0 – EDITO n° 57-1

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II – TÉMOIGNAGES ET SUGGESTIONS
L’EXERCICE DE QUESTIONNEMENT DES TEXTES
PHILOSOPHIQUES AU RISQUE DE LA SIMPLICITÉ
Brigitte ESTEVE-BELLEBEAU
Lycée Max Linder, Libourne
Depuis l’année scolaire 2009-2010, une commission de réflexion sur l’enseignement philosophique a trouvé place au sein de l’Association des professeurs de philosophie de l’enseignement public.
Les objectifs assignés à cette commission sont, pour l’essentiel, de réfléchir aux
épreuves des séries technologiques, d’essayer de penser si et à quelles conditions l’enseignement de la philosophie en première est envisageable, de se donner comme
objet de discussion les exercices que chacun d’entre nous invente pour aider à la
construction de la réflexion philosophique. Elle ne propose donc rien qui soit formel,
car tel n’est pas son but. Mais elle entend et recueille ce que les collègues veulent bien
faire remonter jusqu’à elle, afin de mieux prendre acte des modalités d’enseignement
de la philosophie, des écarts entre ce qui est et ce qui pourrait être. Pour ce faire,
cette commission s’est penchée dans un premier temps sur l’explication de texte, en
séries technologiques en particulier. Ce qui suit tente de rendre compte de l’esprit
dans lequel le travail de réflexion s’y opère, et se présente comme une contribution
aux travaux de cette commission.
L’enseignement de la philosophie en lycée a accordé, au fil des années, une place
conséquente à l’usage des textes philosophiques, afin de préparer les élèves à la
réflexion et à la pensée critique. De la lecture suivie d’œuvres philosophiques au
recours massif à de larges extraits d’œuvres, en passant par le travail de compte
rendu de lecture d’une œuvre, c’est à habituer l’élève à se frotter avec une pensée parfois ardue que le professeur de philosophie s’oblige durant l’année scolaire.
De ces divers champs de travail invitant à l’élaboration de la réflexion philosophique avec les élèves, nous avons choisi d’abord le plus classique : celui de l’usage
des textes philosophiques courts, dont il s’agit de favoriser l’accès pour des élèves ne
disposant pas toujours d’une culture éclairante, c’est-à-dire susceptible de rendre
L'enseignement philosophique – 61e année – Numéro 3
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BRIGITTE ESTEVE-BELLEBEAU
intelligible le sens de certains termes ou même de faciliter l’accès à un « arrièremonde » du texte.
Comment faire un usage philosophique d’un texte philosophique en posant
comme finalité de la lecture la compréhension d’un problème que le texte pose ou
qu’il tente d’élucider ?
Partant de la question pédagogique : « comment rendre compréhensibles les textes
philosophiques dans un horaire souvent très restreint ? », nous avons élaboré à partir de
certains textes un questionnement visant à en faciliter l’accès. Il est d’ailleurs désormais facile pour un jeune professeur, qui chercherait quelques exercices à donner à
ses élèves, de trouver en ligne pas mal d’exemples de textes proposés, sur des sites ou
des blogs réalisés par des collègues 1. Le lecteur ne trouvera donc pas dans ce qui suit
quelque chose qui manifesterait une grande originalité, mais simplement un témoignage de ce qui se fait avec les élèves des séries techniques. L’intérêt de ce témoignage consiste dans ce qu’il pourra ouvrir comme échange entre professeurs désireux de
réfléchir ensemble, du moins tel est notre souhait.
Le travail qui suit, quant à lui, doit beaucoup à celui d’une équipe qui, sans
jamais céder aux sirènes du pédagogisme, a bien cerné cependant les difficultés de
l’accès aux textes philosophiques.
F. Raffin et l’équipe travaillant à ses côtés, dans le cadre d’une mission INRP, ont
très bien montré l’usage qui pouvait être fait d’œuvres dans le cadre d’une lecture suivie, visant à ouvrir la pensée des élèves à partir d’une question de cours, ou d’une
problématique susceptible d’être travaillée tout au long de l’année 2.
