Programme et résumés

publicité
Les Constructions comme unités fondamentales de la langue
Journée du 21 Avril 2015
9h30 – Accueil
10h-10h30 D. Legallois et A. Patard (Crisco, Université de Caen). Présentation : Les
Constructions comme unités fondamentales de la langue
10h30 -11h10 J.M. Fortis (CNRS, HTL, Université Paris 7), Une généalogie de la notion de
construction en linguistique américaine
11h40-12h20 G. Corminboeuf (Université de Bâle) et F. Gachet (Université de Neuchâtel)
Une construction infinitive à valeur exclamative « Moi, me moquer ! En aucune façon »
déjeuner
14h00-14h40
A.
Carlier (Stl, Université de Lille 3) et M. Meulleman (Cirlep, Université de Reims)
Perspectives diachronique et comparée sur l’expression idiomatique il y a en français: entre
idiosyncrasie et motivation
14h40-15h20
L. Ben Hamad (LDC, MoDyCo, Université de Sousse), Le statut catégoriel des locutions
conjonctives : constructionnalisation et évolution d’un système grammatical
pause
15h50-16h30
N. Van Wettere et P. Lauwers (Universiteit Gent) La « micro-constructionnalisation » en
tandem: les semi-copules tourner/virer et s’avérer/se révéler
16h30-17h10
E. Moline Université de Caen – Basse Normandie CRISCo (EA4255) Sa barbe n’était pas
encore poussée que ces amusements l’avaient lassé déjà. La construction (ne… pas) (encore)
p(,) (que + et) (déjà) (ne… plus) q
Journée du 22 Avril 2015
9h30 – 10h10 E. Schafroth (Université de Düsseldorf) Le modèle du PhraseoFrame: une
approche holistique pour décrire les constructions
10h 10 -10h50 K. Ewert-Kling (Université de Düsseldorf) Les modèles locutionnels
tautologiques comme constructions et la description dans le PhraseoFrame
Pause
11h10 -11h50 L. Liégeois (Laboratoire Ligérien de Linguistique) Acquisition des liaisons
catégoriques nominales et verbales : de la lexicalisation à l’abstraction des constructions.
11h50-12h30 E.Hilgert (Université de Reims, Cirlep) Les formules comme patrons
constructionnels
déjeuner
14h00-14h40 P. Jalenques (Lidifra, Université de Rouen ) Le passif en français est-il une
construction ?
14h40-15h20 T. Nakamura (Ligm, Université Paris-Est), Cet article a pour objectif de... : le
pendant transitif de la copulative spécificationnelle. Son interprétation constructionniste
pause
15h50-16h30 B. Combettes et M. Dargnat (Université de Lorraine & ATILF) : Intensivité et
construction : le cas des concessives
RESUMES
J.M. Fortis (CNRS, HTL, Université Paris 7), Une généalogie de la notion de construction en
linguistique américaine
Des modèles grammaticaux récents ont réintroduit en linguistique une notion que le
générativisme avait considérée comme non avenue ou périphérique, la notion de construction.
L’objet de cette présentation est de proposer une généalogie de cette notion dans le contexte
américain. Une telle généalogie impose de comprendre pourquoi cette notion, qui était centrale
chez Bloomfield, et vivante chez les distributionnalistes, s’est progressivement effacée. Cet
effacement a été l’œuvre du mouvement générativiste, qui s’est construit sur le primat de
l’analyse en constituants, son intégration et son dépassement dans la grammaire
transformationnelle (Postal 1967). Toutefois, par une ruse de l’histoire, le mouvement
générativiste suscita une contre-réaction qui entendait diriger l’attention vers des points
aveugles: l’idiomaticité (p. ex. Chafe 1968, et d’autres) et la prise en compte du parler “naturel”
(Pawley et Syder 1983), le laxisme sémantique de la grammaire transformationnelle (en part.
Bolinger 1977), la corrélation entre sémantique et comportement syntaxique (Green 1974, entre
autres), dans le contexte d’une introduction massive de la sémantique dans la théorie
linguistique, en particulier au cours des années 1970. Cette contre-réaction, on le montrera,
déboucha sur une réintroduction de la notion de construction, en particulier chez Fillmore
(Fillmore & Kay 1988), formé à l’époque distributionnaliste, et chez son élève, Goldberg
(1995). La linguistique cognitive enrôla la notion de construction dans une opposition plus
générale au générativisme, opposition développée sur de multiples plans (gnoséologique,
linguistique, acquisitionnel) et favorisant des conceptions qu’on peut qualifier d’empiristes (en
un sens à préciser). Enfin, la notion permit la réactivation de perspectives distributionnelles,
mais conjuguées cette fois à la recherche d’universaux de langue (Croft 2001).
Références (illustratives, non-exhaustives)
Bloomfield, Leonard, rev. ed. (1935). Language. London, George Allen & Unwin.
Bolinger, Dwight (1977). Meaning and form. London & New York, Longman.
Chafe, Wallace (1968). “Idiomaticity as an anomaly in the Chomskyan paradigm”, Foundations
of Language 4: 109-127.
Croft, William (2001). Radical construction grammar. Oxford, Oxford University Press.
Fillmore, Charles J., Kay, Paul, O'Connor, Mary Catherine (1988). “Regularity and idiomaticity
in grammatical constructions: The case of let alone ”, Language 64(3): 501-538.
Goldberg, Adele E. (1995). Constructions : A construction grammar approach to argument
structure. Chicago, The University of Chicago Press.
Green, Georgia M. (1974). Semantics and syntactic regularity. Bloomington, Indiana
University Press.
Pawley, Andrew & Syder, Frances Hodgetts (1983). “Two puzzles for linguistic theory:
Nativelike selection and nativelike fluency”. In Jack C. Richards and Richard W. Schmidt
(eds.), Language and communication, New York, Longman: 191-226.
G. Corminboeuf (Université de Bâle) et F. Gachet (Université de Neuchâtel)
Une construction infinitive à valeur exclamative « Moi, me moquer ! En aucune façon »
Nous nous proposons d’étudier la construction à valeur exclamative illustrée dans (1),
constituée d’un pronom tonique suivi d’une forme verbale à l’infinitif :
(1)
GEORGE DANDIN. – Au travers de toutes vos grimaces, j’ai vu la vérité de ce que l’on
m’a dit, et le peu de respect que vous avez pour le nœud qui nous joint. Mon Dieu !
laissez là votre révérence, ce n’est pas de ces sortes de respect dont je vous parle, et vous
n’avez que faire de vous moquer.
ANGÉLIQUE. – Moi, me moquer ! En aucune façon. (Molière, George Dandin, 1669)
Dans un premier temps, nous montrerons que la construction est apparentée à plusieurs autres
structures, notamment celles illustrées dans les exemples (2) à (4) :
(2)
BERENICE. – (…) Êtes-vous pleinement content de votre gloire ?
Avez-vous bien promis d’oublier ma mémoire ?
Mais ce n’est pas assez expier vos amours :
Avez-vous bien promis de me haïr toujours ?
TITUS. – Non, je n’ai rien promis. Moi, que je vous haïsse !
Que je puisse jamais oublier Bérénice !
Ah Dieux ! dans quel moment son injuste rigueur
De ce cruel soupçon vient affliger mon cœur ! (Racine, Bérénice, 1697)
(3)
HERMIONE. – Hé quoi ? votre haine chancelle ?
Ah ! courez, et craignez que je ne vous rappelle.
N’alléguez point des droits que je veux oublier ;
Et ce n’est pas à vous à le justifier.
ORESTE. – Moi, je l’excuserois ? Ah ! vos bontés, Madame,
Ont gravé trop avant ses crimes dans mon âme. (Racine, Andromaque, 1668)
(4)
Après quelques moments l’appétit vint ; l’Oiseau
S’approchant du bord vit sur l’eau
Des Tanches qui sortaient du fond de ces demeures.
Le mets ne lui plut pas ; il s’attendait à mieux,
Et montrait un goût dédaigneux
Comme le Rat du bon Horace.
Moi des Tanches ? dit-il, moi Héron que je fasse
Une si pauvre chère ? Et pour qui me prend-on ? (La Fontaine, Fables, 1668-1694)
Dans (2), la forme verbale est au subjonctif, dans (3) au conditionnel, et dans (4) la construction
est elliptique.
Nous soulignerons également les variations observables dans la construction : le pronom
tonique peut être placé à droite (Me moquer, moi !), être à une autre personne que la première
du singulier (Lui, se moquer !) et un SN peut s’y substituer (5)-(6) :
(5)
– Peut-être, dit Etienne, ramasse-t-il des sous sur la route.
Du coup, elle brandit les deux poings, hors d’elle.
– Si je savais ça !... Mes enfants mendier ! J’aimerais mieux les tuer et me tuer
ensuite. (Zola, Germinal, 1885)
(6)
SOLIMAN, fumant par intervalles. Je ne sors point de mon étonnement ; Une esclave
parler avec cette arrogance ! (Il fume.) (…) (Favart, Les trois sultanes, ou Soliman
II, II-1, 1762)
Un autre axe de variation concerne la ponctuation qui, d’une part, hésite entre marques
interrogatives et exclamatives, et, d’autre part, balance à présenter la structure comme deux
unités successives ou comme une seule (Moi ? Me moquer ? ; Moi, me moquer !? ; Moi me
moquer !)
Dans un second temps, nous décrirons la construction au plan sémantico-pragmatique comme
mettant en jeu un phénomène échoïque (polyphonique). La construction est en effet
fondamentalement réactive : dans la plupart des cas, elle reprend en mention un fait évoqué
dans le contexte antérieur 1. Ce fonctionnement réactif est inhérent à la structure au point que
lorsque ce contexte n’est pas accessible, le destinataire est amené à le reconstruire.
Nous montrerons que la construction se présente sous la forme d’une demande de confirmation
de dicto simulée. La valeur pragmatique est ainsi celle d’une réaction de surprise incrédule (le
plus souvent feinte, et volontiers sur-jouée) suscitée par l’incompatibilité entre les éléments moi
et me moquer. Plus précisément, c’est en « montrant » la surprise provoquée par l’association
de ces deux éléments que la construction véhicule l’idée qu’ils sont incompatibles, au moins
dans l’esprit du locuteur.
Dans un troisième temps, nous chercherons à comprendre quelle est la relation entre moi et me
moquer et comment la séquence Moi me moquer ! « fait construction » – autrement dit comment
le rendement pragmatique observé est conventionnellement attachée à cette routine discursive.
Nous ferons l’hypothèse d’une conventionnalisation de deux interrogatives successives (Moi ?
et me moquer ?) qui en arrivent, par ritualisation, au fonctionnement d’une construction
exclamative. Nous nous attarderons en particulier sur les formes avec un SN indéfini (ex. 6).
Nous montrerons comment celles-ci sont moins étroitement tributaires de leur contexte et
peuvent présenter typiquement les propriétés reconnues habituellement aux « Constructions »
dans le cadre des Grammaires de Constructions.
Par ailleurs, notre construction suscite ordinairement une inférence négative, de type réfutation.
Ainsi la construction Moi, me moquer ! est largement utilisée pour exprimer le sous-entendu
<je ne me moque en aucun cas>. Elle est d’ailleurs parfois suivie d’un élément qui redonde sur
cette valeur (non, jamais, en aucun cas). Nous ne négligerons pas, cependant, certains exemples
qui semblent s’écarter de cette description, et dans lesquels cette inférence semble plus
problématique. C’est le cas pour des enchaînements du type Moi, aller à Caen ! mais j’en rêve !
qui paraissent remettre en question l’idée d’une inférence réfutative. C’est également le cas
d’exemples comme (7), tiré de la fable du lièvre et de la tortue, dans laquelle cette dernière,
après avoir gagné son défi lancé au lièvre, prend ainsi la parole :
(7)
Eh bien, lui cria-t-elle, avais-je pas raison ?
De quoi vous sert votre vitesse ?
Moi l’emporter ! et que serait-ce
Si vous portiez une maison ? (La Fontaine, Fables, 1668-1694)
Comme la construction réagit au fait, indiscutablement avéré, que la tortue l’a emporté, il n’est
pas possible d’enchaîner au moyen de jamais ! ou impossible ! (??Moi l’emporter ! Jamais !). A
partir de la discussion de ces exemples particuliers, nous chercherons à comprendre si une
valeur réfutative est constitutive ou non de la construction.
En guise de conclusion, nous ferons le rapport avec d’autres constructions exclamatives. On
sait que certaines catégories d’exclamatives se présentent comme une réaction expressive à des
faits perçus comme excédant les normes ordinaires. Notre construction présente un
fonctionnement similaire, l’apparentement entre moi et me moquer étant conçu comme sortant
des limites du concevable. Le fait que le rejet de cet apparentement se réalise au plan implicite
renforce également la nature « expressive » du procédé.
L’étude se fonde sur 190 exemples contenant une forme à l’infinitif (comme l’exemple 1) et
une centaine d’exemples de structures apparentées (comme les exemples 2 à 6). La majeure
partie des données sont issues de Frantext, le reste d’œuvres littéraires « tout-venant » et du
web, plus marginalement de textes de presse.
1
Il peut arriver (beaucoup plus rarement) qu’elle réagisse à un fait advenu et avéré (v. infra ex 7).
Choix de références
Akmajian A. (1984), « Sentence Types and the Form-Function Fit ». Natural Language and
Linguistic Theory 1-2, 1-23.
Gachet F. & Corminboeuf G. (2012), « Les exclamatives de Mlle Pellaton », Congrès Mondial
de Linguistique Française (CMLF’12), 1743-1757.
Jespersen O. (1971=1924), La philosophie de la grammaire, Paris, Minuit.
Lambrecht K. (1990), “What, me worry? Mad Magazine sentences revisited”, Proceedings of
the Sixteenth Annual Meeting of the Berkeley Linguistics Society, University of California, 215228.
Legallois D. (2012), « From grammaticalization to expressive constructions. The case of
histoire de+ inf. », Bouveret M. & Legallois D. (eds), Constructions in French, Amsterdam,
Benjamins, 257-282.
Sailer M. (2002), « The German Incredulity Response Construction and the Hierarchical
Organization of Constructions », Material to a talk presented at 2nd International Conference
on Construction Grammar, Helsinki, September 6-8. Ms. Univ. Tübingen.
A. Carlier (Stl, Université de Lille 3) et M. Meulleman (Cirlep, Université de Reims)
Perspectives diachronique et comparée sur l’expression idiomatique il y a en français: entre
idiosyncrasie et motivation
Comme le note Croft (1991:18), le prédicat d’existence se distingue fondamentalement de la
prédication verbale prototypique, dans la mesure où il n’exprime pas de procès mais au
contraire un état. Mais à l’opposé d’un prédicat statif, il n’exprime pas de propriété d’un être
ou d’un objet, mais il indique simplement la présence de cet être ou objet. C’est ainsi que dans
la représentation logique, le prédicat d’existence n’est pas représenté par un prédicat, mais par
un quantifieur. Ce caractère atypique de la prédication verbale d’existence se reflète
iconiquement dans le fait, dans toutes les langues, le prédicat d’existence est
morphosyntaxiquement irrégulier et prend souvent la forme d’une expression idiomatique
semi-schématique (Croft & Cruse 2004).
