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Dans un second temps, nous décrirons la construction au plan sémantico-pragmatique comme
mettant en jeu un phénomène échoïque (polyphonique). La construction est en effet
fondamentalement réactive : dans la plupart des cas, elle reprend en mention un fait évoqué
dans le contexte antérieur
. Ce fonctionnement réactif est inhérent à la structure au point que
lorsque ce contexte n’est pas accessible, le destinataire est amené à le reconstruire.
Nous montrerons que la construction se présente sous la forme d’une demande de confirmation
de dicto simulée. La valeur pragmatique est ainsi celle d’une réaction de surprise incrédule (le
plus souvent feinte, et volontiers sur-jouée) suscitée par l’incompatibilité entre les éléments moi
et me moquer. Plus précisément, c’est en « montrant » la surprise provoquée par l’association
de ces deux éléments que la construction véhicule l’idée qu’ils sont incompatibles, au moins
dans l’esprit du locuteur.
Dans un troisième temps, nous chercherons à comprendre quelle est la relation entre moi et me
moquer et comment la séquence Moi me moquer ! « fait construction » – autrement dit comment
le rendement pragmatique observé est conventionnellement attachée à cette routine discursive.
Nous ferons l’hypothèse d’une conventionnalisation de deux interrogatives successives (Moi ?
et me moquer ?) qui en arrivent, par ritualisation, au fonctionnement d’une construction
exclamative. Nous nous attarderons en particulier sur les formes avec un SN indéfini (ex. 6).
Nous montrerons comment celles-ci sont moins étroitement tributaires de leur contexte et
peuvent présenter typiquement les propriétés reconnues habituellement aux « Constructions »
dans le cadre des Grammaires de Constructions.
Par ailleurs, notre construction suscite ordinairement une inférence négative, de type réfutation.
Ainsi la construction Moi, me moquer ! est largement utilisée pour exprimer le sous-entendu
<je ne me moque en aucun cas>. Elle est d’ailleurs parfois suivie d’un élément qui redonde sur
cette valeur (non, jamais, en aucun cas). Nous ne négligerons pas, cependant, certains exemples
qui semblent s’écarter de cette description, et dans lesquels cette inférence semble plus
problématique. C’est le cas pour des enchaînements du type Moi, aller à Caen ! mais j’en rêve !
qui paraissent remettre en question l’idée d’une inférence réfutative. C’est également le cas
d’exemples comme (7), tiré de la fable du lièvre et de la tortue, dans laquelle cette dernière,
après avoir gagné son défi lancé au lièvre, prend ainsi la parole :
(7) Eh bien, lui cria-t-elle, avais-je pas raison ?
De quoi vous sert votre vitesse ?
Moi l’emporter ! et que serait-ce
Si vous portiez une maison ? (La Fontaine, Fables, 1668-1694)
Comme la construction réagit au fait, indiscutablement avéré, que la tortue l’a emporté, il n’est
pas possible d’enchaîner au moyen de jamais ! ou impossible ! (??Moi l’emporter ! Jamais !). A
partir de la discussion de ces exemples particuliers, nous chercherons à comprendre si une
valeur réfutative est constitutive ou non de la construction.
En guise de conclusion, nous ferons le rapport avec d’autres constructions exclamatives. On
sait que certaines catégories d’exclamatives se présentent comme une réaction expressive à des
faits perçus comme excédant les normes ordinaires. Notre construction présente un
fonctionnement similaire, l’apparentement entre moi et me moquer étant conçu comme sortant
des limites du concevable. Le fait que le rejet de cet apparentement se réalise au plan implicite
renforce également la nature « expressive » du procédé.
L’étude se fonde sur 190 exemples contenant une forme à l’infinitif (comme l’exemple 1) et
une centaine d’exemples de structures apparentées (comme les exemples 2 à 6). La majeure
partie des données sont issues de Frantext, le reste d’œuvres littéraires « tout-venant » et du
web, plus marginalement de textes de presse.
Il peut arriver (beaucoup plus rarement) qu’elle réagisse à un fait advenu et avéré (v. infra ex 7).