit du fait social
comme les relations interpersonnelles,
les appartenances sociales, la position
sociale (statut, rôle);
»les valeurs transcendent les actions
et les situations spécifiques. Elles sont
liées de façon cohérente aux choix et
Nadia PÉOCH
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Christine CEAUX
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Direction des soins,
hôpitaux de Toulouse
MOTS CLÉS
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VALEURS PROFESSIONNELLES
Un projet de soins inscrit
dans la bientraitance
S
«La valeur n’est pas une vérité, la vérité n’est pas une valeur
mais les deux existent séparément. Il y a d’un côté ce qui relève
de la connaissance, de la vérité: deux et deux font quatre, la Terre tourne
autour du Soleil ; de l’autre, ce qui relève de la valeur, de la morale,
c’est-à-dire de jugements individuels. » André Comte-Sponville, 1994
590 [dossier] n° 510 - novembre 2011 gestions hospitalières
l’implication, l’engagement, qui interagissent. Une implication
qui, si elle repose sur un engagement du sujet, entraîne des
comportements et des attitudes (psychologiques, affectives
et cognitives) propres à chaque individu.
Une recherche décisionnelle
Échantillon
Notre étude monocentrique a été réalisée au cours de l’année
2010 auprès d’une cohorte ouverte de professionnels de santé,
toutes filières confondues (hors personnel médical), travail-
lant au sein des hôpitaux de Toulouse, à un instant T0, « ici
et maintenant ». L’échantillon repose sur 1 538 répondants
(17 % d’hommes vs 83 % de femmes).
Procédure et matériel
Le recueil des données s’est fait à l’aide d’un questionnaire
autoadministré composé de deux parties:
»les variables illustratives : cette période explore les déter-
minants sociaux et culturels (sexe, âge, catégorie sociopro-
fessionnelle) et les variables contextuelles (secteur de soins
et pôle clinique, rythme de travail et ancienneté dans l’exer-
cice professionnel [variable prépondérante dans l’implication
organisationnelle]);
»les variables actives:
- perception individuelle du professionnel de santé sur sa mo-
tivation au travail : les questions reprennent les indicateurs
subjectifs, individuels, parfois émotionnels spécifiques au
travail et à la personne concernée,
- impacts probables des attributs du travail sur la motivation ;
cette partie repose sur un recueil d’attitudes dans la lignée
des travaux de Spry, Cripps et Hailstone (6) et de leur ques-
tionnaire de motivations (MQ). Ce questionnaire évalue dix-
huit dimensions comme le rythme de travail, la réalisation
d’objectifs, la reconnaissance, l’intérêt du travail…,
- regards portés sur les valeurs professionnelles et l’implication
organisationnelle : cette partie utilise un canal d’informations
qualitatives, les témoignages construits par les scripteurs
eux-mêmes (7) sur les valeurs professionnelles qui leur pa-
raissaient essentielles. Dernier item du questionnaire : Parmi
les valeurs qui vous paraissent essentielles, choisissez-
en une et dites pourquoi elle fait sens pour vous.
Au total, 3 940 questionnaires ont été distribués auprès de
vingt-cinq cadres supérieurs de santé au sein des différents
pôles – cliniques, médico-techniques, prestataires, biolo-
gie qui ont assuré respectivement la passation auprès des
cadres de santé de leurs unités. Les procédures de passation
de l’outil de recueil des données ont respecté l’organisation
du temps de travail, l’anonymat et la confidentialité des
informations recueillies.
Le corpus des données a bénéficié d’une double analyse
quantitative vs qualitative. Les variables continues ont été
exprimées en moyenne, médiane et écart type. Les variables
nominales ont bénéficié d’une analyse de corrélation (coef-
ficient de corrélation rde Bravais Pearson) et le discours
d’une analyse qualitative. Les tests statistiques ont été consi-
dérés comme significatifs si le niveau critique était inférieur
à 5% (p. 05).
aux actions des personnes dans un
contexte socioprofessionnel en fonction
des situations, des paramètres de l’en-
vironnement.
