L'Œil d'Horus Pierre Vital BERARI - Marseille. ◗ Introduction L'homme est un être essentiellement visuel qui vit dans un monde presque totalement centré sur la vision ; l'œil est donc l'organe des sens essentiel, dont la perte constitue un handicap majeur. Les yeux, siège de la vision, participent également à l'expression par le regard : ils sont la fenêtre de l'âme ; les yeux du corps sont aussi les yeux du cœur ; ils prennent donc part à la psychologie et au comportement ; d'où l'importance prise par l'œil et le regard dans toutes les civilisations. Si l'œil est l'organe de la vision, on l'a longtemps cru source de lumière ; jusqu'à Newton, contemporain de Louis XIV, la théorie admise de, la vision était celle de “l'émission”: la vision est le résultat de l'émission d'esprits visuels ou “pneuma“ ayant leur origine dans le cerveau, siège de l'âme ; il y aurait projection sur l'objet regardé d'une lumière interne qui retourne au cerveau chargée d'informations. Il n'est donc pas étonnant que depuis l'origine, les hommes aient attribué à l'œil des pouvoirs magiques, pouvoirs que l'on retrouve dans toutes les mythologies et encore actuellement dans certaines traditions populaires. On lui a d'abord attribué un pouvoir maléfique aussi bien chez l'homme que chez l'animal : c'est le mauvais œil. Le sorcier napolitain est le jettatore qui jette un sort sur celui que lui-même regarde ou qui le fascine. L'ennemi qui est regardé par la Gorgone Méduse est changé en pierre : il est médusé. L'œil peut aider à commettre le mal : Tiresias, Œudipe, Démocrite, Ste-Lucie s'arrachent les yeux pour retrouver la sérénité . Parallèlement, se constitue tout un symbolisme pour se protéger contre le mauvais œil : le nœud, les potions odoriférantes, le phallus avec ses dérivés : la mano fica ou la main obscène, la corne, la croix ansée. Puis on en vient progressivement à utiliser l'œil non plus pour son action maléfique, mais pour son pouvoir bénéfique de protection ; les esprits visuels ne sont plus alors au service du mal, mais au service du bien : c'est l'œil apotropaïque ou bon œil. Dans ce cadre entre l'œil d'Horus, symbolisé par l'œil Oudjat, qui eut un rayonnement spirituel et magique important dans l'Egypte ancienne. Bulletin N° 109 de la Banque Française des Yeux : 5 ◗ L’origine Du Mythe D’Horus Nous ne pouvons mieux faire que de céder la parole à Plutarque, historien grec du ler Siècle après J-C pour placer Horus, fils d’Osiris (os - iris : aux multiples yeux) et d’Isis dans la légende des dynasties divines qui constituèrent l’Egypte. Signalons qu’Horus, le fils d’Isis et Osiris est encore désigné sous le nom d’Harsièsis - Horus fils d’Isis- ou d’Harpocrate) protecteur des pharaons dont nous allons voir la naissance et la vie mouvementées. En ce temps-là, les Dieux immortels vivaient sur Terre. Deux garçons, Osiris, et Seth, et deux filles Isis et Nephtys étaient nés dans cet ordre de Nout Déesse du Ciel et Geb Dieu de la Terre, eux-mêmes nés de Chou -l’airet de Teffiout -l’humidité-, tous deux nés de Ré Atoum -le soleil- (qui se créa lui-même en surgissant du Noun, les Eaux primordiales) ; ainsi était constituée l’Ennéade héliopolitaine . Devenus adultes, Osiris épouse sa sœur Isis, et son frère Seth, sa sœur Néphtys : les deux frères avaient épousé les deux sœurs. Il n’y a pas d’inceste dans le monde des dieux..... Osiris l’aîné, le plus sage était prédestiné à la royauté : secondé par sa fidèle épouse Isis, il enseigna aux hommes la culture, l’élevage, l’artisanat, les arts, la religion et ses rites ; Isis créa la famille, les liens du mariage ; elle déshabitua les hommes de l’anthropophagie et leur apprit à moudre le grain entre deux pierres et à en faire du pain ; elle leur donna, avec le métier à tisser, les moyens de se vêtir et employa pour soulager leurs maux la médecine et la magie. 