XI
cahier
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OCTOBRE 1997 / MAI 2000
LA
CAVALCADE
DES MOTS
LA
CAVALCADE
DES MOTS
OCTOBRE 1997 / MAI 2000
LA
CAVALCADE
DES MOTS
Cahier XI page
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Ce qu’a dit Lucie
Hier, lorsque accompagné de
mon jeune ami Euthydème, je
quittais la boulangerie qui était
devenu notre lieu de rencontre
quotidien, j’ai rencontré Lucie
qui nous a pris à partie. Elle était
assez véhémente. Et, comme
toujours quand elle l’est, irré-
sistible. Elle m’a ramené chez
elle et durant des heures m’a
étourdi de ses discours.
«On change de siècle, de millé-
naire. Bien sûr ! m’a-t-elle dit.
Puis ? Ça n’a aucune espèce
d’im portance. Sauf pour les
niaiseux puérils comme cer-
tains que je ne nommerai pas.
Millénaire de quoi ? Millénai re
de qui ? m’a-t-elle dit. De quel
agenda ? de quelle écriture ? de
quelle naissance ? de quels
dieux ? Je ne me sens pas con-
cernée… N’empêche que lors que,
dans les dates à inscrire en
haut des lettres, on passe du
999 au 000, on a beau dire,
m’a-t-elle dit en affectant d’être
sérieuse, on a beau dire, il se
passe quelque chose. Comme
dans les petits matins des sep-
tembres d’autrefois lorsqu’on
rentrait en classe pour une
nouvelle année…
Moi, j’aimerais que le 000 qui
va s’ouvrir soit seulement le sol
où poussent de nouvelles grai -
nes, inespérées, inattendues,
dégagées du 999 trop lourd
enfoncé dans sa glaise. 999 !
Quelle fatigue ! Trop de queues
basses ! m’a-t-elle dit. Oublie
les chiffres, chevauche les mots.
Et prends garde de ne pas tré bu -
cher. Je t’attends au tournant ! »
Voilà ce que m’a dit Lucie…
Lucie dit n’importe quoi, je
sais. Elle déparle sans gêne et
sans raison. Surtout aux petites
heures quand le vin, la fatigue et
l’amour brouillent la vue, quand
la nuit flanche. Mais j’aime
l’entendre. Elle est branchée sur
l’essentiel. Oui, je l’aime beau-
coup.
Agathon
Le Xecahier s’achevait sur une promesse :
à suivre. La suite a suivi d’elle-même,
et pourtant avec une allure, une direction
de marche et des couleurs nouvelles.
Car les temps changent.
Les saisons se succèdent.
Dans les papiers du NTE a été retrouvé
un texte qui date de déjà presque un an.
Le voici :
Dialogue socratique
[
suite]
RITUEL
Metteur en scène : Comment se
fait-il qu’au théâtre, presque tous
les spectacles commencent par un
fade out – oh pardon! un baisser
de lumière ? C’est vrai, ça ; à croire
que c’est une convention, un code
que tout le monde connaît et
auquel on obéit sans broncher. Tu
vas dans n’importe quel théâtre,
dès que la lumière baisse, tu
entends le bruit des programmes
qui se referment ; les conversations
tombent ; vite on tousse une der -
nière fois. On entre dans le noir.
La pièce peut commencer.
Éclairagiste : T’aimes pas ça ?
Metteur en scène : Je trouve
étrange que ce soit une pratique
aussi unanime. Est-ce que c’est
nécessaire ? Est-ce que ça veut
dire quelque chose ? Si oui,
qu’est-ce que ça veut dire ? Ou
bien est-ce que c’est seulement
une habitude qu’on n’interroge
plus comme toutes les habitudes ?
J’avoue que par moments, ça
m’énerve. Toutes ces pièces de
théâtre, quelles qu’elles soient,
qui débutent toutes de la même
façon, par un même plongeon
dans le noir.
Éclairagiste : C’est peut-être un
signe, une façon de dire qu’on va
se couper de la réalité banale.
Metteur en scène : Et faire
appa raître une réalité supérieure?
Éclairagiste : Quelque chose
comme ça.
Metteur en scène : Je trouve
encore une fois que nous autres,
les gens de théâtre, on est très
prétentieux, on joue aux mystifi-
cateurs, aux gourous sérieux qui
veulent mener le public dans des
révélations pro fondes ! Alors
qu’en fait, c’est un jeu, rien qu’un
jeu, un jeu auquel on croit, d’ac-
cord ! et on s’y livre avec tout ce
qu’on est, mais ce n’est quand
même pas la messe ! On devrait
pouvoir se passer de rituel.
