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financement de l’économie:
de nouveaux canaux pour la croissance 19
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REVUE DE LA
STABILITÉ FINANCIÈRE
AVRIL 2015
Financement de l’économie: de nouveaux canaux pour la croissance
Banque de France•Revue de la stabilité nancière •N°19• Avril 2015
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L’après‑crise et le financement de l’économie:
enjeux et défis pour la stabilité financière
Christian Noyer
Gouverneur
Banque de France
L
es nombreux changements que connaît
aujourd’hui le système financier sont
de natures diverses. Certains semblent
structurels, d’autres seulement transitoires.
Nombre d’entre eux découlent tout d’abord des
enseignements directement tirés de la crise par
les acteurs eux‑mêmes: la crise financière semble
avoir entraîné chez les agents économiques un
comportement d’une grande prudence face au
risque, à l’instar de ce que l’on a pu observer lors des
crises financières passées1; la finance sécurisée, qui
s’appuie sur des garanties, est en forte augmentation;
les prêts sont octroyés à des maturités plus courtes,
toutes choses égales par ailleurs ; et de façon
générale, les investisseurs demandent toujours plus
de transparence.
D’autres changements sont les conséquences
attendues des réglementations mises en place en
réponse à la crise. Le programme des réformes
réglementaires du G20 recouvre plusieurs volets
s’adressant aux différentes composantes du système
financier mondial : réglementation bancaire
(Bâle III); identification en cours des institutions
systémiques, qu’il s’agisse des banques, des sociétés
d’assurance, des infrastructures de marchés ou
des institutions financières qui ne sont ni des
banques ni des sociétés d’assurance; traitement
des dérivés sur les marchés de gré à gré; objectif
de transformation de la finance parallèle (shadow
banking) en source de financements de marché sains,
etc. Il en découle notamment un renchérissement du
coût de l’intermédiation bancaire par le biais d’une
meilleure prise en compte du coût du risque, une
incitation à la standardisation des produits dérivés
et à la compensation centrale et une diminution du
risque de défaut.
Enfin, d’autres évolutions sont le fruit des
interactions entre les deux premières formes de
changement, dans un contexte où la mise en œuvre
des nouvelles normes réglementaires s’effectue à
un rythme ou selon des modalités différentes entre
juridictions, ce qui est parfois source d’incohérences.
Decesinteractions découlent de nouvelles incitations
et de nouvelles formes de financement. Si celles‑ci
sont parfois utiles pour compléter le financement
bancaire, elles sont également porteuses de risques
pour la stabilité financière.
En effet, la hausse du coût de l’intermédiation
bancaire et les contraintes nouvelles qui pèsent sur les
banques ont conduit, en particulier en Europe où ces
dernières jouent un rôle prépondérant, à l’apparition
ou au développement de sources alternatives de
financement, en particulier le financement direct
de marché. C’est tout l’enjeu du projet d’union
des marchés de capitaux lancé par la Commission
européenne.
Parallèlement, nous constatons des évolutions qui
pourraient être sources de difficultés, entraînant
d’une part, une pression à la hausse sur les coûts de
transaction et d’émission, d’autre part, une fragilité
croissante de la liquidité au moins sur certains
segments de marché: l’abandon par certaines banques
de leur fonction traditionnelle de teneur de marché,
dont la viabilité pourrait être compromise par l’effet
cumulé des contraintes réglementaires; la recherche
1 Voir par exemple Arrondel(L.) et Masson(A.) (2011): L’épargnant dans un monde en crise: ce qui a changé, Paris, Éditions rue d’Ulm.