Comme l’ont montré les travaux typologiques de Lyons (1967), Clark (1978), Bickerton (1981)
et Koch (2012), deux modèles majeurs se profilent pour l’expression de l’existence: celui-ci est
lexicalisé soit en termes de localisation ‘dans un lieu Y est X’ soit en termes de possession ‘Y
a X’, avec l’objet localisé ou possédé en position rhématique. Le latin tardif présentait
concurremment les deux structures, mais les langues romanes ont sélectionné l’une des deux
tournures (Blasco Ferrer 2004). Dans la présente communication, nous apporterons une analyse
des spécificités du prédicat d’existence il y a du français par rapport à ses homologues en italien,
en espagnol et en roumain en soulevant les questions de recherche suivantes, qui concernent sa
forme (i-ii-iii) et sa fonction (iv-v).
(i) Pourquoi le français a-t-il opté pour le verbe ‘avoir’, alors que l’italien maintient le verbe
‘être’ utilisé pour l’expression de l’existence de l’existence? Ce choix est-il lié à l’extension
de constructions transitives (Bauer 1999) et/ou au développement de l’ordre des mots ?
(ii) Se pose également la question de la fonction syntaxique du SN postverbal et celle de
l’accord du verbe avec le SN postverbal. Il a été observé que le prédicat d’existence de
l’espagnol, également formé avec ‘avoir’, tend à s’accorder avec le NP postverbal, quoique
cet accord soit non normatif. Cet accord révèle une réanalyse du SN postverbal comme
sujet. Cette tendance existe-t-elle également en français et s’il y a différence avec
l’espagnol, comment en rendre compte?
(iii) En dépit du fait que le français n’est pas en train d’évoluer vers une langue pro-drop, le
prédicat d’existence prend souvent la forme de ya. Comment expliquer cette disparition
du pronom il? Ou n’a-t-il jamais réussi à s’imposer en français parlé, contrairement aux
autres constructions impersonnelles (cf. Falk 1969)?
(iv) Il y a est-il encore un prédicat d’existence? Est-il utilisé dans les mêmes configurations
discursives que les prédicats d’existence en italien, en espagnol et en portugais et si
différence il y a comment en rendre compte?
(v) Quel est le rapport entre prédication d’existence et construction impersonnelle?
Une propriété fondamentale de l’expression idiomatique est son caractère arbitraire et, dans une
perspective synchronique, on pourrait avancer que les différences formelles et fonctionnelles
entre langues romanes par rapport à l’expression de l’existence illustrent ce caractère arbitraire.
Nous montrerons néanmoins, en évoquant l’évolution diachronique spécifique du prédicat
d’existence dans chacune des quatre langues romanes considérées, comment la perspective
diachronique et comparée permet de comprendre comment se forgent les expressions et
constructions idiomatiques, du point de vue de la forme lexicale et syntaxique, du sens et des
conditions d’emploi et comment il est ainsi possible de trouver une forme de motivation aux
divergences que présentent les langues par rapport au prédicat d’existence.
Références
Bauer, Brigitte. (1991). From Latin to French: the linear development of word order. Recherches
de linguistique française et roimane d’Utrecht 10: 23-28.
Bauer, B.. (1999). Impersonal habet constructions in Latin: at the crossroads of Indo-European
innovation. In: Justus, Carol & Polomé, Edgar (eds.) Language change and typological
variation: in honor of Winfred P. Lehmann on the occasion of his 83rd birthday. Vol. 2:
grammatical universals and typology. Washington DC: Inst. for the study of Man. 590612.
Bentley, D. and F. M. Ciconte (sous presse). Copular and existential constructions.
Bickerton, D. (1981). Roots of Language. Ann Arbor: Karoma
Blasco Ferrer, E. (2004). Tipologia, storia e classificazione delle costruzioni presentative
romanze. Contributo a una teoria della grammaticalizzazione. Quaderns de Filologia.
Estudis Lingüístics 9: 27-49.
Clark, E.V. (1978). Locationals: existential, locative, and possessive constructions. In
Greenberg J.H. (ed.). Universals of Human Language. Stanford, CA: Stanford University
Press. 85–126.
Ciconte, F.M. (2007). Existential Constructions in Early Italo-Romance Vernaculars.
Proceedings of LingO. 35-41.
Croft W. (1991). The Evolution of Negation. Journal of Linguistics 27: 1, 1-27.
Croft W. & D.A. Cruse (2004). Cognitive Linguistics. Cambridge : Cambridge University Press.
Croft, W. (2001). Radical construction grammar. Oxford: OUP.
Fillmore Ch. J., P. Kay & M. C. O'Connor (1988). Regularity and Idiomaticity in Grammatical
Constructions: The Case of Let Alone. Language 64 (3) : 501-538.
Falk, P. (1969). Particularisme des propositions impersonnelles en ancien français. Studia
Neophilologica 41 : 235-252.
Freeze, R. (1992). Existentials and other locatives. Language 68 (3): 553-595.
Gawełko, M. (2000). Sur la spécificité typologique du roumain. Revue roumaine de linguistique
45: 9–27.
Goldberg, A. E. (1995). A construction grammar approach to argument structure. Chicago:
CUP.
Goldberg, A. E. (2006). Constructions at work. Oxford: OUP.
Koch, P. (2012). Location, existence, and possession: A constructional-typological exploration.
Linguistics 50 (3): 533-603.
Lambrecht, K. (2001). A framework for the analysis of cleft constructions. Linguistics 39 (3):
463–516.
Lyons, J. (1967). A note on possessive, existential and locative sentences. Foundations of
Language 3: 390-396.
Meulleman, M. (2012) Les localisateurs dans les constructions existentielles: Approche
comparée en espagnol, en français et en italien. Tübingen, Niemeyer.
Nunberg, G., I A. Sag & Th. Wasow (1994). Idioms. Language 70 (3): 491-538.
Perez-Guerra J. (2012). A contrastive analysis of (English) ‘there’ and (Spanish) hay existential
sentences: Towards a constructional prototype. Languages in Contrast 12 (2): 139–164.
Rodríguez-Mondoñedo, M. (2005). Case and Agreement in Spanish Existential Constructions
(and beyond). Ms, University of Connecticut.
L. Ben Hamad (LDC, MoDyCo, Université de Sousse), Le statut catégoriel des locutions
conjonctives : constructionnalisation et évolution d’un système grammatical
Nous aborderons, ici, le problème du statut catégoriel des locutions conjonctives dans
sa complexité – qui est grande2. Notre perspective sera, en réalité, double. Nous décrirons
d’abord les éléments de base de ces « composés locutionnels ». Nous porterons ensuite une
attention particulière au mot que, qui entre dans leur composition3. Notre réflexion s’inscrira
dans la continuité des nombreuses études qui, ces dernières années, ont tenté d’appréhender les
propriétés des diverses « particules invariables » ou encore d’explorer plus à fond le statut des
morphèmes en qu-.
Nous nous occuperons de décrire, dans une première partie, les processus qui ont
conduites les locutions conjonctives à entrer dans la grammaire du français, en mettant en
lumière des points qui restent inexpliqués. Notre tâche sera très complexe. C’est une partie
importante (autant du point de vue morphologique, syntaxique et sémantique) de l’histoire de
la langue qui sera en jeu. Nous serons portée de prime abord à établir l’usage des locutions
conjonctives dans le premier état du français écrit, de façon à élucider le problème des origines.
Nous serons attachée, plus particulièrement, à faire apparaître l’origine corrélative de ces
constructions, déjà bien attestée en latin4. Nous procéderons ensuite à « diachroniser » leur
évolution. Nous nous efforcerons d’en retracer les différentes étapes en les interprétant non pas
individuellement, mais comme des éléments d’un changement global, qui aboutit à une recatégorialisation des adverbes ou prépositions en locutions conjonctives 5. C’est à ce processus
de constructionnalisation que nous nous attacherons, en essayant d’analyser les changements
qui ont affecté les adverbes et prépositions de départ. Nous tenterons de montrer qu’une
nouvelle restructuration des catégories est encodée dans la morphologie et que cette innovation
catégorielle a pour corrélat de nouveaux paramètres syntaxiques qui s’actualisent dans la
grammaire.
2 Nous ne prétendons pas trancher cette question. Toutefois, l’entreprise n’aura pas été inutile.
3
Nous souhaitons pouvoir montrer, à l’issue de ce travail, que le figement dans une locution conjonctive est moins systématique
qu’il n’y paraît et que la notion même de locution conjonctive est à considérer avec plus de soin dès les premières périodes de
français.
4
Nous tenterons de mettre en perspective ainsi le passage de « diptyques corrélatifs » aux formes les plus évoluées d’hypotaxe.
5
Les données empiriques nous permettront de mettre en évidence que l’on ne peut plaider en faveur d’une modification
drastique ou d’un phénomène de substitution d’une structure par une autre.
Nous procèderons, dans notre seconde partie, à une esquisse diachronique de l’emploi
de que dans la structure base-que P. Nous étudierons plus précisément les paramètres
contextuels qui ont favorisé le maintien de la construction considérée. Nous examinerons
d’abord la variation qui repose sur l’existence d’une triple série de constructions pendant la
période du français médiéval. Nous observerons ensuite l’évolution qui l’achemine vers le
français moderne et les processus impliqués dans cette évolution. Le système de que en français
moderne est, on le montrera, à la fois le produit d’un processus historique et d’une
restructuration systémique constante. Nous tenterons de décrire le mouvement général dans la
structuration du système, qui peut être caractérisé par une tendance à l’uniformisation des
réalisations discursives sous la forme de la structure base-que P. C’est l’ensemble des structures
concernées qui nous interpellera puisque cette dernière s’impose successivement comme
structure parallèle, comme alternative ou comme substitut. Nous aborderons ainsi les
constructions en- quant et -com(e) en ancien et moyen français 6. Cela nous conduira à évaluer
peut-être plus précisément l’ampleur des convergences et leur impact sur l’appréhension du
fonctionnement de que dans les locutions conjonctives7.
Notre longue quête procède à mettre en lumière des phénomènes de changements
isochrones et de variations concomitantes et à en proposer une analyse théorique, afin de cerner
la nature des processus qui y sont impliqués. C’est une fréquentation assidue de grandes masses
de données numérisées, constituées de la BFM pour l’ancien français, de la base du Dictionnaire
du moyen français pour la période 1330- 1500, et de Frantext pour les périodes suivantes qui
nous conduira à établir une hiérarchie et une structuration dans les changements à l’œuvre aux
diverses étapes de la constructionnalisation.
Bibliographie indicative:
Ben Hamad, L., (2013), « L’émergence des locutions conjonctives de simultanéité en ancien
français », in Actes du troisième Congrès mondial de Linguistique française, Actes en ligne:
www.linguistiquefrançaise.org.
Ben Hamad, L., (2013), « Réflexions sur le statut du mot que dans les locutions conjonctives:
changement et permanence? », in Variation et changement en langue et en discours : 105,
132, Mémoires de la Société Néophilologique de Helsinki.
Diewald, G., (2004), « Context types in grammaticalization as constructions », MS.
http://www.constructions-online.de/articles/specvol1/686.
Noël D., (2007), « Diachronic construction grammar and grammaticalization theory » in
Functions of Language, 14, 2: 177–202.
Traugott, E-C., (2003), « Constructions in grammaticalization », in The Handbook of Historical
linguistics, Oxford, Blackwell Publishing : 624-647.
Traugott E. & Graeme Trousdale (2013), Constructionalization and Constructional Changes,
Oxford: OUP.
Trousdale G. & Hoffmann Th. (eds.), (2013), The Oxford handbook of Construction
Grammar, Oxford University Press.
Wischer, I. & Diewald, G. (éds), (2002), New reflections on Grammaticalization, International
Symposium, Postdam, 17-19 Juin, 1999, Amsterdam, Benjamins.
N. Van Wettere et P. Lauwers (Universiteit Gent) La « micro-constructionnalisation » en
Il nous a semblé que cette période constituait un domaine d’observation pertinent dans la mesure où les trois structures
considérées y sont bien représentées.
7
Notre objectif est ici modeste. Il s’agira notamment d’observer si que adopte les traits des morphèmes qu’il remplace.
6
tandem: les semi-copules tourner/virer et s’avérer/se révéler
Cette contribution, qui s’inscrit dans l’axe diachronique du colloque, s’intéresse à l’émergence de
nouveaux verbes (semi-)copules, résultant de processus de constructionnalisation variés (Traugott
et Trousdale 2013) : tourner/virer et s’avérer/se révéler.
A la différence de la copule type être, les semi-copules ne présentent pas toutes les propriétés liées
au statut de verbe copule (Lauwers & Tobback 2010). A regarder l’inventaire (ib.) on constate
qu’elles se caractérisent notamment par le maintien de restrictions de souscatégorisation/sémantiques du côté du sujet et de l’attribut. Celles-ci sont le résultat d’un processus
de « copularisation » qui n’a pas abouti à un verbe copule à part entière. Il s’avère que ce processus
de copularisation – qui est avant tout un processus de grammaticalisation (primaire) (Hopper &
Traugott 2003 [19931]) - est plus complexe que ne le laisse croire la doxa (Stassen 1997, Hengeveld
1992), qui trop souvent le réduit à la désémantisation d’un verbe plein suivie de l’incorporation
‘valencielle’ de l’attribut « dépictif », suivie à son tour d’une « host class expansion », qui élargit
progressivement la gamme des constituants attributs, de la classe adjectivale à celle des noms. Cette
complexité provient entre autres (voir Lauwers & Tobback 2013) du fait que l’émergence de
nouveaux verbes copules est en partie le résultat de l’interaction de plusieurs constructions, directes
et indirectes (prépositionnelles), coexistant encore en synchronie, et se présentant comme une sorte
de « allostructions » (Cappelle 2006, Perek 2012). Dès lors une reformulation de la problématique
en termes de Construction Grammar s’annonce très prometteuse pour en comprendre les tenants et
les aboutissants : comment naît pour chacun de ces verbes la nouvelle construction copulative (ou
les constructions copulatives) ? C’est donc la question de la constructionnalisation, et plus
particulièrement, de la micro-constructionnalisation, qui se pose (Traugott & Trousdale 2013).
Dans cette communication, nous présenterons deux études de cas ayant trait à deux couples de semicopules quasi-synonymiques, qui illustrent chacune deux types de parcours de microconstructionnalisation. L’analyse est essentiellement basée sur l’examen de Frantext et s’appuie
plus particulièrement sur la chronologie des premières attestations et l’examen quantifié du
processus de « host-class expansion » (Himmelmann 2004) ou « increased collocational range »
(Traugott & Trousdale 2013, 18) au niveau de l’attribut et du sujet.
L’analyse aboutit aux résultats suivants.
D’une part, dans le cas de tourner (et mutatis mutandis de se révéler), on peut faire état d’un
changement graduel et progressif qui finit par aligner tourner sur le paradigme des verbes semicopules: il a tourné gay. Ce changement qui remonte au début du 19e siècle a été « préparé » de
longue date par d’autres changements constructionnels. Ainsi, tourner, verbe de mouvement
intransitif – désignant à l’origine un mouvement giratoire – a développé tout naturellement des
emplois métaphoriques comme verbe de changement d’état, d’après le modèle « change is motion »
(Lakoff & Johnson 1980), le but du mouvement orienté (directionnel) correspondant à l’état
résultant : X tourne à/en Y. Cette construction dans laquelle le verbe (tourner à) s’est désémantisé,
a donné lieu à un emploi semi-copulatif après la chute de la préposition.
