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décideraient alors pour elle de ce qui sera susceptible de faire son bonheur ? Le juge
bienveillant ne serait-il pas un juge autoritaire ? Car en effet, les intentions des parents « sont
soustraites aux conditions de réciprocité qui définissent l’entente communicationnelle. »3 Plus
encore, en cherchant à déterminer génétiquement le bonheur d’un individu, ne nions-nous pas
la dimension temporelle de l’homme ? En effet, inscrire dans le seul instant du choix des
caractéristiques génétiques optimales la destinée heureuse ou malheureuse d’un être humain,
c’est nier sa temporalité ternaire, ce passé, héritage et bagage à porter, assumer, assimiler, ce
présent dans lequel il se construit, et ce futur, lieu de tous les possibles. La capacité créatrice,
auto-créatrice de l’homme, son aptitude à s’adapter et à s’improviser sans cesse, que Bergson
s’est appliqué à mettre en relief se voit reniée. Et la distinction cruciale entre l’environnement
interne et l’environnement externe se voit effacée. Est ainsi oublié ce qui fait l’unicité,
l’individualité, l’originalité de chaque être humain. Originalité qui se voit évincée par l’idée
de « normalité ». Aussi difficile soient-ils à définir, les critères de la normalités font partie de
ces arguments en faveur de la sélection embryonnaire. Il sera à ce sujet intéressant de
s’interroger sur la signification d’un tel concept dans les sociétés démocratiques, qui portent
en elles ce paradoxe d’être ouvertes à la multiplicité et de s’unifier dans l’uniformité, et cette
difficulté à concevoir une conception englobante du bien. Si le droit à l’individualité qui
caractérise la démocratie laisserait imaginer des sociétés démocratiques sans unité,
extrêmement variées, l’on aperçoit très vite l’uniformisation des mœurs et des opinions qui
s’y opère, l’apparition de points de vues majoritairement partagés. Dans des sociétés dans
lesquelles la majorité l’emporte, il est compréhensible que d’une part les personne en minorité
soient moins bien intégrées, et d’autre part que l’opinion publique influe fortement sur les
choix personnels, ceux de parents par exemple. Remarquons toutefois cet autre paradoxe
actuel de sociétés dans lesquelles se côtoient désir d’éradiquer les handicaps par la sélection
embryonnaire et stérilisation éventuelle de certains handicapés d’une part, et Théléton,
aménagements pour les handicapés et diverses initiatives de l’autre. Un paradoxe sur lequel
nous aurons à revenir. Quant à l’incapacité des démocraties à concevoir une conception
partagée du bien, elle met en exergue la difficulté que l’on rencontre à justifier le choix d’un
embryon plutôt que d’un autre, à décider qu’une vie vaut ou ne vaut pas le coup d’être vécue.
Enfin, derrière cette mise à l’écart des embryons « défectueux », on devine une réminiscence
du fantasme de l’homme parfait, dont nous connaissons les dérives eugéniques.
3 Habermas, Jürgen, L’avenir de la nature humaine, (Vers un eugénisme libéral ?), traduction de
Christian Bouchindhomme, Paris, Gallimard, 2002, p.79-80