Pascal Bancourt
Les Mille et Une Nuits
et leur trésor de Sagesse
Éditions Dangles
Distribuées et diffusées par D. G. DIFFUSION
Z.I. de Bogues
31750 ESCALQUENS
ISSN : 0182-063X
ISBN : 978-2-7033-0690-0
© Éditions Dangles, 2007
B.P. 17147 – 31671 Labège cedex
Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation
réservés pour tous pays.
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INTRODUCTION
LA GRANDEUR DUNE CIVILISATION ne se mesure pas à sa richesse maté-
rielle, à son expansion territoriale ou à la force de ses armées, mais à
l’empreinte que gravent dans la mémoire collective les plus brillantes pro-
ductions de son génie. À son époque glorieuse, la culture arabe donna nais-
sance à d’illustres créations artistiques et littéraires qui continuent, de nos
jours encore, à soutenir son prestige. L’une de ces œuvres impérissables, Les
Mille et Une Nuits, a acquis une renommée universelle; l’énoncé de son
titre suffit à faire resurgir une atmosphère mêlée d’enchantement, de splen-
deur et de mystère liée à la magie d’un Orient fabuleux. Cette réputation
n’a rien d’immérité; l’homme moderne aurait beaucoup perdu du sens de la
beauté s’il n’avait goûté aux émotions, d’une rare qualité, qu’offrent de tels
ouvrages d’exception quand on ressent, par leur intermédiaire, que quelque
chose de profond traverse les barrières de la réalité pour éclairer une exis-
tence insipide et froide.
Les Mille et Une Nuits transportent le lecteur dans un monde irréel où
l’on pénètre sans difficulté. Toutefois, ni les apparences ni les habitudes de
pensée n’autorisent à réduire ces histoires à une fantaisie gratuite. Leur
objectif premier n’était pas de divertir ni de fournir un dérivatif à l’ingra-
titude de l’existence, mais de communiquer un message d’une haute portée
qui appelle l’homme à se comprendre lui-même. Cela suppose que l’on
regarde Les Mille et Une Nuits comme la transcription, sous l’aspect de fables
allégoriques, d’un enseignement que dispensaient autrefois d’authentiques
maîtres spirituels. L’un des moyens qu’employèrent les écoles de Sagesse
pour transmettre leur savoir fut de le travestir sous forme de contes. Dans
les confréries soufies, les maîtres avaient coutume d’instruire leurs élèves en
leur contant des histoires allégoriques, plus efficaces qu’un cours théorique
abstrait. Ces récits inspirés, plutôt que d’asséner une pensée sentencieuse,
distillent une sagesse que l’intellect cérébral à lui seul ne capte pas dans son
entier. Le côté récréatif des contes agit comme une ruse; quand la vérité
entre dans l’oreille sous cet habillage, elle s’insinue dans l’âme de l’auditeur
par le biais d’images vivantes. L’aspect facétieux de ces fables se concilie fort
bien avec le sérieux du sujet; le soufisme, qui fut l’un des principaux inspi-
rateurs des Mille et Une Nuits, a lui aussi comporté une face volontiers comique
et frondeuse.
De tout temps, les contes traditionnels, et pas uniquement ceux du
monde arabo-musulman, ont fait miroiter aux hommes la présence du mys-
tère, car leur imaginaire voile une pensée hermétique profonde. Leurs allé-
gories éveillent dans le psychisme de subtiles résonances en servant de
support à des idées que le mental ne peut saisir dans toute leur étendue, et
dont une partie restera toujours inexprimable avec les mots, mais auxquelles
sont réceptives les couches profondes de la conscience. Les contes ont
recours au langage suggestif de l’image pour transmettre des vérités qui
échappent à l’intellect ordinaire. C’est cette force évocatoire des symboles,
leur efficacité à toucher les facultés extrasensitives de l’âme, qui confère aux
récits leur climat mystérieux et fascinant.
À mesure qu’on élucide le symbolisme des contes, on se convainc qu’ils
répondent à une préoccupation constante touchant à l’accomplissement de
l’être humain et à la finalité de l’existence. La civilisation arabo-musulmane
qui vit naître ces écrits n’a pas seulement brillé par son esthétisme, son
raffinement et son avancée dans les sciences du monde extérieur; il fut un
temps où son élite intellectuelle possédait un avantage considérable dans
la connaissance de l’homme. Les modalités subtiles de la conscience sont
devenues à notre époque un territoire inconnu, alors qu’elles firent autre-
fois l’objet d’une science approfondie. Les aventures que relatent en images
Les Mille et Une Nuits ont pour cadre la vie intérieure de l’être humain, et
c’est pourquoi, dans quelque endroit profond de la conscience, le lecteur se
reconnaît dans le message que délivrent ces histoires, et il reste sensible à
l’appel qu’elles lui adressent à entrer en contact avec sa propre réalité essen-
tielle.