En revanche, le parcours de virer (ainsi que de s’avérer) semble être le résultat d’une
« analogisation » (Traugott & Trousdale 2013) à partir de la construction attributive de tourner (et
mutatis mutandis, de se révéler), ce qui explique le caractère plus brusque de l’évolution. A deux
reprises, son évolution « naturelle » a été infléchie sous la pression des constructions de tourner,
l’analogie lexicale tourner-virer ayant donc joué à deux reprises. D’abord, virer (à) (°1848), à
l’origine confiné essentiellement au domaine scientifique pour désigner un changement de couleur
(p.ex. virer [au rouge]) – avec un complément indirect syntaxiquement optionnel – a augmenté la
« type frequency » de ses compléments d’après le modèle de tourner à, dont la construction en à,
plus ancienne (°12e s.), se combinait avec un éventail de compléments plus large. Ensuite, au début
du 20e s., la construction indirecte virer à a abouti à la construction directe virer + adjectif de
couleur/acide, non sans avoir subi l’attraction lexicale de son synonyme tourner + adjectif/nom,
avec lequel virer partageait déjà la construction indirecte en à. L’attraction de la construction
attributive directe de tourner – qui semble récemment avoir poussé d’autres verbes à adopter la
construction attributive tels que basculer (p. ex. : Ça peut mal finir ce genre d’obsessions, tu vas
finir par basculer psycho.) – s’observe à travers plusieurs indices.
L’histoire de se révéler est en partie analogue à celle de tourner, à ceci près que le verbe de départ
n’est pas un verbe de mouvement mais un verbe transitif de communication (révéler) qui s’est
d’abord intransitivé (se révéler ‘apparaître’, émerger’), et que le complément prépositionnel qui a
facilité le passage dans le domaine attributif s’avère être un attribut dépictif introduit par un
marqueur prédicatif (comme). Le sort de s’avérer ressemble étrangement à celui de virer. Verbe
défectif à l’agonie, avérer a brusquement été réanimé aux alentours de 1900, attiré comme il était
par les nouveaux emplois copules de se révéler.
En somme, les quatre verbes à l’étude ont tous fait l’objet d’un processus de constructionnalisation
à travers lequel ils ont adopté un emploi comme verbe (semi-)copule. Pour tourner et se révéler, la
constructionnalisation attributive est préparée par une construction prépositionnelle (directionnelle
/ en comme), qui constitue donc une construction intermédiaire dans la filiation diachronique. Virer
et s’avérer, de leur côté, ont été attirés vers le spectre attributif par les nouvelles constructions
attributives de leurs homologues respectifs. Ce bilan - obtenu grâce à la boîte à outils de la CxG montre que les processus de copularisation sont plus complexes qu’on ne le pense.
REFERENCES
Cappelle, B. 2006. Particle placement and the case for “allostructions”. In : D. Schönefeld (éd), Constructions
Special Volume 1 — Constructions all over: case studies and theoretical implications. (Disponible sur le site
http://www.constructions-online.de/)
Hengeveld, K. 1992. Non-verbal predication: Theory, Typology, Diachrony. Berlin/New York: Mouton de Gruyter.
Himmelmann, N. 2004. « Lexicalization and grammaticization : opposite or orthogonal ? ». In : W. Bisang, N.
Himmelmann & B. Wiemer (éds), What Makes Grammaticalization ? A Look from its Fringes and its Components.
Berlin: Mouton de Gruyter. 21-42.
Hopper, P. & Traugott, E. 2003 [19931]. Grammaticalization. Cambridge: CUP.
Lakoff, G. & Johnson, M. 1980. Metaphors we live by. Chicago: The University of Chicago Press.
Lauwers, P. & Tobback, E. 2010. « Les verbes attributifs: inventaire(s) et statut(s) ». Langages 179-180. 79-111.
Lauwers, P. & Tobback, E. 2013. « Copularization processes in French. Constructional intertwining, lexical
attraction, and other dangerous things ». Folia Linguistica Historica 34. 115-147.
Perek, F. 2012. « Alternation-based generalizations are stored in the mental grammar : Evidence from a sorting
task experiment ». Cognitive Linguistics 23. 601-635.
Stassen, L. 1997. Intransitive Predication. Oxford: Clarendon Press.
Traugott, E.C. & Trousdale, G. 2013. Constructionalization and Constructional Changes. Oxford: Oxford
University Press.
E. Moline Université de Caen – Basse Normandie CRISCo (EA4255) Sa barbe n’était pas
encore poussée que ces amusements l’avaient lassé déjà. La construction (ne… pas) (encore)
p(,) (que + et) (déjà) (ne… plus) q
Les phrases de forme (ne… pas) (encore) p(,) (que + et) (déjà) (ne… plus) q n’ont pas manqué
d’attirer l’attention des grammairiens et des linguistiques, qui se sont penchés essentiellement
sur la question de l’analyse syntaxique, laissant de côté l’aspect sémantique, sans doute jugé
trop transparent au vu des quelques exemples généralement considérés.
La diversité des analyses syntaxiques proposées témoigne de la difficulté à les circonscrire de
ce seul point de vue. En effet, pas moins de six analyses différentes (et peu conciliables) ont été
avancées : en termes de subordination syntaxique (Wartburg & Zumthor, 1947 ; Le Bidois,
1971 ; Sandfeld, 1977 ; Chevalier et al., 1998), de subordination inverse (Gougenheim 1939 ;
Le Goffic 1993 ; Wilmet 1997 ; Riegel et al. 2009), de coordination (de Boer 1947), de
corrélation (Allaire 1982), de pseudo-corrélation (Deulofeu 1986) ou encore de subordination
énonciative, i. e. de macro-syntaxe (Maurel 1992).
Cette focalisation sur le seul point de vue syntaxique associée au nombre restreint d’exemples
pris en considération a eu pour conséquence non seulement de laisser de côté les aspects
discursif, argumentatif et informationnel à l’œuvre, mais également de négliger la variété et
l’extrême précision du repérage aspectuo-temporel établi entre les événements (ou les faits)
décrits par les deux propositions mises en relation. Sur le plan de la production, des contraintes
très précises régissent l’agencement de chacune des séquences (par exemple les temps
composés et les achèvements étant incompatibles avec encore à valeur continuative sont exclus
de p en l’absence de négation). Sur le plan de la compréhension, si l’interprétation est bien
compositionnelle, elle ne résulte pas essentiellement du lexique, mais de la prise en compte de
la combinaison d’éléments sémantiques (aspectuels pour l’essentiel) portés par des morphèmes
grammaticaux (temps verbaux, présence ou absence d’une forme de négation, et le cas échéant,
portée de la négation, etc). Au final, l’ordre d’apparition des propositions ne relevant pas de la
syntaxe, mais de facteurs discursifs, la structure se décline en une cinquantaine de variantes,
parmi lesquelles :
. Marius trouvait encore Cosette laide que déjà Cosette trouvait Marius beau. (Hugo, Les
Misérables)
. Elle descendait encore l’escalier, que Madame Lorilleux la traita de licheuse et de propre à
rien. (Zola, 1877)
. Mais il n’était pas dans l’escalier qu’il songeait à son fils revenant ivre ; et il s’arrêtait à chaque
marche ; il imaginait mille dangers à le laisser rentrer seul…(Roland, 1904)
. Il lui fait un électrocardiogramme aussi sec, et le ruban n’avait pas encore fini de défiler qu’il
appelait déjà le SAMU. (Winckler, 1998)
. Le vicomte n’avait pas fait deux pas dans ce cabinet, n’avait pas dit une parole, que le notaire,
qui le connaissait de réputation, le haïssait déjà. (Sue, 1843)
. Il n’avait pas encore tourné la tête que le son grêle et saccadé du grelot déchirait de nouveau
son oreille et le rejetait avec toutes les affres du doute dans une nouvelle course à travers les
bois. (Pergaud, 1910)
. Mais voici qu’un témoin s’est levé, et les affiches ne sont pas encore posées que tout est remis
en question. (Clémenceau, 1899)
. Et, en effet, une heure ne s’était pas écoulée, que l’honnête garçon, ayant coupé son nez et
rogné ses ailes, n’avait plus rien en lui qui rappelât le sectateur du dieu Tingou. (Verne, 1873)
. Je roulais pas depuis un quart d’heure que les deux motards se montrent dans le rétro. (Fallet,
1956)
. Le rideau était levé qu’on rentrait par bandes, au milieu de la mauvaise humeur des spectateurs
déjà assis. (Zola, 1880)
. Et elle était enfouie au fond de sa pelisse, que lui, le nez toujours contre le mur, ne se décidait
pas à risquer un regard. (Zola, 1886)
. Déjà il entrait dans le magasin, indifférent, qu’elle restait immobile, toute retournée par ce
regard, emplie d’une émotion singulière, où il y avait plus de malaise que de charme. (Zola,
1883)
Pour différentes raisons (fréquence peu élevée, nature compositionnelle du sens, variété des
combinaisons possibles, diversité des repérages aspectuo-temporels notamment), les locuteurs
n’ont pas conscience d’être confronté à un réseau très finement tissé à partir d’un même
canevas.
Les facteurs précédemment exposés conduisent à la question de savoir si une analyse en termes
de construction serait à même de rendre compte des faits observés. En effet, indépendamment
du matériel lexical utilisé, et bien que celui-ci exerce des contraintes sur l’acceptabilité (mode
d’action notamment) et joue un rôle non négligeable dans l’interprétation, le schéma (ne… pas)
(encore) p(,) (que + et) (déjà) (ne… plus) q / (déjà) (ne… plus) q, (que + et) (ne… pas)
(encore) p pose un repérage aspectuo-temporel entre deux événements (ou deux faits) qui se
laisse globalement décrire en termes de franchissement (ou non) de seuils (droit ou gauche). On
peut donc considérer que malgré la nature strictement compositionnelle du sens véhiculé par
telle ou telle instanciation, on a bien affaire à une construction.
Mon exposé se développera en trois points. Dans un premier temps, je montrerai les différentes
variations qui peuvent être réalisées à partir du schéma initial, (ne… pas) (encore) p(,) (que +
et) (déjà) (ne… plus) q, tous les éléments entre parenthèse pouvant être exprimés ou non. Dans
un second temps, j’exposerai les différents types de repérages susceptibles d’être établi par
chacune des séquences, et je donnerai un exemple des contraintes régissant la production pour
un cas particulier : (encore) p que (déjà) (ne… plus) q / (déjà) (ne… plus) q que (encore) p.
Dans un troisième temps, je montrerai dans quelle mesure la grammaire de constructions est
susceptible d’en opérer une description adéquate.
Références bibliographiques8
Allaire Suzanne (1982), Le modèle syntaxique des systèmes corrélatifs. Étude en français moderne,
thèse de doctorat d’état, Université de Rennes II, Atelier National de Reproduction des thèses.
Apothéloz Denis & Nowakowska Malgorzata (2013), « Déjà et le sens des énoncés », Cahiers Chronos,
26 : 355-366.
Borillo Andrée (1984), « La négation et les modifieurs temporels : une fois de plus encore », Langue
Française, 62 : 37-58.
Borillo Andrée (1991), « De la nature compositionnelle de l’aspect », in C. Fuchs (ed), Les typologies
de procès, Paris, Klincksieck : 97-102.
Buchi, Éva (2007), « Approche diachronique de la (poly)pragmaticalisation de français déjà (‘Quand le
grammème est-il devenu pragmatème, déjà ?’) », in David Trotter (ed), Actes du XXIVe Congrès
International de Linguistique et de Philologie Romanes (Aberystwyth 1er–6 août 2004), vol. III,
Tübingen, Niemeyer : 251-263.
Buchi Eva (2008), « Le passage de la sphère grammaticale à la sphère énonciative de l’adverbe français
encore du point de vue de la linguistique historique (‘C’est encore dans ce domaine là qu’il y a la
plus grande marge de progression’), in D. Baudot & M. Kauffer (eds), Wort und Text. Lexikologische
und textsyntaktische Studien im Deutschen und Französischen. Festschrift für René Métrich zum 60.
Geburstag, Tübingen, Stauffenburg : 133-146.
Chevalier Jean-Claude, Blanche-Benveniste Claire, Arrivée Michel & Peytard Jean (1988), Grammaire
Larousse du français contemporain, Paris, Larousse.
De Boer Christian (1947), Syntaxe du français moderne, Leiden, Presses universitaires de Leiden,
réédition 1954.
Deufoleu José (1986), « Syntaxe de que en français parlé et le problème de la subordination »,
Recherches sur le français parlé, 8 : 79-104.
Franckel Jean-Jacques (1989), Étude de quelques marqueurs aspectuels du français, Genève, Droz.
Fuchs Catherine (1988), « Encore, déjà, toujours : de l’aspect à la modalité », in N. Tersis & A. Kihm
(eds), Temps et aspects (Actes du colloque CNRS, Paris, 24-25 octobre 1985), Paris, Peeters :135148.
Fuchs Catherine ed. (1991), Les typologies de procès, Paris, Klincksieck.
Etant donné l’abondance des travaux sur le temps, l’aspect, les adverbes aspectuo-temporels, la négation et les
grammaires de construction, la bibliographie donnée ici est nécessairement sélective.
8
Goldberg Adele (1995), Constructions : A Construction Grammar approach to argument structure,
Chicago, University of Chicago Press.
Goldberg Adele (2006), Constructions at work. The Nature of Generalization in Language, Oxford,
Oxford University Press.
Gosselin Laurent (1996), Sémantique de la temporalité en français, Louvain-la-Neuve, Duculot.
Gougenheim Georges (1939), Système grammatical de la langue française, Paris, d’Artrey.
Hansen Maj-Britt Mosegaard (2002a), « La polysémie de l’adverbe encore », Travaux de Linguistique,
44 : 143-166.
Hansen Maj-Britt Mosegaard (2002b), « From aspectuality to discourse marking : the case of French
déjà and encore », Belgian Journal of Linguistics, 16 : 23-51.
Hansen Maj-Britt Mosegaard (2004), « La polysémie de l’adverbe toujours», Travaux de Linguistique,
49 : 39-55.
Hansen Maj-Britt Mosegaard (2000), « La polysémie de l’adverbe déjà », in Hanne Leth Andersen &
Anita Berit Hansen, Le français parlé : corpus et résultats, Copenhague, Museum Tusculanum :
157-177.
Hoepelman Jaap & Rohrer Christian (1980), « Déjà et encore et les temps du passé en français », in J.
David & Robert Martin, La notion d’aspect, Paris, Klincksieck : 119-145.
Le Bidois Georges et Robert (1971), Syntaxe du français moderne, ses fondements historiques et
psychologiques, Paris, Picard, 2° édition revue et corrigée.
Le Goffic Pierre (1993), Grammaire de la phrase française, Paris, Hachette.
Marque-Pucheu Christiane (1998), « Contraintes sur le mode / temps et l’aspect induites par les
adverbes, Cahiers Chronos, 2 : 107-126.
Martin Robert (1980), « Déjà et encore : de la présupposition à l’aspect », in J. David & R. Martin, La
notion d’aspect, Paris, Klincksieck.
