DOCUMENTS
76
DANS LE VIF DÉBAT CONTEMPORAIN sur le rapport entre le christianisme et les autres re-
ligions l’idée que toutes les religions sont pour leurs adeptes des voies de salut égale-
ment valables fait toujours plus son chemin. Il s’agit d’une conviction désormais ré-
pandue, non seulement dans des milieux théologiques, mais aussi dans des secteurs
toujours plus vastes de l’opinion publique catholique ou pas, en particulier celle qui
est le plus influencée par l’orientation culturelle qui domine aujourd’hui en Occident
que l’on peut définir, sans crainte d’être démentis, par le mot : relativisme.
La soi-disant théologie du pluralisme religieux s’était en vérité déjà affirmée gra-
duellement à partir des années cinquante du XXe siècle, mais ce n’est qu’aujourd’hui
qu’elle a assumé une importance fondamentale pour la conscience chrétienne. Ses
configurations sont naturellement très différentes et il ne serait pas juste de vouloir
homologuer toutes les positions théologiques qui remontent à la théologie du plura-
lisme religieux à l’intérieur d’un même système. C’est pourquoi la
Déclaration
ne se
propose même pas de décrire les traits essentiels de ces tendances théologiques, et ne
prétend pas non plus de les enfermer dans une formule unique. Notre Document si-
gnale plutôt quelques fondements de nature aussi bien philosophique que théologique
qu’on retrouve aussi à la base de différentes théologies actuellement répandues du plu-
ralisme religieux: la conviction que la vérité divine est complètement insaisissable et
inexprimable; l’attitude relativiste par rapport à la vérité qui fait que ce qui est vrai
pour certains ne le serait pas pour d’autres, la contraposition radicale entre mentali-
té logique occidentale et mentalité symbolique orientale, le subjectivisme exaspéré de
ceux qui considèrent la raison comme unique source de connaissance ; la privation mé-
taphysique du mystère de l’incarnation ; l’éclectisme de ceux qui assument dans la
réflexion théologique des catégories dérivées d’autres systèmes philosophiques et re-
ligieux, sans s’occuper ni de leur cohérence interne, ni de leur incompatibilité avec la
foi chrétienne ; enfin la tendance à interpréter des textes de l’Ecriture sainte en de-
hors de la Tradition et du Magistère de l’Eglise [cf. Décl.
Dominus Iesus
, n°4].
1.
Unicité et universalité
du mystère du Christ
Présentation de la déclaration Dominus Iesus Cité du Vatican, le 5 septembre 2000
S. E. le Cardinal Joseph Ratzinger Aujourd’hui Sa Sainteté le pape Benoît XVI
L’EGLISE ET LES RELIGIONS
77
Quelle est la conséquence fondamentale de cette façon de penser et de sentir en rela-
tion avec le centre et le noyau de la foi chrétienne ? C’est le rejet substantiel de l’iden-
tification de la figure historique unique, Jésus de Nazareth, avec la réalité même de Dieu,
du Dieu vivant. Ce qui est Absolu, ou bien Celui qui est l’Absolu, ne peut jamais se don-
ner à l’histoire à travers une révélation pleine et définitive. Dans l’histoire on a seule-
ment des modèles, des figures idéales qui nous renvoient au Totalement Autre, qui ne
peut toutefois pas être saisi comme tel dans l’histoire. Certains théologiens plus modérés
admettent que Jésus-Christ est vrai Dieu et vrai homme, mais estiment qu’à cause de
l’étroitesse de la nature humaine de Jésus, la Révélation de Dieu en Lui ne peut pas
être complète et définitive, et qu’elle doit toujours être considérée en relation avec d’au-
tres possibles révélations de Dieu exprimées dans les gènes religieux de l’humanité et
dans les fondateurs des religions du monde. De cette façon, objectivement parlant, on
introduit l’idée erronée que les religions du monde sont complémentaires à la révéla-
tion chrétienne. Il est pourtant clair que l’Eglise, le dogme, les sacrements ne peuvent
pas non plus avoir la valeur de nécessité absolue. Attribuer à ces moyens finis un ca-
ractère absolu et en arriver à les considérer comme un instrument pour une rencon-
tre réelle avec la vérité de Dieu, universellement valable, signifierait placer sur un plan
absolu ce qui est particulier et altérer la réalité infinie du Dieu Totalement Autre.
