Deux hommes contre une paroi
Fabienne Radi, Genève, novembre 2010
QUESTION : Que fait un homme d’âge r agenouillé devant un homme plus jeune
qui hisse un tableau le long d’une paroi et dont il tient la cheville droite avec sa
main gauche ? Bannissez immédiatement toute mauvaise pensée trop facile qui
lerait votre penchant pour la lecture de journaux gratuits distribs dans les
transports publics. Et concentrez-vous sur les détails de la scène.
L’homme d’âge mûr porte un costume trois pces de bonne confection, des
chaussures richelieu cirées à bout ronds, des chaussettes en fil d’écosse anthracite
qui savent camoufler ce bout de mollet que je ne saurais voir, une chevelure
légèrement grisonnante domestiqe par des rendez-vousguliers chez le coiffeur,
son genou droit repose sur un parquet en cne qui jouxte d’élégantes plinthes en
bois blanc cas menant vers une cheminée de marbre sur le linteau de laquelle
sont disposés des vases venant probablement de chez Habitat, à la rigueur d’Ikea,
en tous les cas pas de chez Conforama. Sur le bas de l’image on distingue un bout
de tapis à priori persan et un moignon de canapé qu’on dira de design italien sans
trop prendre de risques. L’homme plus jeune porte le jean, la veste en velours
côtelé et l’embryon de barbe qui font les jeunes gens du 6ème arrondissement
parisien depuis la nuit des temps, ceux qui boivent des cas à la Terrasse des
Deux-Magots en arrivant à ne pas les renverser sur leur carnet de notes Moleskine
tout en lançant entre deux mèches de cheveux des regards noirs et profonds
comme ceux de Jean-Pierreaud.
Ça pourrait être un film de Claude Chabrol, en moins provincial. Une fausse
Stéphane Audran serait assise au bout du moignon de cana italien et prodiguerait
ses conseils aux deux hommes en buvant du Porto : - «Plus haut sur la gaucheà
gauche j’ai dit… nooon c’est pas droit» (bruit d’une lampée de Porto en OFF),
pendant qu’une fausse Isabelle Huppert jouerait sur le clavier bien tempéré d’un
demi-queue dans l’angle oppo du salon. Ah non, ça c’est «La Pianiste», faut pas
tout mélanger ! La bourgeoisie viennoise c’est tout autre chose, des décors
beaucoup plus chars, des tonnes de porcelaine, et puis on n’imagine pas du tout
Annie Girardot sur ce cana ! Bon reprenons. Au niveau de la posture des deux
personnages, on pourrait y voir une scène de Jacques Tati ou de Blake Edwards, un
sketch burlesque se contorsionnent des corps rigides et maladroits qui n’ont rien
demandé de tout ça, avec un bruit de genou qui craque en fond sonore. A moins
que ça ne soit un scénario pour téfilm familial en prime time : lors d’une partie
endiablée de Pictionnary, unre et son fils s’unissent pour faire deviner au reste
de la famille le mot TRÔNE. Lere joue le vassal plein derence devant son
suzerain, tandis que le fils décroche le tableau qui représente opportument des
fauteuils (quelle chance !) pour signifier la fonction de l’objet mystérieux. RESPECT
DE LA HIERARCHIE+POSITION ASSISE=TNE, comprend soudain le reste de la fratrie
restée hors cadre pour ne pas faire de miettes sur le tapis qu’on acla persan,
pendant quemarre le jingle pub TF1 qui indique qu’on va tous enfin pouvoir
soulager sa vessie (bruit d’une deuxième lame de Porto).
En clignant des yeux et en se concentrant sur les lignes des corps, on peut aussi
voir dans cet arrangement de cuisses et de mollets une ébauche de svatiska ou
croix gammée tournée à l’envers, la main dure placée au centre de la figure
faisant le joint entre les quatre branches… Non ? Vous ne voyez pas ? Je sens qu’il
est temps de cesser d’aligner les suppositions et de donner la bonne ponse. Au-
de de 3000 signes espaces compris, le lecteur sur écran veut savoir le fin mot de
l’histoire et s’impatiente devant son menuroulant (bruit d’une troisième lampée
de Porto).
DONC LA REPONSE. L’homme d’âge mûr aide l’homme plus jeune à installer un
tableau représentant deux fauteuils sur la paroi d’un appartement bourgeois.
Comme les murs sont hauts et que l’homme plus jeune a les bras courts, l’homme
d’âge mûr se jette au pied de l’homme plus jeune pour lui pter aimablement son
genou en guise de tabouret. Se retrouvant tous deux dans une position peu
confortable, ils rêvent secrètement d’être assis sur les deux fauteuils du tableau au
lieu de tenir celui-ci à bout de bras, mais n’en laissent rien paraître. Bon d’accord.
