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L’approche culturelle dans
l’enseignement/apprentissage du Français Langue
Étrangère : le cas des apprenants chinois en
France
JI Ran (ATILF – CNRS/Université de Lorraine)
Université de Lorraine & Laboratoire ATILF CNRS
44, avenue de la Libération
BP 30687 - 54063 Nancy Cedex
France
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L’approche culturelle dans
l’enseignement/apprentissage du Français Langue
Étrangère : le cas des apprenants chinois en
France
Abstract :
L’approche communicative est apparue au moment la recherche en Sciences du Langage et en
Didactique a permis de tenir compte du bilan insuffisant des méthodes inspirées du courant
béhavioriste, et s’est développée en France à partir des années 1970. Elle vise le développement de
la compétence communicative, et ne se limite pas à la maîtrise des régles grammaticales, mais aussi
aux savoirs et savoir-faire socioculturels de la langue cible. Or, le système éducatif chinois en
matière des langues étrangères étant, particulièrement complexe par ses enjeux socioculturels,
défend sa position de la culture d’enseignement dite traditionnelle écrit privilégié par rapport à
l’oral, focalisation sur les compétences purement linguistiques, omniprésence de l’enseignant dans
l’apprentissage, mémorisation mécanique et hors contexte. Un tel décalage idéologique et
didactique perturbe parfois la bonne intégration des apprenants chinois au contexte français
d’enseignement/apprentissage du FLE. Cet article a pour objectif de montrer, en identifiant
certaines spécificités socioculturelles récurrentes des apprenants chinois en classe, la nécessité de
l’approche culturelle dans l’enseignement/apprentissage du FLE des apprenants chinois.
Mot – clés : FLE, compétence culturelle, apprenants chinois.
Introduction :
Le rapport étroit entre la langue et la culture a été largement influencé par le développement de la
linguistique et de l’anthropologie, notamment par l’évolution des concepts de langue et de culture.
Benveniste avance que « Par la langue, l’homme assimile la culture, la perpétue ou la transforme»
(1966 :30). La langue est le véhicule de la culture et inhérente à toute société. En 1990, Galisson a
décidé de remplacer le titre de la revue Études de Linguistique Appliquée par Étude de Linguistique
Appliquée. Revue de didactologie des langues-cultures. L’expression « des langues-cultures »
montre, pour lui, l’indissociabilité absolue des deux éléments.
Le présent article tente de montrer l’importance de la compétence culturelle dans
l’enseignement/apprentissage du Français Langue Étrangère (FLE), notamment dans celui des
apprenants issus de la culture chinoise disposant des spécificités socioculturelles très différentes des
apprenants occidentaux.
1. La question de la compétence culturelle
A l’heure actuelle, tout théoricien ou praticien partage l’idée de la nécessité d’intégrer une forte
dimension culturelle dans l’enseignement d’une langue étrangère. Comme indique Porcher, la
langue est indissociable de la culture, et « La langue est elle-même une réalité sociale qui véhicule
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la culture et en est imprégnée. Il est impossible d’accéder à la matière linguistique du français sans
dominer les éléments culturels présents constitutivement dans la langue » (1995 :61).
L’expansion de l’approche communicative permet l’élargissement des compétences linguistiques
aux compétences culturelles. La seule compétence linguistique n’est pas suffisante dans une
perspective de communication. Apprendre une langue étrangère c’est être capable de « percevoir les
systèmes de classement à l’aide desquels fonctionne une communauté sociale et, par conséquent,
d’anticiper dans une situation donnée, ce qui va se passer (c’est-à-dire aussi quels comportements il
convient d’avoir pour entretenir une relation adéquate avec les protagonistes de la situation)» (In
Abdallah-Pretceille, 2013 ; 97). Or nous constatons que, dans les actions pédagogiques de
l’enseignement du FLE, la notion des compétences culturelles n’est pas toujours prise en
considération (notamment par des enseignants non natifs), et l’enseignement de la culture qui doit
accompagner et compléter l’enseignement linguistique soulève beaucoup de difficultés.
D’après Abdallah-Pretceille, « la communication ne se suffit pas des mots : les attendus, les
implicites, les silences, les gestes, les intonations, la connivence culturelle […] relèvent d’un autre
type de compétence: la compétence culturelle […]» (1995 :305). La focalisation sur la linguistique
dans l’enseignement/apprentissage des langues vivantes risque de cacher une méconnaissance
humaine et culturelle.
La compétence culturelle constitue « un ensemble diversifié de représentations partagées, qui sont autant
d’images du réel collectif, images le plus souvent réductrices et donc déformante mais indispensables à la
communauté, qui fournissent à ses membres autant (ou presque) de prêt-à-connaître/penser/dire qu’il en est besoin
pour le confort (tout relatif bien entendu) de leurs actes de communication ». (Boyer, 2001 :334)
2. Les implicites
Dans le cadre de l’approche communicative, il semble que la compétence culturelle ne soit
indispensable qu’à partir d’un niveau relativement élevé de compétence linguistique car elle
nécessite une maîtrise des implicites. En France, de nombreux linguistes, tel que
Kerbrat-Orecchioni et Ducrot, ont étudié le phénomène des implicites en tant que partie intégrante
du fonctionnement d’une langue. « On a fréquemment besoin, à la fois de dire certaines choses et de
pouvoir faire comme si on ne les avait pas dites, de les dire, mais de façon qu'on puisse en refuser la
responsabilité » (Ducrot, 1991: 5).
