Les Constructions comme unités fondamentales de la langue Journée du 21 Avril 2015 9h30 – Accueil 10h-10h30 D. Legallois et A. Patard (Crisco, Université de Caen). Présentation : Les Constructions comme unités fondamentales de la langue 10h30 -11h10 J.M. Fortis (CNRS, HTL, Université Paris 7), Une généalogie de la notion de construction en linguistique américaine 11h40-12h20 G. Corminboeuf (Université de Bâle) et F. Gachet (Université de Neuchâtel) Une construction infinitive à valeur exclamative « Moi, me moquer ! En aucune façon » déjeuner 14h00-14h40 A. Carlier (Stl, Université de Lille 3) et M. Meulleman (Cirlep, Université de Reims) Perspectives diachronique et comparée sur l’expression idiomatique il y a en français: entre idiosyncrasie et motivation 14h40-15h20 L. Ben Hamad (LDC, MoDyCo, Université de Sousse), Le statut catégoriel des locutions conjonctives : constructionnalisation et évolution d’un système grammatical pause 15h50-16h30 N. Van Wettere et P. Lauwers (Universiteit Gent) La « micro-constructionnalisation » en tandem: les semi-copules tourner/virer et s’avérer/se révéler 16h30-17h10 E. Moline Université de Caen – Basse Normandie CRISCo (EA4255) Sa barbe n’était pas encore poussée que ces amusements l’avaient lassé déjà. La construction (ne… pas) (encore) p(,) (que + et) (déjà) (ne… plus) q Journée du 22 Avril 2015 9h30 – 10h10 E. Schafroth (Université de Düsseldorf) Le modèle du PhraseoFrame: une approche holistique pour décrire les constructions 10h 10 -10h50 K. Ewert-Kling (Université de Düsseldorf) Les modèles locutionnels tautologiques comme constructions et la description dans le PhraseoFrame Pause 11h10 -11h50 L. Liégeois (Laboratoire Ligérien de Linguistique) Acquisition des liaisons catégoriques nominales et verbales : de la lexicalisation à l’abstraction des constructions. 11h50-12h30 E.Hilgert (Université de Reims, Cirlep) Les formules comme patrons constructionnels déjeuner 14h00-14h40 P. Jalenques (Lidifra, Université de Rouen ) Le passif en français est-il une construction ? 14h40-15h20 T. Nakamura (Ligm, Université Paris-Est), Cet article a pour objectif de... : le pendant transitif de la copulative spécificationnelle. Son interprétation constructionniste pause 15h50-16h30 B. Combettes et M. Dargnat (Université de Lorraine & ATILF) : Intensivité et construction : le cas des concessives RESUMES J.M. Fortis (CNRS, HTL, Université Paris 7), Une généalogie de la notion de construction en linguistique américaine Des modèles grammaticaux récents ont réintroduit en linguistique une notion que le générativisme avait considérée comme non avenue ou périphérique, la notion de construction. L’objet de cette présentation est de proposer une généalogie de cette notion dans le contexte américain. Une telle généalogie impose de comprendre pourquoi cette notion, qui était centrale chez Bloomfield, et vivante chez les distributionnalistes, s’est progressivement effacée. Cet effacement a été l’œuvre du mouvement générativiste, qui s’est construit sur le primat de l’analyse en constituants, son intégration et son dépassement dans la grammaire transformationnelle (Postal 1967). Toutefois, par une ruse de l’histoire, le mouvement générativiste suscita une contre-réaction qui entendait diriger l’attention vers des points aveugles: l’idiomaticité (p. ex. Chafe 1968, et d’autres) et la prise en compte du parler “naturel” (Pawley et Syder 1983), le laxisme sémantique de la grammaire transformationnelle (en part. Bolinger 1977), la corrélation entre sémantique et comportement syntaxique (Green 1974, entre autres), dans le contexte d’une introduction massive de la sémantique dans la théorie linguistique, en particulier au cours des années 1970. Cette contre-réaction, on le montrera, déboucha sur une réintroduction de la notion de construction, en particulier chez Fillmore (Fillmore & Kay 1988), formé à l’époque distributionnaliste, et chez son élève, Goldberg (1995). La linguistique cognitive enrôla la notion de construction dans une opposition plus générale au générativisme, opposition développée sur de multiples plans (gnoséologique, linguistique, acquisitionnel) et favorisant des conceptions qu’on peut qualifier d’empiristes (en un sens à préciser). Enfin, la notion permit la réactivation de perspectives distributionnelles, mais conjuguées cette fois à la recherche d’universaux de langue (Croft 2001). Références (illustratives, non-exhaustives) Bloomfield, Leonard, rev. ed. (1935). Language. London, George Allen & Unwin. Bolinger, Dwight (1977). Meaning and form. London & New York, Longman. Chafe, Wallace (1968). “Idiomaticity as an anomaly in the Chomskyan paradigm”, Foundations of Language 4: 109-127. Croft, William (2001). Radical construction grammar. Oxford, Oxford University Press. Fillmore, Charles J., Kay, Paul, O'Connor, Mary Catherine (1988). “Regularity and idiomaticity in grammatical constructions: The case of let alone ”, Language 64(3): 501-538. Goldberg, Adele E. (1995). Constructions : A construction grammar approach to argument structure. Chicago, The University of Chicago Press. Green, Georgia M. (1974). Semantics and syntactic regularity. Bloomington, Indiana University Press. Pawley, Andrew & Syder, Frances Hodgetts (1983). “Two puzzles for linguistic theory: Nativelike selection and nativelike fluency”. In Jack C. Richards and Richard W. Schmidt (eds.), Language and communication, New York, Longman: 191-226. G. Corminboeuf (Université de Bâle) et F. Gachet (Université de Neuchâtel) Une construction infinitive à valeur exclamative « Moi, me moquer ! En aucune façon » Nous nous proposons d’étudier la construction à valeur exclamative illustrée dans (1), constituée d’un pronom tonique suivi d’une forme verbale à l’infinitif : (1) GEORGE DANDIN. – Au travers de toutes vos grimaces, j’ai vu la vérité de ce que l’on m’a dit, et le peu de respect que vous avez pour le nœud qui nous joint. Mon Dieu ! laissez là votre révérence, ce n’est pas de ces sortes de respect dont je vous parle, et vous n’avez que faire de vous moquer. ANGÉLIQUE. – Moi, me moquer ! En aucune façon. (Molière, George Dandin, 1669) Dans un premier temps, nous montrerons que la construction est apparentée à plusieurs autres structures, notamment celles illustrées dans les exemples (2) à (4) : (2) BERENICE. – (…) Êtes-vous pleinement content de votre gloire ? Avez-vous bien promis d’oublier ma mémoire ? Mais ce n’est pas assez expier vos amours : Avez-vous bien promis de me haïr toujours ? TITUS. – Non, je n’ai rien promis. Moi, que je vous haïsse ! Que je puisse jamais oublier Bérénice ! Ah Dieux ! dans quel moment son injuste rigueur De ce cruel soupçon vient affliger mon cœur ! (Racine, Bérénice, 1697) (3) HERMIONE. – Hé quoi ? votre haine chancelle ? Ah ! courez, et craignez que je ne vous rappelle. N’alléguez point des droits que je veux oublier ; Et ce n’est pas à vous à le justifier. ORESTE. – Moi, je l’excuserois ? Ah ! vos bontés, Madame, Ont gravé trop avant ses crimes dans mon âme. (Racine, Andromaque, 1668) (4) Après quelques moments l’appétit vint ; l’Oiseau S’approchant du bord vit sur l’eau Des Tanches qui sortaient du fond de ces demeures. Le mets ne lui plut pas ; il s’attendait à mieux, Et montrait un goût dédaigneux Comme le Rat du bon Horace. Moi des Tanches ? dit-il, moi Héron que je fasse Une si pauvre chère ? Et pour qui me prend-on ? (La Fontaine, Fables, 1668-1694) Dans (2), la forme verbale est au subjonctif, dans (3) au conditionnel, et dans (4) la construction est elliptique. Nous soulignerons également les variations observables dans la construction : le pronom tonique peut être placé à droite (Me moquer, moi !), être à une autre personne que la première du singulier (Lui, se moquer !) et un SN peut s’y substituer (5)-(6) : (5) – Peut-être, dit Etienne, ramasse-t-il des sous sur la route. Du coup, elle brandit les deux poings, hors d’elle. – Si je savais ça !... Mes enfants mendier ! J’aimerais mieux les tuer et me tuer ensuite. (Zola, Germinal, 1885) (6) SOLIMAN, fumant par intervalles. Je ne sors point de mon étonnement ; Une esclave parler avec cette arrogance ! (Il fume.) (…) (Favart, Les trois sultanes, ou Soliman II, II-1, 1762) Un autre axe de variation concerne la ponctuation qui, d’une part, hésite entre marques interrogatives et exclamatives, et, d’autre part, balance à présenter la structure comme deux unités successives ou comme une seule (Moi ? Me moquer ? ; Moi, me moquer !? ; Moi me moquer !) Dans un second temps, nous décrirons la construction au plan sémantico-pragmatique comme mettant en jeu un phénomène échoïque (polyphonique). La construction est en effet fondamentalement réactive : dans la plupart des cas, elle reprend en mention un fait évoqué dans le contexte antérieur 1. Ce fonctionnement réactif est inhérent à la structure au point que lorsque ce contexte n’est pas accessible, le destinataire est amené à le reconstruire. Nous montrerons que la construction se présente sous la forme d’une demande de confirmation de dicto simulée. La valeur pragmatique est ainsi celle d’une réaction de surprise incrédule (le plus souvent feinte, et volontiers sur-jouée) suscitée par l’incompatibilité entre les éléments moi et me moquer. Plus précisément, c’est en « montrant » la surprise provoquée par l’association de ces deux éléments que la construction véhicule l’idée qu’ils sont incompatibles, au moins dans l’esprit du locuteur. Dans un troisième temps, nous chercherons à comprendre quelle est la relation entre moi et me moquer et comment la séquence Moi me moquer ! « fait construction » – autrement dit comment le rendement pragmatique observé est conventionnellement attachée à cette routine discursive. Nous ferons l’hypothèse d’une conventionnalisation de deux interrogatives successives (Moi ? et me moquer ?) qui en arrivent, par ritualisation, au fonctionnement d’une construction exclamative. Nous nous attarderons en particulier sur les formes avec un SN indéfini (ex. 6). Nous montrerons comment celles-ci sont moins étroitement tributaires de leur contexte et peuvent présenter typiquement les propriétés reconnues habituellement aux « Constructions » dans le cadre des Grammaires de Constructions. Par ailleurs, notre construction suscite ordinairement une inférence négative, de type réfutation. Ainsi la construction Moi, me moquer ! est largement utilisée pour exprimer le sous-entendu <je ne me moque en aucun cas>. Elle est d’ailleurs parfois suivie d’un élément qui redonde sur cette valeur (non, jamais, en aucun cas). Nous ne négligerons pas, cependant, certains exemples qui semblent s’écarter de cette description, et dans lesquels cette inférence semble plus problématique. C’est le cas pour des enchaînements du type Moi, aller à Caen ! mais j’en rêve ! qui paraissent remettre en question l’idée d’une inférence réfutative. C’est également le cas d’exemples comme (7), tiré de la fable du lièvre et de la tortue, dans laquelle cette dernière, après avoir gagné son défi lancé au lièvre, prend ainsi la parole : (7) Eh bien, lui cria-t-elle, avais-je pas raison ? De quoi vous sert votre vitesse ? Moi l’emporter ! et que serait-ce Si vous portiez une maison ? (La Fontaine, Fables, 1668-1694) Comme la construction réagit au fait, indiscutablement avéré, que la tortue l’a emporté, il n’est pas possible d’enchaîner au moyen de jamais ! ou impossible ! (??Moi l’emporter ! Jamais !). A partir de la discussion de ces exemples particuliers, nous chercherons à comprendre si une valeur réfutative est constitutive ou non de la construction. En guise de conclusion, nous ferons le rapport avec d’autres constructions exclamatives. On sait que certaines catégories d’exclamatives se présentent comme une réaction expressive à des faits perçus comme excédant les normes ordinaires. Notre construction présente un fonctionnement similaire, l’apparentement entre moi et me moquer étant conçu comme sortant des limites du concevable. Le fait que le rejet de cet apparentement se réalise au plan implicite renforce également la nature « expressive » du procédé. L’étude se fonde sur 190 exemples contenant une forme à l’infinitif (comme l’exemple 1) et une centaine d’exemples de structures apparentées (comme les exemples 2 à 6). La majeure partie des données sont issues de Frantext, le reste d’œuvres littéraires « tout-venant » et du web, plus marginalement de textes de presse. 