RSCA N° 2
Juin 2013, début du stage aux urgences et le rythme est complètement différent
de la gériatrie ! Beaucoup de passages tous les jours et beaucoup de pathologies !
Parmi tous les patients, Mr D, 62 ans attent patiemment dans son box. Il est
adressé par un médecin généraliste pour perturbation du bilan biologique dans
un contexte d’altération de l’état général et de douleurs de l’hypochondre droit
depuis environ une semaine. Le patient est d’origine guinéenne, et ne parlant pas
très bien français, l’interrogatoire est assez difficile.
Il a l’air effectivement d’être asthénique et il est également légèrement
dyspnéique.
Grace à la lettre du médecin généraliste, j’apprends que le patient présente
comme comordités :
_ un diabète de type 2 sous anti diabétiques oraux (Metformine et
Amarel)
_ une HTA sous trithérapie (Triatec, Eupressyl et Loxen)
_ une dyslipidémie non traitée.
Le traitement du patient comprend également du Kardegic.
Je décide, avant de regarder les résultats biologiques, de creuser un peu plus
l’histoire. En fait Mr D est revenu il y a 1 mois de Nouvelle Guinée où il a passé 2
mois environ, dans la campagne chez sa famille. Lorsque je lui demande s’il a pris
une chimio prophylaxie, il ne comprend pas vraiment de quoi je parle et me dit
avoir pris seulement ses médicaments habituels et qu’il n’a eu aucun problème
de santé durant son séjour sur place. Je sens qu’il ne comprend pas bien
pourquoi je lui pose autant de questions sur son voyage.
Puis je lui demande de me parler de ses symptomes. Il me raconte avoir eu
depuis son retour une dyspnée d’effort d’aggravation progressive. Les autres
symptomes sont apparus plus récemment. L’asthénie et l’anorexie il y a environ
une semaine puis de la fièvre pendant quelques jours mais qui n’a jamais été
objectivé. Enfin depuis 2 jours il présente des douleurs de l’hypochondre droit
sans troubles du transit et des douleurs thoraciques diffuses.
Le bilan biologique une bicytopénie avec une anémie normocytaire à 7,9 g/dL
sans hémorragies extériorisées et des plaquettes à 31 000.10^12, une
augmentation de la bilirubine totale avec une petite cytolyse hépatique et une
augmentation de la créatinine.
Cliniquement, le patient est apyrétique et les constantes hémodynamiques sont
correctes. On retrouve un souffle systolique aortique non connu du patient, une
auscultation pulmonaire sans particularités, un ventre souple mais sensible en
hypochondre droit et en épigastre. Les urines sont hématuriques et le patient
décrit une dysurie sans brulures mictionnelles. Il n’y a pas de globe.
L’examen neurologique est également sans particularités. Le patient est
normovigilant et orienté. Il n’y a pas de céphalées, pas de syndrome méningé,
pas de signes de localisation en faveur d’emboles septiques.
Dans ce contexte d’altération de l’état général avec fièvre au retour de voyage je
pense évidemment en 1er lieu à l’accès palustre.
Par la suite le diagnostic est effectivement confirmé par la présence de parasite
sur le frottis sanguin. Le bilan biologique revient perturbé avec : Hb 7, VGM 81,
Plq 30000, Na 128, K 5, Urée 25,6, Créat 300, DFG 20, PAL 119, Bili 49, pas de
cytolyse hépatique, CRP 215, troponine négative.
L’ECG était sans anomalies.
Je me pose alors la question de quelle sera ma prise en charge? Ce patient a t-il
besoin d’être hospitalisé ou peut-il être pris en charge en ambulatoire ? Que faire
pour améliorer la prévention du paludisme chez cette population de migrants et
quelle place joue le médecin généraliste dans cette prévention ?
1) Prise en charge du paludisme aux urgences
A) Généralités
En 2010, environ 2500 cas recensés par le CNR paludisme mais on estime le
nombre réel de cas en France à 5000. Ceci représente environ 1% des voyageurs
en zones impaludés. La plupart des personnes atteintes proviennent de pays
africains (surtout Cameroun, Côte d’Ivoire et Guinée).
L’espèce prédominante est le Plasmodium falciparum (environ 86% des
malades).
Conduite à tenir face à une suspicion de paludisme aux urgences
Le diagnostic parasitologique doit être réalisé rapidement et doit être obtenu
avant de commencer le traitement. Il se fait généralement sur un frottis/goutte
épaisse. Cependant, si celui-ci s’avère négatif ou s’il y a eu prise d’un traitement
antipaludique, on effectue un test de diagnostic rapide.
Le délai entre le prélèvement et le résultat doit être maximum de 2 heures pour
éviter un retard supplémentaire dans la prise en charge.
Dans le cas où un facteur de gravité est associé à la forte suspicion clinique de
paludisme, le traitement curatif peut-être commencé d’emblée.
La prise en charge ultérieure résulte de la présence ou non de signes de gravité.
B) Accès grave : définition et traitement
On recensait en France en 2010, 180 cas graves soit 7% des patients.
Le critère grave ou non d’un accès palustre a été défini par l’OMS en 1990 puis en
2000 et est fonction de la présence des critères clinico-biologiques répertoriés
dans le tableau ci-dessous.
