122
stricte servile copie de la réalité intelligible, outre qu’elle ne sévit que dans une
stricte petite mesure (la photographie elle-même, qui servait presque exclusive-
ment à désigner cet art-imitation, s’en est, en cinquante ans d’existence, progressi-
vement délivrée) ne tient qu’une minime place dans notre histoire de l’art et ne
jouit que d’une piètre estime“.21
En parlant de „la réalité primitive“, il s’appuie sur l’ethnologue Lévy-Bruhl dont la
pensée ne fut pas seulement la source d’inspiration pour le Faux Traité d’esthé-
tique, mais aussi pour une nouvelle théorie de la connaissance qui cherche à
s’affranchir du principe de contradiction en tant que fondement de la pensée occi-
dentale. Dans son article Lévy-Bruhl et la métaphysique de la connaissance de
1940, Fondane apprécie en Lévy-Bruhl d’avoir su surmonter les „sombres limites“
de sa science et, sans le vouloir vraiment, „modifier profondément la conception
que la philosophie, tant antique que moderne, se faisait des rapports qui existent
entre la connaissance et l’être“.22 En renversant, par sa découverte du monde
mental des primitifs, l’apriori de la „théorie des connaissances“, l’ethnologue rejoint
dans la radicalité de sa démarche Rimbaud, cet autre philosophe-métaphysicien
malgré lui: „Nul [en parlant de Lévy-Bruhl] n’aurait osé mettre en doute l’axiome
fondamental qui veut qu’à la raison seule (c’est-à-dire l’intelligente, astreinte par
elle-même à un certain nombre de lois immuables dont le principe de contradic-
tion) appartiennent exclusivement, et de plein droit, non seulement la vérité mais
aussi l’être: ordo et connexio idearum, idem est, ac ordo et connexio rerum. Ou
bien, dans la traduction hégélienne: Was wirklich ist, ist vernüftig“.23
Ainsi, Fondane découvre, grâce à Lévy-Bruhl, la loi de participation que ce der-
nier, dans son étude Les Fonctions mentales dans les sociétés inférieures, décrit
comme la structure même de la pensée dite prélogique des ‘primitifs’: „En l’appe-
lant prélogique, je veux dire qu’elle ne s’astreint pas avant tout, comme notre pen-
sée, à s’abstenir de la contradiction. Elle obéit d’abord à la loi de participation.
Ainsi orientée, elle ne se complaît pas gratuitement dans la contradiction (ce qui la
rendrait régulièrement absurde pour nous) mais elle ne songe pas non plus à
l’éviter. Elle y est, le plus souvent, indifférente“.24 Ce passage est cité par Fondane
qui en souligne la conséquence radicale pour une pensée qui doit faire face au
mislogos puisque la pensée de participation des primitifs dévoile une forme de
connaissance qu’il faut désormais assumer: „Jamais les droits de la connaissance,
jamais ceux de l’éthique n’ont été plus radicalement affirmés, sans égard pour les
conséquences, que par un Nietzsche, un Kierkegaard ou un Plotin; mais jamais
aussi personne n’a osé aller plus loin qu’eux dans la proclamation des pouvoirs de
l’Absurde. Mais il arrive aussi, et c’est le cas de Lévy-Bruhl – comme c’était en par-
tie le cas de Freud, qui était rationaliste sans être un philosophe – qu’une cons-
cience claire ne se saisisse pas de l’événement“.25
Fondane poursuivra jusqu’à la fin cette quête d’une philosophie tournée vers
l’irrationnel et vers l’affectivité; au cours de sa quête il y aura encore des rendez-
vous intellectuels manqués. Avec Stéphane Lupasco, par exemple, qui cherche
une logique de la contradiction. Négligeant l’affectivité, ce physicien philosophe ne