1 Il peut arriver (beaucoup plus rarement) qu’elle réagisse à un fait advenu et avéré (v. infra ex 7). Choix de références Akmajian A. (1984), « Sentence Types and the Form-Function Fit ». Natural Language and Linguistic Theory 1-2, 1-23. Gachet F. & Corminboeuf G. (2012), « Les exclamatives de Mlle Pellaton », Congrès Mondial de Linguistique Française (CMLF’12), 1743-1757. Jespersen O. (1971=1924), La philosophie de la grammaire, Paris, Minuit. Lambrecht K. (1990), “What, me worry? Mad Magazine sentences revisited”, Proceedings of the Sixteenth Annual Meeting of the Berkeley Linguistics Society, University of California, 215228. Legallois D. 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C’est ainsi que dans la représentation logique, le prédicat d’existence n’est pas représenté par un prédicat, mais par un quantifieur. Ce caractère atypique de la prédication verbale d’existence se reflète iconiquement dans le fait, dans toutes les langues, le prédicat d’existence est morphosyntaxiquement irrégulier et prend souvent la forme d’une expression idiomatique semi-schématique (Croft & Cruse 2004). Comme l’ont montré les travaux typologiques de Lyons (1967), Clark (1978), Bickerton (1981) et Koch (2012), deux modèles majeurs se profilent pour l’expression de l’existence: celui-ci est lexicalisé soit en termes de localisation ‘dans un lieu Y est X’ soit en termes de possession ‘Y a X’, avec l’objet localisé ou possédé en position rhématique. Le latin tardif présentait concurremment les deux structures, mais les langues romanes ont sélectionné l’une des deux tournures (Blasco Ferrer 2004). Dans la présente communication, nous apporterons une analyse des spécificités du prédicat d’existence il y a du français par rapport à ses homologues en italien, en espagnol et en roumain en soulevant les questions de recherche suivantes, qui concernent sa forme (i-ii-iii) et sa fonction (iv-v). (i) Pourquoi le français a-t-il opté pour le verbe ‘avoir’, alors que l’italien maintient le verbe ‘être’ utilisé pour l’expression de l’existence de l’existence? Ce choix est-il lié à l’extension de constructions transitives (Bauer 1999) et/ou au développement de l’ordre des mots ? (ii) Se pose également la question de la fonction syntaxique du SN postverbal et celle de l’accord du verbe avec le SN postverbal. Il a été observé que le prédicat d’existence de l’espagnol, également formé avec ‘avoir’, tend à s’accorder avec le NP postverbal, quoique cet accord soit non normatif. Cet accord révèle une réanalyse du SN postverbal comme sujet. Cette tendance existe-t-elle également en français et s’il y a différence avec l’espagnol, comment en rendre compte? (iii) En dépit du fait que le français n’est pas en train d’évoluer vers une langue pro-drop, le prédicat d’existence prend souvent la forme de ya. Comment expliquer cette disparition du pronom il? Ou n’a-t-il jamais réussi à s’imposer en français parlé, contrairement aux autres constructions impersonnelles (cf. Falk 1969)? (iv) Il y a est-il encore un prédicat d’existence? Est-il utilisé dans les mêmes configurations discursives que les prédicats d’existence en italien, en espagnol et en portugais et si différence il y a comment en rendre compte? (v) Quel est le rapport entre prédication d’existence et construction impersonnelle? Une propriété fondamentale de l’expression idiomatique est son caractère arbitraire et, dans une perspective synchronique, on pourrait avancer que les différences formelles et fonctionnelles entre langues romanes par rapport à l’expression de l’existence illustrent ce caractère arbitraire. Nous montrerons néanmoins, en évoquant l’évolution diachronique spécifique du prédicat d’existence dans chacune des quatre langues romanes considérées, comment la perspective diachronique et comparée permet de comprendre comment se forgent les expressions et constructions idiomatiques, du point de vue de la forme lexicale et syntaxique, du sens et des conditions d’emploi et comment il est ainsi possible de trouver une forme de motivation aux divergences que présentent les langues par rapport au prédicat d’existence. Références Bauer, Brigitte. (1991). From Latin to French: the linear development of word order. Recherches de linguistique française et roimane d’Utrecht 10: 23-28. Bauer, B.. (1999). 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Ben Hamad (LDC, MoDyCo, Université de Sousse), Le statut catégoriel des locutions conjonctives : constructionnalisation et évolution d’un système grammatical Nous aborderons, ici, le problème du statut catégoriel des locutions conjonctives dans sa complexité – qui est grande2. Notre perspective sera, en réalité, double. Nous décrirons d’abord les éléments de base de ces « composés locutionnels ». Nous porterons ensuite une attention particulière au mot que, qui entre dans leur composition3. Notre réflexion s’inscrira dans la continuité des nombreuses études qui, ces dernières années, ont tenté d’appréhender les propriétés des diverses « particules invariables » ou encore d’explorer plus à fond le statut des morphèmes en qu-. Nous nous occuperons de décrire, dans une première partie, les processus qui ont conduites les locutions conjonctives à entrer dans la grammaire du français, en mettant en lumière des points qui restent inexpliqués. Notre tâche sera très complexe. C’est une partie importante (autant du point de vue morphologique, syntaxique et sémantique) de l’histoire de la langue qui sera en jeu. Nous serons portée de prime abord à établir l’usage des locutions conjonctives dans le premier état du français écrit, de façon à élucider le problème des origines. Nous serons attachée, plus particulièrement, à faire apparaître l’origine corrélative de ces constructions, déjà bien attestée en latin4. Nous procéderons ensuite à « diachroniser » leur évolution. Nous nous efforcerons d’en retracer les différentes étapes en les interprétant non pas individuellement, mais comme des éléments d’un changement global, qui aboutit à une recatégorialisation des adverbes ou prépositions en locutions conjonctives 5. C’est à ce processus de constructionnalisation que nous nous attacherons, en essayant d’analyser les changements qui ont affecté les adverbes et prépositions de départ. Nous tenterons de montrer qu’une nouvelle restructuration des catégories est encodée dans la morphologie et que cette innovation catégorielle a pour corrélat de nouveaux paramètres syntaxiques qui s’actualisent dans la grammaire. 2 Nous ne prétendons pas trancher cette question. Toutefois, l’entreprise n’aura pas été inutile. 3 Nous souhaitons pouvoir montrer, à l’issue de ce travail, que le figement dans une locution conjonctive est moins systématique qu’il n’y paraît et que la notion même de locution conjonctive est à considérer avec plus de soin dès les premières périodes de français. 4 Nous tenterons de mettre en perspective ainsi le passage de « diptyques corrélatifs » aux formes les plus évoluées d’hypotaxe. 5 Les données empiriques nous permettront de mettre en évidence que l’on ne peut plaider en faveur d’une modification drastique ou d’un phénomène de substitution d’une structure par une autre. Nous procèderons, dans notre seconde partie, à une esquisse diachronique de l’emploi de que dans la structure base-que P. Nous étudierons plus précisément les paramètres contextuels qui ont favorisé le maintien de la construction considérée. Nous examinerons d’abord la variation qui repose sur l’existence d’une triple série de constructions pendant la période du français médiéval. Nous observerons ensuite l’évolution qui l’achemine vers le français moderne et les processus impliqués dans cette évolution. Le système de que en français moderne est, on le montrera, à la fois le produit d’un processus historique et d’une restructuration systémique constante. Nous tenterons de décrire le mouvement général dans la structuration du système, qui peut être caractérisé par une tendance à l’uniformisation des réalisations discursives sous la forme de la structure base-que P. C’est l’ensemble des structures concernées qui nous interpellera puisque cette dernière s’impose successivement comme structure parallèle, comme alternative ou comme substitut. Nous aborderons ainsi les constructions en- quant et -com(e) en ancien et moyen français 6. Cela nous conduira à évaluer peut-être plus précisément l’ampleur des convergences et leur impact sur l’appréhension du fonctionnement de que dans les locutions conjonctives7. Notre longue quête procède à mettre en lumière des phénomènes de changements isochrones et de variations concomitantes et à en proposer une analyse théorique, afin de cerner la nature des processus qui y sont impliqués. C’est une fréquentation assidue de grandes masses de données numérisées, constituées de la BFM pour l’ancien français, de la base du Dictionnaire du moyen français pour la période 1330- 1500, et de Frantext pour les périodes suivantes qui nous conduira à établir une hiérarchie et une structuration dans les changements à l’œuvre aux diverses étapes de la constructionnalisation. Bibliographie indicative: Ben Hamad, L., (2013), « L’émergence des locutions conjonctives de simultanéité en ancien français », in Actes du troisième Congrès mondial de Linguistique française, Actes en ligne: www.linguistiquefrançaise.org. Ben Hamad, L., (2013), « Réflexions sur le statut du mot que dans les locutions conjonctives: changement et permanence? », in Variation et changement en langue et en discours : 105, 132, Mémoires de la Société Néophilologique de Helsinki. Diewald, G., (2004), « Context types in grammaticalization as constructions », MS. http://www.constructions-online.de/articles/specvol1/686. Noël D., (2007), « Diachronic construction grammar and grammaticalization theory » in Functions of Language, 14, 2: 177–202. Traugott, E-C., (2003), « Constructions in grammaticalization », in The Handbook of Historical linguistics, Oxford, Blackwell Publishing : 624-647. Traugott E. & Graeme Trousdale (2013), Constructionalization and Constructional Changes, Oxford: OUP. Trousdale G. & Hoffmann Th. (eds.), (2013), The Oxford handbook of Construction Grammar, Oxford University Press. Wischer, I. & Diewald, G. (éds), (2002), New reflections on Grammaticalization, International Symposium, Postdam, 17-19 Juin, 1999, Amsterdam, Benjamins. N. Van Wettere et P. Lauwers (Universiteit Gent) La « micro-constructionnalisation » en Il nous a semblé que cette période constituait un domaine d’observation pertinent dans la mesure où les trois structures considérées y sont bien représentées. 7 Notre objectif est ici modeste. Il s’agira notamment d’observer si que adopte les traits des morphèmes qu’il remplace. 