Sur la base de ces conceptions, retenir qu’il y a une vérité universelle, contraignante
et valable dans l’histoire même, qui s’accomplit dans la figure de Jésus-Christ et qui
est transmise par la foi de l’Eglise, est considéré comme une espèce de fondamenta-
lisme qui constituerait un attentat contre l’esprit moderne et représenterait une me-
nace contre la tolérance et la liberté. Le concept même de dialogue assume une signi-
fication radicalement différente de celle qui est interprétée dans le
Deuxième Conci-
le du Vatican
. Le dialogue, ou plutôt « l’idéologie du dialogue », remplace la « missio
et « l’urgence de l’appel à la conversion » : le dialogue n’est plus la voie pour décou-
vrir la vérité, le processus à travers lequel la profondeur cachée de ce qu’il a expéri-
menté dans son expérience religieuse s’ouvre à l’autre, mais qui attend de s’accomplir
et de se purifier dans la rencontre avec la révélation définitive et complète de Dieu en
Jésus-Christ ; le dialogue dans les nouvelles conceptions idéologiques qui ont pénétré
malheureusement aussi à l’intérieur du monde catholique et de certains milieux théo-
logiques et culturels, est au contraire l’essence du « dogme » relativiste et l’opposé de
la « conversion » et de la « mission ». Dans une pensée relativiste « dialogue » signifie
mettre sur le même plan sa propre position ou sa propre foi et les convictions des au-
tres, si bien que tout se réduit à un échange entre positions fondamentalement pari-
taires et par conséquent relatives entre elles, dans le but supérieur d’obtenir le maxi-
mum de collaboration et d’intégration entre les différentes conceptions religieuses.
La dissolution de la christologie et donc de l’ecclésiologie qui lui est subordonnée tout
en lui étant inséparablement unie, devient par conséquent la conclusion logique de cet-
te philosophie relativiste, qui se retrouve paradoxalement soit à la base de la pensée post-
métaphysique de l’Occident, soit de la théologie négative de l’Asie. Il en résulte que la fi-
gure de Jésus-Christ perd son caractère d’unicité et d’universalité salvatrice. Ensuite le
fait que le relativisme se présente, à l’enseigne de la rencontre avec les cultures, comme
la vraie philosophie de l’humanité, en mesure de garantir la tolérance et la démocratie,
amène à marginaliser ultérieurement ceux qui s’obstinent dans la défense de l’identité
DOCUMENTS
78
chrétienne et dans sa prétention de diffuser la vérité universelle et salvatrice de Jésus-
Christ. En réalité la critique qui est faite à la prétention d’absolutisme et de caractère dé-
finitif de la révélation de Jésus-Christ revendiquée par la foi chrétienne, se joint à une idée
fausse de la tolérance. Le principe de la tolérance comme expression du respect de la li-
berté de conscience, de pensée et de religion, défendu et promu par le
Deuxième Concile
du Vatican
, et proposé une nouvelle fois dans la
Déclaration
même, est une position
éthique fondamentale, présente dans l’essence du Credo chrétien puisqu’il prend au sérieux
la liberté de la décision de foi. Mais ce principe de tolérance et de respect de la liberté est
aujourd’hui manipulé et indûment dépassé lorsqu’il s’étend à l’appréciation des contenus,
presque comme si tous les contenus des différentes religions et même des conceptions are-
ligieuses de la vie pouvaient être placées sur le même plan et qu’il n’existait plus une vé-
rité objective et universelle, puisque Dieu ou l’Absolu se révèlerait sous d’innombrables
noms, mais que tous les noms seraient vrais. Cette fausse idée de tolérance est liée à la per-
te et la renonciation à la question de la vérité qui est aujourd’hui en effet perçue par beau-
coup comme une question insignifiante et de deuxième ordre. C’est ainsi que la faiblesse
intellectuelle de la culture actuelle apparaît : la demande de vérité venant à manquer, l’es-
sence de la religion ne se différencie plus de sa « non essence », la foi ne se distingue pas
de la superstition, l’expérience de l’illusion. Enfin, sans une sérieuse prétention de véri-
té, l’appréciation des autres religions devient aussi absurde et contradictoire puisqu’on ne
possède pas le critère qui permet de constater ce qui est positif dans une religion, en le dis-
tinguant de ce qui est négatif ou de ce qui est le fruit de superstition et de tromperie.
A CE PROPOS LA DÉCLARATION REPREND LENSEIGNEMENT DE JEAN-PAUL II dans l’Encyclique Re-
demptoris missio : « Quand l’Esprit opère dans le cœur des hommes et dans l’histoire
des peuples, dans les cultures et dans les religions, il assume un rôle de préparation
évangélique » [Redemptoris Missio, 29].
Ce texte se réfère de façon explicite à l’action de l’Esprit non seulement « dans le cœur
des hommes », mais aussi « dans les religions ». Le contexte place toutefois cette action
de l’Esprit à l’intérieur du mystère du Christ, dont elle ne peut jamais être séparée ; en
outre les religions sont associées à l’histoire et aux cultures des peuples où le mélange
du bien et du mal ne peut jamais être mis en doute. Il faut donc considérer comme
prae-
paratio evangelica
non pas tout ce qui se trouve dans les religions, mais seulement « ce
que le Saint-Esprit opère en elles». Il résulte de cela une conséquence très importante :
le bien présent dans les religions est la voie du salut, comme opération de l’Esprit du
Christ, et non pas comme religions en tant que telles. Cela est du reste confirmé par la
doctrine même du
Deuxième Concile du Vatican
à propos des semences de vérité et de
bonté présents dans les autres religions et les autres cultures, exposée dans la
Déclara-
tion
conciliaire
Nostra Aetate
: « L’Eglise ne rejette rien de ce qui est vrai et saint dans
ces religions. Elle considère avec un respect sincère les façons d’agir et de vivre, les pré-
ceptes et les doctrines qui, bien qu’ils diffèrent sur beaucoup de points en ce qui concer-
ne ce qu’elle croit et qu’elle propose, et qu’ils ne reflètent toutefois pas rarement un rayon
de cette vérité qui illumine tous les hommes » [
Nostra Aetate
, 2]. Tout ce qui existe de vrai
et de bon dans les religions ne doit pas être perdu, mais doit être au contraire reconnu
et valorisé. Le bien et le vrai, où qu’ils se trouvent, proviennent du Père et sont l’œuvre
de l’Esprit ; les semences du Logos sont répandues partout. Mais on ne peut pas fermer
2.