Le concept d’implication organisation-
nelle fait l’objet d’une multitude de tra-
vaux de la part des chercheurs comme
des praticiens. Pour Allen et Meyer(4),
l’implication professionnelle se définit
comme « un attachement affectif ou
émotionnel envers l’organisation tel
qu’un individu fortement impliqué
s’identifie, s’engage et prend plaisir
à être membre de l’organisation qui
l’emploie». Ces auteurs ont défini les
attributs de l’implication organisation-
nelle et distinguent:
»l’implication affective: le sujet reste
dans l’organisation par volonté. Il ex-
prime vis-à-vis de l’institution un atta-
chement émotionnel et un engagement
sous la forme d’une volonté active et
positive;
»l’implication calculée, qui fait réfé-
rence à la perception par le sujet des
coûts liés à son départ de l’organisation;
»l’implication normative: le sujet reste
travailler dans l’organisation par obligation
en termes de loyauté, de devoir moral
ou pour finaliser un projet dans lequel
il est engagé.
En France, le concept d’«implication
organisationnelle » a été précisé par
les recherches de Thévenet et
Neveu (5). Thévenet définit l’implica-
tion comme « une notion qui traduit
et explicite la relation entre la per-
sonne et son univers de travail ». Le
sentiment d’utilité, de contribution à
un projet commun constitue le socle
d’un engagement fort de l’individu.
Ainsi, l’implication organisationnelle
psente des variables, comme les valeurs,
NOTES
(1)53:+ 654</22+Valeur
et vérité. Études cyniques"
(2) '6658:8+3/9+40'4</+8
I%'</+8+8:8'4*3/4/9:8+*;!8'<'/2
*+23625/+:*+2' '4:J
(3) 51+').The Nature of human
values8++8+99+=&581
 ).='8:@BL+9<'2+;89*+('9+
*+2'6+89544+!.J58/+3+9;8+9
+:'662/)':/549LDRevue française
de sociologie<52
66
(4) +?+822+4 3/:.
A533/:3+4::558-'4/@':/549'4*
5));6':/549+>:+49/54'4*:+9:5,'
:.8++)53654+4:)54)+6:;'2/@':/54C
Journal of Applied Psychology
<52
(5) +<+;!.+<+4+:
L’Implication au travail, #;/(+8:
gestions hospitalières n° 510 - novembre 2011 [dossier] 591
Les résultats les plus significatifs
Aides-soignants et auxiliaires de puériculture
La classification a mis en évidence cinq profils de discours avec
un taux d’analyse du corpus de 73,95%.
L’articulation entre les valeurs relatives à la «bienveillance »
et à la « tradition» (8) montre une implication du sujet en lien
avec l’importance accordée au dévouement envers le groupe
d’appartenance (l’endogroupe). La bienveillance met l’accent
sur le souci du bien-être collectif et de la cohésion d’équipe.
In fine, le salaire corrélé à l’implication calculée serait éga-
lement corrélé avec la dimension attitudinale liée au souhait
d’une reconnaissance. L’attitude qui fait l’objet d’une forte
adhésion concerne la dimension reconnaissance Recevoir des
signes de reconnaissance par rapport à mes réalisations
(moy = 4,529); 36 % de l’échantillon souhaite s’épanouir dans
le cadre de l’activité professionnelle.
Les valeurs professionnelles s’articulent autour de trois
dimensions:
»la question du soin: exigibilité de l’écoute (classe1, X²
moyen: 5,88); qualité au service de l’art soignanttoutes
ces menues choses (classe3, X² moyen: 6,63).
L’écoute est une valeur essentielle du respect de l’autre, ce der-
nier étant considéré comme une personne singulière en son
existence. Rencontré sur le mode du respect, de l’humilité, de
la dignité, l’éveil à l’autre dans son identité indiscernable oblige
à l’efficience du soin. La sollicitude et l’altérité convoquent
l’écoute dans une affirmation prescriptive, dans une interpellation
mutuelle de la personne soignée, des familles, des collègues.