6 tandem: les semi-copules tourner/virer et s’avérer/se révéler Cette contribution, qui s’inscrit dans l’axe diachronique du colloque, s’intéresse à l’émergence de nouveaux verbes (semi-)copules, résultant de processus de constructionnalisation variés (Traugott et Trousdale 2013) : tourner/virer et s’avérer/se révéler. A la différence de la copule type être, les semi-copules ne présentent pas toutes les propriétés liées au statut de verbe copule (Lauwers & Tobback 2010). A regarder l’inventaire (ib.) on constate qu’elles se caractérisent notamment par le maintien de restrictions de souscatégorisation/sémantiques du côté du sujet et de l’attribut. Celles-ci sont le résultat d’un processus de « copularisation » qui n’a pas abouti à un verbe copule à part entière. Il s’avère que ce processus de copularisation – qui est avant tout un processus de grammaticalisation (primaire) (Hopper & Traugott 2003 [19931]) - est plus complexe que ne le laisse croire la doxa (Stassen 1997, Hengeveld 1992), qui trop souvent le réduit à la désémantisation d’un verbe plein suivie de l’incorporation ‘valencielle’ de l’attribut « dépictif », suivie à son tour d’une « host class expansion », qui élargit progressivement la gamme des constituants attributs, de la classe adjectivale à celle des noms. Cette complexité provient entre autres (voir Lauwers & Tobback 2013) du fait que l’émergence de nouveaux verbes copules est en partie le résultat de l’interaction de plusieurs constructions, directes et indirectes (prépositionnelles), coexistant encore en synchronie, et se présentant comme une sorte de « allostructions » (Cappelle 2006, Perek 2012). Dès lors une reformulation de la problématique en termes de Construction Grammar s’annonce très prometteuse pour en comprendre les tenants et les aboutissants : comment naît pour chacun de ces verbes la nouvelle construction copulative (ou les constructions copulatives) ? C’est donc la question de la constructionnalisation, et plus particulièrement, de la micro-constructionnalisation, qui se pose (Traugott & Trousdale 2013). Dans cette communication, nous présenterons deux études de cas ayant trait à deux couples de semicopules quasi-synonymiques, qui illustrent chacune deux types de parcours de microconstructionnalisation. L’analyse est essentiellement basée sur l’examen de Frantext et s’appuie plus particulièrement sur la chronologie des premières attestations et l’examen quantifié du processus de « host-class expansion » (Himmelmann 2004) ou « increased collocational range » (Traugott & Trousdale 2013, 18) au niveau de l’attribut et du sujet. L’analyse aboutit aux résultats suivants. D’une part, dans le cas de tourner (et mutatis mutandis de se révéler), on peut faire état d’un changement graduel et progressif qui finit par aligner tourner sur le paradigme des verbes semicopules: il a tourné gay. Ce changement qui remonte au début du 19e siècle a été « préparé » de longue date par d’autres changements constructionnels. Ainsi, tourner, verbe de mouvement intransitif – désignant à l’origine un mouvement giratoire – a développé tout naturellement des emplois métaphoriques comme verbe de changement d’état, d’après le modèle « change is motion » (Lakoff & Johnson 1980), le but du mouvement orienté (directionnel) correspondant à l’état résultant : X tourne à/en Y. Cette construction dans laquelle le verbe (tourner à) s’est désémantisé, a donné lieu à un emploi semi-copulatif après la chute de la préposition. En revanche, le parcours de virer (ainsi que de s’avérer) semble être le résultat d’une « analogisation » (Traugott & Trousdale 2013) à partir de la construction attributive de tourner (et mutatis mutandis, de se révéler), ce qui explique le caractère plus brusque de l’évolution. A deux reprises, son évolution « naturelle » a été infléchie sous la pression des constructions de tourner, l’analogie lexicale tourner-virer ayant donc joué à deux reprises. D’abord, virer (à) (°1848), à l’origine confiné essentiellement au domaine scientifique pour désigner un changement de couleur (p.ex. virer [au rouge]) – avec un complément indirect syntaxiquement optionnel – a augmenté la « type frequency » de ses compléments d’après le modèle de tourner à, dont la construction en à, plus ancienne (°12e s.), se combinait avec un éventail de compléments plus large. Ensuite, au début du 20e s., la construction indirecte virer à a abouti à la construction directe virer + adjectif de couleur/acide, non sans avoir subi l’attraction lexicale de son synonyme tourner + adjectif/nom, avec lequel virer partageait déjà la construction indirecte en à. L’attraction de la construction attributive directe de tourner – qui semble récemment avoir poussé d’autres verbes à adopter la construction attributive tels que basculer (p. ex. : Ça peut mal finir ce genre d’obsessions, tu vas finir par basculer psycho.) – s’observe à travers plusieurs indices. L’histoire de se révéler est en partie analogue à celle de tourner, à ceci près que le verbe de départ n’est pas un verbe de mouvement mais un verbe transitif de communication (révéler) qui s’est d’abord intransitivé (se révéler ‘apparaître’, émerger’), et que le complément prépositionnel qui a facilité le passage dans le domaine attributif s’avère être un attribut dépictif introduit par un marqueur prédicatif (comme). Le sort de s’avérer ressemble étrangement à celui de virer. Verbe défectif à l’agonie, avérer a brusquement été réanimé aux alentours de 1900, attiré comme il était par les nouveaux emplois copules de se révéler. En somme, les quatre verbes à l’étude ont tous fait l’objet d’un processus de constructionnalisation à travers lequel ils ont adopté un emploi comme verbe (semi-)copule. Pour tourner et se révéler, la constructionnalisation attributive est préparée par une construction prépositionnelle (directionnelle / en comme), qui constitue donc une construction intermédiaire dans la filiation diachronique. Virer et s’avérer, de leur côté, ont été attirés vers le spectre attributif par les nouvelles constructions attributives de leurs homologues respectifs. Ce bilan - obtenu grâce à la boîte à outils de la CxG montre que les processus de copularisation sont plus complexes qu’on ne le pense. REFERENCES Cappelle, B. 2006. Particle placement and the case for “allostructions”. In : D. Schönefeld (éd), Constructions Special Volume 1 — Constructions all over: case studies and theoretical implications. (Disponible sur le site http://www.constructions-online.de/) Hengeveld, K. 1992. Non-verbal predication: Theory, Typology, Diachrony. Berlin/New York: Mouton de Gruyter. Himmelmann, N. 2004. « Lexicalization and grammaticization : opposite or orthogonal ? ». In : W. 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Moline Université de Caen – Basse Normandie CRISCo (EA4255) Sa barbe n’était pas encore poussée que ces amusements l’avaient lassé déjà. La construction (ne… pas) (encore) p(,) (que + et) (déjà) (ne… plus) q Les phrases de forme (ne… pas) (encore) p(,) (que + et) (déjà) (ne… plus) q n’ont pas manqué d’attirer l’attention des grammairiens et des linguistiques, qui se sont penchés essentiellement sur la question de l’analyse syntaxique, laissant de côté l’aspect sémantique, sans doute jugé trop transparent au vu des quelques exemples généralement considérés. La diversité des analyses syntaxiques proposées témoigne de la difficulté à les circonscrire de ce seul point de vue. En effet, pas moins de six analyses différentes (et peu conciliables) ont été avancées : en termes de subordination syntaxique (Wartburg & Zumthor, 1947 ; Le Bidois, 1971 ; Sandfeld, 1977 ; Chevalier et al., 1998), de subordination inverse (Gougenheim 1939 ; Le Goffic 1993 ; Wilmet 1997 ; Riegel et al. 2009), de coordination (de Boer 1947), de corrélation (Allaire 1982), de pseudo-corrélation (Deulofeu 1986) ou encore de subordination énonciative, i. e. de macro-syntaxe (Maurel 1992). Cette focalisation sur le seul point de vue syntaxique associée au nombre restreint d’exemples pris en considération a eu pour conséquence non seulement de laisser de côté les aspects discursif, argumentatif et informationnel à l’œuvre, mais également de négliger la variété et l’extrême précision du repérage aspectuo-temporel établi entre les événements (ou les faits) décrits par les deux propositions mises en relation. Sur le plan de la production, des contraintes très précises régissent l’agencement de chacune des séquences (par exemple les temps composés et les achèvements étant incompatibles avec encore à valeur continuative sont exclus de p en l’absence de négation). Sur le plan de la compréhension, si l’interprétation est bien compositionnelle, elle ne résulte pas essentiellement du lexique, mais de la prise en compte de la combinaison d’éléments sémantiques (aspectuels pour l’essentiel) portés par des morphèmes grammaticaux (temps verbaux, présence ou absence d’une forme de négation, et le cas échéant, portée de la négation, etc). Au final, l’ordre d’apparition des propositions ne relevant pas de la syntaxe, mais de facteurs discursifs, la structure se décline en une cinquantaine de variantes, parmi lesquelles : . Marius trouvait encore Cosette laide que déjà Cosette trouvait Marius beau. (Hugo, Les Misérables) . Elle descendait encore l’escalier, que Madame Lorilleux la traita de licheuse et de propre à rien. (Zola, 1877) . Mais il n’était pas dans l’escalier qu’il songeait à son fils revenant ivre ; et il s’arrêtait à chaque marche ; il imaginait mille dangers à le laisser rentrer seul…(Roland, 1904) . Il lui fait un électrocardiogramme aussi sec, et le ruban n’avait pas encore fini de défiler qu’il appelait déjà le SAMU. (Winckler, 1998) . Le vicomte n’avait pas fait deux pas dans ce cabinet, n’avait pas dit une parole, que le notaire, qui le connaissait de réputation, le haïssait déjà. (Sue, 1843) . Il n’avait pas encore tourné la tête que le son grêle et saccadé du grelot déchirait de nouveau son oreille et le rejetait avec toutes les affres du doute dans une nouvelle course à travers les bois. (Pergaud, 1910) . Mais voici qu’un témoin s’est levé, et les affiches ne sont pas encore posées que tout est remis en question. (Clémenceau, 1899) . Et, en effet, une heure ne s’était pas écoulée, que l’honnête garçon, ayant coupé son nez et rogné ses ailes, n’avait plus rien en lui qui rappelât le sectateur du dieu Tingou. (Verne, 1873) . Je roulais pas depuis un quart d’heure que les deux motards se montrent dans le rétro. (Fallet, 1956) . Le rideau était levé qu’on rentrait par bandes, au milieu de la mauvaise humeur des spectateurs déjà assis. (Zola, 1880) . Et elle était enfouie au fond de sa pelisse, que lui, le nez toujours contre le mur, ne se décidait pas à risquer un regard. (Zola, 1886) . Déjà il entrait dans le magasin, indifférent, qu’elle restait immobile, toute retournée par ce regard, emplie d’une émotion singulière, où il y avait plus de malaise que de charme. (Zola, 1883) Pour différentes raisons (fréquence peu élevée, nature compositionnelle du sens, variété des combinaisons possibles, diversité des repérages aspectuo-temporels notamment), les locuteurs n’ont pas conscience d’être confronté à un réseau très finement tissé à partir d’un même canevas. Les facteurs précédemment exposés conduisent à la question de savoir si une analyse en termes de construction serait à même de rendre compte des faits observés. En effet, indépendamment du matériel lexical utilisé, et bien que celui-ci exerce des contraintes sur l’acceptabilité (mode d’action notamment) et joue un rôle non négligeable dans l’interprétation, le schéma (ne… pas) (encore) p(,) (que + et) (déjà) (ne… plus) q / (déjà) (ne… plus) q, (que + et) (ne… pas) (encore) p pose un repérage aspectuo-temporel entre deux événements (ou deux faits) qui se laisse globalement décrire en termes de franchissement (ou non) de seuils (droit ou gauche). On peut donc considérer que malgré la nature strictement compositionnelle du sens véhiculé par telle ou telle instanciation, on a bien affaire à une construction. Mon exposé se développera en trois points. Dans un premier temps, je montrerai les différentes variations qui peuvent être réalisées à partir du schéma initial, (ne… pas) (encore) p(,) (que + et) (déjà) (ne… plus) q, tous les éléments entre parenthèse pouvant être exprimés ou non. Dans un second temps, j’exposerai les différents types de repérages susceptibles d’être établi par chacune des séquences, et je donnerai un exemple des contraintes régissant la production pour un cas particulier : (encore) p que (déjà) (ne… plus) q / (déjà) (ne… plus) q que (encore) p. Dans un troisième temps, je montrerai dans quelle mesure la grammaire de constructions est susceptible d’en opérer une description adéquate. Références bibliographiques8 Allaire Suzanne (1982), Le modèle syntaxique des systèmes corrélatifs. 