En noir et blanc
Par Laura Plas
10/11/2013
http://www.lestroiscoups.com/article-les-damnes-de-la-terre-d-apres-l-oeuvre-de-frantz-
fanon-critique-le-tarmac-a-paris-121054579.html
Avec « les Damnés de la terre », Jacques Allaire présente un conte d’aliénation et de mort
inspiré par l’œuvre de Frantz Fanon. Le spectacle s’impose par la force de ses visions, sa
musicalité et la qualité de son interprétation. Beau etnécessaire.
antillais, Frantz Fanon est mort algérien. Psychiatre, penseur, il fut
aussi un homme d’action. Il combattit en effet pendant la
Seconde Guerre mondiale pour la France libre, puis lutta contre la
France colonialiste. Il se défendait d’appartenir à un pays, à une
« race », à un clan. Il ne se reconnaissait d’ailleurs qu’un seul droit :
« celui d’exiger de l’autre un comportement humain » (1). Aujourd’hui
qu’on débat sur l’« identité nationale », qu’on traque les sans-papiers,
que le racisme s’exhibe avec insolence, son œuvre apparaît ô combien
actuelle. Et pourtant, qui la connaît vraiment ?
La pertinence du projet de Jacques Allaire consiste justement à faire
expérimenter la force de cette pensée en évitant le biopic. Il crée
plutôt un spectacle à l’image de l’homme qui l’inspire : politique, et
poétique.
Pas de récit de vie, donc, mais des tableaux qui s’enchaînent, comme dans un cauchemar,
sans liens. Le travail subtil de Christophe Mazet sur la lumière accentuerait au contraire les
ruptures tout en créant une ambiance crépusculaire.
La scénographie époustouflante nous découvre, quant à elle, un espace indécis qui tient du
camp de réfugiés, de la prison et de l’hôpital. Déracinés, renversés, des arbres aux feuilles
roussies sont les seuls vestiges d’une nature saccagée. Des cadres de lits manipulés
dessinent des cellules, des alcôves misérables. Si la scénographie change donc d’aspect, le
plateau représente toujours un enfer erreraient des damnés de la terre qui
s’entredéchirent ou s’acharnent contre eux-mêmes.
Peau noire, masques blancs
Les comédiens, tous vraiment excellents, incarnent avec conviction et justesse ces ombres.
Ils sont même au début entièrement recouverts d’un maquillage noir qui brouille nos
repères et crée l’étrangeté. Ensuite, ils portent parfois des masques de maquillage blanc qui
les transfigurent en types, voire en fantoches On ne les distingue pas toujours les uns des
autres. Chacun peut ainsi devenir bourreau, chacun peut être nié au point de ne plus savoir
réclamer sa liberté. En outre, comme leur gestuelle chorégraphiée et leurs déplacements ont
quelque chose d’insolite, ils nous entraînent dans un monde onirique, révélation
cauchemardesque de la violence réelle.
C’est d’ailleurs ce que confirme la diction des comédiens, rythmée, cadencée, parfois
mélodieuse mais jamais platement naturaliste. Grâce à elle, on ressent dans son corps par
exemple le tempo de la gueulante militaire, l’insidieuse rengaine raciste ou le lamento de
ceux qui ont intériorisé leur aliénation. Et cette musique des mots s’accorde aux musiques
qu’a choisies avec discernement le metteur en scène, en particulier au Chant de la terre
qu’interprète Marian Anderson.
En définitive, la beauté des images scéniques que Jacques Allaire, grand plasticien, a
conçues (2) fait que le discours échappe aussi à une stricte contextualisation historique. Les
tableaux ont en effet quelque chose d’immémorial qui fait songer au conte. C’est un conte
horrible, bien sûr, comme tant de contes, mais il touche le cœur et entête. Une belle œuvre
humaniste.
(1) Phrase extraite de Peau noire, masque blanc, de Frantz Fanon, collection « Points »
au Seuil.
(2) Le carnet de création délivré en guise de programme par le Tarmac est splendide.
« Les Damnés de la terre » de Frantz Fanon sur la scène du Tarmac
Par Philippe Triay
11/11/2013
http://www.la1ere.fr/2013/11/11/les-damnes-de-la-terre-de-frantz-fanon-sur-la-scene-du-
tarmac-84215.html
Mettre en scène « Les Damnés de la terre » et d'autres textes de Frantz Fanon. C’est le pari
du comédien et metteur en scène Jacques Allaire, séduit par les écrits et le parcours du
médecin et révolutionnaire martiniquais, qui repose en terre algérienne.