6 quai des Célestins - 75 004 Paris - Tél. 01 42 77 19 21 L’Œil d’Horus (suite) Voyant le résultat obtenu, Osiris résolut de répandre ailleurs qu’en Egypte les bienfaits de la civilisation ; il remit la régence à Isis, qui est représentée notamment sous la forme d’une femme portant sur la tête le trône sous forme d’un escabeau à deux marches, ou bien les cornes en lyre d’Hathor encadrant un disque solaire. Osiris, en roi conquérant, étendit son royaume sur toute l’Asie Mineure par la douceur et la persuasion. Heureux de l’œuvre accomplie, il revint enfin s’installer sur les rives du Nil dans le Delta en Basse Egypte, dont il voulait devenir Roi. C’est ainsi, qu’Osiris personnifie le Nil, l’eau fertilisatrice, le bienfaiteur par excellence de l’Egypte (d’où son nom d’Onnophris, l’être bon). talents de magicienne à la Reine, qui en retour lui restitua le cadavre d’Osiris. Isis, chargée de son macabre fardeau, revient en Egypte et cache le cercueil dans les marais de Bouto du Delta. Mais un jour, Seth, qui chassait dans les parages découvrit le coffre. Ivre de dépit, il dépeça le corps d’Osiris en 14 morceaux qu’il dispersa dans le Nil. Folle de douleur, Isis reprit sa quête, mais ne parvint à réunir que 13 morceaux ; le quatorzième morceau, le phallus, un poisson du Nil, l’oxyrhynnque, l’avait mangé. Son frère Seth surnommé Typhon par les Grecs, futur roi de Haute Egypte, avide de pouvoir, incapable de créer, impie et violent, forme avec lui le contraste le plus absolu ; il en était l’exacte contre partie : il représente non plus le fleuve fertilisateur, mais le désert aride et brûlant, l’esprit barbare et sauvage. Seth, très jaloux des succès de son frère, organisa avec grand soin un piège dans lequel Osiris tomba sans défiance. Profitant des festivités célébrant le retour d’Osiris, aidé de 72 conjurés ; il prépare à l’avance un magnifique coffre de la taille d’Osiris. Seth déclare qu’il donnerait le coffre à celui qui, s’y étant couché le trouverait exactement à sa taille. Les convives qui avaient participé au complot en firent l’essai mais vainement. Osiris sur l’invitation de son frère Seth vint à son tour s’y installer. Aussitôt les conjurés referment le couvercle du coffre sur lequel on coula du plomb fondu pour le sceller puis ils le jettent dans les eaux du Nil. Il s’empara ensuite du trône de son frère, sans que personne ne songeât au premier moment à lui faire opposition. Alors aidée de Thot, Dieu des Médecins et des Scribes à tête d’Ibis ou de babouin - (nb : Il faut rappeler que les Égyptiens considéraient les animaux vivants comme des incarnations de la divinité ; c’est une caractéristique de la religion égyptienne) - qui lui donna le morceau manquant, aidée aussi de sa mère Nout, déesse du ciel, et de Néphtys elle reconstitua le corps d’Osiris ; puis avec Anubis (à tête de chacal) elle embauma le corps et fabriqua la première momie. C’est alors qu’Isis rassemblant toutes les ressources de sa magie, se transforma, le temps nécessaire en oiselle, rendit la vie à son époux en agitant ses grandes ailes. Puis reprenant forme humaine et se plaçant sur le corps d’Osiris, Isis conçut un fils posthume, Horus l’enfant qu’elle éleva en secret dans les marais du Delta, afin qu’il puisse échapper à la vindicte de SethTyphon, son oncle. C’est à Sais dans le delta qu’Isis se réfugia ; elle séjourna dans le temple de l’abeille symbole de la discipline où la foule des abeilles est soumise à son roi et protégée par lui. Cet Horus fils d’Isis et d’Osiris (Fig.2) est nommé par les grecs Harpocrate, souvent représenté par un tout petit enfant nu ou paré uniquement de bijoux ou bien assis sur les genoux d’Isis qui lui présente