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L’après-crise et le nancement de l’économie : enjeux et dés pour la stabilité nancière
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de rendement et la concentration d’achats sur de
nouvelles classes d’actifs (exchange-traded funds – ETF,
highyield, etc.); l’apparition d’épisodes d’illiquidité
sur les marchés secondaires, en particulier ceux de la
dette émise par les entreprises; l’essor de certaines
sphères d’activités comme la gestion d’actifs, le
trading à haute fréquence ou les fonds spéculatifs
qui se substituent aux banques et deviennent les
nouveaux pourvoyeurs de liquidité, mais dont le
comportement peut être parfois nocif ou à tout le
moins procyclique lors d’épisodes de tensions sur les
marchés; la concentration des actifs entre les mains
d’un petit nombre d’acteurs avec un risque accru de
comportements moutonniers.
Je voudrais à présent illustrer les principaux enjeux
actuels du financement de l’économie sur lesquels
nous devons porter toute notre attention ainsi que
leurs implications en matière de stabilité financière.
1| Les nouveaux enjeux
du financement de Léconomie
1|1 Assurer le nancement de l’économie
est une des priorités des autorités
dans un contexte de reprise graduelle
mais encore incertaine de l’activité
Huit ans après le déclenchement de la crise, de
nombreuses économies n’ont pas encore retrouvé les
niveaux d’activité et d’emploi connus antérieurement.
Ainsi, en France, le niveau de la production industrielle
est, au début de2015, inférieur d’environ18 %
à celui qui prévalait au début de l’année2008 et
l’investissement des entreprises en volume inférieur
de près de 10%, tandis que le nombre de chômeurs
a progressé, dans le même intervalle de temps, de
près de 1,5 million. Les perspectives de reprise
restent très modérées à court terme, tout comme en
Europe, en particulier s’agissant de l’investissement.
Or, la reprise de l’investissement est essentielle pour
reconstituer nos capacités de production.
Il est dès lors crucial que les banques mais également
le reste du système financier soient en mesure de
financer les besoins d’investissement qui iront
croissant à la faveur de la reprise.
1|2 Le nancement de l’investissement
à long terme et celui des petites
et moyennes entreprises
sont au cœur des préoccupations
Dans les économies d’Europe continentale, la
contrainte est particulièrement mordante pour
le financement de l’investissement à long terme,
en particulier pour les infrastructures, comme
pour celui des petites et moyennes entreprises
(PME). En effet, de par leurs caractéristiques, en
particulier la présence de coûts fixes importants
et d’asymétries d’information, le financement de
l’investissement à long terme et celui des PME sont
assurés essentiellement par les banques. Par rapport
au marché, les banques ont en effet une capacité
supérieure de suivi et d’évaluation des emprunteurs:
elles sont donc mieux à même de réduire les risques
de contrepartie (sélection adverse) et de limiter l’aléa
moral en suivant le comportement des entreprises
après leurs décisions d’investissement.
Cependant, cette dépendance au financement
bancaire, qui assure près de 65% du financement à
l’économie en France et plus de 70% dans le reste
de l’Europe continentale, peut constituer une source
de vulnérabilité pour les entreprises qui subissent
le contrecoup des contraintes réglementaires pesant
sur les banques.
1|3 L’enjeu principal est de favoriser
le développement du nancement
de marché en complément
du nancement bancaire
La capacité des banques à financer l’économie
semble aujourd’hui contrainte, d’une part, par la
poursuite nécessaire de l’ajustement de leur bilan
et, d’autre part, par la mise en œuvre progressive
des nouvelles réglementations à partir de2018, bien
que celle‑ci ait déjà été largement anticipée sous la
pression de la concurrence, des investisseurs, voire
des régulateurs eux‑mêmes, et que le calibrage des
dispositifs réglementaires en matière de solvabilité
et de liquidité des banques ait été revu de façon à
en réduire les effets potentiellement négatifs sur le
financement des entreprises.
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L’après-crise et le nancement de l’économie : enjeux et dés pour la stabilité nancière
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Le défi principal auquel sont confrontées les
économies européennes et plus encore les économies
émergentes est donc d’assurer cette transition vers
l’accroissement du financement de marché.
Cette tendance est déjà enclenchée mais à des
degrés et des rythmes divers. Ainsi, pour faire face
aux difficultés de financement durant la crise, les
entreprises ont recouru davantage au financement
de marché, via des émissions obligataires et, dans
une moindre mesure, des augmentations de capital.