© Laurence Leblanc/VU' "Les Damnés de la terre", d'après l'oeuvre de Frantz Fanon, sont mis en scène au
Tarmac à Paris
« Les Damnés de la terre » n’est ni un roman ni une pièce de théâtre. C'était le dernier essai
politique du psychiatre martiniquais Frantz Fanon (1925 1961), dont il corrigea les
dernières épreuves sur son lit de mort dans un hôpital de la banlieue de Washington, en
décembre 1961.
Plus de soixante ans nous séparent de ce brûlot anticolonialiste, écrit dans la ferveur
révolutionnaire et panafricaine de l’auteur, qui était l’une des têtes pensantes du Front de
libération nationale algérien (FLN). Icône des mouvements radicaux et tiers-mondistes dans
les années soixante-dix, Frantz Fanon était tombé en désuétude avant que ses textes ne
reviennent depuis quelques années sur le devant de la scène.
C’est d'ailleurs littéralement le cas aujourd’hui avec la dernière création de Jacques Allaire,
qui a voulu restituer le parcours et la pensée critique du psychiatre autour des questions de
l’identité, du racisme, de l’aliénation et du colonialisme. Le spectacle, qui dure deux heures,
est porté par six comédiens et comporte sept tableaux conçus comme une « traversée
musicale et poétique » de l'oeuvre de Fanon. Commencées le 5 novembre au Tarmac à Paris,
les représentations se poursuivront jusqu'au 6 décembre inclus. Une journée spéciale
consacrée à la découverte de l'oeuvre de Frantz Fanon aura lieu samedi 16 novembre,
durant laquelle interviendront la ministre de la Justice Christiane Taubira et la ministre
chargée de la Réussite éducative George Pau-Langevin. Une tournée en province débutera à
partir du 30 janvier 2014.
VIDEO : Jacques Allaire parle de son spectacle
http://www.youtube.com/watch?v=4btoXhlpH9A
« C’est l’œuvre testamentaire (de Fanon) car c’est son dernier texte. C’est probablement
l’œuvre qui restera. C’est un homme dont la vie et le parcours ne sont que la réalisation de
sa pensée. Il est passé de l’expérience vécue du Noir à la conscience de cette expérience. »
« Dans le cas des écrits de Frantz Fanon, le saisissement fut celui d’une reconnaissance, celle
de mon, de notre corps blessé. Noir ou blanc, aujourd’hui l’être colonisé se trouve partout
de toutes les origines et de toutes les appartenances. En restituant la parole de Frantz Fanon
il est possible de réaliser cela et de le comprendre », explique Jacques Allaire dans son
dossier de presse.
« Cette reconnaissance, cette découverte peut nous permettre de nous délivrer de
l’aliénation qui nous opprime, qui opprime les peuples et les populations du monde
d’aujourd’hui. Je souhaite restituer modestement cela par le théâtre, par le ve du théâtre,
puisqu’il n’est pas question de se substituer aux analystes, aux philosophes ou aux
historiens. Il s’agit de transposer la parole de Frantz Fanon dans la poésie et les visions qui la
traversent. ».
VIDEO : La bande annonce du spectacle "Les Damnés de la terre"
http://www.youtube.com/watch?v=vz1Vs-yblC4
Les Damnés de la terre d’après l’œuvre de Franz Fanon, mise en scène de
Jacques Allaire
Par Mireille Davidovici
08/11/2013
http://theatredublog.unblog.fr/2013/11/08/les-damnes-de-la-terre/
Préambule : un homme, une femme. «Je ne peux pas tirer sur les blancs », dit-elle, – Ils vont
se gêner, eux », répond-il. « Je suis une damnée, rétorque-t-elle un peu plus loin, coupable
sans passé ni avenir nègres.» Encore plus loin : «Toute cette blancheur me calcine Un
prélude qui expose en quelques répliques toute la dialectique de Fanon.
«Européens, ouvrez ce livre, entrez-y. Après quelques pas dans la nuit vous verrez des
étrangers réunis autour d’un feu. Approchez et écoutez : ils discutent du sort qu’ils réservent
à vos comptoirs, aux mercenaires qui les défendent. Nous sommes en 1961, en pleine guerre
d’Algérie, quand Jean-Paul Sartre préface Les Damnés de la terre. «Fanon vous explique à
ses frères et démonte pour eux les mécanismes de nos aliénations », ajoute le philosophe.
Adapter l’œuvre de Fanon au théâtre est une gageure. Publiée quelques jours avant sa mort
alors qu’il avait rejoint le FLN, désertant l’hôpital de Blida il était psychiatre, ce livre
incandescent, brûlot écrit dans une langue magnifique, d’un lyrisme désespéré et inspiré,
deviendra le porte parole des révoltes à venir.
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