JARDINS POUR LES MALADES D’ALZHEIMER Fabien Charlot Paysagiste Quelques éléments spécifiques sur la maladie d’Alzheimer et sur le comportement des patients Notion d'architecture fonctionnelle et spatiale Cette question est mise au cœur de toute réflexion sur le projet pour une unité de déments. Quoi de plus naturel ? Pourtant, avant de l'aborder, il faut se demander pourquoi on veut poser le problème de l'architecture. Il y a en effet quatre points à envisager : La maladie d’Alzheimer est une démence, et c’est la plus fréquente. Elle s’accompagne de lésions du cerveau irréversibles. Si la stimulation constitue un moyen de mobiliser les capacités restantes, elle ne peut en aucun cas faire régresser ces lésions. Ce dont le dément a besoin parce qu'il est dément. Ce dont les soignants croient que le dément a besoin. • Ce dont le dément a besoin parce qu'il est humain. Ce dont les soignants ont besoin. Il y a des besoins que nous savons identifier, et qui sont liés aux manifestations mêmes de la maladie. C'est le cas par exemple des espaces de déambulation ; c'est aussi le cas des systèmes de sécurité ; c'est le cas enfin de cette ébauche de sectorisation qui incite à regrouper les déments insomniaques pour garantir le sommeil des autres. • • MeurtMeurt-on de la maladie d’Alzheimer ? Les statistiques montrent que la survie des malades est en moyenne de huit à dix ans après le diagnostic initial. Certains malades peuvent mourir quelques mois après le diagnostic, souvent d’une autre maladie (cancer, accident vasculaire cérébral), alors que d’autres vont vivre encore dix ans. La perte d’autonomie liée à la maladie à un stade évolué (dénutrition, perte de mobilité, troubles de la déglutition) favorise des pathologies qui peuvent être fatales (thromboses veineuses, embolies pulmonaires, maladies infectieuses, fausses routes, déshydratation, escarres…) Considérons le problème des espaces de déambulation. On dit : « Les espaces de déambulation doivent être des espaces continus, les culs–de-sacs créant de la frustration et de l'agitation ; en conséquence une boucle continue est préférable à un couloir dans lequel la personne âgée ne pourrait faire que des allers et retours. - perception de l’espace par le patient - troubles de l’orientation spatiale, - perte des repères spatiaux et temporels, - perte de la vision, - la déambulation. Il est important que le circuit de déambulation soit largement dégagé et que tous les obstacles soient rangés le long des murs. » On dit aussi : « En revanche, il est important que ce circuit de déambulation ne se limite pas à être un simple "anneau de vitesse", mais fasse passer la personne devant différents espaces attractifs qui puissent enrayer la déambulation incessante : living-room, salle à manger, cuisine, alcôves d'activités, donnant directement dans le couloir, toujours dans l'idée de jalonner le parcours de déambulation d'éléments d'intérêt et de réorientation. » Des études récentes montrent un rapport entre la marche et l’irrigation de la zone frontale, qui serait sous-irriguée pour des patients atteints de la maladie d’Alzheimer. Question de la déambulation libre ou déambulation cyclique (circulaire, ovale…) 1 WWW.SNHF.ORG Comment gérer la déambulation ? Quelques recommandations à tester La déambulation sans but est fréquente dans la maladie d'Alzheimer. La personne marche pendant des heures et des heures, sans but. Elle s'assied deux minutes, puis se lève pour marcher à nouveau ; elle fait mine de s'asseoir, mais repart aussitôt… - Du calme, de l’espace… Il faut aménager autant que possible une zone peu bruyante, bien éclairée (mais pas trop), bien signalée et sécurisée (ranger les tapis, les fils téléphoniques, les objets qui encombrent les passages, sécuriser les cuisinières à gaz par des systèmes coupe circuit). À la maison, on fermera la porte d’entrée et on protègera les escaliers. En institution, les nouveaux projets tendent à privilégier des systèmes anti-fugues très peu contraignants (bracelets alarme silencieuse à déclenchement magnétique lors d’un passage de porte). L'empêcher de marcher et la contraindre à s'asseoir, puis l'attacher, entraînent agitation et colère. Les déambulations peuvent entraîner un état d'épuisement. Pourquoi ce syndrome de marche infinie ? - Il ou elle veut marcher ? Et bien marchons un peu avec la personne et profitons-en pour l’aider à s’orienter. Des promenades dirigées dans la maison, le jardin ou même le