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Ziem 2008), cette contribution a pour objectif de proposer un modèle, appelé PhraseoFrame, qui soit capable de décrire des constructions d'une manière holistique, c'est-à-dire en considérant, du côté de la forme, les particularités phonologiques, morphologique et syntaxiques, et, du côté de la signification, les spécificités sémantiques, pragmatiques et discursives. Ce n'est qu'en décrivant tout le savoir linguistique, qu'il faut avoir à propos d'une construction (idiosyncratique – qui est une de ses caractéristiques), qu'on réussit non seulement à la comprendre mais aussi à l'utiliser activement. Le type de construction sera celle des pragmatèmes, terme emprunté à Mel’čuk 1995 (cf. Fléchon/Frassi/Polguère 2012), donc des clichés linguistiques comme Ne quittez pas, Je vous remets ça? ou Et avec ça?, qui sont tous liés à une situation concrète et caractérisés par une structure syntaxique plutôt invariable et par une dimension pragmatique nettement claire. Le PhraseoFrame (cf. Schafroth 2013a, 2013b, 2014), une base de donnée organisée sous forme de grilles linguistiques (chacune réservée pour une construction spécifique) dispose d'attributs (de nature phonologique, morphologique, syntaxique, sémantique, pragmatique et discursive) et leurs descriptions concrètes (values) basées sur des corpus linguistiques. Cette composante méthodologique (attributs, valeurs) s'appuie sur la feature structure de la linguistique de frame, telle qu'elle est représentée par Barsolou 1992 et d'autres (cf. Fried/Östman 2004, Ziem 2008, Busse 2012). Le but est donc de présenter un modèle lexicographique (numérique), établi sur la base théorique de la CxG et inspiré par la sémantique épistémique, qui est apte à aider les utilisateurs – je pense surtout aux apprenants L2 d'une langue - à saisir et appréhender une construction aussi entièrement que possible. Bibliographie Barsalou L. W. (1992). Cognitive Psychology. Hillsdale, N.J.: Lawrence Erlbaum Busse D. (1991). 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(Communication présentée le 9 novembre 2013 à l'Universität Saint-Louis, Bruxelles, lors du colloque international "Constructionist Approaches to Language Pedagogy"). Version écrite: http://www.romanistik.hhu.de/abteilungen/romanistik-iv-romanische-sprachwissenschaft/unser-team/univprofdr-schafroth/forschung-und-projekte/forschungsschwerpunkte/publikationenkonstruktionsgrammatik. html Schafroth E. (2014). Französische Lexikographie. Einführung und Überblick. Berlin, Boston: de Gruyter Ziem A. (2008). Frames und sprachliches Wissen. Kognitive Aspekte der semantischen Kompetenz. Berlin, New York: de Gruyter K. Ewert-Kling (Université de Düsseldorf) Les modèles locutionnels tautologiques comme constructions et la description dans le PhraseoFrame Les modèles locutionnels tautologiques comme constructions et la description dans le PhraseoFrame Les modèles locutionnels tautologiques comme les affaires sont les affaires sont des constructions selon la définition de la théorie de la Grammaire de Construction (Construction Grammar, CxG9). Les modèles locutionnels (ML), terme de Martin 1997, sont aussi connus comme lexically open idioms (cf. Fillmore/Kay/O’Connor 1988) ou fully general phrasal Pour plus d’informations sur la thérorie de la CxG voir Trousdale/Hoffmann (2013) et Ziem/Lasch (2013), en ce qui concerne les langues romanes voir Bouveret/Legallois (2012) et Boas/Gonzálvez García (2014). 9 patterns (cf. Goldberg 2006) en anglais ou bien comme Modellbildungen (cf. Burger 2007 et 4 2010) et Phraseoschablonen (cf. Fleischer ²1997 et Schafroth 2014a/b) en allemand. Etant lexicalement ouverts ils forment tout de même des structures syntaxiques ayant des fonctions pragmatiques et discursives. Dans le sens de la CxG, les ML sont donc des « form-meaning correspondences » (Goldberg 1995: 1) ou bien des « learned pairings of form with semantic and discourse function » (Goldberg 2006: 215) qui sont définis comme des phrasèmes ou bien des expressions idiomatiques (dans le sens large) à cause de: A. leur idiosyncrasie et B. leur stabilité. Ces deux critères sont consisidérés comme un continuum, c’est-à-dire qu’il existe d’un côté des locutions figées comme être au pied du mur qui montrent une idiosyncrasie et une stabilité très forte et de l’autre côté des ML qui sont lexicalement ouverts, mais syntaxiquement et prosodiquement figés comme la tautologie les affaires sont les affaires. La signification sémantique et pragmatique de cette construction n’est pas prévisible, ce qui la rend très intéressante sur le plan de la lexicographie et de la phraséodidactique. Comment peut-on donc décrire cette locution tautologique dans un dictionnaire ? Schafroth (2014a/ b) propose un nouveau dictionnaire digital, le PhraseoFrame, se basant sur la CxG et essayant de donner des descriptions holistiques des ML (et des phrasèmes en général). Selon l’idée de Schafroth, ce dictionnaire didactique consiste en deux parties monodirectionnelles: la partie française s’adresse aux locuteurs natifs allemands apprenant le français et la partie allemande est construite pour les locuteurs natifs français qui veulent apprendre l’allemand. Dans ce dictionnaire digital les phrasèmes français sont décrits en allemand, alors que les phrasèmes allemands sont expliqués en français. Le PhraseoFrame est compris comme un dictionnaire de réception et de production (cf. Hausmann 1977): selon la liste des attributs grammaticaux et des paramètres de Fried/Östman (2004: 26 et 30, feature structures) ainsi que selon la structure symbolique d’une construction de Croft (2001 : 18, cf. aussi 2007), le dictionnaire contient des descriptions syntaxiques, sémantiques, prosodiques et pragmatiques des phrasèmes ainsi que l’explication de leur utilisation dans le discours par des exemples des corpus. Dans le PhraseoFrame, le terme frame (cf. Fillmore 1982) est utilisé dans le sens d’un cadre de connaissance (cf. Schafroth 2014b: 12) qui tient compte de toutes les caractéristiques linguistiques d’un phrasème. Dans ce qui suit, on voit la description possible du ML tautologique les affaires sont les affaires dans le PhraseoFrame: PhraseoFrame de Type de phrasème MORPHOLOGIE Eléments variables SYNTAXE Fonction syntaxique Type de phrase Les affaires sont les affaires (les N1 sont les N1) Modèle locutionnel (ML) (niveau 5)10 Verbe conjugué Syntaxe interne 11 Structure principale être Eléments invariables de la structure principale [les] [sont] Nom (N1) Phrase principale ou subordonnée Très fréquemment utilisé dans des phrases déclaratives, aussi possible dans des phrases proposition subordonnée exclamatives (pas utilisé dans des phrases interrogatives et impératives) Article défini et nom du pluriel (sujet) (les affaires) + verbe (être) + article défini et nomnom prédicatif du pluriel (nom prédicatif) (les affaires) Cf. Fillmore/Kay/O’Connor (1988) et Schafroth (2014a: 76 et 2014b: 3). Le terme de syntaxe interne ne se refère qu’à la structure interne de la construction (p.ex. la relation entre les affaires et sont). 10 11 Eléments variables de la structure principale Régularité N1 (les femmes sont les femmes, les hommes sont les hommes, les enfants sont les enfants) N1 au pluriel, verbe (être): 3ème personne du pluriel, au présent Eléments facultitifs supplémentaires Collocations Syntaxe externe Sémantique Les adverbes comme quand même et toujours sont possibles (comme renforcement de l’argumentation) - Champ lexical Thesaurus Commerce (avec N1: non-spécifique) Thesaurus lexèmes: cyniquement (http://dictionnaire.reverso.net) Signification principale C’est seulement le profit (la rentabilité) du commerce qui compte Significations co(n)textuelles supplémentaires En faisant des affaires, il vaut mieux ne pas avoir des scrupules, c'est-à-dire ne pas faire attention aux sentiments etc. ; personne ne saurait interférer avec les affaires qui font gagner de l’argent; souvent utilisé pour justifier ou souligner un comportement moralement douteux ou pour conseiller au récipient d’accepter le comportement moralement douteux de l’émetteur/d’autrui et de ne pas se plaindre Geschäft ist Geschäft (LAROUSSE, PONS) (N1 ist N1) Traduction en allemand Rôle thématique/pragmatique les affaires = topic; sont les affaires = comment (ce qu’on dit sur le topic) Référence sur le récipient oui Référence sur l‘autrui oui Réféerence sur l‘émetteur oui PROSODIE Intonation En fin de phrase: descendante; sinon montante Accent Deux possibilités: 1. Une unite prosodique: accent principal sur la 2ème syllabe du deuxième nom (affaires), accent secondaire sur la 2ème syllabe du premier nom (affaires) 2. Deux accents principaux et ainsi deux unités prosodiques: accent principal sur la 2ème syllabe du premier nom (affaires) et accent principal sur la 2ème syllabe du deuxième nom (affaires) PRAGMATIQUE Acte de langage Informatif / directif (conseil) / expressif (justification, évaluation, résignation) Statut Indirect Cadre situationnel la fatalité de qc, ici: des affaires/du commerce Motivation Fonctions illocutionnaires Critique/justification/résignation à l’égard d‘un comportement moralement douteux; ironie est possible Constatation, évaluation, conseil Fonction interpersonnelle Interaction en face à face: [+ familier, (+ informel?)] Geste/mimique Souvent en même temps: lever les épaules/les mains/les sourcils Registre/variété Dans la lexicographie: non marqué Code phonique: neutre ou marqué comme conceptuellement plus proche à l‘oral Code graphique: marqué DISCOURS Fonction discursive Possible: marqueur du discours pour signaler la fin du turn Fonction textuelle Surtout anaphorique, mais aussi cataphorique EXEMPLES DES CORPUS (1) Créer la demande. Détruire la concurrence ; les affaires sont les affaires. Une nuit un dring-dring vous réveille. Ce n'est pas le téléphone. C'est le signal de votre honnêteté personnelle (http://www.avatar.com.fr/francophone/articlemain.php, 06.01.2015) (2) Comme tout va vite et que les affaires sont les affaires, on se bouscule sur peu d'espace, les vendeurs d'images marchent à la mitrailleuse, les écrivains grattent des deux mains, les causeurs accélèrent, les stars font trois tours et s'en vont... (http://www.michel-ducruet-artiste.com.fr/journal-avenir-5.htm, 06.01.2015) (3) Le moine bouddhiste est gentil, mais inflexible, les affaires sont les affaires après tout. Quand il repère le touriste, il le pourchasse (en général dans les escaliers également, alors qu'on pourrait croire que sa robe peut le gêner...) et lui fourre dans la main un carton portant la bénédiction du Bouddha. (http://diversetvaries.blogourt.fr/, 06.01.2015) (4) Et Kadhafi est un interlocuteur comme les autres , les affaires sont les affaires. (http://www.planete-ump.fr/t4341-La-chute-libre.htm?start=50, 19.12.2014) (5) Bientôt, nous lirons des sondages qui révéleront que 82,78543 % des français « pensent » qu’il fait plus chaud en été qu’en hiver. Certes, les affaires sont les affaires, et l’IFOP, présidé par Mme Parisot qui se consacre aussi aux destinées du patronat, doit bien montrer à quel point ces études d’opinion sont indispensables au pays.( http://www.le-grouperepublique.fr/index.php?theme=textesfondateurs\&number=6\&articlenum=39\&tail le=3, 06.01.2015) (6) Ce nouveau venu à la langue trop bien pendue lui tapait sur le système. Mais les affaires sont les affaires : il empocha l'argent. (http://www.polarnoir.fr/nouvelle.php?nouv=nouv50, 06.01.2015) (7) Ils restaient polis parce que les affaires sont les affaires et que les marchands proposaient de bien jolis objets et des choses délicieuses à manger. On les laissait donc parler, en faisant semblant de les croire un tout petit peu, pour ne pas les vexer. (http://ecrivainprive.free.fr/soleil.htm, 06.01.2015) (8) Tout est en règle. Mais le contrat contient quittance de la somme représentée par les diamants, demandez-les : les affaires sont les affaires. (BALZAC Honoré de, Le Contrat de mariage, 1842, p. 600, Frantext: http://www.frantext.fr/scripts/regular/browserb.exe?18;s=3693296580;r=1;%20targe t=_top, 06.01.2015) (9) …je sais bien, mon cher *Florent, reprit *Lisa, que vous n' êtes pas revenu pour nous réclamer ce qui vous appartient. Seulement, les affaires sont les affaires ; il vaut mieux en finir tout de suite... (ZOLA Émile, Le Ventre de Paris, 1873, p. 657, Frantext: http://www.frantext.fr/scripts/regular/browserb.exe?18;s=3693296580;r=1;%20targe t=_top, 06.01.2015) (10) …raison qu'un autre bonhomme était parti en emmenant la blonde avec qui il ne vivait même pas. Ça l'avait peut-être embêté, mais les affaires sont les affaires, et quand on a Hollywood entre les pattes on n'a pas le temps de s'occuper des blondes qui se baladent. (VIAN Boris, Le Grand sommeil [trad.], 1948, p. 147, Frantext: http://www.frantext.fr/scripts/regular/browserb.exe?18;s=3693296580;r=1;%20targe t=_top Bibliographie: BOAS, Hans Christian / GONZÁLVEZ GARCÍA, Francisco (eds.) (2014), Romance Perspectives on Construction Grammar, Amsterdam [et al.]