Martin Robert (1983), Pour une logique du sens, Paris, P.U.F.
Maurel Jean-Pierre (1992), « Subordination inverse et neutralisation du relatif », in Jean Chuquet &
Daniel Roulland (eds), Subordination Subordinations, Travaux linguistiques du CerLiCO, 5 : 72-88.
Muller Claude (1975) « Remarques syntactico-sémantiques sur certains adverbes de temps », Le français
moderne, 43 :
Muller Claude (1999), « Encore et toujours les modifieurs aspectuels : de encore à toujours », in Marc
Plénat, Michel Aurnague, Anne Codamines, Jean-Pierre Maurel, Christian Molinier & Claude Muller
(eds), L’emprise du sens, structures linguistiques et interprétations. Mélanges de syntaxe et de
sémantique offerts à Andrée Borillo par un groupe d’amis, de collègues et de disciples, Faux-titre,
174, Amsterdam-Atlanta Rodopi : 216-237.
Prévost Sophie (1998), « La notion de thème : flou terminologique et conceptuel », Cahiers de
Praxématique, 30 : 13-35.
Recanati Catherine & Recanati François (1999), « La classification de Vendler revue et corrigée »,
Cahiers Chronos, 4 : 167-184.
Reichenbach H. (1966) [1947], Elements of symbolic logic, New York, Macmillan.
Riegel Martin, Pellat Jean-Christophe & Rioux Réné (2009)2, Grammaire méthodique du français, Paris,
PUF.
Sandfeld Kristian (1977), Syntaxe du français contemporain : les propositions subordonnées, Genève,
Droz, 2e édition.
Vendler Zeno (1967), « Verbs and Times », in Zeno Vendler (ed), Linguistics in Philosophy, New York,
Cornel University Press : 97-121.
Vet Co (1980), Temps, aspects et adverbes de temps en français contemporain. Essai de sémantique
formelle, Genève, Droz.
Vet Co (2011), « L’aspect grammatical et les adverbes aspectuel déjà et (pas) encore », in Dany Amiot,
Walter de Mulder, Estelle Moline & Dejan Stosic (eds), Ars Grammatica. Hommages à Nelly Flaux,
Bern, Peter Lang : 355-369.
Vetters Carl (1996), Temps, aspect et narration, Amsterdam-Atlanta, Rodopi.
Vetters Carl (2011), « A quoi servent les temps verbaux », in Dany Amiot, Walter de Mulder,
Estelle Moline & Dejan Stosic (eds), Ars Grammatica. Hommages à Nelly Flaux, Bern, Peter Lang :
337-354.
Vetters Carl & Skibinska Elzbieta (1998), « Le futur, une question de temps ou de mode ? Remarques
générales et analyse du ‘présent-futur’ perfectif polonais », Cahiers Chronos, 2 : 247-266.
Victorri Bernard & Fuchs Catherine (1992), « Construire un espace sémantique pour représenter la
polysémie d’un marqueur grammatical : l’exemple de encore », Lingvisticae Investigationes, 16-1 :
125-153.
Vuillaume Marcel (1990), Grammaire temporelle des récits, Paris, Minuit.
Vuillaume Marcel (1990), « Le repérage temporel dans les textes narratifs », Langages, 112 : 106-126.
Wartburg Paul (von) & Zumthor Paul (1947), Précis de syntaxe du français contemporain, Berne,
Francke.
Wilmet Marc (1997), Grammaire critique du français, Paris, Hachette.
E. Schafroth (Université de Düsseldorf) Le modèle du PhraseoFrame: une approche
holistique pour décrire les constructions
En partant, d'une part, du caractère symbolique d'une construction, qui implique sa
définition comme "pairing of a morphosyntactic structure with a semantic structure" (Croft
2011: 62) ou comme "pairing between a semantic level and a syntactic level of grammatical
function" (Goldberg 1995: 51), et, d'autre part, de la théorie de la sémantique épistémique (chez
Fillmore 1985: semantic understanding), élaborée par Busse (1991, 1994, 2012, pass.; cf. Ziem
2008), cette contribution a pour objectif de proposer un modèle, appelé PhraseoFrame, qui soit
capable de décrire des constructions d'une manière holistique, c'est-à-dire en considérant, du
côté de la forme, les particularités phonologiques, morphologique et syntaxiques, et, du côté de
la signification, les spécificités sémantiques, pragmatiques et discursives. Ce n'est qu'en
décrivant tout le savoir linguistique, qu'il faut avoir à propos d'une construction (idiosyncratique
– qui est une de ses caractéristiques), qu'on réussit non seulement à la comprendre mais aussi à
l'utiliser activement.
Le type de construction sera celle des pragmatèmes, terme emprunté à Mel’čuk 1995 (cf.
Fléchon/Frassi/Polguère 2012), donc des clichés linguistiques comme Ne quittez pas, Je vous
remets ça? ou Et avec ça?, qui sont tous liés à une situation concrète et caractérisés par une
structure syntaxique plutôt invariable et par une dimension pragmatique nettement claire. Le
PhraseoFrame (cf. Schafroth 2013a, 2013b, 2014), une base de donnée organisée sous forme
de grilles linguistiques (chacune réservée pour une construction spécifique) dispose d'attributs
(de nature phonologique, morphologique, syntaxique, sémantique, pragmatique et discursive)
et leurs descriptions concrètes (values) basées sur des corpus linguistiques. Cette composante
méthodologique (attributs, valeurs) s'appuie sur la feature structure de la linguistique de frame,
telle qu'elle est représentée par Barsolou 1992 et d'autres (cf. Fried/Östman 2004, Ziem 2008,
Busse 2012).
Le but est donc de présenter un modèle lexicographique (numérique), établi sur la base
théorique de la CxG et inspiré par la sémantique épistémique, qui est apte à aider les utilisateurs
– je pense surtout aux apprenants L2 d'une langue - à saisir et appréhender une construction
aussi entièrement que possible.
Bibliographie
Barsalou L. W. (1992). Cognitive Psychology. Hillsdale, N.J.: Lawrence Erlbaum
Busse D. (1991). Textinterpretation. Sprachtheoretische Grundlagen einer explikativen
Semantik.Opladen: Westdeutscher Verlag
Busse D. (1994). « Kommunikationsmodelle und das Problem des Sprachverstehens. Über
technische Metaphern in der Sprachwissenschaft ». In: R. Hoberg (ed.) Technik in Sprache
und Literatur. Darmstadt: Verlag der TH Darmstadt (pp. 207–234)
Busse D. (2012). Frame-Semantik. Ein Kompendium. Berlin, Boston: de Gruyter
Croft W. (2001). Radical Construction Grammar. Syntactic Theory in Typological Perspective.
Oxford: Oxford University Press
Fillmore Ch. J. (1985). « Frames and the Semantics of Understanding ». In: Quaderni di
Semantica 6 (pp. 222-254)
Fléchon G., Frassi P. et Polguère A. (2012). « Les pragmatèmes ont-ils un charme
indéfinissable? » In: P. Ligas et P. Frassi (eds.) Lexiques. Identités. Cultures, Verona: QuiEdit.
(pp. 81–104)
Fried M. et Östman J.-O. (2004). « Construction Grammar: A thumbnail sketch ». In: M. Fried
et J.-O. Östman (eds.) Construction Grammar in a Cross-Language Perspective. Amsterdam,
Philadelphia: Benjamins (pp. 11–86)
Goldberg A. E. (1995). Constructions. A Construction Grammar Approach to Argument
Structure. Chicago, London: Chicago University Press
Mel’čuk I. (1995). « Phrasemes in Language and Phraseology in Linguistics ». In: M. Everaert
et al. (eds.) Idioms. Structural and Psychological Perspectives. Hillsdale, N.J./Hove, U.K.:
Lawrence Erlbaum Associates (pp. 167–232)
Schafroth E. (2013a). « Das pragmatische Potential von Phrasemen– illustriert am Deutschen
und Italienischen ». In: S. Cantarini (ed.) Wortschatz, Wortschätze im Vergleich und
Wörterbücher: Methoden, Instrumente und neue Perspektiven. Frankfurt am Main: Lang (pp.
185–208)
Schafroth E. (2013b). « How constructions should be dealt with in learner's lexicography –
illustrated for the Italian language ». (Communication présentée le 9 novembre 2013 à
l'Universität Saint-Louis, Bruxelles, lors du colloque international "Constructionist Approaches
to Language Pedagogy"). Version écrite:
http://www.romanistik.hhu.de/abteilungen/romanistik-iv-romanische-sprachwissenschaft/unser-team/univprofdr-schafroth/forschung-und-projekte/forschungsschwerpunkte/publikationenkonstruktionsgrammatik.
html
Schafroth E. (2014). Französische Lexikographie. Einführung und Überblick. Berlin, Boston:
de Gruyter
Ziem A. (2008). Frames und sprachliches Wissen. Kognitive Aspekte der semantischen
Kompetenz. Berlin, New York: de Gruyter
K. Ewert-Kling (Université de Düsseldorf) Les modèles locutionnels tautologiques comme
constructions et la description dans le PhraseoFrame
Les modèles locutionnels tautologiques comme constructions et la description dans le
PhraseoFrame
Les modèles locutionnels tautologiques comme les affaires sont les affaires sont des
constructions selon la définition de la théorie de la Grammaire de Construction (Construction
Grammar, CxG9). Les modèles locutionnels (ML), terme de Martin 1997, sont aussi connus
comme lexically open idioms (cf. Fillmore/Kay/O’Connor 1988) ou fully general phrasal
Pour plus d’informations sur la thérorie de la CxG voir Trousdale/Hoffmann (2013) et Ziem/Lasch (2013), en ce
qui concerne les langues romanes voir Bouveret/Legallois (2012) et Boas/Gonzálvez García (2014).
9
patterns (cf. Goldberg 2006) en anglais ou bien comme Modellbildungen (cf. Burger 2007 et
4
2010) et Phraseoschablonen (cf. Fleischer ²1997 et Schafroth 2014a/b) en allemand. Etant
lexicalement ouverts ils forment tout de même des structures syntaxiques ayant des fonctions
pragmatiques et discursives. Dans le sens de la CxG, les ML sont donc des « form-meaning
correspondences » (Goldberg 1995: 1) ou bien des « learned pairings of form with semantic
and discourse function » (Goldberg 2006: 215) qui sont définis comme des phrasèmes ou bien
des expressions idiomatiques (dans le sens large) à cause de: A. leur idiosyncrasie et B. leur
stabilité. Ces deux critères sont consisidérés comme un continuum, c’est-à-dire qu’il existe d’un
côté des locutions figées comme être au pied du mur qui montrent une idiosyncrasie et une
stabilité très forte et de l’autre côté des ML qui sont lexicalement ouverts, mais syntaxiquement
et prosodiquement figés comme la tautologie les affaires sont les affaires. La signification
sémantique et pragmatique de cette construction n’est pas prévisible, ce qui la rend très
intéressante sur le plan de la lexicographie et de la phraséodidactique. Comment peut-on donc
décrire cette locution tautologique dans un dictionnaire ?
Schafroth (2014a/ b) propose un nouveau dictionnaire digital, le PhraseoFrame, se basant sur
la CxG et essayant de donner des descriptions holistiques des ML (et des phrasèmes en général).
Selon l’idée de Schafroth, ce dictionnaire didactique consiste en deux parties
monodirectionnelles: la partie française s’adresse aux locuteurs natifs allemands apprenant le
français et la partie allemande est construite pour les locuteurs natifs français qui veulent
apprendre l’allemand. Dans ce dictionnaire digital les phrasèmes français sont décrits en
allemand, alors que les phrasèmes allemands sont expliqués en français. Le PhraseoFrame est
compris comme un dictionnaire de réception et de production (cf. Hausmann 1977): selon la
liste des attributs grammaticaux et des paramètres de Fried/Östman (2004: 26 et 30, feature
structures) ainsi que selon la structure symbolique d’une construction de Croft (2001 : 18, cf.
aussi 2007), le dictionnaire contient des descriptions syntaxiques, sémantiques, prosodiques et
pragmatiques des phrasèmes ainsi que l’explication de leur utilisation dans le discours par des
exemples des corpus. Dans le PhraseoFrame, le terme frame (cf. Fillmore 1982) est utilisé dans
le sens d’un cadre de connaissance (cf. Schafroth 2014b: 12) qui tient compte de toutes les
caractéristiques linguistiques d’un phrasème.
Dans ce qui suit, on voit la description possible du ML tautologique les affaires sont les affaires
dans le PhraseoFrame:
PhraseoFrame de
Type de phrasème
MORPHOLOGIE
Eléments variables
SYNTAXE
Fonction syntaxique
Type de phrase
Les affaires sont les affaires (les N1 sont les N1)
Modèle locutionnel (ML) (niveau 5)10
Verbe conjugué
Syntaxe interne 11
Structure principale
être
Eléments invariables de la
structure principale
[les] [sont]
Nom (N1)
Phrase principale ou subordonnée
Très
fréquemment
utilisé dans des phrases déclaratives, aussi possible dans des phrases
proposition
subordonnée
exclamatives (pas utilisé dans des phrases interrogatives et impératives)
Article défini et nom du pluriel (sujet) (les affaires) + verbe (être) + article défini et
nomnom prédicatif du pluriel (nom prédicatif) (les affaires)
Cf. Fillmore/Kay/O’Connor (1988) et Schafroth (2014a: 76 et 2014b: 3).
Le terme de syntaxe interne ne se refère qu’à la structure interne de la construction (p.ex. la
relation entre les affaires et sont).
10
11
Eléments variables de la
structure principale
Régularité
N1 (les femmes sont les femmes, les hommes sont les hommes, les enfants sont les
enfants)
N1 au pluriel, verbe (être): 3ème personne du pluriel, au présent
Eléments facultitifs
supplémentaires
Collocations
Syntaxe externe
Sémantique
Les adverbes comme quand même et toujours sont possibles (comme renforcement de
l’argumentation)
-
Champ lexical
Thesaurus
Commerce (avec N1: non-spécifique)
Thesaurus lexèmes: cyniquement (http://dictionnaire.reverso.net)
Signification principale
C’est seulement le profit (la rentabilité) du commerce qui compte
Significations co(n)textuelles
supplémentaires
En faisant des affaires, il vaut mieux ne pas avoir des scrupules, c'est-à-dire ne pas faire
attention aux sentiments etc. ; personne ne saurait interférer avec les affaires qui font
gagner de l’argent; souvent utilisé pour justifier ou souligner un comportement
moralement douteux ou pour conseiller au récipient d’accepter le comportement
moralement douteux de l’émetteur/d’autrui et de ne pas se plaindre
Geschäft ist Geschäft (LAROUSSE, PONS) (N1 ist N1)
Traduction en allemand
Rôle thématique/pragmatique les affaires = topic; sont les affaires = comment (ce qu’on dit sur le topic)
Référence sur le récipient
oui
Référence sur l‘autrui
oui
Réféerence sur l‘émetteur
oui
PROSODIE
Intonation
En fin de phrase: descendante; sinon montante
Accent
Deux possibilités:
1. Une unite prosodique: accent principal sur la 2ème syllabe du deuxième nom (affaires),
accent secondaire sur la 2ème syllabe du premier nom (affaires)
2. Deux accents principaux et ainsi deux unités prosodiques: accent principal sur la 2ème
syllabe du premier nom (affaires) et accent principal sur la 2ème syllabe du deuxième nom
(affaires)
PRAGMATIQUE
Acte de langage
Informatif / directif (conseil) / expressif (justification, évaluation, résignation)
Statut
Indirect
Cadre situationnel
la fatalité de qc, ici: des affaires/du commerce
Motivation
Fonctions illocutionnaires
Critique/justification/résignation à l’égard d‘un comportement moralement douteux;
ironie est possible
Constatation, évaluation, conseil
Fonction interpersonnelle
Interaction en face à face: [+ familier, (+ informel?)]