quartier, proposées très régulièrement, suffisent souvent à répondre à un vrai besoin et à détendre l’atmosphère. Sans doute, les personnes traduisent leur angoisse, leur stress en déambulant. La déambulation (65% des malades hébergés en institution et 36% des patients vivant à leur domicile) peut parfois être consécutive à l'utilisation prolongée de médicaments. Certaines nuits, la personne atteinte de la maladie d'Alzheimer n'arrive pas à dormir : elle est capable de marcher, de travailler et de ranger (ou même de sortir) pendant la nuit. Il faut la laisser libre dans la maison où tous les dangers sont écartés. Après s'être fatiguée, et sous l'effet d'un calmant prescrit, elle laissera tout pour aller dormir. Sortir la personne et marcher avec elle dans un parc,, dans les rues ou dans un supermarché est une activité " thérapeutique ". À condition que l'accompagnant contrôle bien la situation. - Ne pas obliger à rester assis et surtout éviter la contention : plus on l’empêche, plus on exacerbe le besoin de se déplacer. - Rythmer les journées : lever, toilette, repas, activités. - Proposer des activités ludiques ou artistiques, occuper avec des tâches ménagères (plier du linge, débarrasser la table), lutter contre l’ennui. - Traiter l’anxiété et la dépression, qui sont à l’origine de bon nombre de troubles du comportement. Il n’y a pas de médicament contre la déambulation et tout ce qui « calme » augmente les risques de somnolence et donc de chutes ! Étudier également des itinéraires circulaires qui ramènent insensiblement au point de départ et permettent un retour aisé à la maison. Pour pouvoir fermer la porte de sa chambre la nuit sans inquiéter le malade, il faut la dissimuler à ses yeux. Un portemanteau astucieusement fixé au-dessus de la serrure et une robe de chambre qui pend masquant ainsi la poignée, ou la clôture extérieure, feront parfaitement l'affaire. Le malade, ne pouvant pas se concentrer longtemps sur une chose précise, oubliera la poignée et avec elle l'idée de sortir de la chambre. - Maintenir ou retrouver le rythme veille/sommeil (activités toniques le matin, relaxation en fin d’après midi). Les altérations sont variables selon les individus, les effets de la maladie sont variables selon les cas. - rapport à l’espace : - des lignes sombres pouvant stopper un patient, qui y verra une ligne infranchissable. - un cheminement en pente permettra de « ramener » un patient à son point de départ. Quelques questions utiles à se poser Il déambule, mais quelle en est la cause : l’ennui ? L’anxiété ? La douleur ? L’errance s’accompagne-t-elle d’autres troubles du comportement ? Est-elle en lien avec un but particulier (manger, boire, aller aux toilettes, retrouver une personne connue, un lieu) ? Le cadre d’intervention du paysagiste Réponse paysagère des espaces extérieurs en partenariat avec l’agence d’architecture TLR et 2 - créer des paysages particuliers associés, un bureau VRD, un économiste, des BET fluides. Jeu sur la plante et thématisation des espaces dans des contextes de jardins prenant souvent place sur des espaces de petite taille et clos, des patios. couleur (rouge, jaune, bleu, mauve, pourpre, blanc, orange…) au niveau des feuillages, floraisons, branchage… (cornouiller rouge, cornouiller mâle, jaune, sanguin…) Forme écorce des arbres (érables « peau de serpent », bouleaux…) branchage torsadé (noisetiers, saules torsadés, hêtres nains…) jardin de grandes feuilles (bananier, cannas, palmiers…) Cf. EHPAD de Biscarosse (40), Villebois – Lavalette (16), Miramont de Guyenne (47)… Les coûts globaux des opérations sont compris dans une large fourchette, de 4 à 8 millions d’euros HT. La réponse du paysagiste La réponse paysagère est indissociable de la réponse spatiale. Les plantes et le jardin ne font partie que d’un ensemble spatial global, en association avec les bâtiments, les voies, les limites du terrain…. Humanisation de maison de retraite et de lieux d’hospitalisation. La réponse spatiale - une réponse spatiale simple pour ne pas brouiller la lecture de l’espace par le patient. - un espace sans équivoque, ne présentant pas de lieux soumis à interprétation pour des personnes dont la vision est altérée. Il y a risque d’interprétation, de formes « anxiogènes », se mêlant avec les ombres (le cabinet du Dr Caligari, Robert Wiene, expressionnisme et déformation de la réalité). - la question de la déambulation. Le traitement des sols, avec relief, avec aspérités, mais