Elle est désignée dans la nécessité de la réciprocité. La valeur
du soin est convoquée en tant qu’art soignant. Trois signes
distinctifs concernent ces professionnels: ancienneté dans
l’activioscillant entre six et dix ans (X² = 6,19), sexe féminin
et âge variant entre 50 et 60 ans;
»la cohésion d’équipe: esprit d’équipe, un accomplisse-
ment (classe 2, moyen: 7,76); ambiance d’une équipe…
sa fonction d’unification (classe 4, moyen: 10,32).
En posant l’«esprit d’équipe» comme une valeur et non comme
une donnée abstraite, le sujet accorde de l’importance à la so-
lidarité, l’entraide, la communication et le partage. Ce sont
tous les autres, notamment les pairs, qui constituent l’entourage
de la rencontre et la base de l’interrelation. L’équipe est en-
trevue dans son acception de collectif. Les intérêts du groupe
doivent prévaloir sur les intérêts individuels et personnels.
L’entraide, le respect et la valorisation des différences et des
compétences multiples, la synergie et le soutien mutuel sont
autant de valeurs exprimées.
Les variables illustratives de ces classes
présentent un sujet épistémique dont
l’âge varie de 21 à 30 ans et l’ancienneté
est de moins de cinq ans (X² = 6,55);
»l’identité sociale (identiindividuelle
et professionnelle) : à la source du
manque… la reconnaissance (classe 5,
moyen: 5,43).
La valeur centrale est la reconnaissance
(X² = 6,16) dans sa légitimité et le sou-
hait d’être reconnu. Cette reconnais-
sance est entrevue sous la forme d’un
manque (X² = 11,84), notamment de la
part du personnel médical (X² = 14,83).
Dans la conception arendtienne, l’in-
dividu n’existe jamais au singulier.
Le sujet épistémique de cette classe
évoque le peu de visibilité sociale des
acteurs aides-soignants. Ce qui est évo-
qué ici, c’est la reconnaissance du lien
proprement humain au fondement de
tout agir soignant.
Infirmiers et infirmiers scialis
L’analyse logicielle a fait apparaître qua-
tre classes lexicales distinctes avec un
taux d’analyse du corpus de 80,38 %.
On distingue ici une corrélation positive
forte (rde Bravais Pearson = 0,520 à p. 05)
au niveau de deux dimensions. Les sujets
qui adhèrent fortement à la dimension
progression de carrière Entrevoir au sein
de mon institution des possibilités
d’avancement, des veloppements de
carrière (moy=4,339) adhèrent égale-
ment de manière positive à la dimension
alisation d’objectifs Surmonter des -
fis ambitieux et Être stimulé en tant
qu’individu (moy = 3,986); 60% de
l’échantillon souhaite s’épanouir dans le
cadre de l’activité professionnelle. Le
continuum entre les valeurs relatives à la
«bienveillance» et à la «stimulation»(9)
montre une implication en lien avec le sou-
hait de aliser un travail varié et enthou-
siasmant tout en relevant de nouveaux
NOTES
(6)  68?8/669'/29:54+
The psychometric Pocket Book
5;:.658:;(2/9.+*'4'-+3+4:
5)1+:5519
(7) /)F;8Temps et récit
+ +;/2
(8)  ).='8:@BL+9<'2+;89
*+('9+*+2'6+89544+!.J58/+
3+9;8+9+:'662/)':/549LDop. cit.
