Les Constructions comme unités fondamentales de la langue
Journée du 21 Avril 2015
9h30 – Accueil
10h-10h30 D. Legallois et A. Patard (Crisco, Université de Caen). Présentation : Les
Constructions comme unités fondamentales de la langue
10h30 -11h10 J.M. Fortis (CNRS, HTL, Université Paris 7), Une généalogie de la notion de
construction en linguistique américaine
11h40-12h20 G. Corminboeuf (Université de Bâle) et F. Gachet (Université de Neuchâtel)
Une construction infinitive à valeur exclamative « Moi, me moquer ! En aucune façon »
déjeuner
14h00-14h40
A. Carlier (Stl, Universide Lille 3) et M. Meulleman (Cirlep, Université de Reims)
Perspectives diachronique et comparée sur lexpression idiomatique il y a en français: entre
idiosyncrasie et motivation
14h40-15h20
L. Ben Hamad (LDC, MoDyCo, Université de Sousse), Le statut catégoriel des locutions
conjonctives : constructionnalisation et évolution d’un système grammatical
pause
15h50-16h30
N. Van Wettere et P. Lauwers (Universiteit Gent) La « micro-constructionnalisation » en
tandem: les semi-copules tourner/virer et s’avérer/se révéler
16h30-17h10
E. Moline Université de Caen – Basse Normandie CRISCo (EA4255) Sa barbe n’était pas
encore poussée que ces amusements l’avaient lassé déjà. La construction (ne… pas) (encore)
p(,) (que + et) (déjà) (ne… plus) q
Journée du 22 Avril 2015
9h30 – 10h10 E. Schafroth (Universide Düsseldorf) Le modèle du PhraseoFrame: une
approche holistique pour décrire les constructions
10h 10 -10h50 K. Ewert-Kling (Universi de Düsseldorf) Les modèles locutionnels
tautologiques comme constructions et la description dans le PhraseoFrame
Pause
11h10 -11h50 L. Liégeois (Laboratoire Ligérien de Linguistique) Acquisition des liaisons
catégoriques nominales et verbales : de la lexicalisation à l’abstraction des constructions.
11h50-12h30 E.Hilgert (Université de Reims, Cirlep) Les formules comme patrons
constructionnels
déjeuner
14h00-14h40 P. Jalenques (Lidifra, Université de Rouen ) Le passif en français est-il une
construction ?
14h40-15h20 T. Nakamura (Ligm, UniversiParis-Est), Cet article a pour objectif de... : le
pendant transitif de la copulative spécificationnelle. Son interprétation constructionniste
pause
15h50-16h30 B. Combettes et M. Dargnat (Université de Lorraine & ATILF) : Intensivité et
construction : le cas des concessives
RESUMES
J.M. Fortis (CNRS, HTL, Université Paris 7), Une généalogie de la notion de construction en
linguistique américaine
Des moles grammaticaux récents ont réintroduit en linguistique une notion que le
générativisme avait considérée comme non avenue ou périphérique, la notion de construction.
L’objet de cette présentation est de proposer une généalogie de cette notion dans le contexte
américain. Une telle généalogie impose de comprendre pourquoi cette notion, qui était centrale
chez Bloomfield, et vivante chez les distributionnalistes, s’est progressivement effacée. Cet
effacement a é l’œuvre du mouvement générativiste, qui s’est construit sur le primat de
l’analyse en constituants, son intégration et son dépassement dans la grammaire
transformationnelle (Postal 1967). Toutefois, par une ruse de l’histoire, le mouvement
générativiste suscita une contre-réaction qui entendait diriger l’attention vers des points
aveugles: l’idiomaticité (p. ex. Chafe 1968, et d’autres) et la prise en compte du parler “naturel
(Pawley et Syder 1983), le laxisme mantique de la grammaire transformationnelle (en part.
Bolinger 1977), la corrélation entre sémantique et comportement syntaxique (Green 1974, entre
autres), dans le contexte d’une introduction massive de la sémantique dans la torie
linguistique, en particulier au cours des années 1970. Cette contre-réaction, on le montrera,
déboucha sur une réintroduction de la notion de construction, en particulier chez Fillmore
(Fillmore & Kay 1988), formé à l’époque distributionnaliste, et chez son élève, Goldberg
(1995). La linguistique cognitive enrôla la notion de construction dans une opposition plus
générale au générativisme, opposition développée sur de multiples plans (gnoséologique,
linguistique, acquisitionnel) et favorisant des conceptions qu’on peut qualifier d’empiristes (en
un sens à préciser). Enfin, la notion permit la réactivation de perspectives distributionnelles,
mais conjuguées cette fois à la recherche d’universaux de langue (Croft 2001).