L’EGLISE ET LES RELIGIONS
79
les yeux sur les erreurs et sur les pièges qui sont toutefois présents dans les religions.
Même la Constitution Dogmatique du
Deuxième Concile du Vatican
,
Lumen Gentium
affirme : « Les hommes, très souvent trompés par le Malin divaguent dans leurs médi-
tations, et ils ont échangé la vérité divine avec le mensonge, en servant la créature plu-
tôt que le Créateur » [
Lumen Gentium
, 16].
On peut comprendre que dans un monde qui s’accroît toujours plus globalement, les
religions et les cultures aussi se rencontrent. Cela ne conduit pas seulement à une approche
extérieure d’hommes de religions différentes, mais plutôt aussi à une croissance d’inté-
rêt envers des mondes religieux inconnus. Dans ce sens, en ce qui concerne la connais-
sance réciproque, il est légitime de parler d’enrichissement réciproque. Cela n’a toutefois
rien à voir avec l’abandon de la prétention de la part de la foi chrétienne d’avoir reçu en
don de Dieu dans le Christ la révélation définitive et complète du mystère du salut, et il
faut au contraire exclure cette mentalité d’indifférentisme empreinte d’un relativisme re-
ligieux qui amène à retenir que « une religion en vaut une autre » [
Redemptoris Missio
, 36].
L’estime et le respect envers les religions du monde, de même que les cultures qui ont
apporté objectivement un enrichissement à la promotion de la dignité de l’homme et au
développement de la civilisation, ne diminue pas l’originalité et l’unicité de la révélation
de Jésus-Christ et ne limite en aucune façon le devoir missionnaire de l’Eglise : « l’Eglise
annonce et elle est tenue à annoncer sans cesse le Christ qui est la voie, la vérité et la
vie [
Jn
14, 16] en qui les hommes trouvent la plénitude de la vie religieuse et dans lequel
Dieu a réconcilié à soi toutes les choses » [
Nostra Aetate
, 2]. Ces simples paroles indiquent
en même temps la raison de la conviction qui retient que la plénitude, l’universalité et
l’accomplissement de la révélation de Dieu sont présents seulement dans la foi chré-
tienne. Cette raison ne réside pas dans une préférence présumée accordée aux mem-
bres de l’Eglise, et encore moins dans les résultats historiques obtenus par l’Eglise dans
son pèlerinage terrestre, mais dans le mystère de Jésus-Christ, vrai Dieu et vrai Hom-
me, présent dans l’Eglise. La prétention d’unicité et d’universalité salvatrice du chris-
tianisme provient essentiellement du mystère de Jésus-Christ qui continue sa présen-
ce dans l’Eglise, son Corps et son Epouse. C’est pourquoi l’Eglise se sent engagée, de par
sa constitution, à l’évangélisation des peuples. Même dans le contexte actuel marqué par
la pluralité des religions et par l’exigence de liberté de décision et de pensée, l’Eglise est
consciente d’être appelée « à sauver et à renouveler chaque créature, afin que toutes les
choses soient récapitulées dans le Christ et que les hommes constituent avec lui une seu-
le famille et un seul peuple » [Décret.
Ad Gentes
, 1].
En réaffirmant les vérités dans lesquelles la foi de l’Eglise a toujours cru et qu’el-
le a gardées en ce qui concerne ces arguments, et en sauvegardant les fidèles d’erreurs
et d’interprétations ambiguës actuellement répandues, la Déclaration
Dominus Iesus
de la Congrégation pour la Doctrine de la foi, approuvée et confirmée
certa scientia
e
apostolica sua auctoritate
par le Saint-Père lui-même, assume un double rôle : d’une
part elle se présente comme un témoignage ultérieur et renouvelé, qui fait autorité,
pour que le monde voie « resplendir l’Evangile de la gloire du Christ » [2
Co
4, 4] ; d’au-
tre part elle indique que la base doctrinale à laquelle on ne peut pas renoncer comporte
une obligation pour tous les fidèles et qu’elle doit guider, inspirer et orienter soit la ré-
flexion théologique, soit l’action pastorale et missionnaire de toutes les communautés
catholiques répandues dans le monde.
©Libreria Editrice Vaticana, 00120 Città del Vaticano
1 / 4 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !