mise au point Chimioprophylaxie du paludisme pour les séjours de longue durée en zone d’endémie Malaria chemoprophylaxis for long-term travelers T. Ancelle* L a chimioprophylaxie antipalustre n’est pas aussi bien codifiée pour les séjours de longue durée en zone d’endémie que pour les voyages brefs, pour lesquels il existe un consensus général. Les recommandations publiées dans le Bulletin épidémiologique hebdomadaire (1), comme celles édictées par les autres pays occidentaux, restent très succinctes. L’objet de cet article est de dégager quelques règles concrètes de chimioprophylaxie antipalustre à appliquer lors d’un séjour de longue durée, dépassant 6 mois. Population cible * Faculté de médecine Paris Descartes ; consultation des maladies tropicales et parasitaires, hôpital Cochin, Paris. Elle est constituée de quatre grandes catégories. ➤➤ Les expatriés pour raisons professionnelles, dans le cadre d’études scientifiques, de campagnes militaires, de missions humanitaires et religieuses, les membres d’ONG. Ils restent généralement dans un lieu de résidence stable où les risques de transmission sont connus, ont une assez bonne connaissance des risques et acceptent bien les recommandations médicales. ➤➤ Les voyageurs itinérants, type routard. Ils se caractérisent plutôt par leur jeunesse, leur sousévaluation des risques, par des passages en zones de transmission et de chloroquino-résistance différentes, par un éloignement des centres de soins et par un bagage et un budget limités. ➤➤ Les étrangers retournant provisoirement dans leur pays d’origine pour une visite familiale. Leur budget est limité, ils ne sont pas conscients d’avoir perdu leur immunité protectrice, dont bénéficient leurs proches restés au pays, et éprouvent parfois une certaine gêne à prendre pour eux-mêmes des mesures préventives. 216 | La Lettre de l’Infectiologue • Tome XXIII - n° 6 - novembre-décembre 2008 ➤➤ Le personnel aérien navigant. Ils connaissent des expositions discontinues mais pendant de très longues périodes, dans des destinations aléatoires ; une vigilance maximale est nécessaire chez les pilotes. Risque de paludisme au cours des séjours de longue durée Données statistiques générales Environ 14 % à 16 % des cas de paludisme d’importation répertoriés chez des voyageurs originaires de pays non endémiques sont observés chez des personnes ayant séjourné plus de 6 mois en zone d’endémie (2, 3). Ces chiffres sont sous-estimés en raison des cas traités sur place. On estime qu’environ 30 % des expatriés en zone d’endémie contractent un paludisme dans les 2 ans suivant leur installation (4, 5). Le risque de contracter un paludisme augmente avec la durée d’exposition (4), sans contre-effet dû à l’acquisition d’une éventuelle immunité. Chez les expatriés, le risque de paludisme est multiplié par un facteur 4 à 10 en l’absence de chimioprophylaxie (6, 7). En France, la létalité du paludisme s’élève à 10,1 décès pour 1 000 expatriés ayant contracté un paludisme à Plasmodium falciparum (8), quelle que soit la durée du séjour. Elle est 3 fois plus élevée chez les Européens non immuns que chez les Africains, qu’ils soient migrants récents ou de retour de voyage. La longueur du séjour d’un expatrié initialement non immun n’assure aucune garantie de protection visà-vis de la gravité de la maladie. Résumé Cet article passe en revue les risques de paludisme en fonction des groupes cibles et des zones géographiques, les effets indésirables des médicaments antipaludiques observés au cours des prises de longue durée, les méthodes de remplacement (autotraitement, autodiagnostic) et les stratégies de chimioprophylaxie en fonction des caractéristiques du séjour, chez l’adulte, l’enfant et la femme enceinte. Une observance parfaite étant impossible, il importe d’informer le voyageur ou l’expatrié sur les risques réels de paludisme dans les zones où il va résider et sur leur évolution saisonnière. Lorsque ces risques sont faibles, il est possible de proposer un arrêt de la chimioprophylaxie. Les modalités de diagnostic et de traitement d’un accès palustre doivent être longuement expliquées lors de la consultation avant