Geste/mimique
Souvent en même temps: lever les épaules/les mains/les sourcils
Registre/variété
Dans la lexicographie: non marqué
Code phonique: neutre ou marqué comme conceptuellement plus proche à l‘oral
Code graphique: marqué
DISCOURS
Fonction discursive
Possible: marqueur du discours pour signaler la fin du turn
Fonction textuelle
Surtout anaphorique, mais aussi cataphorique
EXEMPLES DES
CORPUS
(1) Créer la demande. Détruire la concurrence ; les affaires sont les affaires. Une nuit un
dring-dring vous réveille. Ce n'est pas le téléphone. C'est le signal de votre honnêteté
personnelle (http://www.avatar.com.fr/francophone/articlemain.php, 06.01.2015)
(2) Comme tout va vite et que les affaires sont les affaires, on se bouscule sur peu
d'espace, les vendeurs d'images marchent à la mitrailleuse, les écrivains grattent des
deux mains, les causeurs accélèrent, les stars font trois tours et s'en vont...
(http://www.michel-ducruet-artiste.com.fr/journal-avenir-5.htm, 06.01.2015)
(3) Le moine bouddhiste est gentil, mais inflexible, les affaires sont les affaires après
tout. Quand il repère le touriste, il le pourchasse (en général dans les escaliers
également, alors qu'on pourrait croire que sa robe peut le gêner...) et lui fourre dans
la main un carton portant la bénédiction du Bouddha.
(http://diversetvaries.blogourt.fr/, 06.01.2015)
(4) Et Kadhafi est un interlocuteur comme les autres , les affaires sont les affaires.
(http://www.planete-ump.fr/t4341-La-chute-libre.htm?start=50, 19.12.2014)
(5) Bientôt, nous lirons des sondages qui révéleront que 82,78543 % des français «
pensent » qu’il fait plus chaud en été qu’en hiver. Certes, les affaires sont les
affaires, et l’IFOP, présidé par Mme Parisot qui se consacre aussi aux destinées du
patronat, doit bien montrer à quel point ces études d’opinion sont indispensables au
pays.( http://www.le-grouperepublique.fr/index.php?theme=textesfondateurs\&number=6\&articlenum=39\&tail
le=3, 06.01.2015)
(6) Ce nouveau venu à la langue trop bien pendue lui tapait sur le système. Mais les
affaires sont les affaires : il empocha l'argent.
(http://www.polarnoir.fr/nouvelle.php?nouv=nouv50, 06.01.2015)
(7) Ils restaient polis parce que les affaires sont les affaires et que les marchands
proposaient de bien jolis objets et des choses délicieuses à manger. On les laissait
donc parler, en faisant semblant de les croire un tout petit peu, pour ne pas les vexer.
(http://ecrivainprive.free.fr/soleil.htm, 06.01.2015)
(8) Tout est en règle. Mais le contrat contient quittance de la somme représentée par les
diamants, demandez-les : les affaires sont les affaires. (BALZAC Honoré de, Le
Contrat de mariage, 1842, p. 600, Frantext:
http://www.frantext.fr/scripts/regular/browserb.exe?18;s=3693296580;r=1;%20targe
t=_top, 06.01.2015)
(9) …je sais bien, mon cher *Florent, reprit *Lisa, que vous n' êtes pas revenu pour
nous réclamer ce qui vous appartient. Seulement, les affaires sont les affaires ; il
vaut mieux en finir tout de suite... (ZOLA Émile, Le Ventre de Paris, 1873, p. 657,
Frantext:
http://www.frantext.fr/scripts/regular/browserb.exe?18;s=3693296580;r=1;%20targe
t=_top, 06.01.2015)
(10) …raison qu'un autre bonhomme était parti en emmenant la blonde avec qui il ne
vivait même pas. Ça l'avait peut-être embêté, mais les affaires sont les affaires, et
quand on a Hollywood entre les pattes on n'a pas le temps de s'occuper des blondes
qui se baladent. (VIAN Boris, Le Grand sommeil [trad.], 1948, p. 147, Frantext:
http://www.frantext.fr/scripts/regular/browserb.exe?18;s=3693296580;r=1;%20targe
t=_top
Bibliographie:
BOAS, Hans Christian / GONZÁLVEZ GARCÍA, Francisco (eds.) (2014), Romance
Perspectives on Construction Grammar, Amsterdam [et al.].
BOUVERET, Myriam / LEGALLOIS, Dominique (eds.) (2012), Constructions in French,
Amsterdam/Philadelphia
BURGER, Harald (1998; 42010), Phraseologie. Eine Einführung am Beispiel des Deutschen,
Berlin.
BURGER, Harald et al. (2007), « Phraseologie: Objektbereich, Terminologie und
Forschungsschwerpunkte », In: Burger, Harald et al. (ed.), 1-10.
BURGER, Harald et al. (ed.) (2007), Phraseologie. Ein internationales Handbuch der
zeitgenössischen Forschung. 2 Halbbände, Berlin/New York.
CROFT, William (2001), Radical Construction Grammar. Syntactic Theory in Typological
Perspective, Oxford.
CROFT, William (2007), « Construction Grammar », in: Geeraerts, Dirk / Cuyckens, Huber
(eds.), Handbook of Cognitive Linguistics, Oxford, 463-508,
GOLDBERG, Adele (1995), Constructions: A Construction Grammar Approach to Argument
Structure, Chicago.
GOLDBERG, Adele E. (2006), Constructions at Work. The Nature of Generalization in
Language, Oxford.
HAUSMANN, Franz Josef (1977), Einführung in die Benutzung der neufranzösischen
Wörterbücher, Tübingen.
FILLMORE, Charles J. (1982), « Frame Semantics », in: The Linguistic Society of Korea (ed.),
Linguistics in the morning calm, Seoul, 111–137.
FILLMORE, Charles J. / KAY, Paul / O’CONNOR Mary Catherine (1988), « Regularity and
idiomaticity in grammatical constructions: the case of let alone », Language 64, 501–538.
FRIED, Mirjam / ÖSTMAN, Jan-Ola (2004), « Construction Grammar: A thumbnail sketch »,
in: Fried, Mirjam / Östmanm Jan-Ola (eds.),Construction Grammar in a Cross-Language
Perspective, Amsterdam/Philadelphia, 11–86.
FLEISCHER, Wolfgang (1982; ²1997), Phraseologie der deutschen Gegenwartssprache,
Tübingen.
MARTIN, Robert (1997), « Sur les facteurs du figement lexicale », in: Martins-Baltar, Michel
(ed.), La locution entre langue et usages, Fontenay Saint-Cloud, 291-305,
SCHAFROTH, Elmar (2014a), Französische Lexikographie. Einblick und Überblick,
Berlin/Boston.
SCHAFROTH, Elmar (2014b), « Eine Sache des Verstehens: Phraseme als Konstruktionen und
ihre Beschreibung in der Lexikographie Französisch/Deutsch », in: Domínguez Vázquez, María
José / Mollica, Fabio / Nied Curcio, Martina (eds.), Zweisprachige Lexikographie im
Spannungsfeld zwischen Translation und Didaktik, Berlin/New York, 1-19, voir aussi:
http://www.phil-fak.uniduesseldorf.de/fileadmin/Redaktion/Institute/RomanischesSeminar/Romanistik_VI/Schafroth
_Lexicographica_Preprint.pdf (12.12.2014)
TROUSDALE, Graeme / HOFFMANN, Thomas (eds.) (2013), The Oxford Handbook of
Construction Grammar, Oxford.
ZIEM, Alexander/LASCH, Alexander (2013), Konstruktionsgrammatik. Konzepte und
Grundlagen gebrauchsbasierter Ansätze, Berlin/Boston.
L. Liégeois (Laboratoire Ligérien de Linguistique) Acquisition des liaisons catégoriques
nominales et verbales : de la lexicalisation à l’abstraction des constructions.
Résumé
La problématique de l’acquisition de la liaison catégorique nominale a motivé une littérature
abondante (pour un état des lieux récent, voir Wauquier et Shoemaker, 2013 et Chevrot et al.,
2013). S’appuyant en majeure partie sur l’analyse de productions enfantines recueillies au cours
de tâches expérimentales, ces travaux ont mené à la proposition de deux scénarios
développementaux. Le premier, souvent qualifié de scénario phonologique (Wauquier et
Shoemaker, 2013 ; Wauquier, 2009 ; Wauquier-Gravelines et Braud, 2005), décrit l’acquisition
de la liaison catégorique nominale comme un processus non guidé par des effets d’input et
fondé sur des principes abstraits (comme le « bootstrapping morphophonologique» par
exemple). Le second, qualifié de « lexical », propose un scénario basé sur l’usage divisé en trois
étapes (Chevrot et al., 2005, 2007, 2009, 2013) inspiré du modèle décrit par Tomasello (2003).
Au cours de la première étape, l’enfant mémoriserait une série de constructions lexicalisées et
non analysées. La consonne de liaison étant intégrée à la construction, aucune erreur n’est
relevée, à un stade précoce, dans les productions enfantines. Au cours de la deuxième étape,
l’abstraction progressive de ces constructions entrainerait une segmentation favorisant la
mémorisation par l’enfant de plusieurs exemplaires d’un même Mot2. À partir de constructions
comme « des ours », « un ours » et « petit ours » par exemple, l’enfant mémoriserait plusieurs
exemplaires du Mot2 « ours », tels que « z-ours », «n-ours » et « t-ours ». Les erreurs enfantines
relevées à ce stade, comme « un z-ours » par exemple, résulteraient alors de l’insertion du
mauvais exemplaire (« z-ours ») au sein de la construction abstraite lexicalement sousdéterminée |un + X|. Ces erreurs diminuent ensuite au cours d’une troisième étape qui verrait
les relations entre les constructions abstraites et les exemplaires adéquats se stabiliser et se
standardiser.
Ainsi, alors que l’acquisition de la liaison catégorique nominale reçoit depuis une dizaine
d’années une attention particulière, les chercheurs ne se sont jamais penchés sur l’acquisition
de la liaison catégorique verbale (« ils ont » ou « il y en a » par exemple). Selon nous, cet état
a pour principale raison le fait que presqu’aucune erreur enfantine n’a été relevée par les auteurs
en contexte verbal, les amenant parfois à émettre l’hypothèse que le processus d’acquisition des
liaisons verbales serait différent. Ayant pour objectif initial de tester le scénario lexical de
l’acquisition de la liaison catégorique nominale et ses hypothèses concernant les effets d’input
à partir de données récoltées écologiquement, nous avons décidé de recueillir des interactions
naturelles entre trois enfants et leurs parents. Les trois sujets de notre étude (deux fillettes et un
garçon, tous premiers nés au sein de familles biparentales monolingues) ont été observés sur
deux à trois temps pour un total d’environ dix heures d’enregistrement par famille (cf. Tableau
1). Ces données, transcrites et structurées aux formats CHAT et XML-TEI (Liégeois et al.,
2014), ont été annotées à plusieurs niveaux afin de rendre compte des productions de liaisons
ainsi que de l’adresse du discours. Dans ce but, chaque énoncé parental a été annoté afin de
distinguer le discours adressé à l’enfant (DAE) du discours adressé à l’adulte (DAA). Les
données obtenues peuvent être qualifiées de corpus denses : des séances relativement longues
d’enregistrement (environ une heure) ont été répétées tous les jours pendant près d’une semaine.
Afin d’observer l’évolution des productions enfantines, le même protocole a été répété plusieurs
mois plus tard pour chacun des sujets. Au total, nous disposons d’un corpus dont la couverture
s’étend à environ 30h d’enregistrement pour 177.000 graphies transcrites. Cette méthodologie
nous a non seulement permis de vérifier et de valider les hypothèses du scénario lexical
concernant l’acquisition de la liaison catégorique nominale mais a également rendu possible le
recueil d’erreurs enfantines produites en contexte verbal (comme « les mammouths ne z-ont
pas de zizi » par exemple, produite par Prune à l’âge de 40 mois). Nous souhaitons présenter
au cours de cette communication des résultats qui, selon nous, vont dans le sens d’une
acquisition de la liaison catégorique verbale fondée sur des processus analogues à ceux décrits
par Chevrot et ses collègues pour la liaison nominale (pour un résumé, voir Chevrot et al.,
2013). Il apparaît cependant que les processus de segmentation et d’abstraction des
constructions lexicalisées se produisent plus tardivement que pour les liaisons nominales. Nos
données suggèrent en effet que les enfants mettraient plus de temps à repérer les analogies entre
les différentes collocations verbales produites en contexte de liaison (comme « ils + X » ou «
on + X » par exemple). Les constructions utilisées en contexte de liaison verbale étant à la fois
plus fréquentes (en discussion spontanée) et moins diversifiées lexicalement que les
constructions nominales, celles-ci resteraient plus longtemps mémorisées sous la forme de
constructions lexicalisées et seraient segmentées à un stade ultérieur. Ainsi, le décalage
temporel qui existe entre l’apparition des erreurs de liaison en contexte nominal et celle des
erreurs en contexte verbal pourrait être expliqué en prenant en considération la fréquence
d’usage des types et des formes linguistiques (ou token) dans le discours adressé à l’enfant.
Nous présenterons, au cours de cette communication, une analyse des erreurs enfantines issues
du corpus qui va dans ce sens. À partir de cette étude empirique, nous proposerons également
un scénario d’acquisition de la liaison catégorique verbale visant à expliciter la façon dont les
constructions lexicalisées vont progressivement s’abstraire sous l’influence des caractéristiques
du DAE. Pour l’analyse de nos données, nous nous appuierons principalement sur les postulats
de la grammaire de construction à base cognitive défendus par Goldberg (2006) ainsi que sur
le scénario basé sur l’usage de l’acquisition du langage présenté par Tomasello (2003). Enfin,
nous conclurons en exposant en quoi les apports conjoints des grammaires de construction, des
modèles basés sur l’usage et de la linguistique basée sur corpus permettent de rendre compte
au mieux des processus d’acquisition de la variation phonologique en général et de l’acquisition
des liaisons catégoriques en particulier.
Références
Chevrot, J.-P., Chabanal, D. & Dugua, C. (2007). Pour un modèle de l’acquisition des liaisons
basé sur l'usage: trois études de cas. Journal of French Language Studies, 17(1). pp. 103–128.
doi:10.1017/S0959269506002663
Chevrot, J.-P., Dugua, C. & Fayol, M. (2005). Liaison et formation des mots en francçais1: un
scénario développemental. Langages, 158. pp. 38–52. Chevrot, J.-P., Dugua, C. & Fayol, M.