. BOUVERET, Myriam / LEGALLOIS, Dominique (eds.) (2012), Constructions in French, Amsterdam/Philadelphia BURGER, Harald (1998; 42010), Phraseologie. Eine Einführung am Beispiel des Deutschen, Berlin. BURGER, Harald et al. 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Résumé La problématique de l’acquisition de la liaison catégorique nominale a motivé une littérature abondante (pour un état des lieux récent, voir Wauquier et Shoemaker, 2013 et Chevrot et al., 2013). S’appuyant en majeure partie sur l’analyse de productions enfantines recueillies au cours de tâches expérimentales, ces travaux ont mené à la proposition de deux scénarios développementaux. Le premier, souvent qualifié de scénario phonologique (Wauquier et Shoemaker, 2013 ; Wauquier, 2009 ; Wauquier-Gravelines et Braud, 2005), décrit l’acquisition de la liaison catégorique nominale comme un processus non guidé par des effets d’input et fondé sur des principes abstraits (comme le « bootstrapping morphophonologique» par exemple). Le second, qualifié de « lexical », propose un scénario basé sur l’usage divisé en trois étapes (Chevrot et al., 2005, 2007, 2009, 2013) inspiré du modèle décrit par Tomasello (2003). Au cours de la première étape, l’enfant mémoriserait une série de constructions lexicalisées et non analysées. La consonne de liaison étant intégrée à la construction, aucune erreur n’est relevée, à un stade précoce, dans les productions enfantines. Au cours de la deuxième étape, l’abstraction progressive de ces constructions entrainerait une segmentation favorisant la mémorisation par l’enfant de plusieurs exemplaires d’un même Mot2. À partir de constructions comme « des ours », « un ours » et « petit ours » par exemple, l’enfant mémoriserait plusieurs exemplaires du Mot2 « ours », tels que « z-ours », «n-ours » et « t-ours ». Les erreurs enfantines relevées à ce stade, comme « un z-ours » par exemple, résulteraient alors de l’insertion du mauvais exemplaire (« z-ours ») au sein de la construction abstraite lexicalement sousdéterminée |un + X|. Ces erreurs diminuent ensuite au cours d’une troisième étape qui verrait les relations entre les constructions abstraites et les exemplaires adéquats se stabiliser et se standardiser. Ainsi, alors que l’acquisition de la liaison catégorique nominale reçoit depuis une dizaine d’années une attention particulière, les chercheurs ne se sont jamais penchés sur l’acquisition de la liaison catégorique verbale (« ils ont » ou « il y en a » par exemple). Selon nous, cet état a pour principale raison le fait que presqu’aucune erreur enfantine n’a été relevée par les auteurs en contexte verbal, les amenant parfois à émettre l’hypothèse que le processus d’acquisition des liaisons verbales serait différent. Ayant pour objectif initial de tester le scénario lexical de l’acquisition de la liaison catégorique nominale et ses hypothèses concernant les effets d’input à partir de données récoltées écologiquement, nous avons décidé de recueillir des interactions naturelles entre trois enfants et leurs parents. Les trois sujets de notre étude (deux fillettes et un garçon, tous premiers nés au sein de familles biparentales monolingues) ont été observés sur deux à trois temps pour un total d’environ dix heures d’enregistrement par famille (cf. Tableau 1). Ces données, transcrites et structurées aux formats CHAT et XML-TEI (Liégeois et al., 2014), ont été annotées à plusieurs niveaux afin de rendre compte des productions de liaisons ainsi que de l’adresse du discours. Dans ce but, chaque énoncé parental a été annoté afin de distinguer le discours adressé à l’enfant (DAE) du discours adressé à l’adulte (DAA). Les données obtenues peuvent être qualifiées de corpus denses : des séances relativement longues d’enregistrement (environ une heure) ont été répétées tous les jours pendant près d’une semaine. Afin d’observer l’évolution des productions enfantines, le même protocole a été répété plusieurs mois plus tard pour chacun des sujets. Au total, nous disposons d’un corpus dont la couverture s’étend à environ 30h d’enregistrement pour 177.000 graphies transcrites. Cette méthodologie nous a non seulement permis de vérifier et de valider les hypothèses du scénario lexical concernant l’acquisition de la liaison catégorique nominale mais a également rendu possible le recueil d’erreurs enfantines produites en contexte verbal (comme « les mammouths ne z-ont pas de zizi » par exemple, produite par Prune à l’âge de 40 mois). Nous souhaitons présenter au cours de cette communication des résultats qui, selon nous, vont dans le sens d’une acquisition de la liaison catégorique verbale fondée sur des processus analogues à ceux décrits par Chevrot et ses collègues pour la liaison nominale (pour un résumé, voir Chevrot et al., 2013). Il apparaît cependant que les processus de segmentation et d’abstraction des constructions lexicalisées se produisent plus tardivement que pour les liaisons nominales. Nos données suggèrent en effet que les enfants mettraient plus de temps à repérer les analogies entre les différentes collocations verbales produites en contexte de liaison (comme « ils + X » ou « on + X » par exemple). Les constructions utilisées en contexte de liaison verbale étant à la fois plus fréquentes (en discussion spontanée) et moins diversifiées lexicalement que les constructions nominales, celles-ci resteraient plus longtemps mémorisées sous la forme de constructions lexicalisées et seraient segmentées à un stade ultérieur. Ainsi, le décalage temporel qui existe entre l’apparition des erreurs de liaison en contexte nominal et celle des erreurs en contexte verbal pourrait être expliqué en prenant en considération la fréquence d’usage des types et des formes linguistiques (ou token) dans le discours adressé à l’enfant. Nous présenterons, au cours de cette communication, une analyse des erreurs enfantines issues du corpus qui va dans ce sens. À partir de cette étude empirique, nous proposerons également un scénario d’acquisition de la liaison catégorique verbale visant à expliciter la façon dont les constructions lexicalisées vont progressivement s’abstraire sous l’influence des caractéristiques du DAE. Pour l’analyse de nos données, nous nous appuierons principalement sur les postulats de la grammaire de construction à base cognitive défendus par Goldberg (2006) ainsi que sur le scénario basé sur l’usage de l’acquisition du langage présenté par Tomasello (2003). Enfin, nous conclurons en exposant en quoi les apports conjoints des grammaires de construction, des modèles basés sur l’usage et de la linguistique basée sur corpus permettent de rendre compte au mieux des processus d’acquisition de la variation phonologique en général et de l’acquisition des liaisons catégoriques en particulier. Références Chevrot, J.-P., Chabanal, D. & Dugua, C. (2007). Pour un modèle de l’acquisition des liaisons basé sur l'usage: trois études de cas. Journal of French Language Studies, 17(1). pp. 103–128. doi:10.1017/S0959269506002663 Chevrot, J.-P., Dugua, C. & Fayol, M. (2005). Liaison et formation des mots en francçais1: un scénario développemental. Langages, 158. pp. 38–52. Chevrot, J.-P., Dugua, C. & Fayol, M. (2009). Liaison acquisition, word segmentation and construction in French: a usage based account. Journal of Child Language, 36(3). pp. 557–596. doi:10.1017/S0305000908009124 Chevrot, J.-P., Dugua, C., Harnois-Delpiano, M., Siccardi, A. & Spinelli, E. (2013). Liaison acquisition: debates, critical issues, future research. Language Sciences, 39. pp. 83–94. doi:10.1016/j.langsci.2013.02.011 Goldberg, A. E. (2006). Constructions at Work: The Nature of Generalization in Language. Oxford : Oxford University Press. Liégeois, L., Chanier, T. & Chabanal, D. (2014). Corpus globaux ALIPE : Interactions parentsenfant annotées pour l’étude de la liaison. Nancy : Ortolang. [http://hdl.handle.net/11041/alipe-000853] Tomasello, M. (2003). Constructing a Language: A Usage-Based Theory of Language Acquisition. Cambridge : Harvard University Press. Wauquier, S. (2009). Acquisition de la liaison en L1 et L2 : stratégies phonologiques ou lexicales ? Acquisition et Interaction en Langue Étrangère, 2. pp. 93-130. Wauquier, S. & Shoemaker, E. (2013). Convergence and divergence in the acquisition of French liaison by native and non-native speakers: a review of existing data and avenues for future research. Language, Interaction et Acquisition, 4(2). pp. 161–189. Wauquier-Gravelines, S. & Braud, V. (2005). Proto-déterminant et acquisition de la liaison obligatoire en français. Langages, 39(158). pp. 53–65. doi:10.3406/lgge.2005.2662 E.Hilgert (Université de Reims, Cirlep) Les formules comme patrons constructionnels Nous souhaitons montrer, à propos de quelques constructions déjà décrites séparément, et plutôt du point de vue sémantique et discursif, qu'elles présentent un procédé commun, à savoir l'utilisation d'une structure syntaxique reproductible. Il s'agit de constructions telles que : - le tour du type le cantique des cantiques, le patron des patrons, décrit par C. Schapira (1996, 1997) : (1) Pour arriver au top il faut être plus que belle. Deux heures avec Claudia Schiffer suffisent pour s'en convaincre : le top modèle des top modèles n'a pas volé sa place. (2) […] la priorité des priorités est désormais la lutte contre le chômage des jeunes. - le tour du type belle entre les belles (cf. Hilbert, 2010) (3) Belle entre les belles, talentueuse, libre, amoureuse, scandaleuse, Marthe Chenal […] devint une gloire mondiale lorsque, devant une foule en liesse, elle chanta La Marseillaise du haut du péristyle de l'Opéra de Paris. (4) Le 19 décembre 1964, le transfert au Panthéon des cendres de Jean Moulin, premier délégué national de la Résistance et héros entre les héros. - le tour du type pèlerin parmi les pèlerins (cf. Hilbert, 2010) : (5) « Pèlerin » parmi les pèlerins, le pape Jean-Paul II a refait ce samedi les gestes que quelque six millions de personnes font chaque année à Lourdes. « Je suis avec vous, chers frères et sœurs, comme un pèlerin auprès de la vierge, a-t-il déclaré ; je fais miennes vos prières et vos espérances ». (6) Là, derrière un double grillage, dans l'enclos même, louve parmi les loups, elle peut observer ses congénères en noircissant des cahiers entiers de notes. Hélène Grimaud [musicienne passionnée par les loups] parle d'une relation d'égalité avec les loups. - le tour du type gris de chez gris (cf. Schedecker, 2007) : (7) un ciel gris de chez gris (signifiant très très gris) (8) une chose basique de chez basique - le tour du type le nid est à l'oiseau ce que la maison est à l'homme (cf. Hilbert, à paraître) : (9) La justice militaire est à la justice ce que la musique militaire est à la musique. (Clemenceau). (10) J’aime pas les dîners habillés, les cocktails, les soirées mondaines. Je suis tellement plus mignonne dans mes tenues habituelles, avec mes bottines de curé et mes cheveux plats. Les robes du soir sont à la femme ce que le papier crépon est à la fleur : on veut vite s’en débarrasser. J’aime les bistrots sans carte où le patron-cuisinier décide pour moi ce que je vais manger. (Méril M., J’aime pas, 1997, p. 199) - le tour du type qui dit argent