le départ, qui doit devenir un véritable entretien de formation. Risques liés à la zone d’endémie Les risques les plus élevés sont observés en Afrique subsaharienne, d’où proviennent près de 95 % des cas de paludisme d’importation observés en France. L’Inde et le sous-continent indien sont des zones à risque moyen. L’Amérique centrale, l’Amérique du Sud et l’Asie du Sud-Est sont des zones à risque faible, même si certaines régions sont à haut risque, comme l’Amazonie. Risques liés à la densité vectorielle Le risque de contracter le paludisme varie aussi très fortement à l’intérieur même d’une zone d’endémie. Cette variation est proportionnelle au taux de piqûres infectantes, lié à la densité des anophèles, qui croît avec l’éloignement des centres urbains (9). En Afrique le taux d’attaque est 20 à 30 fois plus important en zone rurale qu’au centre des villes (10). Les risques croissent également en fonction du climat : quasiment nuls à la saison sèche en savane aride, ils sont multipliés par un facteur 10 à la saison des pluies en zone de savane humide et en zone forestière. À l’intérieur d’un même “faciès” épidémiologique, la transmission peut varier fortement en fonction de micro-environnements. Schémas de chimioprophylaxie La chimioprophylaxie antipalustre prescriptible en France repose sur 5 médicaments : la chloroquine (Nivaquine®), l’association chloroquine-proguanil (Savarine®), la méfloquine (Lariam®) , le monohydrate de doxycycline (Doxypalu® ou génériques) et l’association atovaquone-proguanil (Malarone®). L’association sulfadoxine-pyriméthamine (Fansidar®), le proguanil seul (Paludrine®) et l’amodiaquine (Flavoquine®) ne sont plus indiqués. La primaquine n’a pas d’autorisation de mise sur le marché (AMM) en France. Les autres antipaludiques (quinine, artémisinine, etc.) ont des propriétés pharmacodynamiques qui ne sont pas compatibles avec les contraintes de la prophylaxie. Le choix d’un antipaludique dépend de la chimiorésis- Tableau I. Schémas de chimioprophylaxie antipaludique (1, 29). Zone Molécules Âge1 Posologie (mg) Nom commercial Retour2 Femme enceinte Limité3 1 Chloroquine A E 100/j 1,5/kg/j Nivaquine® 4 sem. OK 2 Chloroquine proguanil A E 100/j-200/j 1,5/kg/j et 3/kg/j Savarine® Nivaquine® et Paludrine® 4 sem. OK 2 et 3 Atovaquone proguanil A 250/j-100/j Malarone® 7j Possible 11 kg4 E 62,5/j-25/j Malarone® 3 Doxycycline A 100/j 4 sem. Non 8 ans E 100/j ou 50 /j si < 40 kg Doxypalu®, génériques5 3 Méfloquine A 250/semaine Lariam®6 3 sem. Possible 15 kg7 E 5/kg/semaine 1, 2 et 3 Primaquine8 A E 30/j 0,5/kg/j 1 sem. Non Mots-clés Paludisme Chimioprophylaxie Antipaludiques Longs séjours Highlights This paper reviews the risks of malaria according to target groups and geographical areas, the side effects associated with the prolonged use of antimalarial drugs, the alternatives (self-treatment, self-diagnosis), and strategies for chemoprophylaxis according to the characteristics of the long-term stay, in adults, children and pregnant women. A perfect compliance is impossible to achieve. It is thus important to inform the traveler or expatriate about the real risks of malaria in areas where he will reside and its seasonal patterns. Where the risks are low, it is possible to propose a discontinuation of chemoprophylaxis. The methods of diagnosis and treatment of malaria must be explained during the consultation before departure, which must become a real training session. Keywords Malaria Chemoprophylaxis Long-term travel enfant 1. A : adulte, E : enfant. 2. Prolongation du traitement après le retour. 3. Limite inférieure d’âge ou de poids. 4. La Malarone® peut être prescrite hors AMM à partir de 5 kg (½ cp pédiatrique/j de 5 à 7 kg et ¾ de cp pédiatrique/j de 7 à 11 kg) [24, 34, 43]. 5. Il existe de nombreux génériques de monohydrate de doxycycline (Tolexine®, Granudoxy®, etc.). Seul le Doxypalu® possède l’AMM pour l’indication de chimioprophylaxie antipaludique. 6. S’il s’agit de la première cure, commencer les prises 10 jours avant le départ pour vérifier la bonne tolérance sur deux prises hebdomadaires. Pour un long séjour, on peut proposer 3 prises avant le départ, soit un début 17 jours avant. 