le sein (Fig. 1) ; il suce toujours son doigt à la manière des bébés. À l’annonce de ce forfait, Isis éplorée s’enfuit à la recherche du cercueil de son époux. Elle arriva à Byblos en Palestine, où elle avait appris aux jeunes filles à se coiffer et à se parfumer. Le cercueil s’y trouvait enchâssé au cœur d’un magnifique acacia constituant une des colonnes du Palais Royal. Elle offrit ses immenses Ainsi, Roi sur la Terre, Osiris ressuscité devint le souverain du royaume des morts ; devant son tribunal, il reçoit les morts pour les préparer à jouir d’une vie nouvelle semblable à celle de la Terre. Horus grandit, entretenu par Isis dans l’adoration d’un père si admi- Bulletin N° 109 de la Banque Française des Yeux : 6 rable, disparu dans des circonstances aussi dramatiques, à la suite du crime de Seth. Devenu adolescent, révolté par la perfidie de Seth Typhon, il résolu de venger son père Osiris (ce qui lui valut le surnom de Harendotès, transcription grecque d’Hor-nedj-itef “Horus vengeur de son père“). Rassemblant une armée de fidèles, il engagea le combat contre Seth et sa suite. Malgré de nombreuses et sanglantes batailles, les deux belligérants n’arrivaient pas à se départager. Constamment Seth cherchait à se sauver lui-même en se transformant ainsi que ses compagnons en monstres de toutes sortes : hippopotames ou crocodiles (symbole des forces du mal). Un jour cependant, au cours d’un violent corps à corps, Horus castra Seth, Seth arracha l’œil gauche d’Horus, l’œil lunaire, (il semble selon d’autres manuscrits que c’est l’œil droit qui fut arraché) et, funeste habitude, le coupa en 64 morceaux. ▲ Figure 1 : Isis allaitant Horus 6 quai des Célestins - 75 004 Paris - Tél. 01 42 77 19 21 Revoir Les deux ennemis se précipitèrent alors devant le Tribunal Divin à Héliopolis pour réclamer le juste héritage du royaume : - Horus fils posthume d’Osiris n’a aucun droit légitime sur le royaume, plaida Seth - Seth s’est emparé du pouvoir de façon criminelle et par traîtrise, répondit Horus. Le Tribunal Divin se rendit à l’arbitrage du Dieu Thot fidèle allié d’Horus. Il rétablit d’abord l’intégrité anatomique des deux combattants : -Seth retrouva ses testicules et sa fécondité -Horus retrouva dans un premier temps seulement 63 morceaux de son œil mutilé, mais le Dieu Thot reconstitua la partie manquante, le 64ème morceau : grâce à Thot l’œil complet (oudjat) est reconstitué. (Oudjat signifie “complet“ en égyptien.) D’autres textes disent que Seth coupa l’œil d’Horus en six morceaux, ce qui est moins logique pour l’interprétation du symbole mathématique. Quant au royaume, il revenait en totalité à Horus, tandis que SethTyphon était relégué dans le désert de Nubie, à l’extrême sud du pays. Ainsi ceint de l’investiture divine, Horus régna en maître légitime sur la terre d’Egypte. Il porte la double couronne symbole de l’unité de la Haute et Basse Egypte. Après lui, régnèrent ses descendants, d’abord Ménès premier roi de la première dynastie pharaonique : il ouvre l’époque thinite avec comme capitale politique Thinis et comme capitale religieuse Abydos ville voisine, puis c’est la longue succession des Pharaons totalisant XXX dynasties égyptiennes. La Titulature d’un Pharaon qui comporte cinq noms débute toujours par le nom d’Horus et en troisième position très souvent à partir de la IV dynastie la filiation avec Horus est encore rappelée par la formule “Faucon d’or“. Ce récit largement inspiré du texte de Plutarque n’est qu’une légende qui se veut didactique en rassemblant les données de 3 sources : • Les idées religieuses de l’ancien Empire (Epoque des pyramides), • les traditions égyptiennes de la dernière période avant tout ptolémaïque. • les conceptions grecques en cours à l’époque de Plutarque. Faisons remarquer que l’étude des mythes selon les époques et les lieux montre l’existence de plusieurs Horus, plus d’une vingtaine, plus ou moins mêlés au mythe osirien1. Selon la capitale religieuse, les mythes varient : Horus d’Abydos que nous avons rapporté, Horus d’Edfou, de Thèbes, de Dendera, d’Héliopolis. Mais il n’en reste pas moins qu’à partir de ce récit de Plutarque, il est relativement aisé de faire l’analyse des mythes et symboles qui entourent l’œil d’Horus2. La suite de l’aricle sera présentée dans le prochain numéro de Revoir. 