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L’impact des revenus agricoles sur la transformation du paysage
urbain du département de Soubré.
KOUADIO Yao Daniel
Docteur en géographie. E-mail : k.yaodani[email protected]
ALOKO-N’GUESSAN Jérôme
Directeur de recherche (CAMES), Directeur de l’Institut de Géographie Tropicale (IGT).
Université Félix Houphouët Boigny de Cocody (Côte d'Ivoire). E-mail : alokojerome@yahoo.fr
RESUME
L’exécution du programme d’aménagement du Sud-ouest (ARSO) initié par l’Etat
dans les années 1969/1970 a favorisé le désenclavement de la région du Bas-Sassandra à
laquelle appartient le département de Soubré. Dès cet instant, le département qui était "vide
d’hommes" et économiquement pauvre par rapport aux autres régions forestières du pays,
devient très vite une zone à forte charge économique basée sur le dynamisme de l’économie
de plantation. Précisément à partir des années 1975/1976, les planteurs ont tiré un meilleur
profit du développement de l’économie de plantation. Ils ont par conséquent consacré leurs
revenus essentiellement aux dépenses occasionnelles (telles que les rituels, les fêtes, les
frais scolaires, les voyages), aux dépenses pour l’exploitation agricole et aux
investissements en dehors de la région d’accueil.
Cependant durant ces dix dernières années, les investissements réalisés par les
planteurs ont lieu d’une part dans leurs milieux immédiats d’habitat c’est-à-dire soit dans les
campements soit dans les villages et d’autre part, de plus en plus dans les villes.
Mots clés: Côte d’Ivoire, département de Soubré, revenus agricoles, investissements
immobiliers urbains
ABSTRACT
The implementation of the South-west planning program (ARSO) initiated by the
State the 1969/1970 years promoted the opening up of the Bas-Sassandra which belongs
to the department of Soubré. From that moment, the department was "empty of men" and
economically poor compared to other forest areas of the country, quickly became a high
economic burden area based on the dynamism of the plantation economy.
Precisely from the 1975/1976 years, growers have taken better advantage of
development of the plantation economy. They therefore spent their income mainly to
occasional expenses (such as rituals, holidays, school fees, and travel), expenses for the
farm and investments outside the host region.
However during the last ten years, the investments made by farmers place one hand
in their immediate areas of habitat that is to say either in the camps or in villages and other,
increasingly in cities.
Tags: Ivory Coast, department of Soubré, farm incomes, investments urban real
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1 Introduction
Le département de Soubré renferme une forte population rurale de 532 977 ruraux
sur 628 592 habitants (RGPH, 1998). Parmi ces ruraux, nous dénombrons 11 469 planteurs
(ANADER, 2013) de cultures de rente installés dans les villages d’enquête. Ces cultures font
du département l’un des pôles économiques les plus importants et les plus dynamiques de la
Côte d’Ivoire. Malgré la prépondérance de l’activité agricole dans le tissu économique
départemental, les planteurs qui détiennent le pouvoir économique semblent exercer une
faible influence dans le développement des villes du département de Soubré. Dans les
manifestations des relations campagnes-villes, on perçoit mal les investissements des
acteurs agricoles dans l’aménagement de l’espace urbain.
C’est pour répondre à ces paradoxes que nous nous intéressons à la production de
cet article. D’où les questions suivantes: comment cette importante population agricole
contribue-t-elle en terme d’investissements à l’organisation et à la transformation du paysage
des villes du département de Soubré ? Le principal objectif de cette recherche est de
montrer l’impact des revenus de l’économie de plantation sur la transformation de l’espace
urbain du département de Soubré. Pour ce faire, les objectifs secondaires sont énoncés de
la façon suivante: analyser la composition ethnoculturelle de la force de travail agricole,
évaluer les revenus monétaires tirés de ces produits par les planteurs et montrer les
mutations du paysage urbain dues aux revenus agricoles à travers le financement de
l’immobilier urbain. De ces interrogations, découle l’hypothèse que le financement de
l’immobilier urbain du département de Soubré est lié aux revenus tirés de l’économie de
plantation.