Cette tendance a été particulièrement marquée
en France mais n’a concerné que les grandes
entreprises, non les PME ou les entreprises de taille
intermédiaire(ETI) qui restent essentiellement
dépendantes des financements bancaires.
EnEurope, ce mouvement s’est en outre concentré
dans les pays où les marchés financiers étaient
les plus développés et non ceux où les besoins de
financement étaient les plus importants ou les
pluspressants.
Dans les économies émergentes, la part des
financements bancaires a également reculé au cours
de la dernière décennie au profit des financements
obligataires sur les marchés internationaux, en dollar
(notamment pour les entreprises) ou en devises
domestiques. Il en résulte une sensibilité accrue
des économies émergentes aux mouvements des taux
d’intérêt mondiaux à long terme et au comportement
des investisseurs internationaux.
1|4 L’action des pouvoirs publics
est nécessaire pour faciliter
ce développement
La transition d’une économie où le financement
est pour l’essentiel assuré par les banques vers un
système plus équilibré, faisant une place plus large
au financement de marché, est un processus long.
Aux États‑Unis, il aura fallu plusieurs décennies pour
y parvenir. Dans ce processus, entre autres facteurs,
l’action des pouvoirs publics a été déterminante via
l’action réglementaire et la création des agences
gouvernementales, créant des conditions favorisant
la titrisation des créances immobilières.
Conduire cette transition se pose dans les mêmes
termes en Europe, et particulièrement depuis la crise.
En France, les autorités publiques ont par exemple
lancé de nombreuses initiatives pour développer les
financements alternatifs au financement bancaire.
Ainsi, depuis août 2013, les entreprises régies par
le Code des assurances sont autorisées à accorder
des prêts non garantis aux entreprises noncotées.
Cesprêts doivent entrer dans le cadre d’un programme
spécifiquement approuvé par l’Autorité de contrôle
prudentiel et de résolution, l’approbation tenant
notamment compte de l’adéquation de l’analyse
et de la mesure des risques de crédit ausein de
l’établissement.
On peut aussi signaler les initiatives des banques
centrales pour relancer la titrisation qui pâtit d’un
traitement prudentiel encore trop sévère et d’une
mauvaise réputation auprès des investisseurs depuis
la crise. Or, l’arrêt quasi complet des émissions en
Europe est paradoxal si l’on considère la qualité
de la titrisation européenne, caractérisée par un
taux de défaillance des actifs sous‑jacents environ
dixfois moins élevé qu’aux États‑Unis (1,5% contre
18,4% selon l’agence de notation Standard&Poor’s).
La Banque d’Angleterre et la Banque centrale
européenne ont récemment lancé une initiative
visant à promouvoir une titrisation simple,
transparente et homogène. Il en est de même de la
Banque de France qui, avec la place financière de
Paris, a souhaité exploiter les gisements importants de
créances privées présents dans les bilans bancaires.
Les banques qui le souhaitent peuvent ainsi, via un
véhicule de Place (Euro secured note issuer–ESNI),
adosser ces créances à des titres obligataires,
eux‑mêmes négociables et leur permettant de lever
des ressources à moyen/long terme. Ces obligations
devraient être en outre mobilisables, sous réserve
de remplir les conditions d’éligibilité, en tant
que collatéral pour le refinancement auprès de
l’Eurosystème. Ce mécanisme, non déconsolidant,
permet aux banques de diversifier leurs sources de
financement et encourage la fourniture de crédit
aux PME. La Banque de France fournit quant à elle
les informations sur la qualité des créances qui
garantissent ces obligations grâce à son système de
cotation qui porte sur plus de 280 000 entreprises en
France, dont une large majorité de PME.
Tout récemment, la Commissioneuropéenne a lancé
une consultation sur un cadre européen pour des
opérations de titrisation simples, transparentes et
normalisées.
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