7. Les auteurs britanniques l’autorisent à partir de 6 kg (¼ cp à 250 mg/sem. de 6 à 15,9 kg) [4]. Les auteurs américains préconisent la dose de 5 mg/ kg/sem. en dessous de 9 kg quel que soit le poids (29). 8. Ce produit ne possède pas l’AMM en France. Prescriptible sous ATU en traitement curatif, il est commercialisé dans de nombreux pays. Les auteurs américains admettent son utilisation en prophylaxie lorsque les autres produits sont contre-indiqués, et sous réserve de consultation spécialisée. Il est contre-indiqué en cas de déficit en G6PD, à vérifier avant usage. Posologie d’après Hill et al. (29). La Lettre de l’Infectiologue • Tome XXIII - n° 6 - novembre-décembre 2008 | 217 mise au point Chimioprophylaxie du paludisme pour les séjours de longue durée en zone d’endémie tance de P. falciparum vis-à-vis de la chloroquine et des autres antipaludiques. Les pays d’endémie se répartissent en 3 zones en fonction de la chloroquino-résistance (CR) ; absence de CR présence de CR ou prévalence élevée de CR et multirésistance (1). Le tableau I, page 217 résume les différents schémas de chimioprophylaxie chez l’adulte et l’enfant en fonction de ces zones. Effets indésirables des antipaludiques en prise prolongée Chloroquine Utilisé depuis plus de 50 ans, en chimioprophylaxie du paludisme ou, à des doses plus fortes, dans le traitement du lupus et d’autres maladies systémiques, ce produit bénéficie du recul le plus grand. Sa tolérance est excellente aux doses usuelles. Les mentions légales n’indiquent pas de limite de durée d’utilisation. Cependant, le risque de toxicité rétinienne apparaît à partir d’une dose totale cumulée de 100 g, ce qui correspond à une durée continue d’utilisation de 3 à 6 ans (selon la dose hebdomadaire, qui va de 300 à 600 mg/­semaine). Lorsque cette dose cumulée est atteinte, il est recommandé de pratiquer un examen de contrôle ophtalmologique bisannuel (10). Proguanil Utilisé depuis plus de 40 ans, le proguanil bénéficie aussi d’un grand recul. La tolérance est bonne. Les effets indésirables à type d’intolérance gastrique et d’aphtose cèdent en général avec la durée. Aucune des études réalisées, dont la plus significative portait sur 96 personnes-années, n’a montré d’effets indésirables liés à la durée du traitement (11). Savarine® Il n’y a pas de limite de durée d’utilisation pour cette association de la chloroquine et du proguanil. Les effets indésirables propres à l’association (douleurs abdominales) n’ont pas été reliés à la durée d’utilisation (12, 13). Méfloquine Les mentions légales n’indiquent pas de limite de durée d’utilisation. Le recul le plus long publié porte sur une période de 2,5 ans (13). On retrouve 7 cas de survenue d’effets sévères pour 1 000 utilisateurs (14). 218 | La Lettre de l’Infectiologue • Tome XXIII - n° 6 - novembre-décembre 2008 Les effets neuro-psychiatriques – principalement des syndromes psychotiques et des crises d’angoisse aiguë (17) – sont les plus fréquents, avec 1 cas sévère pour 100 000 personnes-semaines (15, 16). Le risque est plus élevé chez les femmes et en cas d’antécédents psychiatriques (18). Les effets apparaissent précocement. La survenue d’effets tardifs est peu probable si la tolérance a été bonne en début de cure (13). Doxycycline Les risques de photosensibilisation ont été démontrés lors de prescription de longue durée (60 mois) à des doses de 200 mg/j (19). Des études portant sur des périodes de 1 an montrent une bonne tolérance aux doses prophylactiques (100 mg/j) dans plus de 95 % des cas (20). Atovaquone Son utilisation en longue durée a été étudiée chez des sujets atteints de sida dans la prophylaxie de la pneumocystose et d’autres infections. Plusieurs essais avec un recul de 6 mois à 3 ans (21-23) montrent des fréquences d’effets indésirables obligeant à arrêter le traitement dans 19 à 24 % des cas (22), mais à des doses 3 à 6 fois plus élevées que les doses prophylactiques antipaludiques. Malarone® La durée d’administration maximale de l’association atovaquone-proguanil est limitée à 3 mois dans l’AMM française ; il n’y a pas de limite aux ÉtatsUnis (24). Trois