Les récits fabuleux n’ont donc pas pour finalité d’exorciser d’obscures
craintes ancestrales, ni de servir d’exutoire à des fantasmes inavoués dont
le raffinement littéraire maquillerait le caractère honteux. Il n’est nullement
question de récuser la puissance des stimuli enfouis dans l’inconscient, ce que
la psychanalyse a fort bien mis en lumière, mais on ne fera jamais accepter
à un authentique amoureux des arts l’idée selon laquelle l’inspiration ayant
donné corps aux cathédrales, à la Joconde de Léonard de Vinci, au Requiem
de Mozart ou à la Comédie humaine de Balzac n’aurait pris source que dans
le besoin de sublimer un obscur conflit intérieur. Les Mille et Une Nuits
n’auraient pas suscité un tel émerveillement si leur sujet réel, la réalité invi-
LES MILLE ET UNE NUITS ET LEUR TRÉSOR DE SAGESSE
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sible de l’âme humaine, se réduisait à un chaos d’excitations instinctuelles.
Dans les épisodes où le héros croise des êtres infernaux ou lumineux, un lec-
teur averti apprend à reconnaître les pouvoirs créateurs présents en lui-
même. Cette façon de regarder les personnages ou les créatures surnaturelles
des contes comme figurant soit des composants immatériels de l’être
humain, soit des puissances agissant dans son intériorité, nous implique
dans ces récits; elle enrichit notre représentation de l’homme en révélant
son fonctionnement ainsi que les possibilités d’évolution dont il est porteur.
Une création littéraire gagne sa dimension universelle quand elle cap-
tive à la fois les enfants, les adultes et les sages, ces trois âges faisant réfé-
rence à la sensibilité et à la maturité des individus plus qu’à leur année de
naissance. Le climat enchanteur des Mille et Une Nuits ne pouvait que plaire
aux enfants, dont le regard neuf est très réceptif. Dans la seconde classe
d’âge, les lecteurs adultes reconnaissent une incontestable qualité littéraire
aux versions de cet ouvrage qui leur sont destinées. Mais l’œuvre admet un
troisième niveau de lecture; elle délivre un message subtil qui ne joue pas
pour rien dans son pouvoir de fascination, car ce message, même s’il échappe
à la conscience ordinaire, éveille un écho dans le psychisme profond. Sous
leur volontaire simplicité, les contes font entrer la sagesse en l’homme par
le biais de l’attraction qu’exercent sur lui la beauté et le mystère. Sans cette
astuce, l’individu resterait trop souvent sourd, craintif ou indifférent vis-à-
vis de la Vérité.
Pour faciliter la lecture des Mille et Une Nuits à un jeune public, on mit
entre ses mains des versions expurgées; on estimait notamment prématuré
de livrer certains détails sur les relations intimes entre hommes et femmes
à des lecteurs n’ayant pas encore atteint l’adolescence. Mais on préserva le
contenu magique de ces contes, de sorte que les têtes juvéniles furent très
tôt imprégnées par l’enchantement des histoires comme celles d’Aladin,
d’Ali Baba ou de Sindbad le marin. Ce succès auprès des jeunes lecteurs a
cependant porté un certain préjudice aux Mille et une Nuits, car un public
mal informé les a longtemps réduites à un accessoire de récréation pour
enfants. Les spécialistes sont néanmoins revenus de ce préjugé qui, il y a
encore peu de temps, reléguait les contes au rang de divertissement destiné
aux enfants ou à un peuple ignorant; leurs travaux accréditent l’idée selon
laquelle Les Mille et Une Nuits méritent bien mieux que de traîner une
connotation infantile.
Les Mille et Une Nuits ont vu leur place reconnue dans le registre des
compositions littéraires de premier rang. Les personnes cultivées qui ont
entrepris d’en lire l’une des traductions n’ont pas regretté leur curiosité; elles
eurent souvent la surprise de découvrir une œuvre riche, à la fois éner-
gique, croustillante et raffinée, pimentée d’un humour très fin et parée
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