Catégorie socioprofessionnelle n Femme Homme Moyenne d’âge Écart type Étendue de n
Auxiliaires de puériculture et aide-soignant 594 503 91 40,64 9,28 [19 - 60] ans
Infirmiers et infirmiers spécialisés (puéricultrice, Ibode, Iade) 673 574 99 36,31 10,11 [21 - 59] ans
Diététiciens, masseurs kinésithérapeutes, manipulateurs
d’électroradiologie médicale 66 46 20 46,28 10,79 [22 - 60] ans
Techniciens de laboratoire et préparateurs en pharmacie 115 83 32 41,93 12,47 [21 - 61] ans
Cadres de santé 90 75 15 46,14 8,22 [31 - 63] ans
TABLEAU 1
Caracristiques de l’échantillon étudié (n = 1538)
592 [dossier] n° 510 - novembre 2011 gestions hospitalières
sein de ladite équipe. Le sujet épistémique de cette classe de
discours construit sa propre vision des valeurs à travers celle
des autres, par l’intermédiaire de la collaboration et de l’enri-
chissement (X² = 10,25) des échanges comme produit social de
l’interaction. Cette collaboration qui émane des interactions au
sein du groupe alimente la flexion, mais aussi l’épanouissement
au travail. L’organisation du service en tant que «modalités or-
ganisationnelles» de la structure (ici l’unide soins) est convo-
quée comme nécessaire et indispensable. Les sujets types ne
parlent pas de juxtaposition des compétences, mais plus du
principe de pluriprofessionnalité et d’interdisciplinarité, voire
de compétences collectives pour une action commune à l’en-
semble: la prise en charge des personnes soignées.
Dtéticiens, masseurs kisithérapeutes,
manipulateurs d’électroradiologie médicale
L’attitude qui fait l’objet d’une forte adhésion (> 4,5: extrême-
ment motivant) se réfère à la dimension reconnaissance
Recevoir des signes de reconnaissance par rapport à mes
réalisations (moy = 4,455). À un degré moindre, on retrouve
les dimensions telles que l’affiliation Rencontrer les autres,
avoir des contacts et échanger avec d’autres personnes au
travail (moy = 4,424).
Pour 53 % de l’échantillon total, les valeurs essentielles sont
orientées autour de l’épanouissement dans l’activité profes-
sionnelle, le développement personnel et l’autonomie entrevue
en tant que souhait. À l’inverse des deux groupes précédents,
celui-ci met en exergue le continuum entre les valeurs relatives
à l’«autonomie» et à la «sécurité»(10). L’autonomie, avec ce
souhait de créer, d’explorer et de proposer. Il est intéressant
de rappeler que, pour Schwartz, l’autonomie est ancrée dans
les besoins vitaux de contle et de maîtrise. Quant au sentiment
d’appartenance et ce souhait d’échanger avec d’autres personnes
au travail, ils traduisent la dimension affective de l’implication
en termes de souhait d’harmonie et de stabilité de l’activité,
mais également des relations intergroupes et entre individus.
Techniciens de laboratoire et préparateurs en pharmacie
Les attitudes qui font l’objet d’une forte adhésion (> 4,5: extrê-
mement motivant) se réfèrent aux dimensions telles que le confort
et la sécurité Travailler dans des conditions de travail sécu-
risantes en termes d’ergonomie, de curi de l’emploi (moy
= 4,261), le développement personnel Apprendre et me former
pour acquérir de nouvelles compétences (moy = 4,339) et l’af-
filiation Rencontrer les autres, avoir des contacts et échanger
avec d’autres personnes au travail (moy = 4,209). Il existe
aussi une corrélation positive forte entre la dimension rémuné-
ration Avoir un salaire relà l’atteinte de mes objectifs et à
la performance et la dimension progression de carrre Entrevoir
au sein de mon institution des possibilités d’avancement,
des veloppements de carrière (r = 0,586 à p. 05). Pour 34%
de l’échantillon total, la valeur exprimée en termes de priorité
(cotée 1) est la reconnaissance de la compétence et de l’activi
professionnelle qualifiée de stressante (X² = 8,532 à p. 01) et d’in-
visible. Le terme «valorisation» vient en deuxme, notamment
la valorisation des activités afférentes aux soins, essentielles et
utiles «même de loin» à la prise en charge de la personne soige.
défis. Les possibilités d’évoluer dans la
carrière se réfèrent à l’implication calcu-
lée en termes d’implication dans la car-
rière et dans la profession.