essais contrôlés évaluant l’utilisation combinée des deux molécules à des doses utilisées pour la prévention du paludisme sur des périodes de 20 à 34 semaines ont montré une excellente tolérance (25-27). Néanmoins, la Malarone® est associée dans 12 % des cas à des effets indésirables modérés à type de vertiges et d’insomnie, nécessitant l’arrêt de la prophylaxie chez 2,4 % des voyageurs (28). Primaquine La primaquine, non autorisée en France, est considérée par les auteurs américains (29) comme efficace et sans danger chez les patients ne présentant pas de déficit en G6PD. Elle a une action radicale sur les stades intrahépatiques. L’indication de sa prescription réside plutôt dans le “déparasitage” du retour, notamment après les séjours en zone d’en- mise au point démie à P. vivax. Un essai portant sur une période de 52 semaines conclut à une bonne tolérance du produit malgré une méthémoglobinémie moyenne de 5,8 % à 50 semaines, diminuant de moitié dans les 7 jours suivant l’arrêt de la prophylaxie (30). De façon générale, le risque de survenue d’effets indésirables dus à un antipaludéen plafonne au bout d’un certain temps (4). En dehors de l’effet cumulatif de la chloroquine, il n’y a pas d’augmentation de la fréquence des effets indésirables en fonction de la durée d’utilisation pour l’ensemble des molécules utilisées à des doses de chimioprophylaxie. Dans les zones de forte transmission, le risque de contracter un paludisme reste beaucoup plus élevé que le risque d’effets indésirables (31). Attitudes et pratiques de prévention et de traitement du paludisme chez les expatriés Spécificité de la population Les expatriés appartiennent à une communauté restreinte, souvent privée de référents médicaux spécialisés et échangeant des informations en circuit fermé. Progressivement, les conseils du prescripteur vu en France avant le départ s’estompent, et les stratégies adoptées se calquent sur celles de l’entourage local. Les expatriés ont en outre la possibilité de se procurer des médicaments antipaludiques non commercialisés en France, mais autorisés par les autorités sanitaires d’autres pays. Il est donc nécessaire, pour le prescripteur, de connaître l’existence de ces produits et d’informer le patient de leurs caractéristiques. Il est prudent d’avertir également le patient de l’existence de nombreuses contrefaçons et de leurs dangers : absence de molécule active, date de péremption dépassée, dosage erroné, adjuvants toxiques ou allergisants, etc. Observance Elle est faible chez les voyageurs au long cours (32) et diminue au cours du temps, s’effondrant à 29 % chez les sujets effectuant des séjours de plus de 3 mois (33). Les causes de mauvaise observance sont diverses (tableau II). L’abandon est encore plus fréquent lorsque la prophylaxie est quotidienne plutôt qu’hebdomadaire. En prenant acte de ce phénomène, il est préférable, lors de la consultation du départ, d’adopter une attitude réaliste et adaptée, plutôt que d’appliquer avec rigidité un schéma qui a toutes les chances de ne pas être suivi. Autotraitement ou traitement de réserve Il s’agit du traitement décidé par le malade lui-même ou par son entourage lorsqu’un accès de paludisme est suspecté. Cette attitude est admise lorsqu’il est impossible pour le malade d’être pris en charge par une structure médicale dans les 24 heures suivant le début d’un accès présumé et pour toutes les personnes qui ne prennent pas de chimioprophylaxie et qui vivent en zone d’endémie, quel que soit le niveau de risque. L’autotraitement (tableau III, page 222) ne se conçoit que par la prise, par voie orale, de médicaments d’action rapide, et vis-à-vis desquels les résistances sont encore rares (atovaquone-proguanil, méfloquine, artésunate-luméfantrine, quinine). Le patient doit avoir sous les yeux l’ordonnance lui rappelant le nombre de comprimés à prendre à chaque prise et les conditions d’administration. Si le patient est déjà sous chimioprophylaxie, il est logique et impératif qu’il utilise un autre produit ; mais la Malarone® pourrait être mise en échec chez des patients sous Savarine® et l’halofantrine n’est pas recommandée en cas de prise