2 Méthodologie
L’étude réalisée a permis de comprendre l’affectation des revenus de l’économie de
plantation dans les investissements urbains. Nous avons d’abord cherché à connaitre le
nombre d’acteurs (planteurs) de l’économie de plantation du département, leurs revenus
moyens tirés des activités agricoles et enfin leurs investissements dans l’une des villes du
département (activités économiques, foncier urbain etc). Ainsi, la méthodologie consiste à :
-déterminer 36 villages dont 4 campements (figure 1) d’enquête dans les sous-préfectures
du département de Soubré. Ils ont été choisis par échantillonnage dans les 171 villages que
compte le département par la méthode de choix raisonné. Le choix de ces localités obéit à
des critères combinés comme la taille des villages, la distance du village à la ville, l’ethnie et
la nationalité, l’état des voies de communication entre le village et la ville.
3
Figure 1: Localisation des villages d’enquête
-mener des enquêtes techniques et socioéconomiques par questionnaire avec 115
personnes (élèves des classes de terminales issus des milieux d’enquête, des étudiants et
des instituteurs parce qu’ils exercent pour la plupart dans les zones rurales).
-des interviews ont été réalisées par les 115 enquêteurs qui ont interrogé 1 147 planteurs
(notre échantillon) repartis inégalement dans les 36 villages des quatre sous-préfectures
concernées du département de Soubré. La définition de notre échantillon s’est faite par un
choix raisonné.
-consulter les registres du foncier urbain trouvés dans les préfectures et sous-préfectures,
les directions techniques des mairies des villes d’étude et à la direction de la construction et
de l’urbanisme.
3 Résultats : Une transformation du paysage urbain du département
de Soubré, due à l’essor rapide de l’économie de plantation
3.1 Un département caractérisé par une économie de plantation en essor rapide
Depuis les années 1990, le département de Soubré est reconnu pour son
développement spectaculaire du binôme café-cacao. Cette performance se traduit par le
nombre considérable de planteurs qui s’adonnent à ces cultures et la forte production de
celles-ci.
3.1.1 Des productions agricoles dominées par le binôme café-cacao
L’analyse des productions des cultures d’exportation (binôme café-cacao, palmier à
huile et hévéa) s’est faite sur les périodes 2012-2013, nous permet de déterminer la ou les
principales cultures de l’économie de plantation. Nous avons retenu de mener cette analyse
comparative des productions de ces différentes cultures uniquement sur la campagne2012-
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2013 parce que sur cette période, nous avons obtenu le tonnage de ces différentes cultures
dans le département de Soubré (figure 2).
Figure 2: Répartition des cultures dominantes de l’économie de plantation
selon les productions dans le département de Soubré en 2013
Ainsi, lorsque nous observons la figure 3, nous déduisons que le binôme café-cacao
est largement la culture dominante de l’économie de plantation dans le département de
Soubré. Car en 2012-2013, la production de café-cacao était estimée à 222 500 tonnes alors
qu’au cours de la même période, le département enregistre de faibles productions de palmier
à huile (28 712 tonnes) et d’hévéa (1254,8 tonnes). Les cultures de diversification
connaissent une croissance timide. Pourtant, elles se sont ajoutées aux cultures pionnières
(café et cacao) de l’économie de plantation dans le département depuis les années 1975-
1976. Le département de Soubré affiche dès cette riode son dynamisme dans la
production du binôme café-cacao dans la région du Bas-Sassandra comme au plan national.
A preuve, sur la campagne 2003/2004, le département de Soubré offrait 301 349 tonnes de
cacao. Cet important tonnage représente respectivement 51,85% de la production régionale
et 20,20% de la production nationale. En 2005, la production départementale de cacao était
de 480 000 tonnes soit 40% de la production nationale qui était de 1 200 000 tonnes.
En somme, le département de Soubré demeure une grande zone de la production
cacaoyère de la Côte d’Ivoire. En effet, jusqu’à ce jour, il continue d’offrir les meilleures
productions comparativement aux productions des autres régions agricoles du pays. De ce
fait, nous pouvons affirmer qu’il demeure depuis les années 1990-1995, le cœur de la
nouvelle "Boucle du Cacao" contribuant ainsi activement au développement de la Côte
d’Ivoire.
3.1.2 Des planteurs dynamiques et d’origine ethnoculturelle hétérogène
Depuis près de deux décennies, le département de Soubré reste la zone de
production la plus importante de la cacao-culture du pays. Les statistiques agricoles
consultées à l’ANADER (Agence Nationale d’Appui au Développement Rural) en 2013, nous
ont fourni des données statistiques relatives au nombre de planteurs par principales cultures
(tableau I).En analysant les données du tableau I, nous remarquons que le nombre de
planteurs varie non seulement d’une culture à une autre mais également selon l’origine
ethno-géographique. Ainsi, nous avons dénombré 973 producteurs café/cacao, 92
producteurs d’hévéa et 82 producteurs de palmier à huile soit 1 147 planteurs qui constituent
le total des enquêtés du département.