1 : Les dieux Horus : citons par exemple : Horus Mekhenti-lrty ou Mekhenti-En-Irty, Harsomtous (Horus qui réunit les deux terres), Hor-pa-neb-taoui (Horus maître des deux terres), Antywey, Iounmoutef, Harsiésis . forme la plus connue du dieu Horus dans l'ancienne Egypte (Horus fils d’Isis), Harakhtes, Amset, Harmakhis (Horus dans l'horizon), Hor-merty (aux yeux de lune et de soleil), Qebehsenouf, Behedetite l’Horus aux deux yeux, Douamoutef, Soped, Hor-noubti (vainqueur de Seth), Hapi, Horsa-iset (fils d'Isis la magicienne), Hor-pa-khered ou en grec Harpocrate (Horus l'enfant) . Fig. 2 : Osiris entre Isis et Horus à tête de faucon respectivement épouse et fils d'Osiris (9 cm x 6,6 cm) Epoque Osorkon 11, 874 -850 av.J.C. pharaon Iybien XXII dynastie (Osiris figure ici le souverain Osorkon 11) Bulletin N° 109 de la Banque Française des Yeux : 7 2 : Io déesse d'Argolide était la prêtresse d'Héra (Junon) femme de Zeus ; mais Zeus tombe amoureux d'Io est affreusement jalouse et menace Io. Pour la sauver Zeus la transforme en vache sacrée. Héra prit l'initiative de charger Argos de la garde de Io, transformée en vache sacrée ; Zeus en fut contrarié ; c'est pour cela qu'il demanda à Hermés (Mercure) d'endormir Argas au son de sa flûte et de le tuer, ce qu'il fit. Mais Io était libre .et, pour échapper à Héra, elle s'enfuit en Egypte en franchissant le Bosphore (passage du bœuf) ; elle rencontre Zeus qui lui redonne forme humaine, ce qui lui permet à leur fils Epaphoros de venir au monde. Mais imprudemment ils laissent Héra s'emparer du bébé qui va le cacher à Byblos où Io le retrouve. Héra, en souvenir d'Argos, sema les yeux d'Argos sur la queue du paon qui fut dès lors consacré à cette déesse. Les yeux d'Argos symbolisent la surveillance incessante. Cette légende symboliserait la fusion des religions grecque et égyptienne : Io devient Isis, Zeus devient Osiris et Epaphoros devient Horus . 6 quai des Célestins - 75 004 Paris - Tél. 01 42 77 19 21 L'Œil d'Horus - 2 e partie Pierre Vital BERARD - Marseille. Représentation de l’œil d’Horus l’Oudjat Les Egyptiens représentaient souvent leurs dieux sous forme d’un corps humain tête animale. Horus est représenté avec une tête de faucon ; d’ailleurs, à l’origine le mot “Horus” servait à nommer le faucon, dont la vue perçante en fit d’emblée le symbole de la puissance royale. C’est donc naturellement que l’œil stylisé du faucon servit de signe hiéroglyphique pour désigner l’œil d’Horus. Le symbole initial de l’œil d’Horus, l’Oudjat, est donc constitué par l’œil avec ses deux paupières, dont l’angle externe est prolongé au fard du côté temporal, surmonté d’un épais sourcil dont les extrémités se projettent au Bulletin N° 110 de la Banque Française des Yeux : 3 Fig. 3 : Oudjat œil gauche ▲ ◗ niveau des limites interne et externe de l’œil qui présente deux appendices inférieurs s’échappant du tiers moyen de la paupière inférieure : le plus interne est vertical, orné d’une petite saillie à sa partie supérieure (c’est le menti), le plus externe oblique en bas et en dehors avec l’extrémité distale en spirale. Ces deux prolongements caractérisent l’œil Oudjat dont les premières représentations apparaissent sous le moyen Empire (fig 3). Ici sur la figure on voit une pupille. 