sans danger de chute, et alternance de matières (gravier résiné, sol souple, métal, pavés, béton…) - la nécessité d’une clôture sécuritaire. Hauteur de 2 m pour empêcher toute « sortie », qui peut se révéler dangereuse, voire mortelle. La question de la liberté, et de la dissimulation de ces panneaux rigides disgracieux. - notions de géobiologie. Relation de l’humain avec son environnement, et notamment les ondes, et vibration entre les éléments. Détection de la présence de cours d’eau souterrains, ayant une influence négative sur le bien-être général. Ce type d’étude commence à se pratiquer pour le bâtiment, mais aussi pour l’implantation de végétaux. - repères des saisons - stimulation des sens (ouïe, odorat, vue, toucher, goût). - exercices avec les végétaux - odeurs - visions couleurs, formes - toucher - goûter (contourner la réglementation de consommation d’aliments produits sur place). - les plantes qui « font du bien » - les fleurs de (Edward) Bach (réponse aux déséquilibres émotionnels agissant sur notre santé). 38 essences différentes créées à partir de fleurs et de plantes correspondant à 38 états psychiques : peur, solitude, désespoir, doute…) La réponse végétale Appel à toutes les ressources de la plante, qu’elles soient esthétiques, pratiques… La palette botanique devient une véritable boîte à outils pour créer des effets stimulants. Exemple pour l’émotion de la peur, avec cinq « sous– émotions » différentes, réponse par l’hélianthème, le mimulus, le prunus, le tremble, le marronnier, qui, chacune, apporte une émotion positive. Préparation des plantes par chauffage et mélange avec de l’eau pure - apporter des repères spatiaux et temporels par le végétal. Troncs (érable « peau de serpent », bouleaux, cerisiers rouges…), feuillage… 3 WWW.SNHF.ORG et de l’alcool. - plantes désintoxicantes d’intérieur Certaines plantes d'intérieur éliminent des produits chimiques présents dans l'air et notamment le formaldéhyde, le benzène et le trichloréthylène. Ces produits chimiques sont générés par la détérioration des isolants anciens par exemple, mais aussi par l'utilisation de solvants ou de produits d'entretien ammoniaqués, de la fumée de cigarette dans certains cas… - aromathérapie L’aromathérapie (étym : lat « aroma », grec « arôma » = arôme ; grec « therapeia » = soin, cure) est l'utilisation médicale des extraits aromatiques de plantes (essences et huiles essentielles). Cela la différencie de la phytothérapie qui fait usage de l'ensemble des éléments d'une plante. Le terme a été utilisé pour la première fois par le chimiste René Maurice Gattefossé en 1935. Dans une approche traditionnelle, branche de la phytothérapie, elle s'apparente à la naturopathie (Ayurveda, etc.) Elle est alors classée parmi les médecines non conventionnelles. Le terme d'aromathérapie recouvre des pratiques médicales très variées utilisant les huiles essentielles, par exemple sous forme d'onction (dissolution dans une huile), de crème ou de lotion (émulsion huile dans l'eau), pour l'usage externe. Les usages le plus usuels des huiles essentielles peuvent être l'automédication de confort, le calme et la relaxation (bains, massages, cosmétique), la préparation à l'endormissement, et une utilisation aromatique en psychologie. En médecine, l’utilisation recouvre la désinfection et la cicatrisation des plaies ou le traitement de traumatismes (brûlures...), le complément à un traitement médical chronique ou en dermatologie, et la cosmétique dermatologique. Comment ça marche ? Le principe de la dépollution repose sur l'échange gazeux. Les polluants de l'air sont absorbés par les feuilles. Des micro-organismes vivant dans les racines convertissent les polluants en produits organiques qui servent alors à nourrir les plantes. La plante émet ensuite de la vapeur d'eau par un processus nommé transpiration et améliore ainsi le taux d'humidité dans la maison et le taux d'oxygène. Plus les plantes sont grosses, plus la surface de feuille est importante, et plus l'échange gazeux est important. Quelles plantes ? Les plantes le plus efficaces pour dépolluer l'air sont l'Aloe vera et le Philodendron qui éliminent respectivement 90% et 86% du formaldéhyde. Le Philodendron élimine aussi le pentachlorophénol. L'azalée élimine quant à elle l'ammoniac, le chrysanthème le trichloréthylène, le Chlorophytum le monoxyde de carbone, le lierre le benzène. Selon les dernières mesures réalisées en laboratoire, l'Aglaonema neutralise 