entier. Le côté récréatif des contes agit comme une ruse; quand la vérité
entre dans l’oreille sous cet habillage, elle s’insinue dans l’âme de l’auditeur
par le biais d’images vivantes. L’aspect facétieux de ces fables se concilie fort
bien avec le sérieux du sujet; le soufisme, qui fut l’un des principaux inspi-
rateurs des Mille et Une Nuits, a lui aussi comporté une face volontiers comique
et frondeuse.
De tout temps, les contes traditionnels, et pas uniquement ceux du
monde arabo-musulman, ont fait miroiter aux hommes la présence du mys-
tère, car leur imaginaire voile une pensée hermétique profonde. Leurs allé-
gories éveillent dans le psychisme de subtiles résonances en servant de
support à des idées que le mental ne peut saisir dans toute leur étendue, et
dont une partie restera toujours inexprimable avec les mots, mais auxquelles
sont réceptives les couches profondes de la conscience. Les contes ont
recours au langage suggestif de l’image pour transmettre des vérités qui
échappent à l’intellect ordinaire. C’est cette force évocatoire des symboles,
leur efficacité à toucher les facultés extrasensitives de l’âme, qui confère aux
récits leur climat mystérieux et fascinant.
À mesure qu’on élucide le symbolisme des contes, on se convainc qu’ils
répondent à une préoccupation constante touchant à l’accomplissement de
l’être humain et à la finalité de l’existence. La civilisation arabo-musulmane
qui vit naître ces écrits n’a pas seulement brillé par son esthétisme, son
raffinement et son avancée dans les sciences du monde extérieur; il fut un
temps où son élite intellectuelle possédait un avantage considérable dans
la connaissance de l’homme. Les modalités subtiles de la conscience sont
devenues à notre époque un territoire inconnu, alors qu’elles firent autre-
fois l’objet d’une science approfondie. Les aventures que relatent en images
Les Mille et Une Nuits ont pour cadre la vie intérieure de l’être humain, et
c’est pourquoi, dans quelque endroit profond de la conscience, le lecteur se
reconnaît dans le message que délivrent ces histoires, et il reste sensible à
l’appel qu’elles lui adressent à entrer en contact avec sa propre réalité essen-
tielle.
Les récits fabuleux n’ont donc pas pour finalité d’exorciser d’obscures
craintes ancestrales, ni de servir d’exutoire à des fantasmes inavoués dont
le raffinement littéraire maquillerait le caractère honteux. Il n’est nullement
question de récuser la puissance des stimuli enfouis dans l’inconscient, ce que
la psychanalyse a fort bien mis en lumière, mais on ne fera jamais accepter
à un authentique amoureux des arts l’idée selon laquelle l’inspiration ayant
donné corps aux cathédrales, à la Joconde de Léonard de Vinci, au Requiem
de Mozart ou à la Comédie humaine de Balzac n’aurait pris source que dans
le besoin de sublimer un obscur conflit intérieur. Les Mille et Une Nuits
n’auraient pas suscité un tel émerveillement si leur sujet réel, la réalité invi-
LES MILLE ET UNE NUITS ET LEUR TRÉSOR DE SAGESSE
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