Références (illustratives, non-exhaustives)
Bloomfield, Leonard, rev. ed. (1935). Language. London, George Allen & Unwin.
Bolinger, Dwight (1977). Meaning and form. London & New York, Longman.
Chafe, Wallace (1968). “Idiomaticity as an anomaly in the Chomskyan paradigm”, Foundations
of Language 4: 109-127.
Croft, William (2001). Radical construction grammar. Oxford, Oxford University Press.
Fillmore, Charles J., Kay, Paul, O'Connor, Mary Catherine (1988). Regularity and idiomaticity
in grammatical constructions: The case of let alone , Language 64(3): 501-538.
Goldberg, Adele E. (1995). Constructions : A construction grammar approach to argument
structure. Chicago, The University of Chicago Press.
Green, Georgia M. (1974). Semantics and syntactic regularity. Bloomington, Indiana
University Press.
Pawley, Andrew & Syder, Frances Hodgetts (1983). Two puzzles for linguistic theory:
Nativelike selection and nativelike fluency. In Jack C. Richards and Richard W. Schmidt
(eds.), Language and communication, New York, Longman: 191-226.
G. Corminboeuf (Université de Bâle) et F. Gachet (Université de Neuchâtel)
Une construction infinitive à valeur exclamative « Moi, me moquer ! En aucune façon »
Nous nous proposons d’étudier la construction à valeur exclamative illustrée dans (1),
constituée d’un pronom tonique suivi d’une forme verbale à l’infinitif :
(1) GEORGE DANDIN. Au travers de toutes vos grimaces, j’ai vu la vérité de ce que l’on
m’a dit, et le peu de respect que vous avez pour le nœud qui nous joint. Mon Dieu !
laissez là votre révérence, ce n’est pas de ces sortes de respect dont je vous parle, et vous
n’avez que faire de vous moquer.
ANGÉLIQUE. Moi, me moquer ! En aucune façon. (Molière, George Dandin, 1669)
Dans un premier temps, nous montrerons que la construction est apparentée à plusieurs autres
structures, notamment celles illustrées dans les exemples (2) à (4) :
(2) BERENICE. (…) Êtes-vous pleinement content de votre gloire ?
Avez-vous bien promis d’oublier ma mémoire ?
Mais ce n’est pas assez expier vos amours :
Avez-vous bien promis de me haïr toujours ?
TITUS. Non, je n’ai rien promis. Moi, que je vous haïsse !
Que je puisse jamais oublier Bérénice !
Ah Dieux ! dans quel moment son injuste rigueur
De ce cruel soupçon vient affliger mon cœur ! (Racine, Bérénice, 1697)
(3) HERMIONE. Hé quoi ? votre haine chancelle ?
Ah ! courez, et craignez que je ne vous rappelle.
N’alléguez point des droits que je veux oublier ;
Et ce n’est pas à vous à le justifier.
ORESTE. Moi, je l’excuserois ? Ah ! vos bontés, Madame,
Ont gravé trop avant ses crimes dans mon âme. (Racine, Andromaque, 1668)
(4) Après quelques moments l’appétit vint ; l’Oiseau
S’approchant du bord vit sur l’eau
Des Tanches qui sortaient du fond de ces demeures.
Le mets ne lui plut pas ; il s’attendait à mieux,
Et montrait un goût dédaigneux
Comme le Rat du bon Horace.
Moi des Tanches ? dit-il, moi Héron que je fasse
Une si pauvre chère ? Et pour qui me prend-on ? (La Fontaine, Fables, 1668-1694)
Dans (2), la forme verbale est au subjonctif, dans (3) au conditionnel, et dans (4) la construction
est elliptique.
Nous soulignerons également les variations observables dans la construction : le pronom
tonique peut être placé à droite (Me moquer, moi !), être à une autre personne que la première
du singulier (Lui, se moquer !) et un SN peut s’y substituer (5)-(6) :
(5) Peut-être, dit Etienne, ramasse-t-il des sous sur la route.
Du coup, elle brandit les deux poings, hors d’elle.
