contradictoires (des injonctions
paradoxales1 qui disent qu’il faut libérer
tout en garantissant la sécurité et le bien-
être !).
Concrètement de plus en plus de
travailleurs sociaux ont le sentiment que
leur liberté d’actions professionnelles s’est
considérablement réduite de par les
normes en vigueur (limites, règles,
protocoles…). C’est incontestablement vrai
en partie, mais en partie seulement. Nous
pensons que ce sentiment est exacerbé
par une compréhension incomplète de ce
qu’est la liberté. Notre prétention à en
parler se limitera aux dimensions
philosophique et éthique.
La tradition occidentale, issue de
l’antiquité grecque, postule que l’homme
libre ne travaille pas et se détache de la
nature par le fait qu’il n’est jamais en
contact physique avec elle. Nous en
sommes bien loin à l’ère où le travail est
une valeur cardinale. Remarquons pour
prendre un autre point de repère qu’en
Chine la liberté n’a pas été pensée, le mot
n’est apparu que tardivement sur la base
d’un néologisme que la langue japonaise
avait introduit quant à elle au début du
20e siècle. En occident, la liberté s’est
conceptualisée développée à travers les
siècles et l’idée s’est progressivement
imposée tout en restant floue et
diversement interprétée.
Liberté et action
Précisons avec Jaspers que l’on ne
s’installe pas dans la liberté de manière
définitive pas plus qu’on ne peut forcer
quelqu’un à être libre. Et de manière plus
optimiste penser la liberté nous la rend
déjà accessible nous dit encore Jaspers. La
liberté s’inscrit pour Kierkegaard dans une
rupture existentielle. Du latin
Ek-sistere
1 C’est toute la différence entre des paradoxes
existentiels (une liberté limite une autre liberté) et
des paradoxes pathogènes (une liberté vient
s’ajouter à une autre en disant qu’il faut faire et ne
pas faire en même temps : comme de respecter la
convention européenne des droits humains et
enfermer à vie les délinquants sexuels).
signifie :
émerger, sortir, rompre, couper
d’une continuité. C’est en cela que la
liberté, et nous osons une tautologie2, est
un acte libre !
Et en effet, l’espace-temps de la liberté est
souvent perçu comme étant l’action.
L’humain en effet agit afin de réduire
l’imprévisibilité du monde. L’action devient
de fait la possibilité du souvenir, de la
mémoire, et par conséquent de la
responsabilité, puisqu’il s’agit de répondre,
d’assumer les actes que l’on a posé
librement face à l’imprévisibilité des
choses. Le lien entre la liberté, l’action et
la responsabilité est établi.
Par imprévisibilité il faut entendre
l’incertitude constitutive de la condition
humaine. L’incertitude caractérise l’avenir
qui est par définition incertain.
L’incertitude est perçue comme une mise
en péril des fragiles stabilités que l’humain
édifie dans son rapport au monde et au
temps. Les certitudes morales vont céder
la place à une incertitude qui est le lieu de
l’éthique et de la liberté à partir du
moment où l’individu renonce à une
emprise sécurisante par l’usage
instrumental du temps. Emprise en
provenance du passé vers le présent
(nostalgie et approche morale
prescriptive : les normes, lois, règles,
etc.), ou emprise en provenance du futur
vers le présent (futurologie et approche
évaluative : prévision des conséquences,
principe de précaution, etc.). L’incertitude
apparaît dès lors comme une cause de
souffrance existentielle. Par exemple
l’angoisse de ce qui enferme (le plein) : les
limites, les normes, les dogmes, les
croyances, etc., et angoisse de ce qui
dissout (le vide) : néant, absence,
insécurité, manque de cadre, etc. Cette
incertitude peut provoquer bien des
tourments et un repli vers une servitude
volontaire. La liberté n’est pas un bien que
tous les humains désirent, loin s’en faut, la
servitude est plus rassurante.
2 Une tautologie est le fait de redire la même chose
pour en soulever la puissance.