dit dépenses, analysé par Gomez-Jordana (2013) : (11) Qui dit études dit travail […] Qui dit amour dit les gosses … (chanson, Stromae) (12) Qui dit mondialisation dit libéralisation des échanges, déréglementation, liberté de circulation de données de toute sorte sur toute sorte de réseaux. (unesdoc.unesco.org) A partir de ces exemples, nous défendrons l’idée qu'ils ne sont que l’habillage lexical de structures syntaxiques stables qui ont un impact discursif remarquable grâce, principalement, à leur fonctionnement en tant que formules. Ces formules structurelles nous semblent particulièrement intéressantes par le fait qu'elles ne sont pas des expressions lexicales figées, ni des formulations individuelles discursives créant l'effet d'une figure remarquable, mais des patrons ou des moules syntaxiques reproductibles. L'élément figé n'est pas, dans ce cas, ce qu'on appelle un phrasème, mais une construction grammaticale. Cela se voit facilement si l'on réduit les exemples concrets aux structures correspondantes : X de les X X entre les X X parmi les X X de chez X X1 est à X2 ce que X3 est à X4 qui dit X1 dit X2 Ces structures formulaires supportent des habillages lexicaux du domaine nominal, c'est-à-dire des noms ou des adjectifs, dans des blocs syntaxiques solidaires (des groupes nominaux ou adjectivaux) ou dans des phrases complexes à éléments solidaires eux aussi : (le) N de les N Adj. / N entre les Adj. / N N parmi les N Adj. de chez Adj. le N1 est à N2 ce que N3 est à N4 qui dit N1 dit N2 Les tours formulaires obtenus expriment, par conséquent, grâce à leur structure syntaxique, des propriétés catégorielles (par les noms) ou accidentelles (par les adjectifs) atteignant le plus haut degré d'intensité ou d'exemplarité, tournant autour de la catégorisation prototypique ou analogique ou encore implicative. Leurs principales propriétés en tant que constructions : - elles sont structurellement et non lexicalement figées, c'est-à-dire que le figement concerne la structure en soi et non son habillage lexical - elles sont productives - elles sont iconiques - elles sont saillantes - elles sont expressives. Leur spécificité linguistique est, nous espérons le montrer, d'un grand intérêt pour les réflexions croisées sur la grammaire des constructions, le figement et l'expressivité dans le langage. Bibliographie Bally Charles, 1952 (1913), Le langage et la vie, Genève : Librairie Droz, Lille : Librairie Giard. Bonhomme Marc, 2005, Pragmatique des figures du discours, Paris : Honoré Champion Editeur. Chauvin Catherine et Kauffer Maurice (dir.), 2013, Ecart et expressivité. La fonction expressive, Besançon : PUFC. 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Cet objet linguistique est souvent présenté en parallèle avec la configuration syntaxique dite active. Il s’agit ici d’une simple commodité descriptive, sans préjuger d’une quelconque relation entre les deux configurations. (1) a. (2) b. tous connaissent cette histoire X Y cette histoire est connue de tous Y X Le passif a fait l’objet de multiples analyses sous de multiples point de vue (syntaxique, grammatical, sémantique, pragmatique (pour un panorama général, cf. Gaatone (1998) ; Helland (2002). Nous discuterons ici la possibilité de considérer le passif comme une construction, au sens de A. Goldberg (1995, 2006). Raineri (2010), dans sa thèse consacrée au passif en français et en anglais, défend cette hypothèse, en s’appuyant sur deux aspects fondamentaux de la notion de construction : a) la non compositionnalité du sens de la construction par rapport à ses éléments constitutifs : « [il] va de soi que le sens passif de BE Ven et ETRE Vé, s‘il existe, ne peut être dit compositionnel, c‘est-à-dire qu‘il ne peut être considéré comme la somme de « be/être » et du participe passé Ven/Vé, puisqu‘il serait alors identique au sens de la construction attributive homonyme » (p. 347). Mais l’auteur nuance aussitôt son propos (id.) : « Toutefois, […], les constructions attributives sont sémantiquement liées au passif en BE Ven/ETRE Vé, ce qui signifie que la nature même de ces deux composants joue bien évidemment un rôle décisif dans le sens passif de ces formes ». Néanmoins, l’auteur ne propose pas d’analyse compositionnelle du passif par rapport à ses éléments constitutifs. b) un sens prototypique : dans la lignée des travaux en grammaire de construction, Raineri souligne que la construction passive est polysémique. Mais elle considère qu’on rend mal compte de cette polysémie à partir d’une conception abstractionniste du sens qui poserait l‘existence d‘un « invariant sémantique » et que l’on en rend mieux compte à partir de l'hypothèse d’un sens central, prototypique, dont dériverait les autres sens de la construction. Elle décrit ainsi le passif à partir de la notion d’affectednesss reprise à Bolinger (1975). Cette hypothèse découle chez Raineri d’une définition prototypique du passif en termes de rôles sémantiques : l’argument de la construction passive, en position de sujet, correspond à un patient prototypique ; l’argument de la construction en position de complément d’agent correspond à un agent prototypique 13. En conséquence, dans le passif prototypique, le référent du sujet du passif est affecté physiquement par l’action exercée par l’agent (Paul a été bousculé par un militant). Tout en reconnaissant avec les grammaires de constructions que les configurations syntaxiques sont, en elles-mêmes, indépendamment du matériel lexical, porteuses de sens, nous interrogerons dans le cas du passif en français l'hypothèse de sa non compositionnalité et la 12 Nous nous abstenons pour l’instant de tout a priori sur la nature de être au passif (auxiliaire ou pas), d’où l’emploi du terme neutre élément. 13 L’auteur s’appuie essentiellement sur l'hypothèse d’une transitivité sémantique prototypique développée par Hopper et Thompson (1980). possibilité de le définir sémantiquement en termes de prototype. Nous centrerons la discussion sur le cas des passifs lorsque l’emploi du verbe correspond à un procès statif, comme dans la propriété est entourée par un grillage. Toute la difficulté pour Raineri est de rendre compte de l’existence de tels emplois statifs à partir de sa définition prototypique du passif mettant en jeu un patient affecté par un procès dynamique. Elle propose l’analyse suivante : « l‘extensibilité de la notion d‘affect attachée au rôle patient de la construction passive permet de faire fusionner celui-ci avec un participant qui n‘est pas à strictement parler un patient mais est métaphoriquement conçu comme tel » (p. 362). Plus loin l’auteur précise : « la construction passive a pour effet de « patientiser » l‘entité-cible du procès en vertu de sa structure sémantique. Cette « patientisation » peut prendre un caractère très abstrait, car la notion d‘affect sur laquelle repose le sens de la construction est particulièrement extensible ». (p. 368). Elle étend ainsi la notion d’affect à celle d’affect conceptuel : « les référents des sujets de ces verbes passifs sont affectés, non pas dans leur essence, mais dans la représentation qu‘en a l‘auteur et qu‘il communique à ses lecteurs » (p. 211). Ainsi, pour sauver la notion d’affect, implicitement associée au rôle sémantique de patient, lui-même implicitement associé aux procès dynamiques, l’auteur en vient à postuler que les procès statifs mettent en jeu un changement de représentation concernant le référent du sujet du passif. Mais, cela revient à gommer la distinction entre les procès dynamiques et les procès statifs. Selon nous, la source des contraintes sémantiques imposées par le passif se trouve ailleurs. Nous nous appuierons sur l’analyse de Jalenques (2010) consacrée à l‘étude du passif avec les procès dynamiques transitionnels. L’auteur montre que, de façon régulière, les emplois de verbe transitionnels sont difficilement passivables lorsque la transitionnalité porte sur le premier argument du verbe. Par exemple, dans les enfants ont monté les escaliers en courant, le changement de situation concerne le premier argument ; dans les enfants ont monté la tente, le changement de situation concerne le second argument. On observe que seul le second emploi de monter est naturel au passif (cela est confirmé par les corpus). La contrainte est donc liée à ce que l’on peut appeler la portée sémantique du procès. L’auteur montre que cette contrainte sur la portée sémantique du procès au passif est ellemême révélatrice d’une contrainte sémantique plus générale : au passif, la relation prédicative (le verbe et ses éventuels modifieurs), doit pouvoir s’interpréter comme caractérisant le sujet. Cette contrainte sémantique générale s’explique naturellement si l’on admet une analyse compositionnelle du passif par rapport à la présence de l’élément être. Si l’on accepte de considérer le passif comme constitué du verbe être, en tant que copule, alors, la relation du sujet au prédicat (le verbe être et son complément) doit être la même que dans la construction attributive : il faut que le sujet soit sémantiquement caractérisé par la situation exprimée par le prédicat, ce qui est précisément ce que l’on observe. Cette analyse compositionnelle du passif est confirmée par l’analyse syntaxique d’Abeillé et Godard (2002). Les auteures montrent qu’au passif le participe passé et ses modifieurs ont un comportement syntaxique similaire à celui de l’attribut du sujet dans la phrase avec copule. L’analyse de Raineri ne permet pas d’en rendre compte. Cette analyse du passif, fondée sur la compositionnalité par rapport au verbe être, peut être aisément étendue au cas des passifs avec procès statifs. Considérons l’emploi suivant, souvent cité dans les travaux sur le passif : (1) a. Marie parle couramment l’anglais b. ?? l’anglais est couramment parlé par Marie Ici, le procès caractérise Marie (elle est compétente en anglais) et non la langue anglaise (le fait que Marie parle l’anglais ne suffit pas à définir une caractéristique de cette langue). On constate que cet emploi de parler est difficilement passivable. Modifions le cotexte de telle sorte que la relation prédicative puisse s’interpréter comme caractérisant au contraire le second participant, comme dans : (2) l’anglais. a. Plus de 600 millions de personnes à travers le monde parlent couramment b. l’anglais est parlé couramment par plus de 600 millions de personnes à travers le monde. On constate alors que l’emploi du passif devient tout à fait naturel. Or, en (1b) et en (2b), les rôles sémantiques des arguments sont les mêmes. On ne peut donc pas rendre compte de la différence d’acceptabilité entre (1b) et (2b) à partir d’une hypothèse sur le passif fondée sur les rôles sémantiques prototypiques. Revenons aux passifs supposés prototypiques où l’argument en position sujet correspond à un vrai patient. Dans notre analyse, la valeur sémantique d’affectation du second argument par le procès n’est qu’une conséquence sémantique locale, découlant du fait que nous avons affaire à un procès dynamique télique mettant en jeu un changement (Paul a été bousculé / renversé par les manifestants). Puisque le complément du verbe être doit caractériser le référent du sujet, alors, quand ce complément correspond à un procès mettant en jeu un changement de situation, ce changement de situation doit concerner le sujet, d’où l’émergence de la contrainte sémantique locale « être affecté par le procès ». Dans notre analyse, les passifs dits prototypiques correspondent à des instanciations particulières d’une instruction sémantique invariante, déduite de la présence du verbe être dans la configuration passive. Revenons à la relation entre passif et actif. La terminologie traditionnelle, à travers l’opposition des termes actif / passif laisse supposer une relation symétrique entre ces deux objets linguistiques. Or, ces étiquettes ne reflètent aucunement la diversité des emplois de chacune des configurations syntaxiques. On le sait, à l’« actif », le participant en position sujet peut subir l’action et avoir un rôle de patient (Paul a reçu des menaces de la part du directeur). De même, au passif, le complément dit d’agent peut subir l’action ([donnée attestée sur google, 2014] : au plan mondial, l'excision a été subie par plus de 140 millions de femmes et de filles, dont plus de 100 millions en Afrique). Pourtant, c’est bien une telle symétrie que postule l’analyse de Raineri (2010) : actif transitif prototypique : agent passif prototypique : les manifestants ont bousculé Paul patient Paul a été bousculé par les manifestants patient agent Mais, comme le remarque Raineri elle-même, les contraintes au passif sont plus fortes qu’à l’actif : « la construction passive implique un plus haut degré de transitivité sémantique que l‘actif » (p. 54). Une définition du passif, symétrique de celle de l’actif, ne permet pas d’expliquer cette différence. Dans notre analyse, nous insistons sur l’existence d’une dissymétrie entre actif et passif : caractérise 1er participant relation caractérise relation prédicative procès dynamiques configuration dite active procès statifs configuration dite passive - les enfants ont monté les escaliers en courant - Paul a connu des heures difficiles - Paul a arrêté la cigarette - Marie parle couramment anglais - ce radiateur craint l’humidité procès dynamiques ?? procès statifs ?? 