0
50000
100000
150000
200000
250000
Café-cacao Palmier à huile Hévéa
222500
28712 1255
5
Tableau I: Répartition des planteurs par cultures et par origine ethno-géographique
Origine
ethno-
géographique
Producteurs
de
café/cacao
%
Producteurs
d’hévéa
%
Producteurs
de palmier
à huile
%
Autochtone
107
9,33
31
2,8
34
2,97
Baoulé
311
27,11
15
1,3
10
0,88
Autres
Ivoiriens
272
23,71
24
2,09
18
1,57
Allogènes
283
24,67
22
1,92
20
1,74
Total
973
84,83
92
8,02
82
7,15
Source : ANADER, 2013 et nos enquêtes, 2009,2012 et 2013
Au niveau des planteurs de café/cacao, les Baoulé, ethnie majoritaire dans
l’ensemble du milieu rural d’étude, réunissaient 27,11% (soit 311 individus). Ils sont suivis de
24,67% d’Allogènes (soit 283 personnes), 23,71% d’Autres Ivoiriens (272 planteurs) et
9,33% Autochtones (107 personnes).
Comparativement aux planteurs de café/cacao, ceux d’hévéa, sont en très faible
nombre. Totalisant 92 personnes, ils sont dominés par les Autochtones qui représentent
2,8% des producteurs avec 31 personnes. Les Autres Ivoiriens qui viennent ensuite
constituent 2,09% avec 15 personnes. Mais nous constatons que c’est au niveau des Baoulé
et des Allogènes que nous avons les plus faibles proportions soit respectivement 1,3% et
1,92%.
De même que les planteurs d’hévéa, le nombre de planteurs de palmiers à huile est
faible, mais ce sont les planteurs Autochtones qui sont les plus nombreux soit 2,97% avec
34 planteurs. Puis viennent à des taux très faibles, les Allogènes, les Autres Ivoiriens et les
Baoulé soit respectivement 1,74%, 1,57% et 0,88%.
La prédominance des planteurs de café/cacao est liée à l’histoire nationale de ces
deux plantes, introduites pour la première fois par le colonisateur. Malgré la politique de
diversification des cultures mise en œuvre par l’Etat dans les années 1970, le cacao est
restée la culture la plus pratiquée dans le département et occupe la quasi-totalité des
paysans et les terres agricoles cultivées. Pour cause, faisant partie des premières cultures
de rente, les paysans en maitrisent les techniques de production. Puisque pendant de
longues années, ils ont été les acteurs déterminants des succès des vieilles régions
agricoles et des anciennes boucles du cacao du pays. En outre, la création de plantation
d’hévéa nécessitant d’importants moyens financiers et exigeant une longue période
d’exploitation (6 à 7 ans) contrairement à la culture du cacao qui rentre en production au
bout de 3 ans en moyenne, les planteurs restent beaucoup plus attachés à la cacao-culture.
Au total, nous retenons de ces analyses que les planteurs de café/cacao dominent
les acteurs de l’économie de plantation dans le département de Soubré.
3.1.3 Des revenus considérables par tête d’exploitant agricole de café-cacao
Pour avoir une idée des revenus par tête d’exploitant agricole du département, nous
avons considéré les statistiques de la production du binôme café-cacao de la campagne
2012/2013. Ainsi, sur une production nationale de cacao de 1 700 000 tonnes en 2013
1
, celle
du département de Soubré représente 222 500 tonnes soit 23,27% de la production
nationale. Ce tonnage est produit par un ensemble de 51 781 planteurs (ANADER, 2013)
dont les 1 147 de notre échantillon.
Pendant les campagnes 2009/2010,les prix d’achat étaient fixés à 1000 FCFA/Kg
pour le cacao et 500 FCFA /Kg pour le café. En 2010/2011, le prix d’achat est maintenu à
1000 FCFA/Kg pour le cacao tandis que celui du café connait une hausse et passe à 650
1
Ministère de l’Agriculture et Conseil Ca-cacao, 2014
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