D’après Porcher, il s'agit de connivences entre les natifs, « d'allusions partagées, de modes de
participation spontanée » à une communauté (1995: 63). Une conversation entre natifs repose
toujours sur « une complicité sur le non-dit » (Ibid.). Pourtant, les implicites sont difficilement
repérables pour un étranger parce que celui-ci ne partage pas de manière inculquée les implicites
hérités par les natifs. Cette méconnaissance pourra même constituer un obstacle à l'apprentissage et
perturber l'apprenant qui croit que les implicites sont tous les mêmes dans toutes les langues.
Porcher précise que « maîtriser les énoncés implicites est l'aspect le plus difficile de l'apprentissage
d'une langue étrangère, parce qu'il n'en existe pas de recensement exhaustif et que, par définition, ils
restent toujours relativement invisibles » (Ibid.). Cependant c'est cette maîtrise des implicites qui
permet aux apprenants de partager les comportements langagiers et culturels des natifs et d'acquérir
la véritable capacité à communiquer.
3. Quelques différences culturelles des apprenant chinois
Pour enseigner la compétence culturelle, il est important de s’appuyer sur la culture de l’apprenant,
sur la manière dont il envisage, de lui donner le moyen de généraliser des expériences antérieures,
sans tomber dans le piège de la caricature. Nous tenterons ici d’identifier quelques spécificités
socioculturelles des apprenants chinois qui peuvent bloquer l’acquisition de cette compétence.
Les relations enseignant-apprenant
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L’acte d’enseigner ne consiste pas en une simple succession de méthodes pédagogiques, mais exige
également la capacité de l’enseignant à construire une relation de confiance avec ses élèves, en
tenant compte de leur univers émotionnel, ainsi que du sien. Cette relation de confiance est souvent
associée à une bonne adaptation scolaire chez l’élève. Le soutien offert par l’enseignant pourrait
notamment protéger l’élève de difficultés scolaires causées par des problèmes émotionnels. Une
relation de qualité entre l’enseignant et l’élève permet d’éviter le décrochage scolaire, et semble
prédire la réussite scolaire sur le plan des comportements et des indices académiques. Le temps
consacré par l’enseignant, ainsi la qualité de ses interactions avec les élèves pourraient avoir un
effet positif sur l’apprentissage de ces derniers.
En Chine, pour établir la relation de confiance avec leurs élèves, les enseignants chinois adaptent
généralement à un mode d’enseignement bien spécifique. « Un enseignant ne doit pas faire trop de
gestes, ni avoir une intonation trop changeante, des variations tonales importantes (perturbation de
l’attention) » (Robert, 2002 :138). A l’opposé des enseignants français, les enseignants chinois ne
comptent pas sur une capacité d’abstraction de la part des élèves. Une préalable organisation du
savoir des enseignants est toujours nécessaire pour que ce savoir soit transmis de façon la plus
claire possible aux élèves.
Le statut de l’enseignant en Chine symbolise l’autorité et la sagesse, il faut donc que les enseignants
évitent avec fermeté de changer de rôle ou de quitter le rôle d’enseignant pour celui d’ami. Les
enseignants veillent, jusqu’en dehors du cours, à ne pas oublier son rôle d’enseignant. Il est assez
fréquent de voir les relations enseignant-élève se poursuivre à l’extérieur de la classe. Un apprenant
peut téléphoner à son enseignant le soir à propos d’une question concernant le cours, ou vice versa,
un enseignant peut téléphoner, à son tour, à son élève pour évoquer ses problèmes personnels. En
Chine, les élèves doivent témoigner aux enseignants, considérés sans équivoque comme
représentants des valeurs morales de la société, le respect que accentue le proverbe « maître d’un
jour, père pour toujours ».
Selon Manfred Wu Man-Fat, professeur à Institute of Vocational Education de Hong Kong,
l’organisation hiérarchisée de la société chinoise a engendré des différences comportementales des
apprenants chinois comme émotionnellement moins expressifs, la difficulté de s’adresser aux
professeurs en les appelant par leurs prénoms par rapport à la différence des apprenants
occidentaux :
The lack of initiatives in participating in classroom activities in caused by Chinese learners’ concept of the
roles of teachers and students, in which teachers should be dominating, authoritative while students should be
obedient and respect teachers who are at a higher level in the social hierarchy. Confucianism emphasizes on the
hierarchy of relationship and collectivisme. (2004)
Dans le contexte d’apprentissage en France, des apprenants chinois peuvent se sentir délaissés par
leurs enseignants natifs avec qui, selon eux, il est difficile d’entretenir un lien extra-scolaire.
Le jeu de « face » dans la salle de classe
Selon Goffman, la règle la plus fondamentale de l'ordre social est celle du « maintien de la face ».
Plus précisément, il s'agit ici d'une double règle. En premier lieu, Goffman fait référence à
l'amour-propre, c'est-à-dire d'éviter de perdre la face dans toute interaction. En deuxième lieu, il
utilise la notion de considération pour expliquer l'acte de préserver la face des autres. Pour mieux
comprendre la portée de cette règle, l'auteur donne la définition suivante: « On peut définir le terme
de face comme étant la valeur sociale positive qu'une personne revendique effectivement à travers
la ligne d'action que les autres supposent qu'elle a adoptée au cours d'un contact particulier » (1998:
9).
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La valeur chinoise de la « face » est beaucoup plus forte que celle des Occidentaux, et essentielle
dans la société chinoise. Ce phénomène est peu connu des Occidentaux. Selon Lihua Zheng, la face
« correspond à une forme de contrainte ancrée dans la culture et elle constitue la charpente de la
conduite des Chinois dans leurs relations interpersonnelles ordinaires » (1995: 15). Elle détermine
trois aspects constitutifs du concept de face, qui sont la réputation morale, le prestige social et le
sentiment personnel.
Ainsi, dans la salle de classe, l'acte de demander de l'aide, ou de poser une question publiquement
est considéré comme une marque d'incompétence, voire de faiblesses, et on risque de faire perdre la
face à la fois de l'enseignant et la sienne. Un étudiant chinois signale donc rarement à l'enseignant
qu'il n'a pas compris. Même si on le lui demande en cours, il préfère garder le silence. En outre,
l'importance accordée à la « face » contribue à augmenter la peur de faire des erreurs chez les
apprenants chinois. Moins on écrit ou parle, moins il y a de risques de faire des erreurs.
Un apprenant chinois (mais aussi coréen ou japonais) n'a pas compris un mot ou plusieurs mots du texte ou du
discours. Plutôt que de s'informer, il cherche dans son dictionnaire (souvent petit) au risque de se laisser distancier
dans le déroulement du cours. L'enseignant, qui s'en aperçoit, demande à l'apprenant d'écouter son explication
plutôt que de chercher dans le dictionnaire. Ce qui peut signifier pour ce dernier une perte de face : rendre public
le fait qu'il n'a pas compris. Cet apprenant acquiesce à l'injonction de l'enseignant « oui » (oui, j'écoute, je ne
regarde pas dans le dictionnaire), ce qui est pour lui répondre à la politesse de l'enseignant (merci de me proposer
une explication personnelle, c'est très courtois), mais, à la grande surprise de l'enseignant, continue à feuilleter son
dictionnaire sans écouter les explications (moi aussi, je veux être courtois, je peux très bien trouver le mot tout seul,
ne perdez pas votre temps, et le temps de la classe, avec moi). Et c'est le drame, l'échec de communication. (Robert,
2002: 141)
La valeur du silence
Dans la culture chinoise, la valeur du silence est supérieure à celle de la parole qui est généralement
considérée comme non efficace et non persuasive. Savoir se taire est un signe de sagesse. Si les
enseignants occidentaux ont souvent tendance à interpréter les silences des apprenants chinois
comme un refus de communications, les enseignants chinois, eux les respectent. Contrairement à
beaucoup d'étudiants français qui peuvent répondre immédiatement à une question, « le Chinois
s'accorde quelques instants de réflexion, de maturation, d'organisation de sa pensée et de sa
réponse » (Robert, 2002: 138). Un silence peut être un signe d'incompréhension. Dans ce cas, on ne
dit rien afin de respecter le code de politesse et/ou conserver la face ainsi que celle de l'enseignant.
L'étudiant chinois est réputé silencieux et prudent car il est entraîné à parler seulement lorsqu'il
connaît la bonne réponse. Il se taira plutôt que de réaliser un énoncé incorrect.
Le manque de l’autonomie
Le terme autonomie a été introduit dans la pensée philosophique par E. Kant (1724-1804) pour
désigner « dans la sphère de la raison pratique, l’indépendance de la volonté par rapport à tout désir
ou à tout objet de désir et sa capacité à se déterminer en conformité avec sa propre loi » (Barbot et
Camatarri, 1999; 25). Si nous voulons retenir la définition de Kant comme le point de départ, c’est
parce que le philosophe est le premier qui a conçu une conception de l’autonomie comme la
capacité d’agir sur la base de normes autodéterminées, et non comme l’affirmation d’une
subjectivité absolue.
En didactique des langues étrangères, l’idée de trouver d’autres possiblités d’apprendre une langue,
qui ne soient pas fondées sur le rôle primordial de l’enseignement mais sur l’acquisition de langue
en termes d’apprenant et d’apprentissage, a émergé au début des années 1970. Cette recherche de
solutions alternatives est devenue la base de la démarche pédagogique dite de l’autonomie. À cet
égard, Holec propose en 1991 sa définition de l’autonomie: « L’autonomie de l’apprenant implique
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