CQFS
[CE QU’IL FAUT SAVOIR]
Conception
Sylvie Morissette,
Jean-Pierre Ronfard
Distribution
Micheline Dalhander,
Sylvie Morissette, Jean-Pierre
Ronfard et la lumière
Scénographie
Jean Bard
Éclairage
Sylvie Morissette
Direction technique
Yvan Zanetti
Régie
Christian Gagnon
Régie de plateau
Michel St-Amand
Production
Nouveau
Théâtre Expérimental
Date
Du 5 au 17 janvier 1998
à 20h30
Lieu
Espace Libre
Jean-Pierre Ronfard, Sylvie Morissette
Dialogue entre une éclairagiste et un metteur en scène
ANECDOTE ÉCLAIRANTE :
Au moment où l’étude théâtrale
Lumière était à l’affiche, une
tempête extraordinaire jetait dans
la pénombre plusieurs régions du
Québec. La tempête du Verglas.
Plus d’électricité, plus de
chauffage, la grande noirceur.
Mais, par une coïncidence pour
le moins mystérieuse, Espace Libre
fut épargné. On se demande, à la
lumière de cet événement, si le
succès de Lumière n’est pas dû au
fait que le public, épuisé de vivre
dans le noir et le froid, venait tout
simplement se réchauffer à
Espace Libre pour y voir clair.
À ce jour le mystère reste entier.
une étude théâtrale
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CONFRONTATION
Éclairagiste : [...] Mais c’est tou-
jours la même chose avec les gens
de théâtre. Et particulièrement
les metteurs en scène, vous ne
reconnaissez pas l’importance, la
valeur, la qualité de la lumière en
soi. Vous la traitez comme une
esclave.
Metteur en scène : Mais qu’est-
ce que tu racontes ?
Éclairagiste : «La meilleure lu -
miè re, c’est celle qu’on ne remar-
que pas !» Oui ! Oui ! Je t’ai déjà
entendu dire des niaiseries
pareilles !
Metteur en scène : Mais...
Éclairagiste : Moi, j’aime la
lumière. Je n’aime pas qu’on la
méprise, qu’elle soit traitée comme
une servante qu’on est bien con-
tent de voir servir à table mais
qu’on se dépêche de renvoyer à la
cuisine quand on n’en a plus
besoin.
Metteur en scène : Dis donc,
qu’est-ce qui t’arrive ? Tu parles
de la lumière comme si tu étais
une amante passionnée ou bien
une mère tigresse qui se bat pour
son bébé. Faut pas en dire du
mal, faut pas s’en moquer. Fau -
drait surtout pas qu’on y touche !
(S’ensuit une altercation entre le
metteur en scène et l’éclairagiste.
Elle se plaint qu’on convoque tou-
jours la lumière deux jours avant la
première au lieu de l’intégrer au
cœur même du processus théâtral.
Discussion violente. Furieuse, l’éclai -
ragiste sort en coupant l’éclairage
de scène et en rallumant les néons
de la salle.)
LES OMBRES
(Une musique répétitive du genre
Arvo Part démarre, on voit l’ombre
d’une prisonnière se projetant sur
le mur. Long temps de jeu simple.)
Éclairagiste : Dis donc, elle a l’air
de s’ennuyer à mort.
Metteur en scène : Attends, tu
vas voir. Il va lui arriver quelque
chose.
Éclairagiste : Le happening !
Metteur en scène : Ou plutôt
quelqu’un. Un jour, voici qu’on
enferme un nouveau prisonnier
dans la cellule voisine. La femme
ne peut pas le voir. Elle ne peut
pas l’entendre. Mais son ombre, à
elle, est soudain visitée par une
autre ombre. L’ombre de l’hom me,
prisonnier dans la cellule voisine.
(En effet, on voit apparaître une
deuxième ombre qui attire la pre-
mière.)
Et les jours passent ; et les nuits ;
et chaque soir, silencieusement,
les deux ombres se retrouvent,
corres pondent, se touchent, s’ai-
ment.
(On voit successivement sept mon-
ters et baissers de l’ombre. Chaque
fois avec un nouveau sentiment
d’intimité et d’amour.)
La femme voudrait que son ombre
se libère, qu’elle ne reste pas ac -
crochée à elle-même, à sa réalité
pesante, à sa condition de captive.
Elle voudrait être comme ce héros
d’un conte romantique allemand
qui vend son ombre au diable pour
conquérir le bonheur...
Éclairagiste : Et après ?
Metteur en scène : Après ?... Il y
a une révolution dans le pays. Les
portes des prisons sont enfon-
cées. Les prisonniers s’échappent.
La femme erre par la ville. Elle
rencontre le prisonnier qui était
enfermé dans le cachot voisin et
dont l’ombre la faisait monter au
ciel. Ils ne se reconnaissent pas. La
vie les sépare pour toujours.
Seules leurs ombres auront connu
l’amour...
DEUX OMBRES SE MÉLANGENT
Micheline Dalhander, Michel St-Amand,
Jean-Pierre Ronfard, Sylvie Morissette
UN CORPS TRAVERSE
LE JARDIN DES LUMIÈRES.
Micheline Dalhander,
Jean-Pierre Ronfard,
Sylvie Morissette
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