Les valeurs exprimées s’organisent autour
de deux champs distincts :
»le don du soin et sa temporalité: res-
pect porà l’autre en son existence
(classe 1, X² moyen: 5,43); communi-
cation existentielle; engagement dans
la relation qui aide (classe 2, moyen:
11,37); soin holistique comme dimen-
sion fondamentale de l’action soi-
gnante (classe 4, X² moyen: 8,49).
La valeur centrale est le respect (X² =
13,24), mot entendu en termes d’égards
et de considération vis-à-vis de l’autre
(le patient, sa famille, le professionnel)
et, par extension, dans son acception
d’une attitude juste vis-à-vis d’autrui qui
consiste à ne pas porter atteinte à un
être égal de soi-même. Le «respect» naît
dans le rapport à l’autre et vit dans cet
alter ego que représente l’humain. Les
termes retrouvés dans ces classes dis-
cursives altruisme, empathie, intégrité,
générosité qui encadrent le terme
«respect» évoquent à eux seuls le « so-
cialement acceptable» du comporte-
ment d’un individu envers une société
considérée, en termes de « ce que je dois
être et ce que je dois faire en continuant
à respecter l’autre».
Les variables illustratives de ces classes
présentent un sujet dont l’âge varie de
31 à 40 ans et à l’ancienneté oscillant en-
tre onze et quinze ans;
»la cohésion d’équipeen termes d’or-
ganisation: organisation de la pratique
soignante… une entité de référence
(classe3, X² moyen: 8,75).
L’esprit (X² = 62,86) d’équipe est mis en
avant en tant que valeur prioritaire, plus
particulièrement l’organisation (X² =
25,97) et la collaboration (X² = 14,86) au
«Le sens de l’action prend
en compte la cohésion
comme une valeur essentielle. Il s’agit
de prendre en compte l’individuel tout
en l’inscrivant dans le collectif.
NOTES
(9)  ).='8:@BL+9<'2+;89
*+('9+*+2'6+89544+!.J58/+
3+9;8+9+:'662/)':/549LDop. cit.
(10) Idem.
(11) Idem.
gestions hospitalières n° 510 - novembre 2011 [dossier] 593
Cadres de santé
L’analyse logicielle a fait apparaître deux classes lexicales dis-
tinctes avec un taux d’analyse du corpus de 58%.
Le continuum entre les valeurs relatives à la « bienveillance»
et à la «conformité» (11) montre une implication normative du
sujet qui facilite à la fois l’ordre et met en exergue l’harmonie
des relations. L’éthique du travail (ici le management) est en-
visagée en mettant en avant la reconnaissance de la compé-
tence effective des collaborateurs. Les valeurs exprimées s’or-
ganisent autour de deux champs distincts:
»l’éthique du management: Être présent au cœur de l’activi
(classe 1, X² moyen: 5,72). Cette première classe de discours,
qui représente 52% du discours total, est la plus importante.
Le respect (X² = 10,03) et l’éthique (X² = 8,95) sont les deux
valeurs convoquées comme faisant partie intégrantes de la mis-
sion première du cadre de santé. La confiance (X² = 9,33) et la
collaboration (X² = 7,03) au sein de l’équipe sont entrevues
comme les déterminants fondateurs de la mission explicite du
cadre de santé. Prendre soin de l’équipe soignante procède de
la même démarche que prendre soin des personnes soignées.