À la fin de l’ouvrage consacré à la présentation des travaux de l’équipe, se trouve
un chapitre intitulé « La lecture des textes courts » dans lequel le texte philosophique
est présenté comme « intelligibilité rationnelle c’est-à-dire œuvre d’une intelligence
permettant l’intelligence ». Même s’il nous arrive de l’oublier, tant parfois les conditions de travail, les difficultés rencontrées avec certaines classes sont grandes, telle est
bien la finalité que nous espérons voir se réaliser : l’éveil d’un esprit qui se met à penser par soi, car il a découvert ce qui fait qu’un mot devient un concept.
Mais les obstacles à la lecture d’un texte philosophique sont nombreux, à commencer par la difficulté d’une élaboration conceptuelle quand le sens des notions en
jeu dans un texte semble être « évident » ; à continuer par l’absence d’habitude de
questionner le discours, ce qui conduit à mettre au même niveau toutes les formes de
discours. Il est ainsi nécessaire de se demander comment rendre le texte moins étranger à la pensée de l’élève, c’est-à-dire comment lui en faciliter l’accès sans pour autant
lui mâcher les étapes d’une argumentation comme s’il ne s’agissait que d’un pur exercice de construction, d’une séance d’empilement de Lego !
Or cela ne peut se réaliser en faisant un cours magistral sur la pensée de l’auteur,
son contexte historique, scientifique et philosophique etc., puis en donnant une liste
des concepts du texte à étudier, et enfin en fournissant une présentation chronologique des arguments avancés par l’auteur. On court alors le risque de ne laisser aux
élèves que la trace d’une pensée, occultant ainsi toute pensée pensante, c’est-à-dire
1. S. Manon propose en particulier un travail de décryptage de quelques grands textes de Descartes ou de
Rousseau, et un ensemble de cours en ligne tout à fait intéressants. (http//www.philolog.fr/author/simonemanon). C. Eyssette fait de même, avec des conseils méthodologiques judicieux et des rubriques aussi bien
dédiées aux élèves qu’à des chercheurs. (http://eyssette.net)
2. F. Raffin (coordonné par), Usages des textes dans l’enseignement de la philosophie, CNDP, Hachette Éducation, 2002.
L’EXERCICE DE QUESTIONNEMENT DES TEXTES PHILOSOPHIQUES AU RISQUE DE LA SIMPLICITÉ
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toute pensée en train d’œuvrer à sa propre découverte, ici permise par le réel du
texte.
Toute la difficulté est bien là : enseigner la philosophie par le recours aux textes,
tout en donnant les moyens de penser philosophiquement, sans tomber dans les deux
écueils que sont l’historicisme ou la promotion d’une réflexion individualiste 3 qui
ignore, en amont, ce qu’elle doit à la culture et en aval, qu’elle est en devoir de contribuer à l’élaboration d’une vérité à partager.
On peut alors proposer aux élèves, particulièrement au cours du premier trimestre, mais pas seulement, des textes dont la lecture sera favorisée par des questions 4
visant un double objectif : aider à pénétrer les raisons du texte, et les amener à formuler le problème qu’il soulève, évidence pourrait-on dire ! Et pourtant…
Car, afin que cet exercice de va-et-vient entre questions et texte n’induise pas
d’effet pervers – c’est-à-dire n’amène pas l’élève à se focaliser sur les questions de telle
manière qu’il en oublierait le texte, son unité, sa progressivité, il faut que les questions soient bel et bien à la hauteur du texte et de l’enjeu que l’on se fixe dans ce type
de travail. À la hauteur du texte, ce qui signifie ni trop en décalage par rapport à lui,
amenant à s’en éloigner comme pour en fuir la difficulté ou se réfugier dans un savoir
trop extérieur (comme l’histoire des idées, ou le contexte historique d’écriture) ; ni
trop près de sa lettre, ne conduisant alors qu’à un travail de repérage de termes
comme les connecteurs logiques – à l’instar de ce que retiennent à tort les élèves
d’une approche littéraire, ou à souligner voire à définir quelques termes arrachés à
l’unité organique du texte comme pour en désigner toute l’importance à l’avance.
Si le jeu des questions posées au texte ne doit donc être ni trop proche ni trop
lointain par rapport à ce dernier, cela n’invalide pourtant pas un travail préalable de
lectures multiples du texte qui, lui, aura permis ce repérage externe des notions ou
expressions complexes, des termes qui se répètent ou encore des connecteurs
logiques, pour ne citer qu’une forme possible de lecture préalable.