Si je savais ça !... Mes enfants mendier ! J’aimerais mieux les tuer et me tuer
ensuite. (Zola, Germinal, 1885)
(6) SOLIMAN, fumant par intervalles. Je ne sors point de mon étonnement ; Une esclave
parler avec cette arrogance ! (Il fume.) (…) (Favart, Les trois sultanes, ou Soliman
II, II-1, 1762)
Un autre axe de variation concerne la ponctuation qui, d’une part,site entre marques
interrogatives et exclamatives, et, d’autre part, balance à présenter la structure comme deux
unités successives ou comme une seule (Moi ? Me moquer ? ; Moi, me moquer !? ; Moi me
moquer !)
Dans un second temps, nous décrirons la construction au plan sémantico-pragmatique comme
mettant en jeu un phénomène échoïque (polyphonique). La construction est en effet
fondamentalement réactive : dans la plupart des cas, elle reprend en mention un fait évoqué
dans le contexte antérieur
1
. Ce fonctionnement réactif est inhérent à la structure au point que
lorsque ce contexte n’est pas accessible, le destinataire est amené à le reconstruire.
Nous montrerons que la construction se présente sous la forme d’une demande de confirmation
de dicto simulée. La valeur pragmatique est ainsi celle d’une réaction de surprise incrédule (le
plus souvent feinte, et volontiers sur-jouée) suscitée par l’incompatibilientre les éléments moi
et me moquer. Plus préciment, c’est en « montrant » la surprise provoquée par l’association
de ces deux éléments que la construction véhicule l’idée qu’ils sont incompatibles, au moins
dans l’esprit du locuteur.
Dans un troisième temps, nous chercherons à comprendre quelle est la relation entre moi et me
moquer et comment la séquence Moi me moquer ! « fait construction » autrement dit comment
le rendement pragmatique observé est conventionnellement attachée à cette routine discursive.
Nous ferons l’hypothèse d’une conventionnalisation de deux interrogatives successives (Moi ?
et me moquer ?) qui en arrivent, par ritualisation, au fonctionnement d’une construction
exclamative. Nous nous attarderons en particulier sur les formes avec un SN indéfini (ex. 6).
Nous montrerons comment celles-ci sont moins étroitement tributaires de leur contexte et
peuvent présenter typiquement les propriétés reconnues habituellement aux « Constructions »
dans le cadre des Grammaires de Constructions.
Par ailleurs, notre construction suscite ordinairement une inférence négative, de type réfutation.
Ainsi la construction Moi, me moquer ! est largement utilisée pour exprimer le sous-entendu
<je ne me moque en aucun cas>. Elle est d’ailleurs parfois suivie d’un élément qui redonde sur
cette valeur (non, jamais, en aucun cas). Nous ne négligerons pas, cependant, certains exemples
qui semblent s’écarter de cette description, et dans lesquels cette inférence semble plus
problématique. C’est le cas pour des enchaînements du type Moi, aller à Caen ! mais j’en ve !
qui paraissent remettre en question l’idée d’une inférence futative. C’est également le cas
d’exemples comme (7), tide la fable du lièvre et de la tortue, dans laquelle cette dernière,
après avoir gagné sonfi lancé au lièvre, prend ainsi la parole :
(7) Eh bien, lui cria-t-elle, avais-je pas raison ?
De quoi vous sert votre vitesse ?
Moi l’emporter ! et que serait-ce
Si vous portiez une maison ? (La Fontaine, Fables, 1668-1694)
Comme la construction réagit au fait, indiscutablement avéré, que la tortue la emporté, il n’est
pas possible d’enchaîner au moyen de jamais ! ou impossible ! (??Moi l’emporter ! Jamais !). A
partir de la discussion de ces exemples particuliers, nous chercherons à comprendre si une
valeur réfutative est constitutive ou non de la construction.
En guise de conclusion, nous ferons le rapport avec d’autres constructions exclamatives. On
sait que certaines catégories d’exclamatives se présentent comme une réaction expressive à des
faits perçus comme excédant les normes ordinaires. Notre construction présente un
fonctionnement similaire, l’apparentement entre moi et me moquer étant conçu comme sortant
des limites du concevable. Le fait que le rejet de cet apparentement se réalise au plan implicite
renforce également la nature « expressive » du procédé.
L’étude se fonde sur 190 exemples contenant une forme à l’infinitif (comme l’exemple 1) et
une centaine d’exemples de structures apparentées (comme les exemples 2 à 6). La majeure
partie des données sont issues de Frantext, le reste d’œuvres littéraires « tout-venant » et du
web, plus marginalement de textes de presse.
1
Il peut arriver (beaucoup plus rarement) qu’elle réagisse à un fait advenu et avéré (v. infra ex 7).
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