Entourage forcé voulu par la société. D’ailleurs dans la pièce, Alceste n’est jamais seul (absence de
monologue), jamais il ne quitte la scène sans être suivi.
La rencontre est ponctuée par des remarques qui devraient mettre aussitôt fin à l’action : « Laissez-moi, je
vous prie » v2, « Moi votre ami ? Rayez-cela de vos papiers » v8, (avec des mots d’ordre, des formes
injonctives) « Moi, je veux me fâcher, et ne veux point entendre. » v5 coupant court normalement à tout
échange. Alceste veut demeurer seul, du fait de la répulsion qu’il éprouve à l’égard des autres hommes
mais il ne peut demeurer seul puisqu’il appartient par son statut d’homme à un ensemble social, à une
société. Là est le paradoxe ! L’effort de rupture du misanthrope doit recourir à cette spécificité du théâtre
qui est de passer par le langage. Il faut parler à l’autre pour le repousser, pour faire état de la critique. Il
s’agit du paradoxe de tout homme qui vit à la fois une attirance et une antipathie (défaut d’affinité,
aversion pour quelqu’un, sentiment d’éloignement, de répulsion) pour l’autre. L’homme possède une
tendance à s’associer mais il a un grand penchant également à se séparer, à s’isoler, une tendance à vouloir
seul tout organiser selon son humeur.
L’action se déroule chez Célimène (didascalie initiale pour le lecteur, décor pour le spectateur). Les
personnages sont confrontés les uns aux autres dans un espace d’enfermement (unité de lieu) défini par
les étages de la maison de Célimène, lieu unique de la représentation, lieu de rendez-vous et de
croisement. On fait salon, on se place, on s’observe et on ne peut s’aimer ou se haïr que sous le regard des
autres. Ce lieu représente le théâtre du monde. Placer un Misanthrope au centre du salon d’une coquette
qui régente la vie élégante de son temps, c’est paradoxal et provocateur.
c : La présentation des personnages
Alceste est le misanthrope, l’atrabilaire amoureux (expression oxymorique qui n’est pas encore
expliquée). Plus loin, dans la même scène, Alceste justifiera le nom d’atrabilaire : « J’entre en une humeur
noire, en un chagrin profond, /Quand je vois vivre les hommes comme ils font. » (Vers 91-92) L’excès de la
bile noire confère à Alceste ce tempérament hostile, cette aversion pour les autres. Le discours d’Alceste
est marqué par une affectivité extrême qui renvoie à un type de sensibilité plus proche du baroque que de
l’idéal classique. Sa misanthropie est une maladie qui se manifeste par des excès : il s’exprime avec des
hyperboles. Il utilise un juron : « Morbleu » v60. Il est incapable de faire preuve de litotes ou
d’euphémismes, figures de style qui permettent d’atténuer la pensée. Ses réactions, ses propos sont sans
cesse exagérés. Il y a bien dérèglement de l’humeur : « mourir de pure honte »v14, « scandaliser », «une
chose indigne, lâche, infâme, / De s'abaisser ainsi, jusqu'à trahir son âme »v25 (notez l’énumération, voire
la gradation), « pendre tout à l’instant ». Philinte évoque d’ailleurs de « brusques chagrins ». Alceste
semble un personnage bourru, il manque de délicatesse car il refuse d’entendre son ami. Il fait preuve
d’autorité, il est colérique et il est égocentrique (forte présence de la première personne). Or au 17e siècle,
« Le Moi est haïssable », Pascal.
Philinte, quant à lui, garde son « flegme »v166, il plaisante (humour et non humeur) et cherche à
temporiser la rage d’Alceste «que je me fasse un peu grâce sur votre arrêt ». Il semble accoutumé à ses
sautes d’humeur et lui donne une leçon de nuance, de juste mesure. Il tente de le calmer sans l’agresser :
« Mais on entend les gens, au moins, sans se fâcher. » Il n’utilise pas de 2e personne trop accusatrice. Il est
victime d’une accusation injuste ; il a fait preuve de courtoisie. Le spectateur sent alors le décalage
comique entre la colère d’Alceste et le motif d’accusation. Alceste apparait ridicule par ce décalage et ses
excès intransigeants (et donc à ne pas imiter). Il est d’autant plus ridicule qu’il refuse la plaisanterie de
Philinte. Le 17e siècle aime et prône la mesure (à retrouver chez La Fontaine). Philinte cherche à se
défendre : « Je ne vois pas, pour moi, que le cas soit pendable, 29 ; / Et je vous supplierai d'avoir pour
agréable, » et prie avec amabilité son ami de le comprendre. Il rappelle leur amitié : « Et quoique amis,