2e participant prédicative - les enfants ont monté la tente en cinq minutes - la police a arrêté un suspect - Plus de 600 millions de personnes à travers le monde parlent couramment l’anglais - 30,16 % des médecins interrogés craignent la juridiction de sécurité sociale - tous connaissent cette histoire - un grillage entoure la propriété - la tente a été montée par les enfants en cinq minutes - un suspect a été arrêté par la police - l’anglais est parlé couramment par plus de 600 millions de personnes à travers le monde. - La juridiction de sécurité sociale est crainte par 30,16 % des médecins interrogés - cette histoire est connue de tous - la propriété est entourée par un grillage La différence entre l’actif et le passif ne correspond pas à une différence de degré de contrainte par rapport à la transitivité active supposée prototypique 14. Elle correspond à une différence dans la portée sémantique de la relation prédicative. Cette dissymétrie découle précisément de la présence du verbe être au passif, élément absent dans la configuration active. Une analyse compositionnelle de la configuration passive, fondée sur l’invariant sémantique liée à la présence du verbe être permet de rendre compte de ces données. Cette hypothèse sémantique revient à considérer le passif comme un cas particulier de construction attributive, dans lequel le complément du verbe être est lui-même de nature verbale (hypothèse formulée sur le plan syntaxique par Abeillé et Godard (2002). Ainsi, le passif en français ne peut pas être considéré comme une construction, au sens de A. Golberg (1995, 2006). Références citées ABEILLÉ, A. et D. GODARD (2002), « The syntactic structure of French auxiliaries », Language 78:3, p. 404-452. 14 Hamelin et Legallois (à paraître) contestent le caractère prototypique des emplois actifs transitifs avec un agent et un patient prototypiques. Ils montrent que ces emplois ne sont aucunement majoritaires, en tout cas dans les corpus de français oral. BOLINGER D. (1975), « On the passive in English », in Makkai A. & Makkai V.B. (éds), The First Lacus Forum, 1974, Columbia S.C. : Hornbeam Press, 57-80. GAATONE David (1998), Le passif en français, Paris/ Bruxelles : Duculot. GOLDBERG, A. (1995), Constructions: A construction grammar approach to argument structure, Chicago : University of Chicago Press. GOLDBERG, A. (2006), Constructions at work. The nature of generalization in language, Oxford : Oxford University Press. HELLAND Hans Peter (2002), Le passif périphrastique en français moderne, Etudes romanes, 50, Copenhagen : Museum Tusculanum Press. HOPPER, P. et THOMPSON, S. 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Dans cette étude, nous tentons de donner, du point de vue constructionniste, une nouvelle analyse à une structure syntaxique du français qui a déjà fait l’objet de description distributionnelle dans nos études antérieures (cf. Nakamura 2013, 2014). Il s’agit d’une structure de phrase simple à trois actants syntaxiques du verbe avoir que nous appelons construction NAPNX, en abrégeant sa description structurale Na avoir pour Nb X où X est l’objet direct du verbe avoir qui se réalise sous trois formes selon la nature du nom régi par la préposition pour : infinitif, complétive et syntagme nominal : (1) Le projet a pour objectif (de construire un nouveau quartier d’affaires + la construction d’un nouveau quartier d’affaires + que soit construit un nouveau quartier d’affaires) La construction NAPNX a attiré notre attention, d’abord, dans le cadre de la recherche des formes causatives des phrases copulatives et, ensuite, indépendamment, en tant que construction syntaxique particulière, sans qu’une approche constructionniste n’ait été alors adoptée, alors même que les résultats nous semblent favoriser une telle démarche théorique, comme nous le tentons dans la présente proposition. Résumons rapidement nos observations antérieures. Dans Nakamura (2013), il a été constaté que, s’il est largement admis que les phrases causatives montre une distribution complémentaire selon la nature adjectivale ou prépositionnelle de l’attribut : (2) (3) Luc a rendu la chemise très sale (causative de La chemise est très sale) Luc a mis Marie en colère (causative de Marie est en colère) il reste à déterminer le tableau de distribution des phrases causatives attributives dont l’attribut est assumé par un syntagme nominal (surtout, en ce qui concerne les attributs spécificationnel et identificationnel ; pour la typologie des attributs, voir Van Peteghem 1991). Il a été aussi proposé que la construction NAPNX serait un candidat propice à s’insérer dans une case vide impartie à la forme causative de la copulative spécificationnelle : (4) (5) Luc a fait de son fils un avocat d’affaire (ph. causative de Son fils est un avocat d’affaires avec un attribut identificationnel) Le projet a pour objectif d’approfondir cette question (?ph. causative de L’objectif du projet est d’approfondir cette question, avec un attribut spécificationnel) Cette proposition a été, toutefois, rejetée dans le cadre de cette analyse même puisque l’augmentation, par rapport à la phrase copulative de base, du nombre d’actants dans ladite structure à l’endroit du sujet n’est en rien due au caractère causatif, mais à un autre facteur. Par la suite Nakamura (2014) a donné une description plus approfondie à la construction NAPNX en tant que telle. Il en a été révélé des caractères peu communs, qu’on peut résumer en quelques points : 1) le verbe principal avoir n’impose pas de restriction de sélection, ni sur le sujet Na, ni sur l’objet X ; 2) c’est le Nb régi par la préposition pour, qui exerce, de façon bidirectionnelle, cette fonction du pivot de la phrase, imposant la sélection du Na et de l’X ; 3) le sujet Na entretient une relation partie-tout comparable à la relation d’inaliénabilité souvent observée entre le sujet et l’objet direct dans une autre construction attributive du verbe avoir (du type Léa a les yeux bleus) ; 4) entre le syntagme nominal complexe de la forme Nb de Na et l’objet direct X s’établit, en dehors de la structure NAPNX, une relation copulative du type spécificationnel (L’objectif de cette étude est d’approfondir cette question). En conclusion (provisoire) de cette analyse, la construction NAPNX a été considérée comme une variante de la construction à attribut de l’objet direct où l’attribut nominal est indirectement construit au moyen de la préposition pour et où le sujet de la phrase Na subit une certaine topicalisation par rapport à la phrase copulative où il est relégué à la position complément du Nb, qui est le topic de la phrase. 1. Un relecteur de Nakamura (2014) a indiqué que la structure NAPNX pourrait recevoir une analyse adéquate dans le cadre constructionniste et nous avons eu le sentiment que les données complexes révélées doivent en effet recevoir une analyse plus « holistique ». Dans la présente étude, nous réexaminons donc cette construction pour lui donner un statut constructionnel plus clair. Parmi les travaux antérieurs dont nous n’avons pas pu tirer profit au moment de la rédaction de nos travaux antérieurs, certains nous semblent particulièrement intéressants pour développer une interprétation constructionniste de la construction NAPNX. Citons les cas de Lambrecht (1995, 2004) et Legallois et Gréa (2006). Nous les décrivons d’abord sommairement. 1.1. Lambrecht (1995, 2004) traitent d’un cas particulier de construction à détachement du topic à droite (R-top : un Topic détaché à droite) qu’il appelle « Right-detached comme-N construction » (RDCN). C’est un type de phrase comme celui-ci : (6) C’est intéressant comme livre qui est à mettre en relation avec une copulative canonique de la forme Sujet-Prédicat du type : (7) C’est un livre intéressant L’auteur considère qu’il s’agit d’une construction grammaticale dans le sens de Grammaire de Construction, c’est-à-dire « a morphosyntactic and prosodic configuration whose form and interpretation cannot be entirely accounted for in terms of other properties of the grammar of language (or of universal grammar) and which therefore requires independent description » (Lambrecht 2004 : 159), suivant en cela un point de vue commun aux constructionnistes, comme celui de de Kay et Fillmore (1999) : « the notion of a grammatical construction as a conventional association of linguistic form and content ». L’association forme-sens dans le cas de la phrase du type (6) est fondée sur l’hypothèse que « there exists a direct and conventional relationship between the structure of a sentence and the type of communicative situation in which the sentence can be used to convey some piece of propositional information » (Lambrecht 2004 : 160) et que « this relationship is governed by principles and conventions of sentence grammar, in a component called information structure » (ibid.). Pour cet auteur, la construction RDCN est, généralement, un type de construction à détachement à droite du topic, comme l’indique sa prosodie, incarnant dans sa structure principale une structure syntaxique à clitique sujet qu’il appelle « Preferred-Clause » du français (cf. 8) : (8) Il est intéressant, ce livre Il existe cependant quelques différences : la forme comme-N est spécifique à la RDCN et elle n’a pas de clitic coindexé dans la structure phrastique, contrairement à un R-top (donc comme-N n’est pas un argument) ; le verbe doit être copulatif (il doit être un verbe qui autorise son complément dans la structure syntagmatique du syntagme verbal de fonctionner comme prédicat primaire) ; la forme comme-N n’est pas un élément référentiel habituel (elle ne comporte ni déterminant ni modifieur libre et il est impossible d’anaphoriser le N). Outre leur parallélisme avec la structure copulative canonique, ces indices formels conduisent l’auteur à considérer comme-N comme un élément prédicatif et non pas comme argument ou adjoint. Ainsi, la forme comme-N de la construction RDCN est spécifique à cette construction, sans commune mesure avec la syntaxe du français en général : elle est difficilement qualifiable en termes syntaxiques (elle ne constitue pas un syntagme majeur connu) et tout à fait spécifique sémantiquement (c’est un prédicat primaire, dans le sens où UN Adj N est prédicat primaire dans la position post-copule (cf. 7) et non un prédicat secondaire comme c’est le cas d’autres comme-N, par exemple celui qui a la fonction de spécifier un rôle). Qu’est-ce qui motive alors l’établissement de cette « construction grammaticale » (6), par rapport à son équivalent sémantique (7) ? L’auteur avance l’hypothèse que la différence doit résider dans la structure présuppositionnelle (donc informationnelle) : quand un locuteur énonce une phrase RDCN, il est nécessaire d’emblée que la dénotation de comme-N soit supposée connue et accessible. 