Devant la présence d’un de ces signes de gravité, il est recommandé de prendre
un avis réanimation sans pour autant retarder la prise en charge thérapeutique
et symptomatique. Après avis, le patient pourra être orienté soit :
En unité de réanimation « lourde » si coma (Glasgow < 11),
convulsions répétées, toute défaillance respiratoire, toute
défaillance cardio-circulatoire, acidose métabolique et/ou
hyperlactatémie, hémorragie grave, insuffisance rénale imposant
l’épuration extra-rénale, hyperparasitémie isolée marquée (> 15
%)
En unité de surveillance continue (ou « post-réanimation ») pour
les patients moins sévères mais à risque d’aggravation rapide :
simple confusion/obnubilation, convulsion isolée, hémorragie
mineure, ictère franc isolé, hyperparasitémie isolée (en règle de 10
à 15 %), insuffisance rénale modérée, anémie isolée bien tolérée.
Dans ce type d’unité, pourront aussi être pris en charge
initialement les patients sans signe de gravité stricto sensu mais
fragiles : patient âgé, patient avec comorbidités, infection
bactérienne associée, voire patient nécessitant un traitement par
quinine IV quelle qu’en soit la raison (vomissements, femme
enceinte...). La femme enceinte doit être prise en charge
conjointement avec les obstétriciens.
Enfin selon l’expérience des services dans la gestion du paludisme,
les patients orientés en unité de surveillance continue, peuvent
être aussi pris en charge dans certaines unités de médecine. Dans
ce cas, la proximité d’un service de réanimation est néanmoins
primordiale, pour pouvoir assurer immédiatement le relais de la
prise en charge en cas d’aggravation.
Le seul traitement de référence était jusqu’en 2011 un traitement IV par quinine.
Depuis 2011, suite à la publication de plusieurs études randomisées en Asie du
Sud Est (MEAQUAMAT) et en Afrique (AQUAMAT) démontrant la supériorité de
l’artésunate IV par rapport à la quinine IV et de moindres effets secondaires,
l’artésunate bénéficie maintenant d’une ATU et est le traitement recommandé
pour les accès graves. En effet, dans l’étude MEAQUAMAT on constatait une
réduction de mortalité de 34,7% et de 22,5% dans l’étude AQUAMAT, ainsi
qu’une réduction des séquelles notamment neurologiques.
Modalités du traitement :
Quinine : dose de charge 16 mg/kg pendant 4h dans du G5 ou G10
puis dose d’entretien à la fin des 4h à 24 mg/kg/j avec un relais
per os dès que possible.
Durée : 7 jours
Contre-indications à la dose de charge : QTc long > 25%,
traitement curatif par Quinine (dans les 2 jours), méfloquine ou
halofantrine (dernière prise dans les 12h)
Surveillance : ECG (allongement QT), quininémie tous les jours
pendant 3 jours, glycémie (toutes les heures pendant la dose de charge
puis toutes les 4h), parasitémie à J3, J7 et J28.
Artésunate : 2,4 mg/kg en bolus IV à H0, H12 et J1 puis une dose
tous les jours.
Durée : 7 jours
Traitement des défaillances d’organes :
Coma : recherche d’une hypoglycémie, intubation oro-trachéale,
prévention de l’œdème cérébral, correction d’une hyponatrémie
Déshydratation : solutés cristalloides
Prise en charge d’un SDRA
IRA : épuration extra rénale en urgence si persistance après
réhydratation
Choc et acidose : rechercher une co-infection bactérienne et
envisager antibiothérapie
Thrombopénie : si <20000 ou si hémorragie transfusion de
concentrés plaquettaires
Anémie si mauvaise tolérance : transfusion
Dans le cadre de notre patient, il y avait un seul signe de gravité à savoir l’IRA. Le
patient a ainsi été transféré en USIC néphrologique avant d’être transféré
quelques jours après en maladie infectieuse devant l’amélioration après
réhydratation de sa fonction rénale.
C) Accès simple : prise en charge
Un accès palustre simple est défini comme étant donc sans signes de gravité et
sans signes d’un quelconque dysfonctionnement au niveau des organes vitaux.
En l’absence de vomissements, la prise en charge en ambulatoire est possible si
tous les critères ci-dessous sont réunis :
Disponibilité d’un diagnostic parasitologique fiable (contact direct
entre le médecin et le biologiste),
Absence de situation d’échec d’un premier traitement
Paludisme simple, sans aucun signe de gravité clinique ou
biologique,
Absence de trouble digestif
Absence de facteur de risque : sujet physiologiquement âgé, sujet
fragilisé par une pathologie sous-jacente, notamment cardiopathie,
patient splénectomisé,
Absence de grossesse
Patient entouré
Garantie d’une bonne observance et d’une bonne compréhension
des modalités du traitement (déficit intellectuel, difficultés
linguistiques...),
Garantie d’une délivrance immédiate du traitement à la pharmacie
(enquête économique auprès du patient, disponibilité d’un stock
d’antipaludiques dans les pharmacies de proximité),
Résidence à proximité d’un établissement hospitalier, contact
médical identifié, n° de téléphone fourni,
Possibilité d’une consultation de suivi à J3, J7 et J28 (à défaut,
possibilité d’appel téléphonique pour s’enquérir d’une évolution
favorable)
Si toutes les conditions sont réunies, les recommandations de l’OMS pour le
traitement des accès simples est en :
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