6 quai des Célestins - 75 004 Paris - Tél. 01 42 77 19 21 L’Œil d’Horus (suite) Plus tard, sous le nouvel Empire, on ajoute sous la paupière inférieure deux bras tendus ou deux ailes (Oudjat ailé). Dans le Livre des morts, on trouve même des yeux Oudjats avec deux ailes et deux pieds. E. Ratiu dans un travail particulièrement remarquable fait l’inventaire des différentes représentations de l’œil d’Horus au cours de l’histoire de l’Egypte ancienne et en donne 459 illustrations. Il fait notamment remarquer que l’Oudjat est souvent incomplet : suppression des deux appendices inférieurs, pupille en général non représentée mais une surface circulaire noire englobe la zone comprenant l’iris et la pupille. L’œil droit est l’œil solaire ou œil de Ré, l’œil gauche est l’œil lunaire ; ce fut l’œil blessé, redevenu sain par l’intervention de Thot. Au départ, l’Oudjat a été l’œil gauche (il ressemble à notre R majuscule) ; ultérieurement sous l’influence de considérations magiques, le côté droit étant celui de la chance et de l’œil solaire, l’œil Oudjat devient l’œil droit et est ainsi assimilé à l’œil de Ré. Cet œil est gravé sur les objets usuels ; il peut constituer, nous allons le voir, une amulette. L’œil d’Horus peut être double : l’œil droit et l’œil gauche sont représentés en position normale. On trouve l’Oudjat simple ou double sur les sarcophages de façon à permettre au mort de suivre sans se déplacer le spectacle du monde extérieur ; on le trouve également le plus souvent double sur les stèles funéraires où il surmonte souvent une fausse porte séparant le défunt du monde des vivants.. Les yeux du mort s’identifient au dieu suprême Ré ou Atoum dont les yeux sont le soleil et la lune épanchant leurs rayons. L’œil de la vache sacrée Hathor est un œil d’Horus. Sur certaines amulettes, on trouve un œil droit au recto, un œil gauche au verso, parfois, des yeux d’Horus multiples : quatre ou davantage. L’œil d’Horus tient une grande place dans l’écriture hiéroglyphique.. ◗ Symbolisme de l’œil d’Horus Si la légende telle que la rapporte Plutarque est sujette à caution, en particulier dans la mesure où elle se réfère à des textes tardifs, il est certain que l’œil d’Horus, représenté sous la forme de l’Oudjat qui signifie complet, entier, sain, va, au cours de l’évolution de la civilisation égyptienne, se charger de nombreuses valeurs symboliques. L’histoire que nous venons de rappeler fait comprendre les multiples facettes de ce symbolisme. D’ailleurs, depuis l’ancien Empire, tous les Pharaons portaient le nom d’Horus... C’est ainsi que la Titulature du Pharaon comprenait au moins cinq noms : 1 • le nom d’Horus (représenté par un palais ou serekh avec un faucon posé sur le toit) 2 • Nom des 2 déesses (Nebty) avec un vautour(Haute Egypte) et un cobra (Basse Egypte), 3 • Horus d’Or : Horus est sur un soleil d’or symbolisant son caractère divin inaltérable, 4-5 • cartouches, l’un pour le prénom,l’autre pour le nom de roi du pharaon. (Fig.5) 1- Symbole politique Les disputes familiales entre Seth et son frère Osiris, puis son neveu Horus reflètent la bipartition territoriale de l’Egypte : il y a opposition entre la Haute Egypte désertique et la Basse Egypte marécageuse mais très fertile, entre le rouge et le noir : le rouge désignant l’aspect saharien du pays aux étendues désertiques, le noir l’aspect nilotique de la vallée et du delta noirci par les alluvions du Nil.. En égyptien ancien, l’expression “Terre Noire” est utilisée pour désigner l’Egypte. (cf David Fabre. Le dieu Seth in Egypte n° 22 sept 2001). L’œil d’Horus rappelle donc les luttes pré dynastiques qui ont abouti à l’unité égyptienne : il est donc le symbole de la victoire sur le mal et de l’unification du