Mais encore ? Qui sont ces deux hommes ? Quel lien y a-t-il entre eux ? A qui
appartient l’appartement bourgeois ? Quelle est la marque exacte du cana
italien ? Est-on certain qu’il est italien ?
DONC LE MESSAGE CACHE DE LA REPONSE. Le monsieur d’âge mûr n’est pas du tout
le re du jeune homme, ni même son oncle ou son beau-père, il n’a jamais joué au
Pictionnary avec lui, pas plus qu’au bridge, au Monopoly ou même au minigolf. Non,
cet homme est un collectionneur qui aide un jeune artiste émergeant à devenir
émergé. on présume qu’il lui a me filé une serviette éponge pour se cher,
sinon il y aurait des traces d’humidité sur le parquet. Le jeune artiste, qui vient de
poser la serviette éponge un peu plus loin pour ne pas surcharger l’image de détails
inutiles (on n’est pas pour refaire «L’Homme au bai ou bien !), montre
astucieusement, gce à l’angle incli de son tableau, la courbe ascensionnelle que
sa cote va prendre sur le marché de l’art. Le monsieur d’âge r s’est agenouillé
pour l’aider à faire pencher le tableau - donc la cote - dans la bonne direction. Sa
position peut également indiquer qu’il prie inrieurement pour ne pas s’être
trompé de poulain. Le poulain en question consulte d’ailleurs frétiquement le site
artfacts.net pour savoir quand il franchira la barre de la 5000ème place. Comme il est
entré au classement il y a deux ans à la 33'563 position, son graphique affiche pour
l’instant une très bonne progression. Mais on ne sait jamais.
DONC LES OBJECTIFS DU MESSAGE CACHE DE LA REPONSE. Cette image est le visuel
de la dernière campagne publicitaire MasterCard pour sa nouvelle carte Platinum.
Elle cherche à convaincre unur de cible, soigneusement défini par de jeunes et
fougueux mediaplanners selon des crires tels que la marque d’eau minérale
prée, le nombre d’écrans plats par foyer ou encore la consommation annuelle de
yaourts bio, qu’en chaquetenteur de carte Platinum sommeille un petit Pinault
qui attend son heure pour aller chasser du Cattelan. Toutes proportions gardées
évidemment : il n’est pas facile de se payer ni me d’enfiler des papes avec
orites intéges dans des 5 pièces cuisine, fussent-ils dans les immeubles de la
Place Saint Sulpice avec 150 tres carrés au sol et force moulures au plafond. Les
palais vénitiens sont à cet effet beaucoup plus pratiques. A vue de nez promené sur
cette campagne, la Platinum Card vise plut des collectionneurs middle class à 4X4
japonais qui veillent à ce que les œuvres acquises 1) ne prennent pas toute la place
sur les murs 2) negarnissent pas trop leur porte-monnaie 3) s’inrent avec
harmonie au mobilier qu’ils ont patiemment choisi avec l’aide d’uncorateur
ensemblier diplômé.
La campagne est accompagnée d’un slogan plein d’allant : METTRE LE PIED D’UN
JEUNE ARTISTE A L’ETRIER ÇA N’A PAS DE PRIX, ce qui donne tout de suite envie de
crier on ne sait pas pourquoi : MAIS LUI METTRE LA MAIN AU PANIER OUI (trop de
lecture de journaux gratuits, on vous dit !). L’annonce ne dit pas si est compris dans
ce qui n’a pas de prix le fait que le jeune artiste vienne en personne vous aider à
fixer le tableau en profitant de votre genou comme escabeau.
C’est à ce moment-là que la fausse Stéphane Audran entre en vacillant et de
manière inopinée dans le cadre. Elle alibérément renver son 5ème verre de Porto
sur le tapis qu’on croit persan, vexée d’avoir perdu au Pictionnary en proposant le
mot SAINT-SIEGE au lieu de TNE, ce qui n’est quandme pas la même chose.
Maintenant elle fouille frénétiquement dans son sac à main pour trouver sa Platinum
Card qui va lui permettre d’acheter une nouvelle bouteille chez l’épicier voisin. C’est
la seule personne qui a lu jusqu’au bout le texte en petits caractères imprimé au bas
de la publicité sur les motifs du tapis qui a effectivement beaucoup de chances
d’être persan mais il faudrait le voir de plus ps pour en être vraiment certain. Le
texte dit :
IL Y A CERTAINES CHOSES QUI NE S’ACHETENT PAS. POUR TOUT LE RESTE IL Y A
MASTERCARD.
Aahh Stéphane a enfin trou sa carte.
Ici la publicité en entier pour ceux qui veulent vérifier.
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