de méfloquine (résistances croisées). L’autotraitement est une attitude rationnelle et efficace mais ses dangers sont nombreux (tableau IV, page 222). Dès que la situation le permet, tout autotraitement doit être complété par une consultation médicale, ayant pour but d’évaluer son efficacité, de vérifier a posteriori la nature palustre de l’accès (sérologie, Tableau II. Causes de mauvaise observance d’une chimioprophylaxie de longue durée. • Raisons justifiées – Effets indésirables réels, cumulatifs pour certaines molécules (chloroquine) – Coût élevé – Absence de disponibilité des produits dans la région de résidence – Limites de durée de prise selon les mentions légales (AMM) – Recours à l’autotraitement en cas de crise – Efficacité imparfaite (de 75 % à 95 % selon Chen et al. [32]) • Mauvaise information – Difficulté d’évaluation du rapport bénéfices/risques – Méconnaissance du risque de paludisme en zone de faible incidence – Effets indésirables supposés, attribués à cause de symptômes dus à d’autres facteurs – Survenue d’accès palustre chez des proches sous chimioprophylaxie – Doutes sur l’efficacité, alimentés par des accès fébriles faussement étiquetés comme accès palustre – Croyance en une meilleure immunité acquise en l’absence de chimioprophylaxie – Avis divergents des médecins sur l’efficacité et les effets indésirables – Avis fantaisistes glanés sur les forums Internet • Attitudes néfastes – Lassitude due à l’astreinte de prises régulières – Insouciance quant au risque réel – Mimétisme avec l’attitude de l’entourage indigène immun – Refus de contrôles sanguins réguliers pour vérifier les fonctions hépatiques La Lettre de l’Infectiologue • Tome XXIII - n° 6 - novembre-décembre 2008 | 219 mise au point Chimioprophylaxie du paludisme pour les séjours de longue durée en zone d’endémie Tableau III. Posologie des traitements de réserve du paludisme simple chez l’adulte. Nom commercial DCI Dosage en mg/cp Posologie adulte en comprimés pour un poids de 60kg Grossesse Malarone® Atovaquone-proguanil 250-100 4/j x 3 j Oui 2e ligne Lariam® Méfloquine 250 3 à H0 + 2 à H8 + 1 à H161 Oui 2e ligne Riamet®2 Artéméther-luméfantrine 20-120 4 à H0, H8, H24, H36, H48, H60 Non Surquina® Quinimax®4 Quinine3 Quinine3 250 500 2 x 3/j x 7 j 1 x 3/j x 7 j Oui Oui Halfan®5 Halofantrine 250 2 à H0,H6, H12 + 2e cure à J7 Non 1. Si poids < 60 kg, ne pas administrer le dernier comprimé (H16). 2. Disponible dans de nombreux pays sous le nom de Coartem®. 3. 8 mg/kg de quinine base toutes les 8 heures, soit 24 mg/kg/j. Ne pas dépasser 2,5 g/j. 4. Le dosage du Quinimax® comprend le total de l’ensemble des alcaloïdes, soit pour un comprimé à 500 mg : quinine 480 mg, quinidine 13,2 mg, cinchonine 3,4 mg et cinchonidine 3,4 mg. Les autres quinines utilisables par voie orale disponibles dans le commerce sont peu recommandées en autotraitement en raison de la difficulté d’adapter la posologie en quinine base, dont la teneur varie en fonction des sels (quinine chlorhydrate Lafran® 1 cp à 500 mg = 449,50 mg de quinine base ; quinine sulfate Lafran® 1 cp à 500 mg = 414 mg de quinine base). 5. Non indiqué a priori en autotraitement en raison du risque de mort subite dû à l’allongement de l’intervalle QT chez les sujets prédisposés. Il est impératif de réaliser un électrocardiogramme préalable pour vérifier la conduction auriculo-ventriculaire. Les modalités de la seconde cure (dose réduite) ne sont pas codifiées. Tableau IV. Le traitement de réserve (ou autotraitement). • Critères de choix Absence de structure médicale accessible en moins de 24 heures Zone de faible transmission à P. falciparum (Asie, Amérique, Inde du Nord et du Sud) Zones d’endémie exclusive à P. vivax (Proche-Orient et Moyen-Orient) Intersaisons à transmission diminuée Expositions répétitives et fragmentées (personnel navigant) Patient adulte, responsable, avec éducation préalable Prescription écrite et détaillée • Avantages Diminution de l’imprégnation médicamenteuse Diminution des effets indésirables cumulatifs Coût très inférieur à celui de la chimioprophylaxie Solution de remplacement d’une chimioprophylaxie impossible • Inconvénients