royaume (fig.4) (d’où le surnom de Harsomtous, transcription de Hor-sma - taoui “Horus qui réunit les deux pays” et d’Hor-panebtaoui “Horus le maître des deux terres”), de la protection de la royauté et donc du Pharaon, de la transmission patriarcale du pouvoir. ▲ Fig. 4 : Horus et Seth réunissant Haute et Basse Egypte sous l’autorité du roi Bulletin N° 110 de la Banque Française des Yeux : 4 ▲ Fig. 5 : Titulature royale. Le premier nom est celui d’Horus qui est au dessus du serekh qui représente le temple. L’Horus d’or est ici le cinquième nom : Horus est assis sur un soleil d’or symbolisant le caractère divin d’Horus inaltérable comme l’or. En haut du schéma à gauche la mitre couronne de Haute Egypte à droite le mortier couronne de Basse Egypte. 2- Symbole religieux L’œil d’Horus est le symbole du sacrifice suprême : Horus a perdu son œil pour venger son père Osiris. C’est l’offrande par excellence. Il est aussi le symbole du tribunal divin présidé par Osiris. La pesée de l’âme symbolisée par le cœur (Psychostasie) après la mort se fait toujours en présence d’Horus, d’Anubis et de Thot. La pesée se fait en mettant dans un des plateaux de la balance le cœur du défunt et dans l’autre la déesse Maât coiffée d’une plume d’autruche, qui représente la vérité, la justice, l’ordre dans le 6 quai des Célestins - 75 004 Paris - Tél. 01 42 77 19 21 Revoir monde. C’est Horus qui après la Psychostasie conduit le défunt auprès d’Osiris qui l’admettra au royaume des morts pour entamer une nouvelle vie. L’œil d’Horus devient ainsi le symbole de la rédemption, d’une vie dans l’au delà. Si le défunt n’est pas admis, il est dévoré par la “grande mangeuse”, “la dévoreuse”Amamet (Amaït, Ammit) à tête de crocodile, tronc de lion, arrière train d’hippopotame. 3- Symbole cosmique C’est le dieu des espaces aériens, le grand dieu du ciel. L’œil droit est l’œil solaire (c’est pourquoi, dans certains nomes, Horus était le dieu solaire), l’œil gauche est l’œil lunaire. De plus la blessure puis la réintégration de l’œil dans l’orbite sont assimilés à la disparition de la lune lors de la nouvelle lune, puis à sa croissance jusqu’à la pleine lune. Horus est donc le symbole de la perpétuelle lutte de la lumière contre les ténèbres. Thot, médecin de l’œil blessé, devient ainsi un dieu lunaire. Le babouin -forme sous lequel est souvent représenté le dieu Thotaurait un comportement dépressif en nouvelle lune, exubérant en pleine lune. Parfois Horus se confond avec le soleil lui-même (Horus d’or). Au temple d’Edfou consacré à Horus l’image divine, en dehors du faucon, est souvent constituée par un disque solaire flanqué de deux grands ailes. 4-Symbole de lumière, de connaissance et de justice L’œil de faucon voit tout. Le dieu oiseau possède à un suprême degré cette vertu bénéfique de l’œil lumière, de l’œil pacificateur qui redonne la vitalité des fluides à ce qui était asséché ou figé. C’est donc le regard au sens propre et figuré. C’est notamment le regard justicier et pacificateur auquel rien ne peut échapper de la vie intime à la vie publique. Il veille sur la stricte exécution des rites et des lois. 5- Symbole protecteur : œil apotropaïque, valeur magique La valeur magique de l’œil d’Horus est la plus importante. Les Egyptiens, comme tous les peuples antiques, cherchèrent à se protéger du mauvais sort, à se concilier la faveur des dieux. L’Oudjat est le symbole le plus répandu. Comme le scarabée -qui, en portant la boule énorme du soleil entre ses pattes, est l’image du soleil qui renaît de lui-même- l’Oudjat symbolise la résurrection et l’immortalité ; par ailleurs, il est le témoin moral du défunt, le jugement de sa conscience : on le plaçait sur le cœur du défunt pour le conseiller devant le tribunal divin. En ancienne