intrinsèque avec ce qu'elle présente, Merleau-Ponty soutient que la puissance de
1'icóne
consiste en la possibilité de la «ressemblance» et de l'«analogie». Mais ces
termes ne signifient pas qu'il y aurait une relation d'identité entre
1'image
et ce
qu'elle présente. 11 nous semble que Merleau-Ponty utilise ces termes pour
indiquer qu'on peut reconnoitre, au moyen des sens, un rapport entre
1'image
et
Ie monde visible au lieu de construire un tel rapport a
1'aide
de
1'ceil
de
1'esprit.
L'icöne n'est done pas une image-copie ou une mimesis au sens platonicien. Elle
est plutöt une mimesis au sens aristotélicien, c'est-a-dire comme une mimesis
productrice, comme une poïêsis.2()5 En parallèle avec
1'analyse
du chapitre
precedent, la mimesis peut être concue comme repetition génératrice. En
«mimant» Ie visible, l'icöne crée une nouvelle visibilité et institue un sens
neuf.
Cette constitution du sens de
1'imaginaire
s'accomplit a travers une interaction
entre Ie visible et 1'invisible. L'icöne met en question la relation entre Ie visible et
1'invisible
dans
1'image.
C'est cette problématique qui est
1'enjeu
de la philosophie
de 1'art de Merleau-Ponty. La phénoménologie se dirige vers une «iconographie»
de la vision: «On pourrait chercher dans les tableaux eux-mêmes une philosophie
fïgurée de la vision et comme son iconographie» (OE: 32).
Pour élaborer cette idee de 1'iconographie dans la phénoménologie, nous
faisons reference a quelques aspects de la pensee de Jean-Luc Marion, car dans
plusieurs de ses écrits, il situe la problématique de l'icöne dans la pensee
phénoménologique.266 Dans L'idole et la distance (1977), il conteste la
métaphysique idolatre de 1'onto-théologie, qui en fin de compte n'aboutit qu'a
1'athéisme, pour développer une philosophie de la distance, une veritable
philosophie du divin.267 C'est dans l'icöne que se manifeste la distance, celle-ci
étant constitutive pour Ie «contact» avec Ie divin. L'icöne s'oppose done a l'idole.
Elle n'est pas la figuration d'un Dieu mais elle «recèle et décèle ce sur quoi elle
repose:
1'écart
en elle du divin et de son visage». Elle est «visibilité de 1'invisibilité.
visibilité oü
1'invisible
se donne a voir comme tel» (L'idole: 25). On peut constater
ici la concordance par rapport au vocabulaire de Merleau-Ponty. Il est évident
que Marion
s'est
surtout inspire de la tradition chrétienne pour determiner l'icöne
comme
1'invisible
dans Ie visible: c'est Ie Dieu invisible qui se manifeste dans
l'icöne. Pourtant, dans Dieu sons l'étre (1991), il souligne que son analyse de
l'icöne n'est pas historique ou religieuse. La distinction entre l'idole et l'icöne n'est
pas basée sur une distinction entre des cultures, sur
1'opposition
entre
1'idolatrie
265 Pour la difference entre Platon et Aristote concernant Ie concept de mimesis, voir
I'introduction a la traduction néerlandaise de la Poétique d'Aristote, p.
10-11.
Chez Platon.
mimesis signifie -.nabootsing., et chez Aristote «uitbeelding... Notons que chez ce dernier. la
mimesis productive a en premier lieu une signification educative ou morale. L'acte
mimétique du mime nous enseigne Ie comment vivre, la mimesis devrait aboutir a une
purification Uiatharsis) de notre vie. Bien que nous nous référions a
1'idée
aristotélicienne
de mimesis, nous laissons de cóté eet aspect moral pour souligner
1'aspect
«générateur.. ou
«producteur.'.
266 Voir notamment L'idole et lu distance (1977). Dieu sons l'être (1991) et La eroisée du
visible (1991).
7 «A trop s'approprier "Dieu" par preuve, la pensee s'écarte de
1'écart,
manque la
distance, et se découvre, un matin, entourée d'idoles, de concepts et de preuves, mais
abandonnée du divin - athée», L'idole
et.
la distance, p. 30
158