Effets indésirables des fortes doses Risque de retard au diagnostic de paludisme Risque de faux diagnostic de paludisme et d’utilisation abusive Méconnaissance d’une autre pathologie grave nécessitant une prise en charge rapide (fièvre hémorragique, typhoïde, amibiase tissulaire, etc.) Dosages mal adaptés, sous-dosage, surdosage Inefficacité en cas de vomissements Malabsorption de la Malarone®, si la prise n’accompagne pas un repas Résistance locale au produit test immunochromatographique) et de rechercher d’autres causes si les symptômes persistent. Chez l’enfant, sauf en cas de force majeure, l’autotraitement ne doit pas être conseillé aux parents comme attitude systématique préalablement à un séjour. L’autotraitement est actuellement recommandé comme stratégie de remplacement de la chimioprophylaxie par les autorités sanitaires suisses et allemandes pour les séjours en zone de faible risque d’Asie du Sud-Est et d’Amérique centrale et australe. Autodiagnostic Il existe sur le marché des trousses de diagnostics rapide par immunochromatographie. Très maniables et peu encombrants, ces tests ont des performances suffisam- 222 | La Lettre de l’Infectiologue • Tome XXIII - n° 6 - novembre-décembre 2008 ment élevées en termes de sensibilité (> 90 %) et de spécificité (> 95 %) [29] pour être utilisés maintenant dans de nombreux dispensaires de zones d’endémie et en complément au frottis et à la goutte épaisse dans les laboratoires équipés. Néanmoins, leur utilisation par des novices est loin d’être satisfaisante. La plupart du temps, l’utilisateur isolé est en situation de stress dû à la fièvre, aux céphalées, aux frissons, et ces circonstances ne favorisent pas la réalisation de gestes techniques précis ni une interprétation correcte. Par ailleurs, les composés du test risquent de s’altérer s’ils sont conservés dans de mauvaises conditions. Ces raisons ont conduit à ne pas recommander leur pratique en autodiagnostic (34). Néanmoins, il ne faut pas les rejeter totalement, surtout dans les situations d’isolement de longue durée. Les arguments en faveur de leur utilisation sont la stabilité du lieu de résidence qui permet la conservation des trousses au froid ; la possibilité de faire réaliser le test par l’entourage familial ou professionnel du malade ; et surtout la formation initiale précédant le départ, qui peut être réalisée dans le cadre du service médical de l’entreprise. Ces tests sont disponibles dans la plupart des pays européens et au Canada. Quelle stratégie de chimioprophylaxie pour un séjour de longue durée ? Les attitudes de prévention sont extrêmement diverses selon les pays. La Suisse, l’Allemagne et la Grande-Bretagne ont adopté le principe de ne plus préconiser de chimioprophylaxie systématique dans les zones de faible risque, considérant que le risque d’effets indésirables des médicaments est plus élevé que le risque de paludisme (29). Des auteurs de plusieurs pays européens regroupés mise au point autour du réseau TropNet Europ ont récemment proposé d’abandonner la chimioprophylaxie systématique pour les voyageurs en Inde, au Pakistan, au Bangladesh et au Sri Lanka (35). La même attitude a été proposée pour la plupart des pays d’Amérique centrale et du Sud (hormis la Guyane et le Surinam) [36]. À l’inverse, les recommandations américaines préconisent une chimioprophylaxie systématique quel que soit le risque. En France, les recommandations du Bulletin épidémiologique hebdomaire de 2008 (1) préconisent, pour les premiers séjours, une chimioprophylaxie adaptée à la zone, pendant les 6 premiers mois, dans les pays où elle est recommandée pour les séjours brefs et, ensuite, de moduler la prise ou de l’interrompre en fonction des risques. Les propositions qui suivent sont des tentatives d’approche pragmatique et ne font pas l’objet d’un consensus formel. Dans les villes et zones sans transmission La liste des pays indemnes de transmission palustre peut être consultée sur les sites internet spécialisés (1, 37). En outre, dans de nombreux pays d’endémie, il existe des villes ou des zones entières où l’absence de transmission locale est avérée. Des informations plus