(2009). Liaison acquisition, word segmentation and construction in French: a usage based
account. Journal of Child Language, 36(3). pp. 557–596. doi:10.1017/S0305000908009124
Chevrot, J.-P., Dugua, C., Harnois-Delpiano, M., Siccardi, A. & Spinelli, E. (2013). Liaison
acquisition: debates, critical issues, future research. Language Sciences, 39. pp. 83–94.
doi:10.1016/j.langsci.2013.02.011
Goldberg, A. E. (2006). Constructions at Work: The Nature of Generalization in Language.
Oxford : Oxford University Press.
Liégeois, L., Chanier, T. & Chabanal, D. (2014). Corpus globaux ALIPE : Interactions parentsenfant annotées pour l’étude de la liaison. Nancy : Ortolang.
[http://hdl.handle.net/11041/alipe-000853]
Tomasello, M. (2003). Constructing a Language: A Usage-Based Theory of Language
Acquisition. Cambridge : Harvard University Press.
Wauquier, S. (2009). Acquisition de la liaison en L1 et L2 : stratégies phonologiques ou
lexicales ? Acquisition et Interaction en Langue Étrangère, 2. pp. 93-130.
Wauquier, S. & Shoemaker, E. (2013). Convergence and divergence in the acquisition of
French liaison by native and non-native speakers: a review of existing data and avenues for
future research. Language, Interaction et Acquisition, 4(2). pp. 161–189.
Wauquier-Gravelines, S. & Braud, V. (2005). Proto-déterminant et acquisition de la liaison
obligatoire en français. Langages, 39(158). pp. 53–65. doi:10.3406/lgge.2005.2662
E.Hilgert (Université de Reims, Cirlep) Les formules comme patrons constructionnels
Nous souhaitons montrer, à propos de quelques constructions déjà décrites séparément, et plutôt
du point de vue sémantique et discursif, qu'elles présentent un procédé commun, à savoir
l'utilisation d'une structure syntaxique reproductible. Il s'agit de constructions telles que :
- le tour du type le cantique des cantiques, le patron des patrons, décrit par C. Schapira (1996,
1997) :
(1) Pour arriver au top il faut être plus que belle. Deux heures avec Claudia Schiffer
suffisent pour s'en convaincre : le top modèle des top modèles n'a pas volé sa place.
(2) […] la priorité des priorités est désormais la lutte contre le chômage des jeunes.
- le tour du type belle entre les belles (cf. Hilbert, 2010)
(3) Belle entre les belles, talentueuse, libre, amoureuse, scandaleuse, Marthe Chenal […]
devint une gloire mondiale lorsque, devant une foule en liesse, elle chanta La Marseillaise
du haut du péristyle de l'Opéra de Paris.
(4) Le 19 décembre 1964, le transfert au Panthéon des cendres de Jean Moulin, premier
délégué national de la Résistance et héros entre les héros.
- le tour du type pèlerin parmi les pèlerins (cf. Hilbert, 2010) :
(5) « Pèlerin » parmi les pèlerins, le pape Jean-Paul II a refait ce samedi les gestes que
quelque six millions de personnes font chaque année à Lourdes. « Je suis avec vous, chers
frères et sœurs, comme un pèlerin auprès de la vierge, a-t-il déclaré ; je fais miennes vos
prières et vos espérances ».
(6) Là, derrière un double grillage, dans l'enclos même, louve parmi les loups, elle peut
observer ses congénères en noircissant des cahiers entiers de notes. Hélène Grimaud
[musicienne passionnée par les loups] parle d'une relation d'égalité avec les loups.
- le tour du type gris de chez gris (cf. Schedecker, 2007) :
(7) un ciel gris de chez gris (signifiant très très gris)
(8) une chose basique de chez basique
- le tour du type le nid est à l'oiseau ce que la maison est à l'homme (cf. Hilbert, à paraître) :
(9) La justice militaire est à la justice ce que la musique militaire est à la musique.
(Clemenceau).
(10) J’aime pas les dîners habillés, les cocktails, les soirées mondaines. Je suis tellement
plus mignonne dans mes tenues habituelles, avec mes bottines de curé et mes cheveux
plats. Les robes du soir sont à la femme ce que le papier crépon est à la fleur : on veut
vite s’en débarrasser. J’aime les bistrots sans carte où le patron-cuisinier décide pour moi
ce que je vais manger. (Méril M., J’aime pas, 1997, p. 199)
- le tour du type qui dit argent dit dépenses, analysé par Gomez-Jordana (2013) :
(11) Qui dit études dit travail […] Qui dit amour dit les gosses … (chanson, Stromae)
(12) Qui dit mondialisation dit libéralisation des échanges, déréglementation, liberté de
circulation de données de toute sorte sur toute sorte de réseaux. (unesdoc.unesco.org)
A partir de ces exemples, nous défendrons l’idée qu'ils ne sont que l’habillage lexical de
structures syntaxiques stables qui ont un impact discursif remarquable grâce, principalement, à
leur fonctionnement en tant que formules. Ces formules structurelles nous semblent
particulièrement intéressantes par le fait qu'elles ne sont pas des expressions lexicales figées, ni
des formulations individuelles discursives créant l'effet d'une figure remarquable, mais des
patrons ou des moules syntaxiques reproductibles. L'élément figé n'est pas, dans ce cas, ce qu'on
appelle un phrasème, mais une construction grammaticale. Cela se voit facilement si l'on réduit
les exemples concrets aux structures correspondantes :
X de les X
X entre les X
X parmi les X
X de chez X
X1 est à X2 ce que X3 est à X4
qui dit X1 dit X2
Ces structures formulaires supportent des habillages lexicaux du domaine nominal, c'est-à-dire
des noms ou des adjectifs, dans des blocs syntaxiques solidaires (des groupes nominaux ou
adjectivaux) ou dans des phrases complexes à éléments solidaires eux aussi :
(le) N de les N
Adj. / N entre les Adj. / N
N parmi les N
Adj. de chez Adj.
le N1 est à N2 ce que N3 est à N4
qui dit N1 dit N2
Les tours formulaires obtenus expriment, par conséquent, grâce à leur structure syntaxique, des
propriétés catégorielles (par les noms) ou accidentelles (par les adjectifs) atteignant le plus haut
degré d'intensité ou d'exemplarité, tournant autour de la catégorisation prototypique ou
analogique ou encore implicative. Leurs principales propriétés en tant que constructions :
- elles sont structurellement et non lexicalement figées, c'est-à-dire que le figement concerne la
structure en soi et non son habillage lexical
- elles sont productives
- elles sont iconiques
- elles sont saillantes
- elles sont expressives.
Leur spécificité linguistique est, nous espérons le montrer, d'un grand intérêt pour les réflexions
croisées sur la grammaire des constructions, le figement et l'expressivité dans le langage.
Bibliographie
Bally Charles, 1952 (1913), Le langage et la vie, Genève : Librairie Droz, Lille :
Librairie Giard.
Bonhomme Marc, 2005, Pragmatique des figures du discours, Paris : Honoré Champion
Editeur.
Chauvin Catherine et Kauffer Maurice (dir.), 2013, Ecart et expressivité. La fonction
expressive, Besançon : PUFC.
Gomez Jordana Sonia, 2013, « Qui dit argent, dit travail : Médiativité, modalité et
polyphonie d'une locution de longue date », in Anscombre J.-C., Oppermann-Marsaux E.,
Rodríguez Somolinos A. (éd.), Médiativité, polyphonie et modalité en français : études
synchroniques et diachroniques, Paris : Presses Universitaires de la Sorbonne Nouvelles, 101118.
Hilgert Emilia, 2010 a, « La structure X entre les X : réduplication et exemplaire
qualitativement saillant », in Osu S., Col G., Garric N. et Toupin F. (éd.), Construction d'identité
et processus d'identification, Bern : Peter Lang, 137-149.
Hilgert Emilia, à paraître, « Analyse sémantico-stylistique de la formule analogique A
est à B ce que C est à D », in Buchi, É., Chauveau, J.-P., Pierrel, J.-M. (éd.), Actes du XXVIIe
Congrès international de linguistique et de philologie romanes (Nancy, 15-20 juillet 2013), 3
volumes, Strasbourg : Société de linguistique romane/ÉLiPhi.
Kleiber Georges, 1990, La sémantique du prototype. Catégories et sens lexical, Paris :
PUF.
Legallois Dominique et Gréa Philippe, 2006, « L’objectif de cet article est de…
Construction spécificationnelle et grammaire phraséologique », Cahiers de praxématique, 46,
161-185.
Magri-Mourgues Véronique, Rabatel Alain (coord.), 2014, Pragmatique de la
répétition. Semen, 38.
Molinié Georges, 1994, « Problématique de la répétition », Langue française, 101, 102111.
Sabio Frédéric, 2010, « Quelques remarques sur l’organisation syntaxique des énoncés
clivés du type Ce n’est pas parce qu’une pratique est répandue qu’elle est sans danger », Linx,
n° 62-63, 89-110.
Schapira Charlotte, 1996, « Genitivus superlativus ou Le superlatif des noms »,
Romance Notes, XXVII, 251-261.
Schapira Charlotte, 1997, « Le nom et les degrés de signification », Scolia, 10, 77-88.
Schnedecker Catherine, 2007, « Un ciel gris de chez gris : de la construction X de chez
X à Adj de chez Adj : du locatif à l’intensif », Travaux de linguistique, 55 / 2, 61-73.
déjeuner
14h00-14h40 P. Jalenques (Lidifra, Université de Rouen ) Le passif en français est-il une
construction ?
Nous proposons de reprendre ici l’étude de l’objet linguistique appelé, selon les auteurs,
« passif périphrastique » ou simplement « passif » (cf. Gaatone, 1998). D’un point de vue
purement descriptif, on s’accorde généralement à reconnaître dans cet objet linguistique la
conjonction des caractéristiques suivantes :
- le second participant du verbe (noté Y) est en position de sujet syntaxique ;
- le premier participant (noté X) occupe une position syntaxiquement facultative ;
- le verbe apparaît sous la forme de participe passé ;
- l’élément12 être est intercalé entre le sujet et la participe passé.
Cet objet linguistique est souvent présenté en parallèle avec la configuration
syntaxique dite active. Il s’agit ici d’une simple commodité descriptive, sans préjuger d’une
quelconque relation entre les deux configurations.
(1)
a.
(2)
b.
tous connaissent cette histoire
X
Y
cette histoire est connue de tous
Y
X
Le passif a fait l’objet de multiples analyses sous de multiples point de vue (syntaxique,
grammatical, sémantique, pragmatique (pour un panorama général, cf. Gaatone (1998) ;
Helland (2002). Nous discuterons ici la possibilité de considérer le passif comme une
construction, au sens de A. Goldberg (1995, 2006). Raineri (2010), dans sa thèse consacrée au
passif en français et en anglais, défend cette hypothèse, en s’appuyant sur deux aspects
fondamentaux de la notion de construction :
a) la non compositionnalité du sens de la construction par rapport à ses éléments constitutifs :
« [il] va de soi que le sens passif de BE Ven et ETRE Vé, s‘il existe, ne peut être dit
compositionnel, c‘est-à-dire qu‘il ne peut être considéré comme la somme de « be/être » et du
participe passé Ven/Vé, puisqu‘il serait alors identique au sens de la construction attributive
homonyme » (p. 347). Mais l’auteur nuance aussitôt son propos (id.) : « Toutefois, […], les
constructions attributives sont sémantiquement liées au passif en BE Ven/ETRE Vé, ce qui
signifie que la nature même de ces deux composants joue bien évidemment un rôle décisif dans
le sens passif de ces formes ». Néanmoins, l’auteur ne propose pas d’analyse compositionnelle
du passif par rapport à ses éléments constitutifs.
b) un sens prototypique : dans la lignée des travaux en grammaire de construction, Raineri
souligne que la construction passive est polysémique. Mais elle considère qu’on rend mal
compte de cette polysémie à partir d’une conception abstractionniste du sens qui poserait
l‘existence d‘un « invariant sémantique » et que l’on en rend mieux compte à partir de
l'hypothèse d’un sens central, prototypique, dont dériverait les autres sens de la
construction. Elle décrit ainsi le passif à partir de la notion d’affectednesss reprise à Bolinger
(1975). Cette hypothèse découle chez Raineri d’une définition prototypique du passif en termes
de rôles sémantiques : l’argument de la construction passive, en position de sujet, correspond à
un patient prototypique ; l’argument de la construction en position de complément d’agent
correspond à un agent prototypique 13. En conséquence, dans le passif prototypique, le référent
du sujet du passif est affecté physiquement par l’action exercée par l’agent (Paul a été bousculé
par un militant).
Tout en reconnaissant avec les grammaires de constructions que les configurations
syntaxiques sont, en elles-mêmes, indépendamment du matériel lexical, porteuses de sens, nous
interrogerons dans le cas du passif en français l'hypothèse de sa non compositionnalité et la
12
Nous nous abstenons pour l’instant de tout a priori sur la nature de être au passif (auxiliaire
ou pas), d’où l’emploi du terme neutre élément.
13
L’auteur s’appuie essentiellement sur l'hypothèse d’une transitivité sémantique prototypique développée par Hopper et
Thompson (1980).
possibilité de le définir sémantiquement en termes de prototype. Nous centrerons la discussion
sur le cas des passifs lorsque l’emploi du verbe correspond à un procès statif, comme dans la
propriété est entourée par un grillage.
Toute la difficulté pour Raineri est de rendre compte de l’existence de tels emplois statifs à
partir de sa définition prototypique du passif mettant en jeu un patient affecté par un procès
dynamique. Elle propose l’analyse suivante : « l‘extensibilité de la notion d‘affect attachée au
rôle patient de la construction passive permet de faire fusionner celui-ci avec un participant qui
n‘est pas à strictement parler un patient mais est métaphoriquement conçu comme tel » (p. 362).
Plus loin l’auteur précise : « la construction passive a pour effet de « patientiser » l‘entité-cible
du procès en vertu de sa structure sémantique. Cette « patientisation » peut prendre un caractère
très abstrait, car la notion d‘affect sur laquelle repose le sens de la construction est
particulièrement extensible ». (p. 368). Elle étend ainsi la notion d’affect à celle d’affect
conceptuel : « les référents des sujets de ces verbes passifs sont affectés, non pas dans leur
essence, mais dans la représentation qu‘en a l‘auteur et qu‘il communique à ses lecteurs » (p.
211).
Ainsi, pour sauver la notion d’affect, implicitement associée au rôle sémantique de patient,
lui-même implicitement associé aux procès dynamiques, l’auteur en vient à postuler que les
procès statifs mettent en jeu un changement de représentation concernant le référent du sujet du
passif. Mais, cela revient à gommer la distinction entre les procès dynamiques et les procès
statifs.
Selon nous, la source des contraintes sémantiques imposées par le passif se trouve ailleurs.
Nous nous appuierons sur l’analyse de Jalenques (2010) consacrée à l‘étude du passif avec les
procès dynamiques transitionnels. L’auteur montre que, de façon régulière, les emplois de verbe
transitionnels sont difficilement passivables lorsque la transitionnalité porte sur le premier
argument du verbe. Par exemple, dans les enfants ont monté les escaliers en courant, le
changement de situation concerne le premier argument ; dans les enfants ont monté la tente, le
changement de situation concerne le second argument. On observe que seul le second emploi
de monter est naturel au passif (cela est confirmé par les corpus). La contrainte est donc liée à
ce que l’on peut appeler la portée sémantique du procès.