Or, il y a loin entre cette forme de lecture et le travail d’analyse critique auquel
nous espérons faire parvenir nos élèves. C’est pourquoi un questionnement progressif
guidant cette lecture pour la rendre plus aisée ne sera pas un ajout superfétatoire ou
une simple béquille, comprenons un outil dont l’extériorité voire l’artificialité frappe
par son incongruité même. Il sera un prolongement 5 du travail entrepris par l’élève et
initié par le professeur, lequel aide à lire les textes philosophiques dont l’accès est
d’autant plus ardu, que le vocabulaire ne permet pas un accès direct au sens.
Pour illustrer cette forme de questionnement, nous proposons en suivant trois
textes donnés aux élèves en cours d’année. Ce que vous allez lire est en réalité l’aboutissement d’une réflexion menée dans le cadre d’un enseignement en séries technologiques : il s’agissait de faciliter l’accès aux textes philosophiques pour des élèves qui
ne disposent que de deux heures de philosophie par semaine. L’expérience, montrant
quelque vertu, a été ensuite étendue aux élèves des séries générales, au cours du premier trimestre principalement.
3. « L’historicisme qui réduit la philosophie à l’histoire profane des idées ou la promotion d’une réflexion individualiste qui croit échapper au geste fondateur en récusant toute tradition. » Usages des textes dans l’enseignement de la philosophie, coordonné par F. Raffin, p. 47.
4. C’est ce que l’épreuve d’explication de texte philosophique au baccalauréat en séries technologiques est censée couronner : une aptitude à expliquer un texte en s’appuyant sur un ensemble de questions visant à en faciliter l’accès.
5. Le questionnement entend ainsi assurer le passage du prothétique à l’organique.
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Les textes suivants sont donc des textes philosophiques courts donnés en séries
technologiques, selon diverses modalités d’exercice.
Le premier d’entre eux est un texte d’Alain, auteur auquel le début d’année scolaire permet de recourir très volontiers. Il s’agit certes d’un texte assez long, mais le
premier travail le concernant en séries technologiques n’a été donné qu’à la maison. Il
a été choisi pour la possibilité qu’il offrait d’introduire une réflexion problématisée sur
ce qui distingue croire et savoir, à partir d’une autre distinction : celle que posait le
texte entre penser et croire. Le travail qui consiste à permettre à l’élève d’accéder au
concept de raison peut être initié ici à partir d’un texte qui ouvre au questionnement
sur les frontières poreuses entre des domaines a priori opposés.
L’objectif pédagogique poursuivi était d’introduire un cours dans le champ de
réflexion intitulé « la vérité » et dont le titre est : Peut-on croire en la raison ?
Le travail d’élaboration des réponses a été fait en deux étapes : l’une, à la maison,
se déploie sur un temps court entre deux séances, l’autre se réalise en cours et en
petits groupes, permettant de comparer le travail individuel et de construire des
réponses mieux argumentées. Chaque groupe peut ensuite rendre compte de son travail devant la classe entière.
❉
Alain, Propos d’un Normand, 15 janvier 1908.
0
Penser n’est pas croire. Peu de gens comprennent cela. Presque tous et ceux-là
mêmes qui semblent débarrassés de toute religion, cherchent dans les sciences quelque
chose qu’ils puissent croire. Ils s’accrochent aux idées avec une espèce de fureur ; et si
quelqu’un veut les leur enlever, ils sont prêts à mordre. Ils disent qu’ils ont « une curiosité passionnée », et au lieu de dire problème ils disent énigme […] Dans les discussions, vous ne les voyez point sourire, ils sont tendus comme des Titans soulevant la
montagne.
Je me ferai une tout autre idée de l’intelligence. Je la vois plus libre que cela, plus
souriante aussi. Je la vois jeune ; l’intelligence, c’est ce qui dans un homme reste toujours jeune. […] Je la vois comme une main exercée et fine qui palpe l’objet, non
comme une lourde main qui ne sait pas saisir sans déformer. Lorsque l’on croit, l’estomac s’en mêle et le corps est raidi ; le croyant est comme le lierre sur l’arbre. Penser,
c’est tout à fait autre chose. On pourrait dire penser, c’est inventer sans croire.