La confiance n’est pas acquise une fois pour toutes. Elle est la
clé de voûte du dispositif et de l’éthique managériale. Cela se
traduit dans les propos par une écoute attentive des collabora-
teurs mais aussi par l’obligation d’une interpellation constructive
sur certaines décisions. Pour le sujet type de cette classe de dis-
cours, porter attention au personnel de son unité, lui offrir les
meilleures conditions possibles en termes d’espace de liberté
contenu dans les règles prescrites, c’est inscrire le management
dans des valeurs éthiques avec cette visée d’ensemble de vivre
bien et ensemble d’aller loin… Le sujet épistémique de cette
classe a une moyenne d’âge de 51 à 60 ans;
»la valorisation des compétences d’une équipe: Valorisation
des compétences par la communication (classe 2, moyen:
5,33). Le sujet évoque la mise en valeur des compétences des
agents (X² = 8,55) par la reconnaissance (X² = 11,22) de leur
savoir (X² = 14,56). Valoriser chacun dans sa pratique se traduit,
entre autres, par une communication (X² = 9,11) de qualifon-
dée sur le respect, des propos discrets et encourageants, une
information circulante (tenir conseil et expliquer). Cette com-
munication se centre sur les questions, les interrogations, les
aspirations, les insatisfactions, les dysfonctionnements. La com-
munication, valeur phare, est entrevue comme vecteur de -
rénité. Le management s’entrevoit sous le mode de la collabo-
ration. Il s’agit de savoir conduire une équipe, de l’accompagner,
de faire autorité et de l’inscrire davantage dans une mode de
management par projets.
Considérations conclusives
Le travail du lien professionnel
L’univers discursif considéré dans ses dimensions sociétales
et organisationnelles montre la référence professionnelle:
»à l’équipe de travail, lieu d’entraide et de compréhension,
de solidarité collective et de coopération, mais aussi lieu d’in-
compréhension parfois et de division;
»au projet de l’institution et de sa mission de service public.
Cette parole écrite révèle surtout l’attachement du sujet à son
cœur de métier, au travail idéalisé de l’œuvre qui permettrait
l’estime et la réalisation de soi, notam-
ment pour les aides-soignants, les infir-
miers, les masseurs kinésithérapeutes,
les manipulateurs d’électrologie radio-
logie médicale. Pointe également la
crainte du travail peu considéré, parcel-
lisé à la fois en tâches normées et ritua-
lisées, qui pourrait conduire à la non-re-
connaissance (ce que l’on nomme
l’«ineffable présence»). Les profession-
nels de santé interros restent ainsi par-
fois pour certains dans l’indicible d’un
agir professionnel, peu reconnu, l’in-
sécurité professionnelle (émotionnelle,
psychologique et affective) en termes de
contraintes et de manque de reconnais-
sance manque de temps, travail
technique réalisé à la chaîne, peu de
considération des soins autres comme
l’écoute, l’empathie, l’accompagne-
ment, le manque de reconnaissance
perçue…») alimenterait le doute et
contribuerait à diminuer le sentiment
d’accomplissement personnel. Ce qui in-
troduit le débat sur l’identité et l’attrac-
tivité des métiers et la question d’un
changement de paradigme autour de
l’identité au travail à celle de l’identité
du travail lui-mêmeen termes de travail
structurant et épanouissant.
La trace de l’éthique du travail…
temporalité et mémoire
d’une implication dans le travail
La «trace» dans l’analyse des pratiques
n’est jamais tout à fait individuelle. Elle
procède de la culture (ici l’institution
hospitalière), de l’acculturation escomp-
tée pour et par chaque acteur, du
contexte et des situations vécues.
La pensée éthique contenue dans le dis-
cours des professionnels de santé se pose
en réaction aux injonctions contradic-
toires d’accomplissement de soi vs être
performant, mais aussi à l’impératif ges-
tionnaire d’optimisation du temps. Elle
se construit également en opposition aux
logiques comptables de rentabilité.
L’ensemble des professionnels de santé
interrogés est unanime sur ce point.
L’attitude qui fait l’objet d’un rejet ma-
nifeste dans toutes les catégories socio-
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