Cahier XI page
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CONFRONTATION
Éclairagiste : [...] Mais c’est tou-
jours la même chose avec les gens
de théâtre. Et particulièrement
les metteurs en scène, vous ne
reconnaissez pas l’importance, la
valeur, la qualité de la lumière en
soi. Vous la traitez comme une
esclave.
Metteur en scène : Mais qu’est-
ce que tu racontes ?
Éclairagiste : «La meilleure lu -
miè re, c’est celle qu’on ne remar-
que pas !» Oui ! Oui ! Je t’ai déjà
entendu dire des niaiseries
pareilles !
Metteur en scène : Mais...
Éclairagiste : Moi, j’aime la
lumière. Je n’aime pas qu’on la
méprise, qu’elle soit traitée comme
une servante qu’on est bien con-
tent de voir servir à table mais
qu’on se dépêche de renvoyer à la
cuisine quand on n’en a plus
besoin.
Metteur en scène : Dis donc,
qu’est-ce qui t’arrive ? Tu parles
de la lumière comme si tu étais
une amante passionnée ou bien
une mère tigresse qui se bat pour
son bébé. Faut pas en dire du
mal, faut pas s’en moquer. Fau -
drait surtout pas qu’on y touche !
(S’ensuit une altercation entre le
metteur en scène et l’éclairagiste.
Elle se plaint qu’on convoque tou-
jours la lumière deux jours avant la
première au lieu de l’intégrer au
cœur même du processus théâtral.
Discussion violente. Furieuse, l’éclai -
ragiste sort en coupant l’éclairage
de scène et en rallumant les néons
de la salle.)
LES OMBRES
(Une musique répétitive du genre
Arvo Part démarre, on voit l’ombre
d’une prisonnière se projetant sur
le mur. Long temps de jeu simple.)
Éclairagiste : Dis donc, elle a l’air
de s’ennuyer à mort.
Metteur en scène : Attends, tu
vas voir. Il va lui arriver quelque
chose.
Éclairagiste : Le happening !
Metteur en scène : Ou plutôt
quelqu’un. Un jour, voici qu’on
enferme un nouveau prisonnier
dans la cellule voisine. La femme
ne peut pas le voir. Elle ne peut
pas l’entendre. Mais son ombre, à
elle, est soudain visitée par une
autre ombre. L’ombre de l’hom me,
prisonnier dans la cellule voisine.
(En effet, on voit apparaître une
deuxième ombre qui attire la pre-
mière.)
Et les jours passent ; et les nuits ;
et chaque soir, silencieusement,
les deux ombres se retrouvent,
corres pondent, se touchent, s’ai-
ment.
(On voit successivement sept mon-
ters et baissers de l’ombre. Chaque
fois avec un nouveau sentiment
d’intimité et d’amour.)
La femme voudrait que son ombre
se libère, qu’elle ne reste pas ac -
crochée à elle-même, à sa réalité
pesante, à sa condition de captive.
Elle voudrait être comme ce héros
d’un conte romantique allemand
qui vend son ombre au diable pour
conquérir le bonheur...
Éclairagiste : Et après ?
Metteur en scène : Après ?... Il y
a une révolution dans le pays. Les
portes des prisons sont enfon-
cées. Les prisonniers s’échappent.
La femme erre par la ville. Elle
rencontre le prisonnier qui était
enfermé dans le cachot voisin et
dont l’ombre la faisait monter au
ciel. Ils ne se reconnaissent pas. La
vie les sépare pour toujours.
Seules leurs ombres auront connu
l’amour...
DEUX OMBRES SE MÉLANGENT
Micheline Dalhander, Michel St-Amand,
Jean-Pierre Ronfard, Sylvie Morissette
UN CORPS TRAVERSE
LE JARDIN DES LUMIÈRES.
Micheline Dalhander,
Jean-Pierre Ronfard,
Sylvie Morissette