Imaginez un noble physicien, qui a observé longtemps les corps gazeux, les a chauffés, refroidis, comprimés, raréfiés. Il en vient à concevoir que les gaz sont faits de milliers de projectiles très petits qui sont lancés vivement dans toutes les directions et
viennent bombarder les parois du récipient. Là-dessus, le voilà qui définit, qui calcule ;
le voilà qui démonte et remonte son « gaz parfait » comme un horloger ferait pour une
montre. Eh bien je ne crois pas du tout que cet homme ressemble à un chasseur qui
guette une proie. Je le vois souriant et jouant avec sa théorie ; je le vois travaillant sans
fièvre et recevant les objections comme des amies ; tout prêt à changer ses définitions
si l’expérience ne les vérifie pas, et cela très simplement, sans geste de mélodrame. Si
vous lui demandez : « croyez-vous que les gaz soient ainsi ? » il répondra : « je ne crois
pas qu’ils soient ainsi, je pense qu’ils sont ainsi ». Cette liberté d’esprit est presque toujours mal comprise et passe pour scepticisme. L’esclave affranchi garde encore longtemps l’allure d’un esclave ; le souvenir de la chaîne fait qu’il traîne encore la jambe ; et
quoiqu’il ait envoyé Dieu à tous les diables, il ne sait pas encore réfléchir sans que le
feu de l’enfer colore ses joues.
Questions
1) Dès le début du texte, l’auteur énonce une idée essentielle et y ajoute une
remarque sur la difficulté de l’accepter. Quelle est cette idée ? Comment peut-on justifier la difficulté d’y accéder ?
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2) Pourquoi certains individus préfèrent-ils parler d’énigme plutôt que de problème ? Repérez le vocabulaire qui caractérise la croyance dans le premier paragraphe.
3) Le deuxième paragraphe traite de l’intelligence. Quelle relation l’auteur établit-il entre l’intelligence et la liberté ? Pourriez-vous l’expliquer en reprenant la comparaison de l’intelligence et de la main.
4) Comment comprenez-vous l’expression « penser c’est inventer sans croire » ?
5) Qu’apporte l’exemple du physicien à l’idée d’Alain, selon laquelle penser, c’est
douter et non croire ? Pourriez-vous maintenant reprendre la comparaison avec la
main, à la lumière de l’exemple du physicien et en poursuivre l’analyse ?
6) Si penser, c’est faire preuve d’une liberté d’esprit, cela veut-il dire qu’un tel
esprit soit détaché de toute croyance ? Que nous apprend la dernière phrase sur cette
question ?
7) Alain croit-il ou pense-t-il ? Sur quoi fondez-vous votre réponse ?
❉
Le deuxième exemple est un texte de Kant, extrait de la Critique de la raison pratique. Ce texte, particulièrement didactique, permet entre autres, d’élaborer une
réflexion sur la notion de personne, à partir de la question de la déhiscence de la
conscience et du parallèle institué par l’auteur entre le fonctionnement de la
conscience morale et le tribunal. Il a été choisi parce qu’il offre l’opportunité d’un prolongement de la réflexion inaugurée dans un cours sur la justice, à partir d’un travail
de groupe sur Antigone de Sophocle.
Ce texte a fait l’objet d’une explication, avec ces questions (à l’exception de celle
portant sur les termes en italique). Dans le cadre d’un travail de correction de l’explication de texte, il peut être exploité avec tout l’éventail des questions, plus l’exigence
de fournir des définitions pour les concepts essentiels, permettant ainsi aux élèves de
travailler à partir de leur copie et en petits groupes pour élaborer une réponse aux
questions et mieux faire le lien entre les cours et le texte. Est ici rencontrée l’exigence
d’une lecture vive d’un texte, qui en a fini avec l’illusion qu’un passage se trouve épuisé et digéré une fois pour toutes.
Tout homme a une conscience et se trouve observé, menacé, de manière générale
tenu en respect par un juge intérieur et cette puissance qui veille en lui sur les lois
n’est pas quelque chose de forgé (arbitrairement) par lui-même, mais elle est inhérente
à son être. Elle le suit comme son ombre quand il pense lui échapper. Il peut sans
doute par des plaisirs ou des distractions s’étourdir ou s’endormir, mais il ne saurait
éviter parfois de revenir à soi ou de se réveiller, dès lors qu’il en perçoit la voix terrible. Il est bien possible à l’homme de tomber dans la plus extrême abjection où il ne
se soucie plus de cette voix, mais il ne peut jamais éviter de l’entendre.