fines sur ces zones peuvent être trouvées dans des documents de référence (4, 38, 39). Il est donc légitime de ne prendre aucune chimioprophylaxie en cas de séjour limité à ces lieux. Cette attitude peut être adoptée également dans les pays à très faible risque de transmission. En cas de voyage à l’extérieur de ces zones, il est nécessaire de prendre une chimioprophylaxie classique de court séjour, en respectant les durées de prise après le retour en zone protégée. Dans les zones de transmission saisonnière Une chimioprophylaxie saisonnière ne se conçoit que dans les zones de transmission fortement contrastée, où la transmission disparaît presque complètement pendant les saisons sèches. Cette stratégie nécessite une connaissance du terrain et doit s’appuyer sur les études épidémiologiques locales. Les sites de l’International Association for Medical Assistance to Travellers (IAMAT) [40] ou de l’Atlas du risque de la malaria en Afrique (MARA/­ARMA) [41] permettent d’obtenir une information précise sur les saisons à risque de transmission. Mais ces informations reposent sur des modèles théoriques, et la réalité du terrain peut varier de façon aléatoire. Il ne faut pas arrêter la chimioprophylaxie saisonnière avant au moins 1 mois après la fin de la période de transmission, et il faut la reprendre sans tarder dès la reprise. Cette pratique nécessite le plus haut degré d’éducation du patient. Dans les zones de transmission pérenne et à risque élevé de transmission On peut distinguer deux périodes, avant et après le 6e mois de séjour. ➤➤ Pendant les six premiers mois du séjour, un consensus général préconise une chimioprophylaxie systématique. Compte tenu des zones de résistance, toutes les molécules du tableau I peuvent être prescrites pendant cette période. Le dépassement de prise de Malarone® au-delà de 3 mois est admis, bien que hors AMM, la seule limite étant son coût prohibitif (environ 120 € par mois). ➤➤ Au-delà de 6 mois, plusieurs attitudes peuvent être adoptées : – soit continuer la chimioprophylaxie systématique, en proposant un contrôle médical annuel au moment d’un renouvellement, avec bilan clinique et biologique. Mieux vaut choisir le produit pour lequel on prévoit la meilleure observance par le patient (coût faible, simplicité de prise) que le produit théoriquement le plus efficace. L’alternance entre différents produits réduit les risques d’effets indésirables cumulatifs. En cas d’intolérance à un produit, on changera de molécule en respectant les zones de résistance, un antipaludique efficace en zone n (2 ou 3) l’étant a fortiori en zone n-1 (1 ou 2). En cas d’impossibilité d’utiliser un produit adapté à la zone 3, il est raisonnable d’utiliser l’association chloroquine-proguanil, encore efficace sur une certaine proportion de souches de Plasmodium (31) ; – soit interrompre la chimioprophylaxie. Cette attitude peut être suivie sans trop de risque dans les pays à niveau moyen de transmission (Amérique latine, Asie) [4,38]. Dans les pays à niveau élevé de transmission, l’arrêt de la chimioprophylaxie nécessite la plus grande vigilance : identification préalable d’un médecin local ou d’une structure de soins capable d’une prise en charge efficace et précoce, consultation dès la moindre poussée fébrile, traitement de réserve à disposition en permanence, protections antivectorielles strictes. Toutes ces mesures sont à renforcer lors des différents déplacements hors du domicile habituel, au cours desquels une reprise de la chimioprophylaxie peut être envisagée. La Lettre de l’Infectiologue • Tome XXIII - n° 6 - novembre-décembre 2008 | 223 mise au point Chimioprophylaxie du paludisme pour les séjours de longue durée en zone d’endémie Dans les régions d’endémie à P. vivax et P. ovale Dans les régions d’endémie exclusive à P. vivax ou P. ovale, il est raisonnable de s’abstenir de chimioprophylaxie longue et de se contenter de traiter les accès. Les auteurs américains préconisent la pratique d’une “chimioprophylaxie finale” par la primaquine pendant une semaine après le retour (32, 39) [tableau I]. Éducation du patient avant le départ La consultation précédant un départ pour