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Contribution à l’ouvrage d’ASPEN – De qui demain sera-t-il fait ? , éditions Autrement 2008
L’Afrique en marche
Avec son 1.3 milliard d’habitants, ses gratte-ciels et une croissance économique de 10%
par an, la Chine surprend, fascine, inquiète. Des politologues aux économistes les experts sont
formels : aussi certainement que le 20
ème
siècle fut américain, le 21
ème
sera asiatique. Mais il est un
phénomène dont peu de nos contemporains saisissent la mesure, ni les retentissements : l’Afrique
est en marche, et se prépare à des mutations qui ne manqueront pas de bousculer la donne
internationale. Avec plus d’1.5 milliard d’habitants vivant au sud du Sahara, l’humanité du milieu
du 21
ème
siècle sera, très largement, africaine. Le continent noir, aujourd’hui perçu comme
périphérique, pauvre, à la marge de la mondialisation, s’invitera rapidement dans l’arène
internationale – et dans nos préoccupations stratégiques.
L’Afrique se peuple. Ce continent qui, de la traite négrière aux guerres coloniales, a subi plusieurs
saignées démographiques
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, demeure à l’aube du 21
ème
siècle largement sous-peuplé par rapport à
d’autres zones de la planète: il comptait seulement 28 habitants au km² en 2003, contre 114 en
Europe et 120 en Asie. Mais l’importante chute du taux de mortalité ces 50 dernières années,
combiné à une forte résilience de la fertilité (plus de cinq enfants par femme en moyenne)
engendre aujourd’hui un dynamisme démographique qui n’a de parallèle que le peuplement
fulgurant de l’Asie au 20
ème
siècle. La transition démographique, engagée tardivement sur le
continent, produira un nouveau doublement de la population africaine dans les quarante prochaines
années, porteur de transformations radicales de l’espace et des sociétés.
A mesure qu’elle se peuple, l’Afrique s’urbanise. Depuis le milieu du 20
ème
siècle, alors que le
nombre d’Africains quadruplait, la population urbaine était multipliée par dix, passant de 20
millions à plus de 200 millions. Elle devrait encore tripler d’ici 2030
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. Lagos, Kinshasa ou
Johannesburg, villes-mondes qui effraient par leur gigantisme, n’en ont pas fini de croître – et
rejoindront rapidement le palmarès des plus grandes métropoles mondiales. La capitale nigériane,
avec ses 8 millions d’habitants, pourrait voir sa population doubler en l’espace d’une quinzaine
d’années.
Le monde de demain sera ainsi peuplé d’Africains, près d’une personne sur cinq en 2030. Ils
seront jeunes dans leur écrasante majorité : en 2005, 65% de la population subsaharienne avait
moins de 25 ans, contre 30% en Europe.
Comme le peuplement de la Chine ou de l’Inde naguère, celui de l’Afrique génèrera de fortes
migrations internes au continent. La mobilité des populations africaines est un fait historique. Ces
vastes mouvements s’amplifieront à mesure du rééquilibrage démographique entre des zones
surpeuplées et des espaces de plus faible densité, mais aussi face aux transformations rapides – et
hétérogènes – de l’espace économique africain, et des crises qui l’accompagneront. La
densification accélérée de certains espaces y aiguisera les pressions sur les ressources naturelles –
pourtant particulièrement abondantes à l’échelle du continent. Faute d’infrastructures appropriées
et d’une nouvelle révolution verte sur le sol africain, les difficultés d’accès à l’eau, à l’énergie et à
la terre risquent d’attiser les conflits. Conséquences des crises politiques, les flux de réfugiés
fuyant des zones d’instabilité risquent également de devenir les premiers vecteurs de contagion de
l’instabilité politique à l’échelle régionale, selon un scenario tristement connu dans l’Afrique des
grands lacs. Si une infime partie seulement des migrants africains cherchera son salut hors du
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Voir par exemple Sylvie Brunel, L’Afrique, Editions Bréal 2004
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Stephen Smith, Atlas de l’Afrique, Editions Autrement 2005