48 % du benzène et 92 % du toluène, l'Aracaena marginata 78 % du benzène et 60 % du formaldéhyde, la Sansevieria 53 % du benzène... - hortithérapie (méthode jeune, d’origine nord–américaine) L’hortithérapie propose un jardinage en pot, réalisé dans des conditions optimales pour que le patient, parfois handicapé, puisse profiter des plaisirs du jardinage. Il s’agit d’une activité occupationnelle qui est bénéfique pour la santé, voire une prévention thérapeutique. Existence de plans Alzheimer : les thérapies non médicamenteuses sont aidées. - les plantes toxiques et allergisantes à éviter (pollen, fruits et tiges dangereuses (laurier-rose…) - le jardin pour tous (SaluTerre, la Valise…) L’hortithérapie propose plusieurs dimensions : - On peut occuper les malades ou convalescents par des activités avec les plantes ; ceci est très utile en hiver, par exemple, faire des centres de tables de matériaux secs ou verts, presser des fleurs pour une décoration au mur ou tout autre décoration. - La couleur des plantes, l'odeur ou leur texture font appel à la mémoire lointaine, apaisent plus quand on choisit les plantes appropriées, etc. - L'activité physique, au grand air ou même en salle, est souhaitable pour les gens qui n'en font pas assez. - Association de roches, de pierres avec des végétaux, ou du végétal ligneux rappelant dans une certaine mesure la culture de l’inkevana. La réponse « d’ambiance » Une réponse en fonction du contexte local - référence aux paysages agricoles locaux Les personnes âgées, pensionnaires des maisons de retraite rurales, étant souvent des anciens agriculteurs ou issus du monde rural. Le travail sur certaines EHPAD a consisté à recréer des paysages agricoles courants, en relation avec le contexte alentour. Cela s’est surtout traduit sur les lisières, et les larges abords périphériques. Le jardin est considéré comme une ouverture, une transition vers le grand paysage (ch. 4 EHPAD Limoux). Cf. EHPAD Limoux dans l’Aude, ou Rochefort-enTerre (Morbihan). L’intérêt est, dans ce contexte, de recréer des paysages que les résidents connaissent et de les garder dans un environnement affectif connu. - création de paysages domestiques Le but est ici de recréer la relation intime entre les personnes âgées et la plante, à l’aide de bancs, de pots. Ces lieux sont situés sur des axes de passage (entrée) et recréent les espaces domestiques que l’on retrouve dans les villages ruraux, sur les pas de portes où les habitants viennent « prendre le frais » l’été, et discuter avec les voisins. Les plantes en pots laissés en libre accès pour les résidents créent une relation privilégiée. - l’éclairage - question des pollutions électriques, - question des ombres portées. - le repérage de l’intérieur d’un bâtiment souvent complexe, par l’extérieur. - insertion d’animaux, d’oiseaux et de poissons - Deux références : principe de l’hortus conclusus, où les animaux (oiseaux, poissons, mammifères…) sont présents dans toutes les représentations, présence de mini-fermes dans les villages de vacances, où les enfants et les familles passent régulièrement dans la journée. But de visite. But de créer des volières, des cages ou des bassins sécurisés pour créer une vie et un lieu de passage périodique. Relation intime entre le résident et les animaux. Cf. EHPAD Rochefort en Terre Il y a néanmoins un élément en commun : comment faire disparaître la notion d’enfermement et de privation de liberté, liés à la maladie et ses syndromes. C’est bien toute la problématique du traitement paysager des jardins thérapeutiques liés aux maisons de retraite et plus particulièrement les unités Alzheimer. Conclusion Chaque malade est différent et possède sa propre histoire. La meilleure façon de l’aider est de s’en souvenir. Ceux qui aident ou soignent ont donc tout intérêt à développer un sens aigu de l’observation et de l’analyse. Finalement, on se rend compte que contrer les risques liés à la déambulation peut contribuer au maintien d’une certaine autonomie. La réponse à apporter se situe au niveau de stimulation des sens par le végétal et la mise en espace, et de comment le patient/résident se meut et vit dans cet espace. Il n’y a pas de réponses paysagères toutes faites mais des réponses contextualisées, en fonction des sites, des paysages, des milieux, de l’histoire locale… Jardins, environnement et santé Journée à thème de la SNHF Bordeaux le 28 janvier 2010 SNHF 84 rue de Grenelle 75007 Paris 5 WWW.SNHF.ORG