1.2. Legallois et Gréa (2006) prennent pour objet d’étude un ensemble d’énoncés spécificationnels (N EST QUE P./INF.) comme (les exemples suivants sont leurs) : (9) (10) Mon propos, c’était qu’on ne m’emmerde pas La première mesure est de fixer la règle de jeu et en donnent une description lexicale détaillée. Ils les considèrent comme une construction qui est « l’appariement entre la forme N EST QUE P./INF. et l’ensemble des effets pragmatiques associés » (Legallois et Gréa 2006 : 167). Comme l’indique le parallèle avec une construction pseudo-clivée, la construction spécificationnelle possède une partie informativement « sousspécifiée » (N) qui est « déterminée » par une partie « spécifiante » (QUE P./INF.), en sorte que la construction constitue une réponse à la question de la forme quel est le N ? (et non pas celle en comment). L’existence sous-jacente du « jeu de dialogue » (c’est-à-dire qu’à chaque occurrence d’une construction spécificationnelle, il y a une question sous-jacente) explique diverses fonctions discursives, comme celle d’organisation textuelle ou celle d’argumentation, que peut jouer cette construction. La construction spécificationnelle lexicalement non saturée est ainsi une « forme au sens gestaltiste et phénoménologique du mot », montrant un « caractère pré-donné, pré-construit » (ibid.). Elle est instanciée dans le discours de façon holistique, plutôt que selon les règles combinatoires de la syntaxe et de la sémantique. 2. Dans la présente étude, nous ré-examinons la construction NAPNX à la lumière des études citées ci-dessus. L’objectif est de lui donner un statut de construction grammatical à part entière, qui est motivé par la complémentarité de distribution avec la copulative spécificationnelle. Il serait souhaitable qu’on puisse y reconnaître une unité phraséologique dont la charpente, sans la saturation lexicale, serait comme N avoir pour N (de Vinf/Qu P/N), qu’un locuteur du français choisit, d’emblée, pour satisfaire à des contraintes différentes de celles qui le conduirait au choix de la phrase spécificationnelle. Nous approfondissons ce point dans le corps de l’étude. A ce stade de l’étude, on peut constater, au strict plan syntaxique, qu’il ne manque pas de raisons formelles déjà évoquées dans Nakamura (2014) qui motivent l’autonomie de la construction en bloc : la structure NAPNX est syntaxiquement insolite et elle refuserait une dérivation par une grammaire syntagmatique habituelle. En effet, le centre organisateur de la phrase n’est pas le verbe avoir mais le syntagme pour N, sans lequel une simple structure transitive est agrammaticale : (11) Le projet a pour objectif de construire un nouveau quartier d’affaires * Le projet a de construire un nouveau quartier d’affaires A notre connaissance, il n’y a pas d’autre endroit en syntaxe du français qui montre un tel principe d’organisation d’une phrase, ce qui est un indice fort pour la reconnaissance d’une unité constructionnelle. Par ailleurs, à part le fait qu’il ne doive pas être précédé d’un déterminant et suivi d’un modifieur libre, le Nb ne doit pas être en rapport avec un autre N que le Na : (12) * Le projet a pour objectif de l’architecte de construire un nouveau quartier d’affaires Les contraintes de ce type sont aussi particulières, bien qu’elles s’observent ailleurs, par exemple dans une construction à verbe support : (13) * Luc a fait une intervention remarquable de Léa (cf. Luc est intervenu remarquablement) Le verbe avoir dans la construction NAPNX est difficile à qualifier de support. Cela constitue une particularité de plus pour y reconnaître une unité indécomposable. L’autonomie structurale de la construction NAPNX s’impose naturellement, mais si la construction NAPNX est à considérer comme une construction grammaticale, elle doit comporter en soi les principes de sélection lexicale. A ce propos, la confrontation de l’examen du corpus présenté dans Nakamura (2014) et de la liste présentée dans Legallois et Gréa (2006) indique que ce n’est qu’un sous-ensemble des N acceptés dans une construction spécificationnelle qui peut figurer dans la construction NAPNX. Pour ne citer qu’un exemple, sont à écarter de la construction NAPNX les adjectifs nominalisés désignant l’évaluation du locuteur qui fonctionnent comme N dans une construction spécificationnelle parallèlement (ou pas) à une construction pseudo-clivée : (14) Ce qui est (important, vrai, essentiel, etc.), c’est que... (15) LE (important, vérité, essentiel, etc.), c’est que... (16) * N a pour (important, vérité, essentiel, etc.) que... La relation qui relie les Na et Nb est comparable à celle qui existe entre les deux nominaux susceptibles d’entrer en relation d’anaphore associative (cf. Kleiber 2001), donc dépendant de la connaissance stéréotypique des noms. Comme le sujet clitic ce et le prédicat détaché (comme-)N montrent, dans la construction RDCN, les accessibilités discursives active et semi-active, respectivement, le Na et le Nb dans une NAPNX doivent montrer le même degré d’accessibilité discursive pour chacun. Dans le corps de l’étude, nous approfondissons les conditions discursives et pragmatiques qui constituent le côté « signifié » du « signe » qui est la construction NAPNX. Références (sélection) Kay, Paul and Charles J. Fillmore (1999) Grammatical Constructions and Linguistic Generalizations: The What’s X Doing Y? Language 75 : 1, 1-33. Kleiber, Georges (2001) L’anaphore associative. P.U.F., Paris. Lambrecht, Knud (1995) Compositional vs. Constructional meaning. The case of French comme-N. In M. Simons et T. Galloway (eds.), SALT V, 186-203, Cornell University, Ithaca, N.Y. Lambrecht, Knud (2004) On the interaction of information structure and formal structure in constructions. The case of French right-detached comme-N. In M. Fried et J.-O. Östman (eds), Construction Grammar in a Cross-Language Perspective, 157-199, John Benjamins, Amsterdam/Philadelphia. Legallois, Dominique et Philippe Gréa (2006) L’objectif de cet article est de... Construction spécificationnelle et grammaire phraséologique. Cahiers de praxématique [en ligne] 46, 161-186. (DOI : 10.4000/praxematique.657) Bouveret, Myriam et Dominique Legallois (eds.) (2012) Constructions in French. John Benjamins, Amsterdam/Philadelphia. Nakamura, Takuya (2013) Constructions transitives et causative attributive du verbe faire. In K. Ogata (éd.), Autour des verbes. Constructions et interprétations, 59-86, John Benjamins, Amsterdam/Philadelphia. Nakamura, Takuya (2014) Construction N0 avoir pour N X. In F. Neveu et al. (éds), SHS Web of Conferences 8 (Actes du 4ème Congrès Mondial de Linguistique Française), 25152532, (DOI : 10.1051/shsconf/20140801261). Van Peteghem, Marleen (1991) Les phrases copulatives dans les langues romanes. Gottfried Egert Verlag, Wilhelmsfeld. B. Combettes et M. Dargnat (Université de Lorraine & ATILF) : Intensivité et construction : le cas des concessives Dans cette présentation, nous étudierons quelques subordonnées à interprétation concessive, dans la perspective des Grammaires de construction. Par concession, nous entendons la relation de discours établie entre deux propositions (P et Q ci-dessous), qui sont présentées à la fois comme simultanément vraies ou possibles alors qu’elles sont habituellement incompatibles ou peu compatibles. Nous nous focaliserons sur les constructions mettant en jeu le trait scalaire et en particulier le trait intensif, en prenant comme point de départ les phrases dont la subordonnée a la forme si + adjectif (1) /adverbe (2-3)+ relative en que ; type le plus fréquent en français contemporain (écrit). (1) Si mince qu’il puisse être, un cheveu fait de l’ombre [Grevisse, 14 ème ed., 1501] (2) Si peu que ça coutât, il fallait la nourrir [Morel 1996, 118] (3) Si agréablement qu’elle chante, elle a peu de chance de devenir une cantatrice célèbre. [Riegel et al. 2009, 821] Pour mener notre analyse, nous utiliserons le cadre de description proposé par les Grammaires de construction, pour les raisons suivantes : (i) le caractère multidimensionnel dont permettent de rendre compte les structures de traits (concernant la forme : propriétés syntaxiques, morphologiques, phonologiques ; concernant la signification : propriétés sémantiques, pragmatiques, discursives) [cf. Croft 2001, 18 ; Croft and Cruse 2004 : 258 ; Traugott 2008, 224] ; (ii) la hiérarchisation des constructions en termes d’héritage de propriétés, permettant au final de classer les constructions par degré croissant d’abstraction (constructs, micro-, meso- et macroconstructions) [Hoffmann 2013, 235 ; Traugott 2008 : 236 ; Trousdale, 2012] ; (iii) l’intérêt qu’il y a à considérer la notion de construction (association conventionnelle d’une forme et d’une signification) à un niveau plus complexe que le lexique, c’est-à-dire à étendre la notion de construction à des schémas syntaxiques phrastiques [Hoffmann 2013, 230, 236]. Les exemples (1), (2) et (3) sont envisagés comme des réalisations (constructs) de la microconstruction « P (= si + adv./adj. + relative en que), Q ». Leur interprétation concessive ne se réduit pas à une paraphrase en bien que ou quoique, dans leur sens contemporain, elle a aussi à voir avec la perception d’un degré maximal sur une échelle de valeur. (1) = Un cheveu peut être aussi mince que possible, … ≠ Quoique/bien qu’il soit mince, … (2) = Le coût peut être aussi faible que possible, … ≠ Quoique/bien que le coût soit faible, … (3) = Elle peut chanter aussi agréablement que possible, … ≠ Quoique/bien qu’elle chante agréablement C’est pourquoi nous rattacherons d’abord cette micro-construction à la famille plus large des constructions concessives intensives, en mettant en évidence les propriétés formelles et sémantiques communes. Ce niveau, qui correspond à celui de la méso-construction, se caractérise par le schéma : « P (= adv. + adjectif/adverbe + relative en que), Q » avec une relation de discours de concession entre P et Q. Il comprend les structures où l’adverbe initial de P peut être si, mais également aussi, tant, autant ou quelque. Nous discuterons aussi, en diachronie et en synchronie, l’usage des adverbes combien et tout et de la préposition pour, combinée ou non avec si, aussi et tant. Nous nous poserons enfin la question de l’héritage à un niveau plus abstrait (macroconstruction) dans deux directions : d’une part, la proximité avec les autres constructions subordonnées scalaires du français (les comparatives et les corrélatives) ; d’autre part, la proximité avec certaines constructions subordonnées hypothétiques (les inconditionnelles). Concernant l’inconditionnalité [Izorski 2000, König 1986,1988, Rawlins 208), l’observation de base est que, lorsqu’on a un ensemble d’alternatives, souvent associé à des indéfinis, on peut aussi constater une interprétation concessive intensive : (4) Quelle que soit sa minceur, un cheveu fait de l’ombre. (5) Quoi qu’il dise, on ne le croit pas. (6) Qu’il dise la vérité ou pas, on ne le croit pas. La question principale est de savoir si les concessives intensives mentionnées ci-dessus sont en fait des constructions inconditionnelles portant sur les degrés (scalaires), dont le caractère intensif serait dérivé par un mécanisme pragmatique ou si elles sont intrinsèquement intensives. Par exemple, on pourrait analyser « si mince qu’il soi »t comme « quel que soit son degré de minceur »... (construction inconditionnelle), ce qui conduirait à la lecture « même si son degré de minceur est extrême « (concession intensive). Références Buridant, Claude (2000). Grammaire nouvelle de l’ancien français, Paris, Sedes. [Chap. 26] Croft, William (2001). Radical Construction Grammar: Syntactic Theory in a Typological Perspective, Oxford, Oxford University Press. Croft, William and D. Alan Cruse (2004). Cognitive Linguistics, Cambridge, Cambridge University Press. Grevisse Maurice et André Goose, Le Bon Usage, De Boeck et Larcier, Bruxelles. [4e partie, Chap. 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