Egypte, les villes avaient souvent le plan de l’œil Oudjat. C’est ainsi que pour la ville de Thèbes, sur la ligne du sourcil il y avait à l’est et à l’ouest du Nil une série de forteresses, le centre de Thèbes était l’œil lui même, et au Nord s’étalait une autre forteresse occupant la place du menti de l’œil Oudjat. D’ailleurs Thèbes était connue sous le nom “d’Œil de Ré”. (Fig. 6). On le trouve sous la forme avant tout d’amulettes : bracelets (Fig.7), colliers pectoraux. C’est en général, l’œil droit. Il est porté aussi bien pendant la vie qu’après la mort où il fait partie des rites funéraires... L’amulette est alors placée sur la bouche du défunt ; elle figure aussi sur la plaque de métal (en or chez les pharaons) couvrant l’incision abdominale de la momie, par où les viscères ont été enlevés. On plaçait dans la tombe des moules d’œil Oudjat pour que le défunt puisse en reproduire à sa guise. Le pectoral de Toutankhamon est un très bel exemple d’amulette : l’œil Oudjat présente à son extrémité temporale la déesse vautour Nekhbet coiffée de la mitre blanche, symbole de la Haute Egypte ; à son extrémité nasale, la déesse serpent cobra Ouadjet, coiffée du mortier symbole de la Basse Egypte. En plus du pectoral, la momie portait des bracelets (fig 7) et pendentifs ornés d’yeux Oudjat. Pour être sous la protection d’Horus il convenait également d’avoir les yeux en bonne santé, santé qui était confiée à la force de deux substances : un fard vert appliqué en trait épais sur la paupière inférieure, un fard noir allongeant notamment l’œil vers la tempe et le nez. Ce dessin autour des yeux s’est modifié au cours des différentes dynasties. Ces fards ou khôls avaient également une vertu thérapeutique. (trachome, taies cornéennes etc...). L’amulette consistait également en une statuette du dieu Thot, à tête de babouin portant sur ses genoux l’œil Oudjat. ▲ fig.6 : l’ensemble des temples de Karnak et de la ville de Thèbes bâtis sur le plan de l’œil Oudjat. l’ensemble des temples de Karnak formerait l’œil du créateur, dont le temple d’Amon-Ré correspondrait à la pupille. L’Oudjat apporte santé, salut, vie éternelle mais aussi fécondité, bonnes récoltes et clairvoyance ; il brise l’effet du mauvais œil. L’œil Oudjat a une valeur apotropaïque accrue, lorsqu’il est associé à une ou plusieurs croix ansées ou Ankh ; il symbolise alors davantage intégrité et vie. Cet œil Oudjat est fait notamment de faïence, de pierre, ou de métaux précieux. Bulletin N° 110 de la Banque Française des Yeux : 5 ▲ Fig. 7 : Œil Oudjat sur bracelet (930 av J. C.) L’Oudjat est reproduit sur les objets usuels : œillère de chevaux, essieux de chars, rames et gouvernails, proues de bateau, miroirs, vases. On le retrouve sur les monuments, les 6 quai des Célestins - 75 004 Paris - Tél. 01 42 77 19 21 L’Œil d’Horus (suite) tombeaux et également sur les barques solaires destinées au transport de l’âme des défunts dans le ciel. (fig. 8) C’est donc la preuve qu’audelà de ses qualités ornementales, il a aussi une fonction magique. ▲ Fig. 8 : Horus dans barque solaire avec œil Oudjat sur la proue. Parfois les yeux d’Horus sont schématiquement figurés par des perles sur lesquelles sont peints ou incrustés un ou plusieurs yeux sous forme de cercles concentriques. Ces perles amulettes ont traversé les siècles : elles étaient courantes à Venise à la Renaissance. Ces perles-œil sont encore vendues en Turquie et en Grèce où l’ophtalmologiste en fait même cadeau au premier examen d’un nouveau-né. On trouve encore actuellement très souvent l’œil Oudjat plus ou moins simplifié sur l’avant des petits bateaux : c’est courant au Liban, en Italie du Sud, à Malte, au Portugal et même en Extrême-Orient. Au musée de la mode à Marseille, il est amusant de voir une