L’auteur montre que cette contrainte sur la portée sémantique du procès au passif est ellemême révélatrice d’une contrainte sémantique plus générale : au passif, la relation prédicative
(le verbe et ses éventuels modifieurs), doit pouvoir s’interpréter comme caractérisant le sujet.
Cette contrainte sémantique générale s’explique naturellement si l’on admet une analyse
compositionnelle du passif par rapport à la présence de l’élément être.
Si l’on accepte de considérer le passif comme constitué du verbe être, en tant que copule,
alors, la relation du sujet au prédicat (le verbe être et son complément) doit être la même que
dans la construction attributive : il faut que le sujet soit sémantiquement caractérisé par la
situation exprimée par le prédicat, ce qui est précisément ce que l’on observe. Cette analyse
compositionnelle du passif est confirmée par l’analyse syntaxique d’Abeillé et Godard (2002).
Les auteures montrent qu’au passif le participe passé et ses modifieurs ont un comportement
syntaxique similaire à celui de l’attribut du sujet dans la phrase avec copule. L’analyse de
Raineri ne permet pas d’en rendre compte.
Cette analyse du passif, fondée sur la compositionnalité par rapport au verbe être, peut être
aisément étendue au cas des passifs avec procès statifs. Considérons l’emploi suivant, souvent
cité dans les travaux sur le passif :
(1)
a. Marie parle couramment l’anglais
b. ?? l’anglais est couramment parlé par Marie
Ici, le procès caractérise Marie (elle est compétente en anglais) et non la langue anglaise (le
fait que Marie parle l’anglais ne suffit pas à définir une caractéristique de cette langue). On
constate que cet emploi de parler est difficilement passivable. Modifions le cotexte de telle
sorte que la relation prédicative puisse s’interpréter comme caractérisant au contraire le second
participant, comme dans :
(2)
l’anglais.
a.
Plus de 600 millions de personnes à travers le monde parlent couramment
b.
l’anglais est parlé couramment par plus de 600 millions de personnes à
travers
le monde.
On constate alors que l’emploi du passif devient tout à fait naturel. Or, en (1b) et en (2b),
les rôles sémantiques des arguments sont les mêmes. On ne peut donc pas rendre compte de la
différence d’acceptabilité entre (1b) et (2b) à partir d’une hypothèse sur le passif fondée sur
les rôles sémantiques prototypiques.
Revenons aux passifs supposés prototypiques où l’argument en position sujet correspond à
un vrai patient. Dans notre analyse, la valeur sémantique d’affectation du second argument par
le procès n’est qu’une conséquence sémantique locale, découlant du fait que nous avons affaire
à un procès dynamique télique mettant en jeu un changement (Paul a été bousculé / renversé
par les manifestants). Puisque le complément du verbe être doit caractériser le référent du sujet,
alors, quand ce complément correspond à un procès mettant en jeu un changement de situation,
ce changement de situation doit concerner le sujet, d’où l’émergence de la contrainte
sémantique locale « être affecté par le procès ». Dans notre analyse, les passifs dits
prototypiques correspondent à des instanciations particulières d’une instruction sémantique
invariante, déduite de la présence du verbe être dans la configuration passive.
Revenons à la relation entre passif et actif. La terminologie traditionnelle, à travers
l’opposition des termes actif / passif laisse supposer une relation symétrique entre ces deux
objets linguistiques. Or, ces étiquettes ne reflètent aucunement la diversité des emplois de
chacune des configurations syntaxiques. On le sait, à l’« actif », le participant en position sujet
peut subir l’action et avoir un rôle de patient (Paul a reçu des menaces de la part du directeur).
De même, au passif, le complément dit d’agent peut subir l’action ([donnée attestée sur google,
2014] : au plan mondial, l'excision a été subie par plus de 140 millions de femmes et de filles,
dont plus de 100 millions en Afrique). Pourtant, c’est bien une telle symétrie que postule
l’analyse de Raineri (2010) :
actif transitif prototypique :
agent
passif prototypique :
les manifestants ont bousculé Paul
patient
Paul a été bousculé par les manifestants
patient
agent
Mais, comme le remarque Raineri elle-même, les contraintes au passif sont plus fortes qu’à
l’actif : « la construction passive implique un plus haut degré de transitivité sémantique que
l‘actif » (p. 54). Une définition du passif, symétrique de celle de l’actif, ne permet pas
d’expliquer cette différence. Dans notre analyse, nous insistons sur l’existence d’une
dissymétrie entre actif et passif :
caractérise
1er participant
relation
caractérise
relation
prédicative
procès
dynamiques
configuration
dite active
procès
statifs
configuration
dite passive
- les enfants ont monté les escaliers en
courant
- Paul a connu des heures difficiles
- Paul a arrêté la cigarette
- Marie parle couramment anglais
- ce radiateur craint l’humidité
procès
dynamiques
??
procès
statifs
??
2e participant
prédicative
- les enfants ont monté la tente en cinq
minutes
- la police a arrêté un suspect
- Plus de 600 millions de personnes à
travers le monde parlent couramment
l’anglais
- 30,16 % des médecins interrogés craignent
la juridiction de sécurité sociale
- tous connaissent cette histoire
- un grillage entoure la propriété
- la tente a été montée par les enfants en
cinq minutes
- un suspect a été arrêté par la police
- l’anglais est parlé couramment par plus de
600 millions de personnes à travers le
monde.
- La juridiction de sécurité sociale est
crainte par 30,16 % des médecins interrogés
- cette histoire est connue de tous
- la propriété est entourée par un grillage
La différence entre l’actif et le passif ne correspond pas à une différence de degré de
contrainte par rapport à la transitivité active supposée prototypique 14. Elle correspond à une
différence dans la portée sémantique de la relation prédicative. Cette dissymétrie découle
précisément de la présence du verbe être au passif, élément absent dans la configuration active.
Une analyse compositionnelle de la configuration passive, fondée sur l’invariant sémantique
liée à la présence du verbe être permet de rendre compte de ces données. Cette hypothèse
sémantique revient à considérer le passif comme un cas particulier de construction attributive,
dans lequel le complément du verbe être est lui-même de nature verbale (hypothèse formulée
sur le plan syntaxique par Abeillé et Godard (2002). Ainsi, le passif en français ne peut pas être
considéré comme une construction, au sens de A. Golberg (1995, 2006).
Références citées
ABEILLÉ, A. et D. GODARD (2002), « The syntactic structure of French auxiliaries »,
Language 78:3, p. 404-452.
14
Hamelin et Legallois (à paraître) contestent le caractère prototypique des emplois actifs transitifs avec un agent et un
patient prototypiques. Ils montrent que ces emplois ne sont aucunement majoritaires, en tout cas dans les corpus de français
oral.
BOLINGER D. (1975), « On the passive in English », in Makkai A. & Makkai V.B. (éds), The
First Lacus Forum, 1974, Columbia S.C. : Hornbeam Press, 57-80.
GAATONE David (1998), Le passif en français, Paris/ Bruxelles : Duculot.
GOLDBERG, A. (1995), Constructions: A construction grammar approach to argument
structure, Chicago : University of Chicago Press.
GOLDBERG, A. (2006), Constructions at work. The nature of generalization in language,
Oxford : Oxford University Press.
HELLAND Hans Peter (2002), Le passif périphrastique en français moderne, Etudes
romanes, 50, Copenhagen : Museum Tusculanum Press.
HOPPER, P. et THOMPSON, S. (1980), « Transitivity in Grammar and Discourse », in
Language, 56/2, pp. 251-297.
JALENQUES, P. (2010), « Un exemple d’interaction morphologie-syntaxe-sémantique : les
contraintes sur les procès transitionnels au passif périphrastique », Actes du VIIIe Congrès
International de Linguistique Française, 25-27 septembre 2008, Université d’Oviedo, Liens
linguistiques. Etudes sur la combinatoire des composants, Berne : Peter Lang, 409-425.
RAINERI, S. (2010), Analyse contrastive français-anglais du passif dans une perspective
constructionnelle : sens et fonction de BE Ven, ETRE Vé, GET Ven, SE FAIRE Ver,
Thèse, Université Sorbonne Nouvelle – Paris 3.
T. Nakamura (Ligm, Université Paris-Est), Cet article a pour objectif de... : le pendant transitif
de la copulative spécificationnelle. Son interprétation constructionniste
0.
Dans cette étude, nous tentons de donner, du point de vue constructionniste, une
nouvelle analyse à une structure syntaxique du français qui a déjà fait l’objet de description
distributionnelle dans nos études antérieures (cf. Nakamura 2013, 2014). Il s’agit d’une
structure de phrase simple à trois actants syntaxiques du verbe avoir que nous appelons
construction NAPNX, en abrégeant sa description structurale Na avoir pour Nb X où X est
l’objet direct du verbe avoir qui se réalise sous trois formes selon la nature du nom régi par la
préposition pour : infinitif, complétive et syntagme nominal :
(1)
Le projet a pour objectif (de construire un nouveau quartier d’affaires + la
construction d’un nouveau quartier d’affaires + que soit construit un nouveau
quartier d’affaires)
La construction NAPNX a attiré notre attention, d’abord, dans le cadre de la recherche
des formes causatives des phrases copulatives et, ensuite, indépendamment, en tant que
construction syntaxique particulière, sans qu’une approche constructionniste n’ait été alors
adoptée, alors même que les résultats nous semblent favoriser une telle démarche théorique,
comme nous le tentons dans la présente proposition. Résumons rapidement nos observations
antérieures.
Dans Nakamura (2013), il a été constaté que, s’il est largement admis que les phrases
causatives montre une distribution complémentaire selon la nature adjectivale ou
prépositionnelle de l’attribut :
(2)
(3)
Luc a rendu la chemise très sale (causative de La chemise est très sale)
Luc a mis Marie en colère (causative de Marie est en colère)
il reste à déterminer le tableau de distribution des phrases causatives attributives dont l’attribut
est assumé par un syntagme nominal (surtout, en ce qui concerne les attributs spécificationnel
et identificationnel ; pour la typologie des attributs, voir Van Peteghem 1991). Il a été aussi
proposé que la construction NAPNX serait un candidat propice à s’insérer dans une case vide
impartie à la forme causative de la copulative spécificationnelle :
(4)
(5)
Luc a fait de son fils un avocat d’affaire (ph. causative de Son fils est un avocat
d’affaires avec un attribut identificationnel)
Le projet a pour objectif d’approfondir cette question (?ph. causative de
L’objectif du projet est d’approfondir cette question, avec un attribut
spécificationnel)
Cette proposition a été, toutefois, rejetée dans le cadre de cette analyse même puisque
l’augmentation, par rapport à la phrase copulative de base, du nombre d’actants dans ladite
structure à l’endroit du sujet n’est en rien due au caractère causatif, mais à un autre facteur.
Par la suite Nakamura (2014) a donné une description plus approfondie à la construction
NAPNX en tant que telle. Il en a été révélé des caractères peu communs, qu’on peut résumer
en quelques points : 1) le verbe principal avoir n’impose pas de restriction de sélection, ni sur
le sujet Na, ni sur l’objet X ; 2) c’est le Nb régi par la préposition pour, qui exerce, de façon
bidirectionnelle, cette fonction du pivot de la phrase, imposant la sélection du Na et de l’X ; 3)
le sujet Na entretient une relation partie-tout comparable à la relation d’inaliénabilité souvent
observée entre le sujet et l’objet direct dans une autre construction attributive du verbe avoir
(du type Léa a les yeux bleus) ; 4) entre le syntagme nominal complexe de la forme Nb de Na
et l’objet direct X s’établit, en dehors de la structure NAPNX, une relation copulative du type
spécificationnel (L’objectif de cette étude est d’approfondir cette question). En conclusion
(provisoire) de cette analyse, la construction NAPNX a été considérée comme une variante de
la construction à attribut de l’objet direct où l’attribut nominal est indirectement construit au
moyen de la préposition pour et où le sujet de la phrase Na subit une certaine topicalisation par
rapport à la phrase copulative où il est relégué à la position complément du Nb, qui est le topic
de la phrase.
1.
Un relecteur de Nakamura (2014) a indiqué que la structure NAPNX pourrait recevoir
une analyse adéquate dans le cadre constructionniste et nous avons eu le sentiment que les
données complexes révélées doivent en effet recevoir une analyse plus « holistique ». Dans la
présente étude, nous réexaminons donc cette construction pour lui donner un statut
constructionnel plus clair.
Parmi les travaux antérieurs dont nous n’avons pas pu tirer profit au moment de la
rédaction de nos travaux antérieurs, certains nous semblent particulièrement intéressants pour
développer une interprétation constructionniste de la construction NAPNX. Citons les cas de
Lambrecht (1995, 2004) et Legallois et Gréa (2006). Nous les décrivons d’abord
sommairement.
1.1. Lambrecht (1995, 2004) traitent d’un cas particulier de construction à détachement du
topic à droite (R-top : un Topic détaché à droite) qu’il appelle « Right-detached comme-N
construction » (RDCN). C’est un type de phrase comme celui-ci :
(6)
C’est intéressant comme livre
qui est à mettre en relation avec une copulative canonique de la forme Sujet-Prédicat du type :
(7)
C’est un livre intéressant
L’auteur considère qu’il s’agit d’une construction grammaticale dans le sens de
Grammaire de Construction, c’est-à-dire « a morphosyntactic and prosodic configuration
whose form and interpretation cannot be entirely accounted for in terms of other properties of
the grammar of language (or of universal grammar) and which therefore requires independent
description » (Lambrecht 2004 : 159), suivant en cela un point de vue commun aux
constructionnistes, comme celui de de Kay et Fillmore (1999) : « the notion of a grammatical
construction as a conventional association of linguistic form and content ».
L’association forme-sens dans le cas de la phrase du type (6) est fondée sur l’hypothèse
que « there exists a direct and conventional relationship between the structure of a sentence and
the type of communicative situation in which the sentence can be used to convey some piece of
propositional information » (Lambrecht 2004 : 160) et que « this relationship is governed by
principles and conventions of sentence grammar, in a component called information structure »
(ibid.).
Pour cet auteur, la construction RDCN est, généralement, un type de construction à
détachement à droite du topic, comme l’indique sa prosodie, incarnant dans sa structure
principale une structure syntaxique à clitique sujet qu’il appelle « Preferred-Clause » du français
(cf. 8) :
(8)
Il est intéressant, ce livre
Il existe cependant quelques différences : la forme comme-N est spécifique à la RDCN
et elle n’a pas de clitic coindexé dans la structure phrastique, contrairement à un R-top (donc
comme-N n’est pas un argument) ; le verbe doit être copulatif (il doit être un verbe qui autorise
son complément dans la structure syntagmatique du syntagme verbal de fonctionner comme
prédicat primaire) ; la forme comme-N n’est pas un élément référentiel habituel (elle ne
comporte ni déterminant ni modifieur libre et il est impossible d’anaphoriser le N). Outre leur
parallélisme avec la structure copulative canonique, ces indices formels conduisent l’auteur à
considérer comme-N comme un élément prédicatif et non pas comme argument ou adjoint.