Cette disposition intellectuelle originaire et (puisqu’elle est la représentation du
devoir) morale, qu’on appelle conscience, a en elle-même ceci de particulier, que bien
que l’homme n’y ait affaire qu’avec lui-même, il se voit cependant contraint par sa raison d’agir comme sur l’ordre d’une autre personne. Car le débat dont il est ici question
est celui d’une cause judiciaire devant un tribunal. Concevoir celui qui est accusé par
sa conscience comme ne faisant qu’une seule et même personne avec le juge, est une
manière absurde de se représenter le tribunal : car s’il en était ainsi, l’accusateur perdrait toujours. C’est pourquoi pour ne pas être en contradiction avec elle-même la
conscience humaine en tous ses devoirs doit concevoir un autre (comme l’homme en
général) qu’elle-même comme juge de ses actions. Cet autre peut-être maintenant
une personne réelle ou seulement une personne idéale que la raison se donne à ellemême.
KANT, Critique de la raison pratique.
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Questions
1) La thèse que soutient l’auteur concerne la nature et la fonction de la conscience morale ; Devenez le porte-parole de Kant et explicitez sa thèse. Essayez d’aboutir à
une définition la plus claire possible de la conscience.
2) S’il arrive à l’homme de ne plus écouter la voix de sa conscience, est-ce parce
que cette voix a disparu ? Quelles peuvent alors être les raisons ou les causes qui amènent l’homme à ne pas écouter la voix de la conscience ?
3) Dans ce texte, pour expliquer ce qu’est la conscience, l’auteur se sert de la
morale et de la justice (à travers l’idée du tribunal) ; pouvez-vous reprendre son raisonnement, l’éclairer en précisant le sens de la comparaison avec le tribunal, et expliquer pourquoi il a recours à ces deux domaines ?
4) Un certain nombre de termes ou d’expressions sont en italique, pourquoi ?
5) À partir de ce texte, diriez-vous qu’obéir à la voix de la conscience, c’est agir
librement ou non ?
❉
Le troisième exemple choisi est un extrait de Malaise dans la civilisation de Freud,
texte qui permet d’introduire aussi bien un cours sur le bonheur que d’aider à réfléchir à la définition de l’homme comme un génie de l’équivoque, toujours au-delà de
ce qu’il se sait être 6, être dont la nature même est la culture.
Comme précédemment, ce texte a d’abord été proposé à des élèves de séries technologiques, c’est pourquoi, le jeu des questions est à la fois ample et ciblé : les questions larges, comme la première et la dernière permettent de faire prendre conscience
aux élèves de l’importance d’éclairer un passage à partir d’une culture générale, les
questions plus ciblées ramènent à la nécessité de lire un texte de très près pour pouvoir prétendre en pénétrer l’ordre des raisons.
Ce texte a été donné à la maison, après un travail de problématisation de la
notion de bonheur et de son caractère possiblement illusoire, avec exigence d’utiliser
tous les résultats de leurs recherches sur les définitions possibles du bonheur, de la
société, et de la civilisation, et ce, après un cours sur la société et sa dénaturation possible de l’homme.
Il semble certain que nous ne nous sentons pas à l’aise dans notre civilisation actuelle, mais il est très difficile de juger si, et à quel point, les hommes de jadis se sont sentis plus heureux, et alors d’apprécier le rôle joué par les conditions de leur civilisation.
[…] Le moment est venu de considérer l’essence de cette civilisation dont la valeur, en
tant que dispensatrice de bonheur, a été révoquée en doute. Nous n’allons pas exiger
une formule qui la définisse en peu de mots avant même d’avoir tiré de son examen
quelque clarté. Il nous suffira de redire que le terme de civilisation désigne la totalité
des œuvres et organisations dont l’institution nous éloigne de l’état animal de nos
ancêtres et qui servent à deux fins : la protection de l’homme contre la nature et la
réglementation des relations des hommes entre eux. […]
Il ne paraît pas qu’on puisse amener l’homme par quelque moyen que ce soit à troquer sa nature contre celle d’un termite ; il sera toujours enclin à défendre son droit à
la liberté individuelle contre la volonté de la masse. Un bon nombre des luttes au sein
de l’humanité se livrent et se concentrent autour d’une tâche unique : trouver un équilibre approprié, donc de nature à assurer le bonheur de tous, entre ces revendications
de l’individu et les exigences culturelles de la collectivité. Et c’est l’un des problèmes
dont dépend le destin de l’humanité que de savoir si cet équilibre est réalisable au
6. Expression empruntée à J. Lagneau, dans ses Célèbres Leçons et fragments.
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moyen d’une certaine forme de civilisation, ou bien si au contraire ce conflit est insoluble.