un long séjour doit être une véritable séance d’éducation, expliquant la physiopathogénie du paludisme, le mode de contamination, leurs conséquences pratiques en termes de prévention, la gravité de l’infection à P. falciparum, ses grandes manifestations cliniques et la rapidité évolutive de la maladie nécessitant une prise en charge précoce. Il est utile de faire comprendre qu’aucune chimioprophylaxie, même correctement suivie, n’est efficace à 100 %. Si un traitement de réserve est prescrit, ses limites et ses dangers doivent être soigneusement détaillés. Terrains particuliers Femmes enceintes Si une femme est enceinte avant son départ, les recommandations, conseils de prudence et contreindications des antipaludiques sont les mêmes que pour les voyages brefs. Le problème principal réside dans la survenue d’une grossesse au cours du séjour. Il est impératif qu’une femme enceinte ne pouvant pas revenir en France bénéficie du maximum de protection antivectorielle et d’une chimioprophylaxie efficace. Si celle-ci avait été interrompue, elle doit être reprise pour la durée de la grossesse, même hors des zones de transmission élevée. Chloroquine et proguanil sont autorisés sans restriction. En zone 3, bien qu’elles ne soient pas formellement conseillées, la méfloquine et l’atovaquone-proguanil peuvent être utilisées quel que soit le terme de la grossesse si le risque de paludisme est élevé (42). La doxycycline est formellement contre-indiquée à partir du 2e trimestre de la grossesse et déconseillée au 1er trimestre. 224 | La Lettre de l’Infectiologue • Tome XXIII - n° 6 - novembre-décembre 2008 Enfants La prophylaxie de longue durée n’entraîne pas d’effets indésirables plus fréquents ou plus graves chez l’enfant que chez l’adulte. La méfloquine et la Malarone® peuvent être utilisées hors AMM chez les enfants en bas âge (voir doses et limites de poids dans le tableau I). Si la chimioprophylaxie est interrompue, il faut s’assurer que l’enfant puisse être pris en charge médicalement (laboratoire diagnostique, traitement) très rapidement. L’autotraitement, non évalué chez l’enfant, est déconseillé a priori et seulement utilisable en cas de force majeure. Conclusion La prophylaxie antipalustre pour un séjour de longue durée est encore mal codifiée, et le juste milieu entre négligence et excès de précaution est difficile à trouver. La prescription de la chimioprophylaxie chez les voyageurs au long cours est un acte qui doit être individualisé, au cours d’une consultation spécialisée. Les effets indésirables des produits imposent une réflexion et un calcul des rapports bénéfices/risques. La connaissance fine des risques de transmission dans le lieu de séjour et les méthodes de protection antivectorielle bien appliquées permettent de réduire la prescription systématique et indifférenciée. En revanche, il est des situations où le risque est tel qu’il est nécessaire de se protéger par des médicaments. Quoi qu’il en soit, la recommandation la plus efficace reste la formation du sujet sur les risques encourus et sur l’attitude à tenir en fonction de son environnement. En définitive, il vaut mieux une absence de chimioprophylaxie bien assumée par un sujet responsable et informé des risques qu’il court, connaissant bien les signes annonciateurs d’un accès et maîtrisant les modalités d’un traitement présomptif, qu’une confiance aveugle dans la protection incomplète apportée par une chimioprophylaxie négligente et irrégulière. ■ Retrouvez les références bibliographiques sur le site : www.edimark.fr Chimioprophylaxie du paludisme pour les séjours de longue durée en zone d’endémie mise au point Références bibliographiques 1. Recommandations sanitaires pour les voyageurs 2008. BEH 2008;25-26:225-36. www.invs.sante.fr/beh/2008/25_26/ beh_25_26_2008.pdf 2. Legros F, Vaugier I, L’Mimouni B, Arnaud A, Danis M. Rapport d’activité 2005 (données 2004) CNREPIA 2005 www.med.univ-angers.fr/anofel/cnrepia/B18.pdf 3. Leder K, Black J, O’Brien D et al. Malaria in travelers: a review of the GeoSentinel surveillance network. Clin Infect Dis 2004;39:1104-12. 4. 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