Ainsi, la forme comme-N de la construction RDCN est spécifique à cette construction,
sans commune mesure avec la syntaxe du français en général : elle est difficilement qualifiable
en termes syntaxiques (elle ne constitue pas un syntagme majeur connu) et tout à fait spécifique
sémantiquement (c’est un prédicat primaire, dans le sens où UN Adj N est prédicat primaire
dans la position post-copule (cf. 7) et non un prédicat secondaire comme c’est le cas d’autres
comme-N, par exemple celui qui a la fonction de spécifier un rôle). Qu’est-ce qui motive alors
l’établissement de cette « construction grammaticale » (6), par rapport à son équivalent
sémantique (7) ? L’auteur avance l’hypothèse que la différence doit résider dans la structure
présuppositionnelle (donc informationnelle) : quand un locuteur énonce une phrase RDCN, il
est nécessaire d’emblée que la dénotation de comme-N soit supposée connue et accessible.
1.2. Legallois et Gréa (2006) prennent pour objet d’étude un ensemble d’énoncés
spécificationnels (N EST QUE P./INF.) comme (les exemples suivants sont leurs) :
(9)
(10)
Mon propos, c’était qu’on ne m’emmerde pas
La première mesure est de fixer la règle de jeu
et en donnent une description lexicale détaillée. Ils les considèrent comme une construction qui
est « l’appariement entre la forme N EST QUE P./INF. et l’ensemble des effets pragmatiques
associés » (Legallois et Gréa 2006 : 167). Comme l’indique le parallèle avec une construction
pseudo-clivée, la construction spécificationnelle possède une partie informativement « sousspécifiée » (N) qui est « déterminée » par une partie « spécifiante » (QUE P./INF.), en sorte que
la construction constitue une réponse à la question de la forme quel est le N ? (et non pas celle
en comment). L’existence sous-jacente du « jeu de dialogue » (c’est-à-dire qu’à chaque
occurrence d’une construction spécificationnelle, il y a une question sous-jacente) explique
diverses fonctions discursives, comme celle d’organisation textuelle ou celle d’argumentation,
que peut jouer cette construction.
La construction spécificationnelle lexicalement non saturée est ainsi une « forme au sens
gestaltiste et phénoménologique du mot », montrant un « caractère pré-donné, pré-construit »
(ibid.). Elle est instanciée dans le discours de façon holistique, plutôt que selon les règles
combinatoires de la syntaxe et de la sémantique.
2.
Dans la présente étude, nous ré-examinons la construction NAPNX à la lumière des
études citées ci-dessus. L’objectif est de lui donner un statut de construction grammatical à part
entière, qui est motivé par la complémentarité de distribution avec la copulative
spécificationnelle. Il serait souhaitable qu’on puisse y reconnaître une unité phraséologique
dont la charpente, sans la saturation lexicale, serait comme N avoir pour N (de Vinf/Qu P/N),
qu’un locuteur du français choisit, d’emblée, pour satisfaire à des contraintes différentes de
celles qui le conduirait au choix de la phrase spécificationnelle. Nous approfondissons ce point
dans le corps de l’étude.
A ce stade de l’étude, on peut constater, au strict plan syntaxique, qu’il ne manque pas
de raisons formelles déjà évoquées dans Nakamura (2014) qui motivent l’autonomie de la
construction en bloc : la structure NAPNX est syntaxiquement insolite et elle refuserait une
dérivation par une grammaire syntagmatique habituelle. En effet, le centre organisateur de la
phrase n’est pas le verbe avoir mais le syntagme pour N, sans lequel une simple structure
transitive est agrammaticale :
(11)
Le projet a pour objectif de construire un nouveau quartier d’affaires
* Le projet a de construire un nouveau quartier d’affaires
A notre connaissance, il n’y a pas d’autre endroit en syntaxe du français qui montre un tel
principe d’organisation d’une phrase, ce qui est un indice fort pour la reconnaissance d’une
unité constructionnelle.
Par ailleurs, à part le fait qu’il ne doive pas être précédé d’un déterminant et suivi d’un
modifieur libre, le Nb ne doit pas être en rapport avec un autre N que le Na :
(12) * Le projet a pour objectif de l’architecte de construire un nouveau quartier
d’affaires
Les contraintes de ce type sont aussi particulières, bien qu’elles s’observent ailleurs, par
exemple dans une construction à verbe support :
(13) * Luc a fait une intervention remarquable de Léa (cf. Luc est intervenu
remarquablement)
Le verbe avoir dans la construction NAPNX est difficile à qualifier de support. Cela constitue
une particularité de plus pour y reconnaître une unité indécomposable.
L’autonomie structurale de la construction NAPNX s’impose naturellement, mais si la
construction NAPNX est à considérer comme une construction grammaticale, elle doit
comporter en soi les principes de sélection lexicale. A ce propos, la confrontation de l’examen
du corpus présenté dans Nakamura (2014) et de la liste présentée dans Legallois et Gréa (2006)
indique que ce n’est qu’un sous-ensemble des N acceptés dans une construction
spécificationnelle qui peut figurer dans la construction NAPNX. Pour ne citer qu’un exemple,
sont à écarter de la construction NAPNX les adjectifs nominalisés désignant l’évaluation du
locuteur qui fonctionnent comme N dans une construction spécificationnelle parallèlement (ou
pas) à une construction pseudo-clivée :
(14) Ce qui est (important, vrai, essentiel, etc.), c’est que...
(15) LE (important, vérité, essentiel, etc.), c’est que...
(16) * N a pour (important, vérité, essentiel, etc.) que...
La relation qui relie les Na et Nb est comparable à celle qui existe entre les deux
nominaux susceptibles d’entrer en relation d’anaphore associative (cf. Kleiber 2001), donc
dépendant de la connaissance stéréotypique des noms. Comme le sujet clitic ce et le prédicat
détaché (comme-)N montrent, dans la construction RDCN, les accessibilités discursives active
et semi-active, respectivement, le Na et le Nb dans une NAPNX doivent montrer le même degré
d’accessibilité discursive pour chacun.
Dans le corps de l’étude, nous approfondissons les conditions discursives et
pragmatiques qui constituent le côté « signifié » du « signe » qui est la construction NAPNX.
Références (sélection)
Kay, Paul and Charles J. Fillmore (1999) Grammatical Constructions and Linguistic
Generalizations: The What’s X Doing Y? Language 75 : 1, 1-33.
Kleiber, Georges (2001) L’anaphore associative. P.U.F., Paris.
Lambrecht, Knud (1995) Compositional vs. Constructional meaning. The case of French
comme-N. In M. Simons et T. Galloway (eds.), SALT V, 186-203, Cornell University,
Ithaca, N.Y.
Lambrecht, Knud (2004) On the interaction of information structure and formal structure in
constructions. The case of French right-detached comme-N. In M. Fried et J.-O.
Östman (eds), Construction Grammar in a Cross-Language Perspective, 157-199,
John Benjamins, Amsterdam/Philadelphia.
Legallois, Dominique et Philippe Gréa (2006) L’objectif de cet article est de... Construction
spécificationnelle et grammaire phraséologique. Cahiers de praxématique [en ligne]
46, 161-186. (DOI : 10.4000/praxematique.657)
Bouveret, Myriam et Dominique Legallois (eds.) (2012) Constructions in French. John
Benjamins, Amsterdam/Philadelphia.
Nakamura, Takuya (2013) Constructions transitives et causative attributive du verbe faire. In
K. Ogata (éd.), Autour des verbes. Constructions et interprétations, 59-86, John
Benjamins, Amsterdam/Philadelphia.
Nakamura, Takuya (2014) Construction N0 avoir pour N X. In F. Neveu et al. (éds), SHS Web
of Conferences 8 (Actes du 4ème Congrès Mondial de Linguistique Française), 25152532, (DOI : 10.1051/shsconf/20140801261).
Van Peteghem, Marleen (1991) Les phrases copulatives dans les langues romanes. Gottfried
Egert Verlag, Wilhelmsfeld.
B. Combettes et M. Dargnat (Université de Lorraine & ATILF) : Intensivité et construction :
le cas des concessives
Dans cette présentation, nous étudierons quelques subordonnées à interprétation concessive,
dans la perspective des Grammaires de construction. Par concession, nous entendons la relation
de discours établie entre deux propositions (P et Q ci-dessous), qui sont présentées à la fois
comme simultanément vraies ou possibles alors qu’elles sont habituellement incompatibles ou
peu compatibles.
Nous nous focaliserons sur les constructions mettant en jeu le trait scalaire et en particulier le
trait intensif, en prenant comme point de départ les phrases dont la subordonnée a la forme si +
adjectif (1) /adverbe (2-3)+ relative en que ; type le plus fréquent en français contemporain
(écrit).
(1) Si mince qu’il puisse être, un cheveu fait de l’ombre [Grevisse, 14 ème ed., 1501]
(2) Si peu que ça coutât, il fallait la nourrir [Morel 1996, 118]
(3) Si agréablement qu’elle chante, elle a peu de chance de devenir une cantatrice célèbre.
[Riegel et al. 2009, 821]
Pour mener notre analyse, nous utiliserons le cadre de description proposé par les Grammaires
de construction, pour les raisons suivantes :
(i) le caractère multidimensionnel dont permettent de rendre compte les structures de traits
(concernant la forme : propriétés syntaxiques, morphologiques, phonologiques ; concernant la
signification : propriétés sémantiques, pragmatiques, discursives) [cf. Croft 2001, 18 ; Croft
and Cruse 2004 : 258 ; Traugott 2008, 224] ;
(ii) la hiérarchisation des constructions en termes d’héritage de propriétés, permettant au final
de classer les constructions par degré croissant d’abstraction (constructs, micro-, meso- et
macroconstructions) [Hoffmann 2013, 235 ; Traugott 2008 : 236 ; Trousdale, 2012] ;
(iii) l’intérêt qu’il y a à considérer la notion de construction (association conventionnelle d’une
forme et d’une signification) à un niveau plus complexe que le lexique, c’est-à-dire à étendre
la notion de construction à des schémas syntaxiques phrastiques [Hoffmann 2013, 230, 236].
Les exemples (1), (2) et (3) sont envisagés comme des réalisations (constructs) de la
microconstruction « P (= si + adv./adj. + relative en que), Q ». Leur interprétation concessive
ne se réduit pas à une paraphrase en bien que ou quoique, dans leur sens contemporain, elle a
aussi à voir avec la perception d’un degré maximal sur une échelle de valeur.
(1) = Un cheveu peut être aussi mince que possible, … ≠ Quoique/bien qu’il soit mince, …
(2) = Le coût peut être aussi faible que possible, … ≠ Quoique/bien que le coût soit faible, …
(3) = Elle peut chanter aussi agréablement que possible, … ≠ Quoique/bien qu’elle chante
agréablement
C’est pourquoi nous rattacherons d’abord cette micro-construction à la famille plus large des
constructions concessives intensives, en mettant en évidence les propriétés formelles et
sémantiques communes. Ce niveau, qui correspond à celui de la méso-construction, se
caractérise par le schéma :
« P (= adv. + adjectif/adverbe + relative en que), Q » avec une relation de discours de concession
entre P et Q. Il comprend les structures où l’adverbe initial de P peut être si, mais également
aussi, tant, autant ou quelque. Nous discuterons aussi, en diachronie et en synchronie, l’usage
des adverbes combien et tout et de la préposition pour, combinée ou non avec si, aussi et tant.
Nous nous poserons enfin la question de l’héritage à un niveau plus abstrait
(macroconstruction) dans deux directions : d’une part, la proximité avec les autres
constructions subordonnées scalaires du français (les comparatives et les corrélatives) ; d’autre
part, la proximité avec certaines constructions subordonnées hypothétiques (les
inconditionnelles).
Concernant l’inconditionnalité [Izorski 2000, König 1986,1988, Rawlins 208), l’observation
de base est que, lorsqu’on a un ensemble d’alternatives, souvent associé à des indéfinis, on
peut aussi constater une interprétation concessive intensive :
(4) Quelle que soit sa minceur, un cheveu fait de l’ombre.
(5) Quoi qu’il dise, on ne le croit pas.
(6) Qu’il dise la vérité ou pas, on ne le croit pas.
La question principale est de savoir si les concessives intensives mentionnées ci-dessus sont en
fait des constructions inconditionnelles portant sur les degrés (scalaires), dont le caractère
intensif serait dérivé par un mécanisme pragmatique ou si elles sont intrinsèquement intensives.
Par exemple, on pourrait analyser « si mince qu’il soi »t comme « quel que soit son degré de
minceur »... (construction inconditionnelle), ce qui conduirait à la lecture « même si son degré
de minceur est extrême « (concession intensive).
Références
Buridant, Claude (2000). Grammaire nouvelle de l’ancien français, Paris, Sedes. [Chap. 26]
Croft, William (2001). Radical Construction Grammar: Syntactic Theory in a Typological
Perspective, Oxford, Oxford University Press.
Croft, William and D. Alan Cruse (2004). Cognitive Linguistics, Cambridge, Cambridge
University Press.
Grevisse Maurice et André Goose, Le Bon Usage, De Boeck et Larcier, Bruxelles. [4e partie,
Chap. III, sect.6]
Hoffmann, Thomas and Graeme Trousdale (éds). (2013). The Oxford Handbook of
Construction Grammar, New York, Oxford University Press.
Hoffmann, Thomas (2013). Abstract Phrasal and Clausal Constructions, in The Oxford
Handbook of Construction Grammar, 230-245.
Izvorski, Roumyana. (2000). Free Relatives and Related Matters. Ph.D. Dissertation,
University of Pennsylvania.
König, Ekkehard. (1986). Conditionals, concessive conditionals and concessives: areas of
contrast, overlap and neutralization, in On conditionals, Elizabeth Traugott, Alice G. B. ter
Meulen, Judy Reilly, and Charles Ferguson (éds), Cambridge, Cambridge University Press,
229–246.
König, Ekkehard (1988). Concessive Connectives and Concessive Sentences: Cross-Linguistic
Regularities and Pragmatic Principles, in Explaining Language Universals, J. A. Hawkins,
(ed.), Oxford, Basil Blackwell, 145–166.
Morel, Marie-Annick (1996). La concession en français, Paris, Ophrys.
Riegel, Martin, Jean-Christophe Pellat et René Rioul (2009). Grammaire méthodique du
français, Paris, Presses Universitaires de France.
Soutet, Olivier (1992). La concession dans la phrase complexe en français, des origines au
XVIe siècle, Genève, Droz.
Rawlins, Kyle (2008). (Un)conditionals: An Investigation in the Syntax and Semantics of
Conditional Structures, Ph.D. Dissertation, University of California at Santa Cruz.
Traugott, Elizabeth Closs (2008). Grammaticalization, constructions and the incremental
development of language : suggestions from the development of Degree Modifiers in English,
in Regine Eckardt, Gerhard Jäger, and Tonjes Veenstra, eds., Variation, Selection,
Development--Probing the Evolutionary Model of Language Change, Berlin/New York,
Mouton de Gruyter, 219-250.
Trousdale, Graeme, (2012) Grammaticalization, constructions and the grammaticalization of
constructions, in Davidse, K. et al. (eds) Grammaticalization and Language Change : New
reflections, Amsterdam/Philadelphia, Benjamins, 167-198.
Téléchargement