sandale avec l’œil d’Horus stylisé aidant à marcher “bon pied, bon œil” ; cet œil permet de ne pas s’écarter du droit chemin... (fig. 9) ▲ Fig. 9 : Œil d’Horus stylisé sur sandale moderne (Musée de la Mode à Marseille) 6 - Symbole mathématique 7- Symbole médical A une époque tardive, les égyptiens utilisèrent l’œil d’Horus comme symbole des fractions d’une mesure de capacité ou de volume (céréales, agrumes, liquides, grains, etc...),appelée “hekhat”(héqat), valant environ 5 litres (4,785 litres). Ce système inspiré du mythe selon lequel Seth aurait mis en pièces l’œil d’Horus, reconstitué ensuite par Thot, utilise les divers éléments du hiéroglyphe “œil Oudjat” pour noter la série de fractions de la progression géométrique décroissante de raison 1/2 : 1/2,1/4,1/8,1/16,1/32,1/64. A noter que les Egyptiens ne connurent pas les fractions de numérateur autre que l’unité. Les diverses parties de l’œil Oudjat (fig. 10) représentant les fractions sont les suivantes : L’Oudjat est le symbole de la guérison attendue par le malade surtout s’il est atteint d’une affection oculaire. (Fig. 11) Oudjat qui,nous l’avons dit, signifie sain, complet, celui qui est en bonne santé, est donc également le symbole de la santé physique. ▲ Fig. 11 : Horus oculiste. ▲ Fig. 10 : l’Oudjat, symbole mathématique (ici,œil gauche) En fractions de hekhat • Triangle interne de sclérotique : 1/2 • Cornée: 1/4 • Sourcil : 1/8 • Triangle externe de sclérotique : 1/16 • Volute : 1/32 • Menti : 1/64 Le total fait 63/64, il manque le 1/64, fraction de l’œil restitué par le Dieu Thot pour reconstituer l’œil sain, qui est en fait un liant magique pour permettre à l’œil de fonctionner : l’Oudjat devient alors l’œil “complet” (mot qui en égyptien est la signification de Oudjat ou œil d’Horus). Le scribe calculateur obtiendrait toujours le 1/64 manquant, pour parfaire l’unité, s’il se plaçait sous la protection des Thot. Ajoutons que le mot Oudjat signifie complet, c’est l’œil reconstitué par le dieu Thot qui en dehors du symbole mathématique. Bulletin N° 110 de la Banque Française des Yeux : 6 Encore aujourd’hui, en souvenir d’Horus et de Thot, l’ophtalmologiste américain fait précéder les ordonnances ophtalmologiques du symbole Rx, qui est un œil Oudjat gauche stylisé. En conclusion, l’étude de l’œil d’Horus montre que son symbolisme revêt de multiples aspects et dépasse largement le symbolisme protecteur, apotropaïque auquel se limite les yeux des masques, d’Argos et de Méduse. Quand on visite les sites de l’Egypte ancienne notamment la Haute Egypte avec ses sanctuaires de la vallée des Rois et de la vallée des Reines, c’est à tout instant qu’il est fait référence à Horus et à son œil. Un temple lui est même consacré à Edfou. Cependant, au cours des dernières dynasties égyptiennes, les valeurs symbolique, politique, religieuse, cosmique, justicière de l’œil d’Horus se sont certainement appauvries au profit de l’œil apotropaïque ou magique, qui est encore invoqué de nos jours notamment au moyen orient et dans le bassin méditerranéen. 6 quai des Célestins - 75 004 Paris - Tél. 01 42 77 19 21 Revoir BIBLIOGRAPHIE Fabre David. Le dieu Seth de la fin du nouvel empire à l’époque gréco-romaine. entre mythe et réalité. in Egypte Afrique Orient n° 22 Septembre 2001 p.19-40 Hart G. Egyptian Myths, British Museum publications Ltd, 46 Bloomsbury Street, London WC 1 B 3 QQ 1991 80p. Heaton J.M. The Eye. London. Tavistock 1968 Huxley F. The Eye. The Seer and the Seen... with 129 illustrations 32 in colour. Thames and Hudson ; ed.1990, 98 p.(biblio) Jeandelize. P. L’œil dans la magie de l’ancienne Egypte. Annales d ’Oculistique. Janv.1956 p.4-18 Lefebure G. Grammaire de l’Egypte classique. Le Caire. 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