S. FREUD, Malaise dans la civilisation.
Questions
1) Quels signes peuvent attester du malaise de l’homme dans la civilisation
actuelle ?
2) Ces signes sont-ils les mêmes à toutes les époques ?
3) Pourquoi n’est-il pas évident de savoir si les hommes de jadis étaient heureux ?
4) Explicitez le sens de la définition que donne Freud de la civilisation. Pourriezvous illustrer une partie de cette définition en donnant un ou deux exemples d’organisation sociale ou d’œuvres permettant de lutter contre la nature en nous et hors de
nous ?
5) Quelles différences établit l’auteur entre l’homme et le termite ?
6) Quel équilibre toute société tente-t-elle de construire ? Quels sont les écueils
qu’elle peut rencontrer dans cette recherche ?
7) À partir de ce texte, et en vous aidant de vos connaissances, pourriez-vous
montrer en quel sens la recherche du bonheur est semblable à la quête du Graal ?
❉
Comme toujours ce type d’exercice n’est pas indépendant d’un cours qui oriente
le choix des textes et rend telle année celui-ci préférable à celui-là, ou encore tel
découpage plus pertinent que tel autre, en fonction de la question que la leçon
entend prendre en charge. Le choix des questions souffre donc nécessairement de
carences aux yeux d’un tiers qui proposerait un autre axe de problématisation des
notions que celui qu’on envisage ici. Par exemple, le jeu de questions portant sur le
texte de Freud pourrait être travaillé dans une perspective restreinte, orientant plus
directement l’élève vers l’impossibilité pour la civilisation de rendre les hommes heureux.
Il n’y a donc pas à chercher ici autre chose, que ce qu’un professeur peut tenter
comme expérience avec une classe, avec pour seul guide, son souci de faire comprendre ce qu’est un questionnement philosophique, à partir de l’étude de textes qui
permettent, quand bien même ils deviennent pour un moment des instruments du
cours 7, d’amener l’élève à saisir ce qu’est une problématisation.
Pour l’heure, il convient de rappeler que rien, dans cette présentation d’un accès
facilité aux textes philosophiques, ne peut être envisagé sans qu’un lien étroit ne
s’établisse avec l’élaboration d’un problème au sein d’un cours. C’est bien ce à quoi il
s’agit de tenir, en examinant ces modalités de l’exercice de questionnement des
textes : ne rien céder ici sur le statut du professeur « auteur de son cours », tout en
acceptant l’occurrence d’une rencontre avec des exercices qui ne cessent de se développer et peuvent ainsi permettre à des collègues débutants, ou qui souhaitent renouveler quelque peu leur pratique, de venir puiser ne serait-ce que l’idée d’en élaborer
eux-mêmes quelques autres.
7. Il s’agit là simplement de rendre hommage au souci toujours très présent dans le travail de F. Raffin de bien
distinguer usage et instrumentalisation des textes : « On ne peut prétendre faire un usage philosophique d’un
texte philosophique si on reste aveugle à ce que ce texte nous aide à mieux comprendre. Ce qui n’a plus rien à
voir avec l’instrumentalité ». F. Raffin, Op. cit., p. 15.
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S’il n’y a là qu’une esquisse du lien nécessaire entre élaboration d’un problème
dans le cours et usage des textes philosophiques, c’est pour ne pas se trouver en situation de fournir une normalisation du cours, ce qui serait tout à fait contradictoire
avec la finalité même de l’acte d’enseigner la philosophie. C’est pourquoi il ne pouvait
s’agir ici que de donner à lire et à critiquer un travail dont le souci premier aura été
de ne pas perdre les élèves sur le chemin qui mène à la compréhension d’un texte
sachant que « le résultat auquel conduit l’usage des textes philosophiques (est) une
compréhension par la médiation du texte philosophique qui prend nécessairement la
forme d’une problématisation. » 8
8. F. Raffin (coordonné par) Op. cit., p. 17.
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